Droit international et géopolitique (cinquième partie)

Publié le 28 novembre 2024 | Temps de lecture : 4 minutes


Plan :
• 1re partie : Assises et instances
• 2e partie  : Impact du droit international
• 3e partie  : L’exemple du droit à la légitime défense
• 4e partie  : Le droit à l’indépendance – Crimée vs Taïwan
• 5e partie  : Les mandats d’arrestation de la CPI (ce texte-ci)

Étendue de l’autorité de la Cour pénale internationale

La Cour pénale internationale (CPI) est née en 2002. Ce tribunal ne juge pas les pays ni les gouvernements; seuls des dirigeants politiques ou militaires sont sommés d’y comparaitre.

Son autorité s’étend aux 124 pays ou entités étatiques dont le parlement a ratifié le Statut de Rome (en vert sur la carte ci-dessus).

Après le mandat d’arrestation émis par la CPI contre Benyamin Nétanyahou, le Canada, l’Italie et la Grande-Bretagne ont fait savoir qu’ils procèderaient (à regret) à l’arrestation du dirigeant israélien s’il devait mettre les pieds sur leur territoire.

De son côté, la France ne compte pas procéder à l’arrestation de Nétanyahou s’il devait y venir.

Mais contrairement à certains pays occidentaux qui ont annoncé leur refus de respecter leurs obligations internationales — le Paraguay, l’Argentine, l’Autriche, la République tchèque et la Hongrie — la France justifie paradoxalement son refus au nom de ses obligations internationales, notamment le respect de l’immunité diplomatique dont jouirait Nétanyahou.

Qu’en est-il ?

Le premier paragraphe de l’article 27 du Statut de Rome est clair. Il se lit comme suit :

Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État […] n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut […].

Les autorités françaises soulignent néanmoins qu’un autre article dit le contraire.

En effet, l’article 98 stipule que lorsque la CPI requiert (notez le verbe) l’arrestation d’une personne normalement protégée par l’immunité diplomatique, le pays requis (par exemple, la France) doit obtenir la coopération du pays tiers (dans ce cas-ci, Israël) pour que celui-ci lève l’immunité diplomatique qui protège la personne visée par le mandat.

Cela semble contradictoire. À l’article 98, comment peut-on exiger la levée d’une immunité qui n’existe pas en vertu de l’article 27 ?

Une des règles de l’interprétation du droit veut que le législateur ne parle pas pour rien. Si l’article 98 semble contredire l’article 27, c’est qu’il s’agit d’une exception à la règle.

En somme, si la France voulait arrêter un de ses ressortissants, elle n’aurait besoin de la permission de personne. Mais pour arrêter Nétanyahou, il faut l’accord d’Israël.

Si cela est exact, n’est-ce pas également le cas de Vladimir Poutine ? Bien oui; on ne peut l’arrêter que si la Russie est consentante. En somme, s’il le veut bien.

Alors pourquoi avoir caché à l’opinion publique internationale les dispositions de l’article 98 dans le cas de Poutine ?

Parce que les pays rivaux instrumentalisent le Droit international à des fins de propagande.

C’est ainsi que pour provoquer l’indignation et afin de susciter la détestation de la Russie, il suffit de donner l’impression que ce pays viole impunément le Droit international.

Cette instrumentalisation est d’autant plus évidente lorsqu’on se rappelle que, techniquement, Poutine est accusé d’avoir déporté un nombre non précisé d’enfants sains et saufs vers la Russie alors que Nétanyahou est accusé de crimes de guerre qui ont conduit au massacre de dizaines de milliers d’enfants palestiniens.

Références :
La Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine
Paris critiqué pour avoir évoqué l’« immunité » de Nétanyahou
Pourquoi la France donne des gages à Benyamin Nétanyahou après le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale
Statut de Rome de la Cour pénale internationale

Paru depuis : Poland says it will protect Benjamin Netanyahu from potential arrest (2025-01-09)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Droit international et géopolitique (quatrième partie)

Publié le 4 octobre 2024 | Temps de lecture : 7 minutes


Plan :
• 1re partie : Assises et instances
• 2e partie  : Impact du droit international
• 3e partie  : L’exemple du droit à la légitime défense
• 4e partie  : Le droit à l’indépendance – Crimée vs Taïwan (ce texte-ci)
• 5e partie  : Les mandats d’arrestation de la CPI

Introduction

Dans l’édition de mars 2017 de l’Action Nationale, l’expert constitutionnaliste André Binette écrit :

Un peuple apparait à la suite de la combinaison de facteurs historiques, sociologiques et culturels.

Avec le temps, ces facteurs conduisent à la formation de trois éléments essentiels. Deux d’entre eux, le territoire et la population, sont de nature objective et variable; le troisième, qui est la prise de conscience par un peuple de sa propre identité, est subjectif et invariable.

Lorsque ces trois éléments sont réunis, le droit international, depuis cinquante ans, reconnait à un peuple le droit à l’autodétermination.

Le droit à l’indépendance est reconnu par plusieurs dispositions du droit international. Toutefois, ces dispositions s’appliquent différemment à chaque cas.

La plupart du temps, l’accession à l’indépendance repose sur Le principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit de disposer d’eux-mêmes (ou résolution 2625), adopté par l’Onu en 1970. Il y est écrit :

La création d’un État souverain et indépendant […] ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par le peuple, constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même.

Il est à noter qu’en vertu du doit international, le mot ‘peuple’ désigne l’ensemble des groupes ethniques qui peuplent un territoire. Il n’est donc pas synonyme de ‘groupe ethnique’. Si c’était le cas, aucun pays ne serait né depuis la création de l’Onu puisque de nos jours, aucun pays n’est mono-ethnique.

Dans le cas des pays africains, ceux-ci ont pu se prévaloir spécifiquement de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux (ou résolution 1514), adoptée par l’Onu en 1960.

Dans le cas de la Crimée et de Taïwan, aucun d’entre eux ne peut s’en prévaloir puisque ni l’un ni l’autre n’est une colonie. Tout au plus, Taïwan peut prouver avoir été une colonie du Japon de 1895 à 1945, mais pas de la Chine continentale.

Au-delà des trois conditions essentielles à l’indépendance, énoncées par André Binette, le juriste Jacques Brossard apporte la nuance suivante quant à la reconnaissance internationale de cette indépendance :

De nos jours, la naissance d’un nouvel État ne peut plus se faire qu’aux dépens […] d’au moins un autre État. Elle ne peut donc que perturber l’ordre international […] Cette naissance peut être indépendante de la volonté des autres États, mais l’admission d’un État au sein de la société internationale dépend au contraire de cette volonté.

Cela signifie que même s’il remplit toutes les conditions pour être indépendant, un nouvel État sera un paria sur la scène internationale si les puissances de ce monde s’opposent son existence.

À l’opposé, un territoire qui n’a aucun droit à l’indépendance y accèdera par simple résolution de l’Onu puisque celle-ci s’ajouterait alors au droit international.

La Crimée

En janvier 2014, le gouvernement central à Kyiv annonçait son intention — qu’il n’eut pas le temps de réaliser — de retirer au russe son statut de langue officielle dans toutes les provinces ukrainiennes où cette langue jouissait de ce statut.

Imaginez qu’au Canada, Ottawa aurait le pouvoir de retirer au français son statut de langue officielle au Québec et qu’il déciderait d’exercer ce pouvoir : il provoquerait l’indépendance du Québec.

C’est ce qui est arrivé en Crimée.

En 2014, la population de la Crimée était constituée de 65,3 % de citoyens russophones et de 15,1 % de citoyens ukrainophones.

Dès l’annonce de Kyiv, le gouvernement provincial de Crimée adopta une déclaration unilatérale d’indépendance et organisa aussitôt un référendum qui fut remporté haut la main par les partisans de l’indépendance.

Aucun pays ne mit en doute ce résultat.

Toutefois, l’Ukraine et les pays occidentaux jugèrent que cette consultation était sans valeur.

À leur initiative, l’Onu adopta peu de temps après une résolution dépourvue de valeur juridique contraignante qui déclare non valide le référendum criméen et qui réitère l’importance du respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Il est donc paradoxal de voir des pays qui prétendent défendre la démocratie dans le monde, s’opposer à la volonté démocratique du peuple criméen de disposer de lui-même, une opposition qu’ils justifient au nom du droit international alors que cette résolution, strictement parlant, n’en fait pas partie.

Taïwan

Depuis la résolution 2758, adoptée par l’Onu en 1972, le gouvernement de Beijing représente à l’Onu non seulement la Chine continentale, mais également l’ile de Taïwan.

Depuis que le gouvernement de Chiang Kaï-chek s’y est réfugié en 1950 (après avoir perdu la guerre civile chinoise), l’ile possède une complète autonomie gouvernementale… et en jouira tant qu’elle évite de proclamer son indépendance.

Sachant cela, Washington essaie depuis des années de convaincre la population de l’ile de franchir la ligne rouge tracée par Beijing.

Le but de Washington est de répéter le ‘truc’ qui a si bien fonctionné en Ukraine, soit de susciter une guerre avec son voisin afin d’affaiblir l’armée de ce dernier.

Pour freiner l’accession de la Chine au titre de première puissance économique mondiale, les dirigeants américains souhaitent donc l’affaiblir par une guerre ruineuse.

Washington n’a jamais caché son intention de reconnaitre l’indépendance de Taïwan dès que le gouvernement de l’ile la proclamera.

Toutefois, Taïwan ne peut accéder à l’indépendance en vertu du droit international. Pourquoi ? Tout simplement parce que son profil ethnique ne se distingue pas celui de la Chine continentale.

Lorsque le gouvernement de Chiang Kaï-chek s’installe à Taïwan, accompagné de deux-millions de partisans, il y instaure une ‘Terreur blanche’ qui durera de 1949 à 1987 et qui se fit principalement aux dépens de la population autochtone de l’ile (qui le percevait comme un envahisseur).

Si bien que de nos jours, Taïwan est peuplé à 95 % de Hans alors que cette ethnie forme 92 % de la population de la Chine continentale.

En définitive, tout ce qui distingue Taïwan de la Chine continentale, c’est le niveau de vie, les caractères d’écriture et le système politique.

Bref, rien qui justifie l’indépendance.

Quant à l’adoption d’une résolution de l’Onu qui légaliserait l’indépendance de Taïwan, il faudrait que le représentant de la Chine au Conseil de sécurité (où Beijing dispose d’un droit de véto) soit soudainement retenu au lit par une vilaine grippe…

Références :
Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux
Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
D’un simple décret, Khrouchtchev fit don de la Crimée à l’Ukraine en 1954
Le droit du peuple québécois à l’autodétermination et à l’indépendance
Le pouvoir constituant du peuple québécois et l’accession à l’indépendance (1re partie)
Le pouvoir constituant du peuple québécois et la coexistence avec les peuples autochtones (2e partie)
Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies
Résolution 2625 de l’Assemblée générale des Nations unies
Résolution de l’Onu appelant au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine
Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies
Terreur blanche (Taïwan)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pourquoi la Mongolie n’a-t-elle pas arrêté Vladimir Poutine ?

Publié le 4 septembre 2024 | Temps de lecture : 3 minutes


 
Introduction

En mars 2023, la Cour pénale internationale (CPI) lançait un mandat d’arrestation contre Vladimir Poutine.

Pourtant, lors d’une visite officielle à l’Étranger qui s’est terminée hier, le président russe s’est rendu en Mongolie et en est reparti sain et sauf. Pourquoi ?

Un droit facultatif

Lorsque la CPI lance un mandat d’arrestation, elle compte sur les ressources policières des pays signataires du Statut de Rome pour arrêter la personne visée par ce mandat.

En dépit du fait que la Mongolie a signé et ratifié ce traité, ce pays a pourtant laissé filer Poutine.

Lorsqu’un pays signataire refuse d’obéir à la Cour, ce pays peut être sanctionné par résolution du Conseil de sécurité de l’Onu.

Or, on voit mal comment la Russie — qui possède un droit de véto à l’Onu — pourrait punir la Mongolie pour y avoir été accueillie chaleureusement.

Aparté : Si Benyamin Netenyahou n’a pas fait l’objet d’un mandat d’arrestation de la CPI, c’est en raison de la menace américaine de représailles contre les procureurs de la Cour s’ils osent s’en prendre au premier ministre israélien.

La Mongolie, alliée de Moscou et de Beijing

Pour justifier son refus d’obéir à la CPI, la Mongolie invoque l’immunité diplomatique dont jouit Poutine.

Cela ne tient pas debout : les statuts de la CPI prévoient justement la levée de l’immunité diplomatique des personnes qu’elle accuse.

Les véritables raisons sont simples.

Quel pays aurait pu aller chercher Poutine en Mongolie s’il y avait été arrêté ? La Mongolie est un pays enclavé entre la Russie et la Chine; rien ne peut quitter la Mongolie sans passer par l’un ou l’autre de ces deux voisins.

Peut-on imaginer un avion militaire américain violer l’espace aérien d’un de ces pays pour aller chercher Poutine ? Cet avion ne se serait jamais rendu à destination et, dans le meilleur des cas, serait revenu bredouille.

Les deux tiers des importations mongoles proviennent de Russie et de Chine. Et 93 % des exportations mongoles sont destinées à la Chine.

Cela dit tout.

Références :
Cour pénale internationale
La Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine
Mandats d’arrêt demandés par la CPI : quelles conséquences pour Netanyahu ?
Pourquoi la Mongolie n’a-t-elle pas arrêté Vladimir Poutine lors de sa visite?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les débuts chaotiques de la diplomatie ukrainienne en Afrique

Publié le 20 août 2024 | Temps de lecture : 10 minutes
Pays (en vert) qui n’ont pas adopté de sanctions économiques contre la Russie

Un effort diplomatique remarquable

Depuis son indépendance en 1991, l’Ukraine a ouvert huit ambassades dans les pays africains suivants : en Algérie, en Angola, en Égypte, en Éthiopie, au Kenya, au Nigeria, au Sénégal et en Afrique du Sud.

Kyiv annonçait dernièrement sa décision de faire passer à vingt le nombre de ses ambassades africaines.

C’est ainsi que le 12 avril dernier, l’Ukraine aménageait sa nouvelle ambassade en Côte d’Ivoire dans une maison cossue de 1 200 m² située à deux pas de l’ambassade de la Russie (selon les précisions de la BBC).

L’Ukraine veut ainsi être en mesure de faire plus efficacement la promotion de ses intérêts auprès d’une vingtaine de pays africains sur les 53 pays que compte le continent. À titre de comparaison, on trouve des ambassades et des consulats canadiens dans 35 pays africains.

Dans les faits, le travail quotidien de ces délégations à l’Étranger sera d’informer et de délivrer des visas aux personnes de ces pays qui voudront voyager en Ukraine et d’autre part, aider les Ukrainiens sur place qui auront perdu leur passeport ou qui se seront fait voler leurs effets personnels.

En aout 2022, deux des plus importantes agences de notation financière — S&P Global Ratings et Fitch Ratings — ont rétrogradé les finances de l’Ukraine au niveau de l’avant-dernier échelon de leur grille; en défaut de paiement sélectif. En somme, l’Ukraine est presque en faillite.

Longtemps deuxième pays le plus pauvre d’Europe, l’Ukraine n’a jamais eu les moyens de se doter d’un corps diplomatique important. On s’étonne que, dans l’état actuel de ses finances, l’Ukraine ait décidé maintenant de corriger cette lacune.

L’éléphant dans la pièce

Ces jours-ci, dans le petit monde de la diplomatie internationale, l’Ukraine se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Quelques jours après le début de la guerre russo-ukrainienne, sur la page Facebook officielle de son ambassade au Sénégal, l’Ukraine avait fait paraitre une offre d’emploi pour des volontaires prêts à s’enrôler dans son armée.

Aussitôt, le gouvernement sénégalais ordonnait à l’Ukraine de cesser tout recrutement de mercenaires à partir de son territoire.

Le 27 juillet dernier, aidés par l’Ukraine, des rebelles maliens ont tendu un guet-apens aux mercenaires russes de l’Africa Corps (le nouveau nom du Groupe Wagner).

Au cours de cette embuscade qui a duré deux ou trois jours, 84 Russes ont été tués. C’est la pire défaite de cette milice depuis son déploiement dans ce pays, en 2022.

Deux jours plus tard, le porte-parole du Service de renseignement militaire de l’Ukraine révélait à la télévision nationale que la victoire des rebelles avait été facilitée par l’Ukraine.

Pour l’instant, on ignore la nature de cette collaboration. Certaines informations suggèrent que les forces spéciales ukrainiennes auraient formé les séparatistes à l’utilisation de drones d’attaque. Une expertise qui leur aurait été précieuse dans ce cas-ci.

À la suite de la confirmation — par l’ambassadeur ukrainien au Sénégal — selon laquelle l’Ukraine était effectivement impliquée dans cette attaque, le Mali a rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine le 4 aout.

Il faut savoir que l’attaque dont il s’agit visait un convoi de l’armée malienne accompagné de mercenaires de l’Africa Corps. Au cours de cette bataille, 47 soldats maliens ont également perdu la vie.

Le communiqué émis par le gouvernement malien ne laisse aucun doute quant à sa vive contrariété : « [Le Mali] adhère totalement au diagnostic établi par la [Russie] qui a pourtant mis en garde le monde, depuis des années, sur la nature néonazie […] des autorités ukrainiennes, aujourd’hui alliées au terrorisme international, loin des aspirations de paix et stabilité du peuple ukrainien.»

Voisin oriental du Mali, le Niger a lui aussi rompu ses relations diplomatiques avec l’Ukraine.

Sans aller jusque là, le Sénégal (situé à l’ouest du Mali), a déclaré :

« [Le Sénégal…] ne saurait accepter sur son territoire […] des propos et gestes allant dans le sens de l’apologie du terrorisme, surtout lorsque ce dernier vise à déstabiliser un pays frère comme le Mali

Situé au sud du Mali, le Burkina Faso a rappelé le principe sacro-saint de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain (le Mali) et s’est contenté de rappeler les responsabilités de la communauté internationale « face au choix opéré par l’Ukraine de soutenir le terrorisme dans un contexte mondial où l’unanimité est faite sur l’impératif de combattre ce fléau.»

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, habituellement très critique à l’égard de la junte militaire malienne, a néanmoins déclaré qu’elle « désapprouve et condamne fermement toute ingérence extérieure dans la région […] et toute tentative visant à entrainer la région dans les confrontations géopolitiques actuelles.»

En d’autres mots, les pays africains jugent que la guerre russo-ukrainienne est un conflit qui ne les concerne pas et refusent d’être les pions d’une guerre hégémonique en Europe. Par-dessus tout, ils s’opposent à ce que leur pays devienne une extension territoriale de ce conflit.

Ceci étant dit, un petit détail est intrigant; tous ces pays accusent l’Ukraine de ‘terrorisme’ alors que nos médias sont muets à ce sujet. Au contraire, chez nous, on se réjouit plutôt de voir l’Ukraine infliger une défaite à la Russie en aidant des rebelles à lutter contre la dictature militaire de leur pays.

Qu’en est-il vraiment ?

Le contexte malien

Pour comprendre la situation actuelle au Mali, il faut remonter à 2011.

Cette année-là, l’Onu ordonnait un embargo sur la fourniture, la vente et le transfert d’armements aux belligérants qui s’affrontaient alors en Libye, un pays situé au nord du Mali.

Puisque le droit international est de facto facultatif, l’Otan n’a pas hésité à violer la résolution de l’Onu en livrant une quantité considérable d’armements aux rebelles en Libye et à tous les habitants de la région qui acceptaient de devenir mercenaires contre le régime libyen de Mouammar Kadfafi.

Après son assassinat, ces derniers sont retournés à leurs occupations habituelles. Dans un grand nombre de cas, les armes puissantes qu’ils avaient reçues étaient beaucoup trop encombrantes pour leur être utiles.

Conséquemment, ces ex-belligérants se sont départis des armes les plus puissantes et les plus lourdes, vendues aux seules personnes que cela pouvait intéresser, soit les milices terroristes qui œuvraient dans la région subsaharienne, notamment au Mali.

Depuis ce temps, ce pays est aux prises avec une révolte de djihadistes qui combattent le gouvernement central malien afin d’établir une république islamiste dans la moitié nord du pays (appelée Azawad) et d’y imposer la charia, voire d’y créer un califat.

Bref, les armes déversées massivement par l’Otan en Libye ont finalement contribué à la puissance militaire des rebelles du Mali et à l’instabilité politique de ce pays.

Le 6 avril 2012, les Touaregs du MNLA (le Mouvement national de libération de l’Azawad) proclamaient l’indépendance de la moitié nord du Mali. Cette proclamation fut condamnée par le Mali, l’Union africaine et la communauté internationale.

Incapable d’imposer l’ordre, le Mali a d’abord fait appel au Tchad, puis peu après à la France, dont les opérations militaires au Mali se succédèrent de 2014 à 2022 sans parvenir à éradiquer la menace djihadiste.

À la suite du coup d’État de 2021, les nouvelles autorités maliennes se sont montrées de plus en plus critiques, publiquement, à l’égard de l’armée française dans le pays. Ce qui a contribué à généraliser son impopularité au sein de la population malienne.

Dès l’année suivante, la France prétextait l’annulation des élections au Mali pour se retirer du pays.

Celui-ci s’est tourné vers le Groupe Wagner d’Evgueni Prigojine, renommé depuis Africa Corps.

Le mois dernier, aveuglées par leur désir d’infliger une défaite à la Russie, les autorités ukrainiennes ne semblent pas avoir réalisé qu’elles aidaient des terroristes à déstabiliser un pays africain.

En dépit de l’ouverture de ses ambassades, l’Ukraine a rendu toxiques les relations qu’elle comptait tisser avec les pays du continent africain.

Conclusion

En septembre 2023, au parlement canadien, l’ovation d’un sympathisant nazi d’origine ukrainienne en présence de Volodymyr Zelensky a éclaboussé la réputation internationale du Canada et fait le jeu de la Russie, heureuse de souligner le passé pro-nazi de l’Ukraine.

Cet incident s’est produit en raison de la profonde méconnaissance de l’histoire que possède notre classe politique puisque personne, apparemment, ne s’est rendu compte de ce qu’il faisait.

Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, tous les journaux du Québec — imprégnés du néo-maccarthisme ambiant — ont rapporté positivement (voire triomphalement) l’embuscade tendue à l’Africa Corps par l’Ukraine et ses alliés.

Malheureusement, aucun de nos journalistes ne semble avoir soupçonné que l’Ukraine se faisait ainsi complice de djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à Daech. Des salafistes qui mettent la moitié du Mali à feu et à sang depuis une décennie.

Il était à prévoir qu’un jour, les groupes terroristes apprendraient comment utiliser des drones non seulement pour glaner des renseignements mais également pour commettre des attentats.

Si les informations partielles que nous possédons sont exactes, nous assistons ici à un transfert technologique du pays le plus expérimenté au monde à ce sujet vers des groupes indésirables. Et ce, sous les applaudissement niais de nos journalistes.

Et pendant que tout ce beau monde se tarde d’inclusion et de diversité, personne ne s’est donné la peine de chercher sur l’internet pour savoir ce que les Africains eux-mêmes en pensaient.

Triste époque…

Références :
Au lendemain de la mort de Mouammar Kadhafi, l’Otan a annoncé la fin de sa mission libyenne le 31 octobre
Azawad
10 nouvelles ambassades ukrainiennes en Afrique: quels sont les enjeux ?
La désinformation au sujet de la Division SS Galicie
Le Burkina Faso invite l’Ukraine à ne pas se tromper de combat
La nostalgie nazie en Ukraine
Le rôle de l’Ukraine dans la défaite de l’Africa Corps russe pourrait-il se retourner contre elle ?
L’Occident ne veut pas payer pour reconstruire l’Ukraine
L’Ukraine frappe la Russie en Afrique
L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain
Maccarthysme
Mali
Mali cuts diplomatic ties with Ukraine over Wagner attack controversy
Niger’s junta cuts diplomatic ties with Ukraine
Résolution de l’ONU No 1970 (2011)

Parus depuis :
Burkina, Mali et Niger appellent l’ONU à «prendre des mesures» face au «soutien de l’Ukraine au terrorisme» (2023-08-21)
La méthode Wagner, au service des ambitions russes en Afrique (2023-08-22)

Complément de lecture : Ukrainian Trained, Turkish Sponsored Syrian Rebels Lead Assault on Aleppo (2024-12-01)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Guerre en Ukraine : amener les Allemands à la raison

Publié le 16 août 2024 | Temps de lecture : 6 minutes

L’Allemagne est le deuxième plus important fournisseur d’armes à l’Ukraine (loin derrière les États-Unis, mais devant la Grande-Bretagne et la Pologne). Ce pays est actuellement dirigé par une coalition tripartite qui n’a de cesse que de s’entredéchirer sur à peu près tous les sujets.

Au parlement allemand, tout comme au parlement européen, ce sont les Verts — ironiquement qualifiés de ‘Verts kaki’ par leurs adversaires politiques — qui battent le plus vivement le tambour de la guerre contre la Russie. Même au prix, paradoxalement, d’un cout environnemental colossal.

Prédite sur ce blogue dès 2022, la récession économique qui frappe actuellement l’Allemagne oblige ce pays à réduire l’importance de l’aide militaire qu’elle comptait accorder à l’Ukraine, faisant chuter cette aide de 8 à 4 milliards d’euros cette année.

Cette réduction fait controverse.

La droite américaine fait circuler la rumeur selon laquelle l’Ukraine serait au cœur du sabotage des gazoducs Nord Stream afin d’amener l’opinion publique allemande ‘à la raison’.

Ces oléoducs servaient à approvisionner directement l’Allemagne en gaz fossile russe. En court-circuitant les gazoducs qui passent par le territoire ukrainien — et qui permettaient à l’Ukraine de prélever deux-milliards de dollars de redevances — l’Allemagne abaissait ses couts de production et améliorait ainsi la compétitivité de ses produits industriels.

Il faut savoir que couper sciemment l’approvisionnement énergétique d’un autre pays est un casus belli, c’est-à-dire un acte justifiant une déclaration de guerre.

Selon l’article publié dans le Wall Street Journal (un quotidien financier d’allégeance républicaine), quelques hauts gradés de l’armée ukrainienne auraient planifié en mai 2022 une opération de sabotage contre les gazoducs Nord Stream. Au cout de 300 000$, l’opération aurait été financée par un ou plusieurs oligarques ukrainiens.

Dans un premier temps, l’opération aurait été approuvée par le président ukrainien. Mais celui-ci serait revenu sur sa décision après en avoir été dissuadé par la CIA.

Toutefois, selon certains journaux américains, l’ordre d’arrêter le tout aurait été ignoré par le commandant de l’opération, le général Valerii Zaluzhyi, promu depuis à titre d’ambassadeur plénipotentiaire de l’Ukraine à Londres par Zelensky.

Tout ceci est cousu de fils blancs.

La mer Baltique est une des régions les plus surveillées au monde en raison de son importance géostratégique. S’imaginer que six Ukrainiens (comprenant des plongeurs professionnels) louent un navire de plaisance afin de planter des explosifs au nez et à la barbe de la Russie, de l’Allemagne, de la Pologne, du Danemark et de la Suède, est un scénario totalement invraisemblable.

Beaucoup plus plausible est l’enquête du journaliste Seymour Hersh, traduite et résumée l’an dernier sur ce blogue et qui accusait les États-Unis d’avoir mené cet acte de sabotage.

Par contre, l’article du Wall Street Journal (visant l’Ukraine) se résume à accuser ce pays de terrorisme à l’égard de son principal fournisseur européen d’armement.

Ceci étant dit, le gouvernement fédéral allemand a intérêt à faire semblant de croire à cette accusation afin de faire accepter la réduction controversée de son aide militaire à l’Ukraine.

Toutefois, à quelques semaines des élections régionales au Brandebourg, en Saxe et en Thuringe, cette nouvelle apporte de l’eau au moulin de deux partis d’opposition, l’AfD et la BSW.

Opposée à l’aide militaire à l’Ukraine, la première est un parti d’extrême droite qui est en tête des sondages dans ces trois Lands. De son côté, la BSW est un nouveau parti d’extrême gauche opposé à l’Otan qui, selon le Land, occupe présentement la deuxième ou la troisième position dans les intentions de vote.

Le message ‘subliminal’ de la nouvelle du Wall Street Journal est clair : verser des milliards d’euros allemands pour aider l’Ukraine, c’est récompenser des militaires prêts à saboter l’économie allemande pour parvenir à leurs fins.

D’autre part, la nouvelle américaine brouille l’Allemagne contre la Pologne; cette dernière a laissé un des coupables présumés traverser son territoire pour se réfugier en Ukraine en dépit d’un mandat d’arrestation émis par l’Allemagne.

Bref, on ne se lasse jamais de l’ingéniosité américaine à semer la bisbille partout où ils passent.

Références :
Aide à l’Ukraine et réarmement de l’armée… La bascule militariste de l’Allemagne est-elle tenable ?
Européennes 2024 en Allemagne : vers un nouveau « Mur de Berlin » ?
Guerre en Ukraine : la coalition au pouvoir en Allemagne se déchire sur l’envoi de missiles Taurus à l’Ukraine
Guerre Russie – Ukraine : l’Allemagne “fatiguée” de soutenir l’Ukraine ?
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
How did divers manage to blow up the Nord Stream pipeline? We went down to the spot to find out
Le chancelier allemand Olaf Scholz s’inquiète de l’évolution de l’opinion publique sur le soutien à l’Ukraine
Le cout environnemental de la guerre
Le début de la délocalisation industrielle de l’Allemagne
Le sabotage de Nord Stream validé au plus haut niveau ukrainien
L’UE doit-elle continuer à soutenir l’Ukraine ? Notre sondage révèle que les Européens y sont favorables
L’énorme coût environnemental de la guerre en Ukraine
Ukraine et Russie : l’échec cuisant de Victoria Nuland
Ukraine’s top general disobeyed Zelenskyy and blew up the Nord Stream pipeline without permission, report says
Valeur estimée des livraisons d’armes à l’Ukraine de janvier à novembre 2022, par pays

Parus depuis :
En Allemagne, les élections locales pèsent sur l’aide à l’Ukraine (2024-08-19)
Allemagne : l’inquiétante montée de l’extrême droite (2024-09-02)
Social Democrats fend off AfD in crucial German state election, initial results show (2024-09-22)
Émoi en Allemagne après un soutien appuyé d’Elon Musk à l’extrême droite (2024-12-20)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Priver de bras l’effort de guerre ukrainien

Publié le 24 juillet 2024 | Temps de lecture : 4 minutes

La guerre russo-ukrainienne oppose deux armées alimentées en soldats par la conscription.

Au lieu d’appeler sous les drapeaux tous ceux capables de guerroyer — soit les 18 ans ou plus — l’Ukraine a choisi dès le départ de fixer à 27 ans l’âge minimal pour s’inscrire dans son armée.

Au déclenchement de la guerre, la population ukrainienne comprenait environ 1 750 000 adultes de moins de 27 ans.

Exemptés du service militaire, une bonne partie d’entre eux en ont profité pour grossir les rangs des 6,4 millions d’Ukrainiens qui ont fui à l’Étranger (dont trois-cent-mille au Canada).

En février dernier, le seuil de la conscription a été réduit à 25 ans en raison de la pénurie aigüe de combattants du côté ukrainien. À l’heure actuelle, l’âge moyen des soldats ukrainiens est de 43 ans.

Mais cette mesure arrive trop tard; de nos jours, les bureaux de recrutement de l’armée ukrainienne accueillent plus d’hommes qui se présentent avec une exemption médicale que d’hommes aptes à guerroyer.

En vertu du programme de visa d’urgence pour les Ukrainiens déplacés par la guerre, Ottawa a émis 962 000 de ces visas. Environ 298 000 Ukrainiens ont effectivement fait le voyage jusqu’ici. Le ministère fédéral de l’Immigration ignore ce qui est arrivé aux autres.

Ce programme témoigne de l’influence politique de la vice-première ministre du Canada (de descendance ukrainienne).

En effet, le Canada n’a pas créé un programme semblable au sujet de la guerre en Congo (qui a fait entre 5 et 12 millions de morts), ni au sujet de la guerre dans la Bande de Gaza (qui, proportionnellement, a fait beaucoup plus de victimes). Le quota canadien pour les Gazaouis, c’est mille personnes. Autant dire qu’on ne veut pas d’eux.

Le programme d’urgence dont il est question ici s’adresse aux Canadiens de descendance ukrainienne qui, inquiets du sort de parents ou d’amis demeurés en Ukraine, aimeraient les accueillir au pays.

À leur place, tout le monde ferait pareil.

Toutefois, cette mesure a été adoptée par clientélisme politique, à l’encontre de l’avis des fonctionnaires du ministère fédéral de l’Immigration.

Si les dirigeants des pays qui ont accueilli un grand nombre de réfugiés ukrainiens avaient consulté leurs stratèges militaires, ceux-ci leur auraient probablement dit que les accueillir en si grand nombre nuit aux minces chances de l’Ukraine de l’emporter contre la Russie.

Pour l’Ukraine, il ne suffit pas de recevoir de l’armement occidental; encore faut-il des soldats pour s’en servir. Or l’Ukraine, saignée par l’Occident plus que par la guerre, manque de bras.

Selon le partage traditionnel de l’effort de guerre entre les sexes, les hommes prennent les armes tandis que les grands-parents gardent les enfants, permettant ainsi aux mères de participer à l’effort de guerre en travaillant dans les usines d’armement ou en soignant les blessés.

En somme, une guerre, c’est un effort collectif où chaque citoyen compte, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, d’un jeune ou d’un vieux.

Accueillir des millions de jeunes ukrainiens dans nos pays, c’est participer ainsi à la grande prédation occidentale de ce pays.

Références :
Accueil de réfugiés palestiniens  la limite d’accueil de 1000 critiquée
Des fonctionnaires avaient déconseillé d’offrir des visas d’urgence aux Ukrainiens
Le Congo et le verrou rwandais
Ukraine : l’âge de la conscription abaissé à 25 ans
Ukraine : le bilan de deux ans de guerre en chiffres

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Occident ne veut pas payer pour reconstruire l’Ukraine

Publié le 9 juillet 2024 | Temps de lecture : 9 minutes


 
La conférence de Londres

Avant le début de l’invasion russe, l’Ukraine était le deuxième pays le plus pauvre d’Europe (devant la Moldavie). Or depuis, plus de 30 % de l’économie ukrainienne a été détruite.

De nos jours, l’État ukrainien vit sous le respirateur artificiel de l’Occident. Sans les sommes qui lui sont versées, Kyiv serait incapable de payer la solde des soldats, les salaires des professeurs, des médecins, des fonctionnaires, de même que la pension des retraités.

Selon Alain Juillet (de 16:45 à 17:50 dans le vidéo à la fin du texte), l’aide américaine serait exclusivement constituée de prêts accordés à l’Ukraine en contrepartie du contrôle américain sur la reconstruction à venir du pays.

À la conférence de Londres, tenu en juin 2023, une soixantaine de pays se sont entendus sur le financement de la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. On estime que cette reconstruction coutera entre 410 et 750 milliards$, soit entre 230 % et 419 % de son PIB.

Si l’Ukraine devait assumer seule une telle reconstruction, elle deviendrait, de très loin, le pays le plus endetté au monde. Et les intérêts qu’elle aurait à payer sur sa dette la condamneraient à la ruine perpétuelle.

C’est Anthony Blinken, secrétaire d’État américain (soit l’équivalent de ministre des Affaires étrangères des États-Unis) qui a le mieux résumé le consensus auquel sont parvenus les pays représentés à la Conférence de Londres :

« Soyons clairs : la Russie est à l’origine de la destruction de l’Ukraine. Et la Russie finira par payer le cout de la reconstruction de l’Ukraine.»

Si on lit entre les lignes, cela veut dire « Ce n’est pas à nous, les États-Unis, de payer pour ça.»

En Afghanistan, les Américains n’ont rien dépensé pour la reconstruction du pays. En Irak, la reconstruction promise s’est limitée à réparer les routes et les ponts menant à la ‘zone verte’ (là où étaient stationnés les soldats américains à Bagdad). En Syrie, le pays est toujours en ruine. Quant à la Libye, après avoir renversé le régime de Kadhafi, on livré le pays au chaos et à l’anarchie.

Les États-Unis ont utilisé l’Ukraine pour affaiblir l’armée russe et tester le matériel de guerre américain dans les conditions réelles d’un conflit armé.

Maintenant que la Finlande a rejoint l’Otan, Washington n’a plus besoin de l’Ukraine pour y déployer ses missiles nucléaires au voisinage de la Russie.

Bref, l’Ukraine n’est plus utile aux États-Unis. Si bien qu’un nombre croissant d’experts trouvent que la poursuite de cette guerre n’en vaut pas la peine et qu’on devrait même fermer définitivement la porte de l’Otan à l’Ukraine pour avoir la paix.

Les États-Unis trouvent d’autant plus légitime de se désintéresser militairement de l’Ukraine que se propage en Europe la Nouvelle théorie des dominos.

En vertu de cette théorie, les soldats ukrainiens ne font pas que défendre leur pays attaqué par la Russie; ils se battent pour protéger le monde libre. Si l’Ukraine capitule, l’Europe tout entière tombera à son tour entre les mains de Vladimir Poutine.

En réalité, la Russie peine à faire la conquête d’un pays de 44 millions d’habitants, soit l’Ukraine avant la guerre. On voit mal comment elle pourrait guerroyer avec succès contre l’Occident qui totalise 880 millions d’habitants, soit vingt fois plus.

À preuve, c’est précisément parce que la Russie en a plein les bras en Ukraine qu’elle n’a rien fait, en septembre 2023, pour empêcher l’Azeibaïdjan d’annexer le Haut-Karabagh aux dépends de l’Arménie (son alliée).

La dette ukrainienne

Les pays créditeurs et le Fond monétaire international se sont entendus pour laisser à l’Ukraine jusqu’en 2027 pour payer ce qu’elle leur doit. Toutefois, il en est autrement des créditeurs privés.

On appelle moratorium tout délai accordé par la loi pour s’acquitter d’une dette. Depuis deux ans, l’Ukraine bénéficie d’un moratorium qui vient à échéance le 1er aout prochain.

Ce pays doit 24 milliards $US à des firmes privés d’investissements. Ce qui représente douze pour cent de son PIB.

Évidemment, en pleine guerre, l’Ukraine est incapable de payer cette somme. Elle leur propose une décote de 60 % — c’est-à-dire de les rembourser à hauteur de 40 cents par dollar de dette — alors que ceux-ci ne veulent pas accepter une décote supérieure à 22 cents (c’est-à-dire descendre en dessous de 78 cents par dollar de dette).

À défaut d’une entente, l’Ukraine se retrouverait en défaut de paiement. Ce qui ouvre la porte à des poursuites devant les tribunaux.

Ce qu’on craint, c’est que ces fonds d’investissement vendent leurs bons du Trésor ukrainien à des fonds spéculatifs (hedge funds) qui, tels des chiens pitbulls, s’acharneraient sur ce pays jusqu’au paiement de la totalité de ce qu’elle leur doit.

Le mirage de la confiscation

Depuis des mois, certains pays occidentaux font miroiter la possibilité de confisquer les biens russes détenus en Occident pour aider l’Ukraine à payer ses dettes. Cette idée s’apparente à un bluff.

Déposséder les oligarques russes

Dans les pays occidentaux, le droit de propriété est sacré.

Si quelqu’un a commis un crime, les tribunaux peuvent le condamner à une amende, voire à être dépouillé de ses biens (en partie ou en totalité). Mais être ami avec quelqu’un qu’on déteste ne constitue pas un crime punissable de quoi que ce soit.

Henry Ford était un admirateur d’Hitler. Au moment de son embauche, chaque employé dans les usines Ford en Allemagne recevait une copie de Mein Kampf, écrit par Hitler. De plus à chaque anniversaire du führer, Ford lui versait un cadeau personnel de 50 000$ (ce qui équivaut aujourd’hui à un million de dollars).

À la fin de la guerre, le carrossier General Motor a eu l’audace de poursuivre le gouvernement américain pour les dommages subis à ses installations allemandes, celles qui participaient à l’effort de guerre de l’Allemagne nazie.

En 1967, GM a reçu 33 millions$ de dédommagement de la part du gouvernement américain.

Ce qui prouve bien que le caractère sacré du droit de propriété dans les pays capitalistes.

Conscient de cela, le Canada s’est vanté d’avoir saisi les biens d’oligarques russes, mais est incapable d’en fournir un seul exemple. Probablement parce qu’il sait qu’il n’a aucune base juridique pour ce faire.

S’emparer des réserves monétaires de la Banque de Russie

Reste à savoir si les pays occidentaux peuvent saisir les devises que la Banque centrale de Russie possède à l’Étranger.

En temps de guerre, les pays peuvent geler les avoirs d’un pays ennemi : certains pays peuvent même les confisquer.

La différence entre les deux, c’est que le détenteur d’un bien ne peut en jouir tant que ce bien est gelé. Mais en demeure propriétaire. Dans le deuxième cas, il en perd la propriété.

Ceci est vrai en temps de guerre. Mais officiellement, les pays occidentaux ne sont pas en guerre contre la Russie. Ils nient même être co-belligérants.

Pour les créanciers étatiques de l’Ukraine, le plus grand risque n’est pas la capitulation de l’Ukraine puisqu’en soi, cela ne change rien à ses obligations.

Le risque viendrait d’un changement de statut juridique du pays.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande et l’URSS ont conclu un traité d’amitié en vertu duquel la Finlande s’engageait respecter une stricte neutralité militaire. Ce qui a permis à ces deux voisins de vivre en paix depuis.

Mais après l’effondrement de l’URSS en 1991, la Finlande a estimé ne plus être liée par ce traité puisqu’il a été conclu avec l’URSS (qui n’existe plus) et non avec la Fédération de Russie (qui lui a succédé).

Le corolaire de cette logique (un peu mince, à mon avis) entraine que si l’Ukraine, amputée du cinquième de son territoire, devenait une république membre de la Fédération de Russie, elle échapperait à ses créanciers occidentaux puisqu’ils ont fait affaire avec un pays qui n’existerait plus.

Le meilleur moyen d’éviter ce risque, aussi léger soit-il, est que les États-Unis aient le contrôle des négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. De manière à s’assurer que l’effort de reconstruction repose entre leurs mains.

Pour ce faire, ils devront faire échouer toute tentative de paix qui ne viendrait pas d’eux.

Le résumé de géopolitique concernant l’Ukraine

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Pour terminer, je vous invite à écouter une conférence qu’Alain Juillet prononçait le 17 juin dernier et qui résume assez bien les enjeux géopolitiques qui concernent l’Ukraine.

Références :
Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine
Conflit au Haut-Karabakh : comment l’Azerbaïdjan a fait plier l’Arménie
Divergences occidentales sur une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Ford Motor Company Sued the US Government for Bombing Its Factories in Nazi Germany
General Motors : mark of excellence
Henry Ford
La délicate restructuration de la dette ukrainienne
La nouvelle Théorie des dominos
La saisie fictive des avoirs d’oligarques russes au Canada
Les alliés veulent faire payer la Russie pour la reconstruction
L’Ukraine, sous la menace du défaut de paiement, bataille avec ses créanciers privés
Reconstruire l’Ukraine coûtera au moins 750 milliards de dollars, dit Kiev
The Nato alliance should not invite Ukraine to become a member – Open letter
Ukraine eyes debt deal before deadline, seeks to add GDP warrants, sources say
Ukraine : un détournement de 40 millions de dollars destinés à l’achat d’armes révélé
UK urged to protect Ukraine from legal action over private debt default

Paru depuis : L’agence S&P abaisse la note de l’Ukraine, à un cran désormais du défaut de paiement (2024-08-03)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La nitrocellulose et la guerre

Publié le 16 juin 2024 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Inventée en Chine vers le IXe siècle, la poudre à canon était fabriquée autrefois à partir de trois ingrédients : du salpêtre (c’est-à-dire du nitrate de potassium), du soufre et du charbon de bois. C’est ce dernier qui donnait au mélange son nom de ‘poudre noire’.

De nos jours, la poudre à canon est de la nitrocellulose. Celle-ci s’obtient traitant des fibres de coton avec un mélange d’acides nitrique et sulfurique.

Tel qu’il est récolté, le coton est presque exclusivement de la cellulose à l’état pur.

L’industrie textile utilise préférablement du coton à fibres longues, plus facile à tisser.

Les fibres courtes, jugées de moindre qualité, servent à fabriquer de la nitrocellulose. Selon le procédé de fabrication, on en fait du collodion médicinal, des laques pour instruments à cordes, ou de la poudre à canon.

De loin, la Chine est le principal exportateur de ce coton à fibres courtes qui sert à fabriquer de la nitrocellulose explosive.

À 90 %, sa production est récoltée dans la province du Xinjiang (là où vivent la plupart des Ouïgours).

À la suite de l’adoption par Washington de la Uyghur Forced Labor Prevention Act, l’industrie textile a cherché à s’approvisionner en coton ailleurs qu’en Chine. Mais pour les fabricants de poudre à canon, il est difficile de se passer du coton chinois.

Dès le déclenchement des guerres à haute intensité que sont la guerre en Ukraine et celle dans la bande Gaza, toutes les usines de nitrocellulose explosive à travers le monde se mirent à fonctionner à plein rendement.

Or en 2023, la Chine rapportait une baisse de 6,1 % de sa production de coton à cause de mauvaises conditions météorologiques.

En raison de l’hostilité croissante des pays occidentaux à l’égard de la Chine, on soupçonne que celle-ci approvisionne prioritairement la Russie en coton à fibres courtes, puisque les fabricants européens de nitrocellulose ont de plus en plus de difficulté à en obtenir ou sont dans l’impossibilité d’en acheter davantage.

La situation est telle que la production de poudre à canon est devenue le goulot d’étranglement de la fabrication européenne d’obus et de missiles. D’où la difficulté à respecter les engagements militaires pris en faveur de l’Ukraine.

En dépit de cela, les usines militaires occidentales pouvaient toujours, à défaut d’importer du coton à nitrocellulose, acheter de la nitrocellulose explosive déjà toute faite.

Mais, comble de malheur, la deuxième plus importante usine chinoise de nitrocellulose — située dans la ville de Laohekou, dans la province chinoise d’Hubei — a explosé au début du mois de mai, tuant trois de ses ouvriers.

Aux États-Unis, on nie les difficultés de l’industrie militaire européenne.

Toutefois, celles-ci ont été reconnues par Emmanuel Macron : « Nous avons tous pris conscience de la nécessité de faire face à la rareté de certains composants, notamment de la poudre à canon. […] La poudre, c’est vraiment ce qui manque aujourd’hui.»

On en est rendu là : après s’être doté d’un arsenal nucléaire capable d’exterminer l’espèce humaine, de chasseurs-bombardiers rapides comme l’éclair, de chars puissants, de satellites-espions auxquels rien n’échappe, on manque de coton.

Sapristi qu’on fait dur.

Références :
Bannir le coton du Xinjiang est plus facile à dire qu’à faire
Chine : la production de coton atteint 5,618 millions de tonnes en 2023
Coton
Could China strangle Europe’s weapons output with cotton?
Europe battles gunpowder shortage amid Ukraine war
Macron veut mettre le feu aux poudres qu’il n’a pas car la Chine ne nous livre plus le « coton » nécessaire aux obus
Nitrocellulose
Poudre noire
Short Staple Cotton: The Difference vs Long Staple

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les risques sécuritaires d’Emmanuel Macron

Publié le 11 juin 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Du 30 juin au 7 juillet prochain, se tiendront en France des élections législatives anticipées.

En temps normal, la sécurité de la classe politique française se limite à protéger les lieux de pouvoir de la capitale et — dans le cas des ministres et des députés de l’opposition de premier plan — à sécuriser leur pied-à-terre parisien et leurs déplacements de l’un à l’autre, de même qu’à protéger leur famille.

En période électorale, chaque assemblée politique est une activité à haut risque.

Rappelons-nous la tuerie, presque réussie, de ce terroriste fédéraliste à une assemblée de la nouvelle première ministre du Québec, Mme Pauline Marois, au club Métropolis de Montréal.

Avec des dizaines d’assemblées politiques similaires, chaque jour, partout en France, cela donne une idée de la tâche colossale qui attend les forces de l’ordre d’ici le 7 juillet.

Le fait qu’entre les pays de l’Union européenne, il n’y a plus de protection frontalière (sauf aux aéroports), cela signifie que dans les semaines qui précèderont les Jeux olympiques de Paris, la France sera une passoire.

Lorsqu’un pays accueille le monde, soit à l’occasion d’une exposition universelle ou de jeux olympiques, la coutume veut que le pays-hôte se montre accueillant.

J’ai moi-même profité de cette bienveillance lorsque j’ai visité la Chine l’année qui a suivi la tenue des Jeux olympiques de Beijing, et Shanghaï l’année même où cette ville tenait une exposition universelle. C’est ce qui m’a permis d’aller librement partout où je le voulais, en toute sécurité.

Macron, le va-t-en-guerre

Depuis deux ans, le gouvernement Macron tient un discours belliqueux envers la Russie et menaçant envers les pays qui lui permettent de pallier les sanctions occidentales contre elle.

Au cours de cette période, les pays occidentaux ont presque vidé de son sens la notion de ‘co-belligérance’.

Lors de la guerre de la Russie en Afghanistan, les États-Unis armaient les Moudjahidines (ancêtres des Talibans) qui combattaient leur envahisseur de l’époque. Mais Washington le faisait en leur fournissant des kalachnikovs achetées dans d’anciennes républiques soviétiques. De manière à cacher leur appui militaire. Évidemment, Moscou s’en doutait, mais n’en avait pas la preuve.

De nos jours, les pays occidentaux fournissent ouvertement à l’Ukraine des armes de plus en plus puissantes. Les États-Unis transmettent aux tireurs ukrainiens d’obus la géolocalisation précise des cibles russes à abattre.

Après avoir formé à l’Étranger les combattants ukrainiens dans le maniement de ces armes, ils envoient maintenant en Ukraine des formateurs qui, sur place, appuient presque sur le bouton pour déclencher les tirs.

De plus, Emmanuel Macron a pris la relève de l’ex-président de la Pologne comme défenseur de cette nouvelle théorie des dominos selon laquelle une Russie victorieuse en Ukraine s’empresserait d’envahir le reste de l’Europe.

D’où la nécessité, selon Macron, d’envoyer des troupes françaises en Ukraine pour appuyer leurs camarades ukrainiens en difficulté.

Bref, le président français donne à la Russie toutes les raisons de vouloir s’en prendre à son pays.

Le réveil olympique des cellules dormantes

Au cours des Jeux olympiques d’été de Paris, du 26 juillet au 11 aout prochain, n’importe quel terroriste qui aura réussi à s’infiltrer en France à la faveur de la campagne électorale, pourra massacrer à cœur joie les Parisiens et les touristes attablés aux terrasses des restaurants ou qui célèbreront des artistes sur scène.

Évidemment, si cela arrive, ce ne sera pas un Russe qui appuiera sur la gâchette; ce sera un paumé originaire d’un des nombreux pays dévastés par ces guerres menées ou provoquées par l’Occident.

Si Poutine devait vouloir inciter Macron à plus de prudence dans ses propos, il est trop intelligent pour frapper la France au cours de la campagne électorale.

S’il avait la mauvaise idée d’agir ainsi, il provoquerait la défaite des partis politiques qui veulent que la France cesse d’appuyer militairement l’Ukraine et rallierait le peuple français menacé derrière les députés macronistes.

Si la France doit être frappée, ce sera peu de temps après les élections législatives ou au cours des mois qui suivront.

Même si les chasseurs-bombardiers Mirage, les chars d’assaut Leclerc et des obus à 155 mm ne servent à rien contre des attentats terroristes, il sera facile de convaincre les parlementaires élus que les soldats de la république sont plus utiles à défendre le territoire de l’Hexagone qu’à participer au loin à une guerre perdue d’avance.

Parus depuis :
« Sabotage » sur le réseau TGV français : 800 000 voyageurs touchés (2023-07-26)
« Sabotages » en France : les réseaux de fibres optiques attaqués (2024-07-29)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La leçon du fiasco occidental en Ukraine

Publié le 26 avril 2024 | Temps de lecture : 5 minutes

En janvier 2023, l’Allemagne hésitait à envoyer et à permettre aux autres pays d’envoyer des blindés Leopard, de fabrication allemande.

La raison officielle était que l’envoi de chars d’assaut risquait de rappeler aux Russes les souvenirs de l’invasion allemande au cours de la Deuxième Guerre mondiale, et de galvaniser l’armée de Vladimir Poutine.

Se croyant malin, le chancelier allemand avait toutefois ajouté qu’il consentirait à envoyer des chars Leopard si les États-Unis acceptaient d’envoyer eux aussi leurs chars les plus sophistiqués, soit les Abrams, pariant que les Américains ne le feraient pas.

Il fut pris de court quand les Américains ont annoncé leur intention d’envoyer les leurs. Pour beaucoup d’observateurs, il ne s’agissait que d’un bluff destiné à forcer la main aux Allemands.

Mais bientôt, on apprenait qu’une base militaire américaine en Allemagne (Grafenwoehr) avait reçu quelques-uns d’entre eux pour servir à la formation d’opérateurs ukrainiens.

C’est finalement en septembre 2023 que l’Ukraine a commencé à recevoir ces précieuses machines de guerre. Au total, 31 chars Abrams M1A1 ont été reçus.

Toutefois, on annonce aujourd’hui que déjà cinq d’entre eux ont été détruits par l’armée russe. Si bien que, de concert avec l’armée américaine, tous ces chars ont été retirés du front.

Dans leur cas, l’armée russe a copié l’ingéniosité ukrainienne, soit d’utiliser de simples drones pour anéantir des blindés.

Au début de cette guerre, la Pologne s’était débarrassée de ses vieux chars d’assaut datant de l’époque soviétique en les donnant à l’Ukraine. En quelques mois, l’armée russe les avait tous détruits.

On avait cru que les chars américains, mieux blindés, ne subiraient pas le même sort.

Ce n’est pas le cas.

De plus, les chars Abrams possèdent leurs propres vulnérabilités.

Premièrement, ils sont alimentés par du combustible d’avion. Ce qui nécessite des chaines d’approvisionnement différentes que pour les autres chars utilisés par l’armée ukrainienne.

Deuxièmement, ils sont très lourds. Les plus lourds au monde. Donc plus sujets à s’enliser dans les plaines boueuses d’Ukraine au printemps ou à l’automne.

Et troisièmement, après deux heures d’utilisation normale, chaque blindé nécessite huit heures de réparation, soit davantage que les chars ordinaires.

Quoiqu’il ne reste probablement plus aucun char soviétique dans l’arsenal de l’Ukraine (ce qui simplifie les choses), son armée doit quand même maintenir des chaines d’approvisionnement en pièces détachées pour chacun des modèles de char qu’elle utilise. Ce qui constitue un enfer logistique.

De son côté, l’armée ukrainienne a endommagé des milliers de chars de l’armée russe. Des centaines d’entre eux jonchent çà et là le paysage ukrainien.

Mais la plupart ont simplement été retirés à l’arrière du front, rafistolés tant bien que mal — puisque leur fabrication est plus rudimentaire — et renvoyés au front dès qu’ils sont en mesure de fonctionner.

Conclusion

Contre la guerre, l’arme la plus efficace demeure la dissuasion. Plus l’ennemi vous croit invulnérable, moins il osera vous attaquer.

Et malgré le prix élevé de la dissuasion — qui repose souvent sur la technologie ou sur des stocks faramineux d’armement — c’est encore moins cher qu’une vraie guerre comme celle qui se déroule en Ukraine.

En fournissant à ce pays nos armes les plus précieuses, celles qui devaient rendre son armée invulnérable, l’Occident compromet la dissuasion qui lui est indispensable pour maintenir son hégémonie.

L’Occident a tout à perdre en s’entêtant à soutenir une guerre perdue d’avance. Depuis très longtemps, le temps est à la négociation.

Si Boris Johnson (l’ancien premier ministre britannique) n’avait pas convaincu les dirigeants ukrainiens de renoncer à entériner l’entente intervenue à Ankara (en Turquie) entre les négociateurs ukrainiens et russes un mois après le déclenchement de cette guerre, que serait-il arrivé ?

Réponse : des dizaines de milliers de veuves et d’orphelins ne pleureraient pas leurs héros, d’innombrables gaillards ne seraient pas handicapés pour le reste de leur vie, et 40 % de l’économie ukrainienne n’aurait pas été détruite.

Plutôt que de répéter des messages creux par esprit de solidarité otanienne, quand un chef d’État occidental osera-t-il dire que ça suffit !

Références :
L’Allemagne accepte finalement d’envoyer des chars Leopard à l’Ukraine
Ukraine pulls Abrams tanks from front after losing 5 to Russian attacks: US officials
Ukraine war briefing: Kyiv pulls back Abrams tanks due to drone raids and losses, says US

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Écrit par Jean-Pierre Martel