Ingérence étrangère : d’autres squelettes dans le placard ?

Publié le 9 février 2025 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Selon le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, une des candidates à la succession de Justin Trudeau serait la cible d’une campagne de dénigrement sur l’application WeChat.

Cette application chinoise de messagerie textuelle est très populaire parmi le 1,7 million de Canadiens d’origine ou de descendance chinoise.

Selon nos médias, cette campagne serait un autre exemple d’ingérence chinoise dans les affaires intérieures du Canada.

La véritable menace étrangère

En premier lieu, mettons les choses au clair. De nos jours, tous les pays s’immiscent plus ou moins discrètement, dans les affaires internes d’autres pays.

L’ingérence politique chinoise dans les affaires intérieures du Canada est prouvée mais sa portée est insignifiante. Dans tous les cas, l’issue des élections canadiennes reflète la volonté du peuple canadien.

La menace la plus sérieuse, voire existentielle, que courre actuellement du Canada vient du Sud de nos frontières et non de l’autre côté du Pacifique.

Malheureusement, la loi C-70, adoptée par le parlement canadien, est une passoire. Selon cette loi, seules sont définies comme ‘entités étrangères’ les entités étatiques étrangères.

Cela nous protège contre l’ingérence de la Chine et de l’Inde. Mais cela ne fait rien contre l’ingérence américaine qui, elle, passe généralement par des ONG à la solde de Washington ou financées par des millionnaires libertariens.

C’est par leur biais que les Américains mettent leur nez dans les affaires intérieures d’Ukraine, de Géorgie, de Slovaquie, d’Allemagne, du Groenland, au Canada et dans la grande majorité des pays du monde.

Le cas de cette candidate libérale

Il est à noter que les médias canadiens qui ont rapporté la nouvelle de cette campagne de dénigrement n’ont pas précisé en quoi consisteraient les calomnies dont serait victime cette candidate libérale.

On comprend facilement que nos quotidiens puissent être réticents à répéter des informations fallacieuses. Toutefois, si effectivement il s’agit d’une campagne calomnieuse, on ne voit pas comment les utilisateurs de WeChat apprendraient la vérité si on refuse de les confronter à une vérification des faits.

Pour Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine :

« [La campagne de dénigrement actuelle] démontre que les Chinois trouvent que c’est une femme forte qui n’hésite pas à dire les choses telles qu’elles sont et qui a déjà été très critique envers la Chine.»

Le diplomate a raison de souligner la force de caractère de cette candidate. Mais il a tort d’affirmer qu’elle n’hésite pas à dire les choses telles qu’elles sont. L’expérience démontre que c’est faux.

On se rappellera qu’en 2017, peu de temps après que cette candidate eut été nommée ministre des Affaires étrangères du Canada, une rumeur était apparue à son sujet.

Selon celle-ci, son grand-père maternel, d’origine ukrainienne, était un collabo du Troisième Reich.

Il aurait été simple d’avouer la faute, mais de souligner qu’on n’est jamais responsable des erreurs commises par d’autres, même lorsque ceux-ci sont des parents. En somme, la culpabilité ne se transmet pas génétiquement.

Mais Ottawa a préféré nier.

Insistant sur la coïncidence entre sa nomination et l’apparition de cette rumeur, le gouvernement fédéral avait déclaré que c’était essentiellement de la propagande russe. Et la plupart des grands journaux du pays, en bons patriotes, s’étaient tus afin de ne pas faire le ‘jeu des Communistes’.

Malheureusement, c’était vrai.

L’affaire est ressortie au pire moment: après que nos députés eurent ovationné un ex-soldat pro-nazi de la Division SS Gacicie, une milice ukrainienne responsable de quelques-uns des pires massacres (de civils polonais et slovaques, essentiellement) survenus au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

Comme une bonne partie des politiciens (et des êtres humains en général), cette candidate avoue les vérités qui ne lui conviennent pas seulement lorsqu’elle est acculée au pied du mur.

Espérons que si cette personne est portée à la tête du pays, on n’apprendra pas qu’elle cachait d’autres squelettes dans son placard…

Entretemps, si le meilleur argument qu’a trouvé cette candidate pour se démarquer des autres c’est ‘Votez pour moi parce que la Chine ne m’aime pas’, c’est un peu mince.

Références :
À quoi servent les think tanks?
Chrystia Freeland attaquée en ligne : une nouvelle tentative d’ingérence étrangère?
Le grand-père de la vice-première ministre du Canada, un collabo nazi
Moscou outré par les commentaires de la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly

Paru depuis :Olaf Scholz critique l’ingérence des Américains, après le discours de J. D. Vance (2025-02-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Ingérence étrangère : les demi-mesures du Groenland

Publié le 4 février 2025 | Temps de lecture : 6 minutes

L’ingérence des États-Unis

Pour étendre ou consolider leur hégémonie, les États-Unis pratiquent depuis des décennies l’ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

En Amérique latine

Dans les années 1960, la CIA avait couvert l’Amérique latine de dictateurs d’extrême droite, n’hésitant pas à faire assassiner Salvador Allende, pourtant élu démocratiquement à la présidence du Chili.

À Cuba, les États-Unis ont tenté 638 fois d’assassiner Fidel Castro en plus d’échouer en 1961 à le renverser par une invasion de mercenaires à la baie des Cochons.

Dans les années 1980, la CIA finançait les Contras dont le mandat était de susciter, par des actes terroristes, le mécontentement de la population contre le gouvernement du Nicaragua.

En Ukraine

Plus près de nous, les États-Unis ont secrètement orchestré en 2014 le massacre de la place de l’Indépendance de Kyiv afin de faire basculer définitivement l’Ukraine dans le camp occidental.

En Géorgie

Depuis trois mois, les États-Unis et leurs alliés alimentent le climat insurrectionnel en Géorgie en répétant faussement que les dernières élections législatives y auraient été l’objet d’une fraude massive.

En Roumanie

Le mois dernier, l’élection présidentielle en Roumanie a été annulée parce que les électeurs y ont voté pour un candidat critique de l’Union européenne et de l’Otan.

Les dirigeants pro-occidentaux du pays ont pris cette décision inusitée parce que, selon eux, le peuple roumain s’est trop laissé influencé par la propagande russe sur les médias sociaux.

En Slovaquie

Robert Fico, premier ministre de la Slovaquie, est reconnu pour son opposition à l’aide à l’Ukraine, pays situé immédiatement à l’Est du sien.

Après avoir échappé à une tentative d’assassinat le 15 mai 2024, il affronte ces jours-ci d’immenses protestations déclenchées par sa rencontre avec Poutine, le 22 décembre dernier, au sujet de l’approvisionnement slovaque en gaz fossile russe.

Selon les services de renseignement slovaque, environ le tiers des protestataires sont des personnes transportées gratuitement par autobus et par train à partir de l’ouest de l’Ukraine, fief des groupes néonazis de ce pays.

Puisque l’État ukrainien est en faillite depuis des années, on voit mal qui pourrait financer cette couteuse opération sinon, indirectement, les États-Unis.

On comprendra donc la nervosité des dirigeants du Groenland à l’approche de leurs élections législatives, prévues le 6 avril prochain.

La nouvelle loi groenlandaise

Le 16 janvier dernier, le site Euractiv rapportait que des influenceurs pro-Trump sont arrivés des États-Unis par avion dans la capitale groenlandaise, distribuant des billets de 100 dollars et des casquettes MAGA à la sortie des supermarchés.

Dans cette ville de vingt-mille habitants, leur venue n’est pas passée inaperçue.

Plus tôt aujourd’hui, le gouvernement provincial du Groenland a adopté une nouvelle loi sur le financement politique afin de se prémunir contre l’ingérence ‘étrangère’ (lisez : américaine).

Exception faite du Québec, le financement politique en Occident est de la corruption légalisée.

Chez nous, seuls les citoyens du Québec peuvent verser de l’argent à une formation politique. Cela est donc interdit aux syndicats, aux ONG et aux entreprises, qu’elles soient ‘québécoises’ ou non.

Au Québec, la contribution individuelle maximale est de 100 $ par année en temps normal. Un maximum porté à 200 $ les années où se tiennent des élections. De plus, la moindre contribution doit être déclarée.

En tant que Québécois, on est ahuri en voyant les sommes colossales qui peuvent être versées secrètement et en toute légalité à une formation politique en Europe et aux États-Unis puisque la déclaration n’y est obligatoire que lorsque la contribution politique dépasse un seuil élevé.

Alors quelles sont les règles dont le Groenland s’est doté ?

Dorénavant, les politiciens groenlandais ne pourront plus accepter des contributions ‘étrangères’ ou anonymes. Sont étrangers, les donateurs qui résident ou sont domiciliés en dehors du Groenland.

Les formations politiques devront tenir un registre où sera inscrit chaque versement par une association, une ONG, une entreprise, etc.

Dans le cas des particuliers, c’est différent. L’inscription au registre sera obligatoire pour les dons individuels qui dépassent mille couronnes danoises (soit 134 € ou 200 $Can). En deçà de cette somme, la contribution pourra demeurer secrète.

Dans tous les cas, la contribution politique d’un citoyen ne pourra pas dépasser vingt-mille couronnes (soit 2 680 € ou 4 000 $Can).

Selon le quotidien Le Monde, « aucune formation ne sera autorisée à recevoir plus de 200 000 couronnes (27 000 euros) de donateurs privés, dans la limite de 20 000 couronnes par contributeur.»

Ce qui suggère qu’il n’y a pas de limite quant aux versements des entreprises. Du moment qu’elles ne sont pas ‘étrangères’. Ce qui n’empêche pas, par exemple, une association ou une ONG authentiquement groenlandaise de servir de paravent à du financement politique étranger.

Le maximum québécois, limité à 100 ou 200 $, a été fixé très bas afin d’éviter les prête-noms. C’est une précaution que le Groenland n’a pas prise.

Imaginons qu’un candidat reçoive une liste de noms de donateurs accompagnée d’une enveloppe brune pleine de billets de banque.

Pourquoi ce candidat prendrait-il l’initiative de s’assurer que ces gens ne sont pas des prête-noms quand la loi ne lui impose aucune obligation à ce sujet et que, de toute manière, leur contribution peut demeurer secrète puisqu’aucun d’entre eux n’a versé plus de mille couronnes selon la liste fournie ?

En conclusion, la nouvelle loi groenlandaise au sujet du financement politique demeure une passoire, mais dont les trous sont plus petits qu’avant.

Références :
Ces 638 fois où la CIA a voulu se débarrasser de Fidel Castro
Contras
Débarquement de la baie des Cochons
En direct de Nuuk : les YouTubeurs et les casquettes MAGA envahissent le Groenland
La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (1re partie)
Le Groenland se mobilise contre les risques d’ingérences étrangères
L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain
Manifestations massives en Slovaquie contre la position de Fico envers la Fédération de Russie
Poutine s’entretient avec Fico, lors d’une rare visite à Moscou d’un dirigeant de l’UE
Roumanie : des milliers de personnes protestent contre l’annulation de l’élection présidentielle
Tentative d’assassinat de Robert Fico
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan

Paru depuis : Olaf Scholz critique l’ingérence des Américains, après le discours de J. D. Vance (2025-02-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel