La désinformation au sujet de la Division SS Galicie

30 septembre 2023

L’indulgence canadienne à l’égard du nazisme

La Division SS Galicie est une milice ukrainienne sous commandement allemand qui est responsable de quelques-uns des pires massacres survenus au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

À la fin de ce conflit, l’armée britannique avait capturé plusieurs centaines de ses combattants.

En 1948, le ministre britannique de l’Intérieur écrivait :

Nous espérons toujours nous débarrasser des prisonniers de guerre ukrainiens les moins désirables, soit en Allemagne, soit au Canada.

À la suite de quoi, en 1950, notre pays accueillait des centaines d’entre eux, à la demande de la Grande-Bretagne.

De plus, à la même époque, Londres suggérait secrètement au Canada de mettre un terme à la dizaine de procès qu’il avait intentés contre des criminels de guerre nazis.

Deux décennies plus tard, l’accord d’extradition conclu entre le Canada et Israël rendait irrecevable toute demande d’extradition présentée par ce dernier pays pour cause de crimes de guerre commis par des Nazis.

Et finalement, le 4 novembre 2022, le Canada a essayé de faire battre à l’Onu une résolution adoptée annuellement depuis 2012 qui condamne le nazisme. À cette occasion, l’Ukraine a également refusé de condamner le nazisme…

Laver l’affront

Le 22 septembre 2023, l’ovation au parlement canadien d’un ex-soldat de la Division SS Galicie a éclaboussé non seulement la réputation internationale du Canada, mais également la communauté ukrainienne du pays.

Afin de se porter à sa défense, Jurij Klufas — le président de la Fédération nationale ukrainienne du Canada — a déclaré hier que ce SS ukrainien n’était pas nazi et qu’il se battait pour l’Ukraine et non pour l’Allemagne.

On joue sur les mots.

Strictement parlant, le mot ‘nazi’ ne s’applique qu’aux adhérents au parti National-sozialistiche Deutsche Arbeiterpartei d’Adolf Hitler. Or, on n’y acceptait que des personnes de ‘race aryenne’. Ce qui excluait tous ceux de ‘races’ inférieures (dont les Slaves).

À moins d’être un descendant d’une lignée pure allemande, aucun Ukrainien ne pouvait être nazi si on donne à ce qualificatif son sens le plus strict.

Mais si on considère que le nazisme est d’abord et avant tout une idéologie raciale haineuse, on peut être nazi sans être membre du parti politique d’Adolf Hitler.

De plus, détenir la citoyenneté allemande était un prérequis pour adhérer à l’armée du Troisième Reich. Voilà pourquoi la Division SS Galicie n’était pas un bataillon de l’armée régulière allemande, mais une milice formée de volontaires armés par l’Allemagne nazie.

Contrairement aux affirmations de M. Klufas, les miliciens de la Division SS Galicie ne se battaient pas pour l’Ukraine; ils exécutaient les ordres de leurs chefs. Or tous les officiers supérieurs de cette milice étaient des SS. Et leurs ordres, c’était de tuer des Juifs, des Polonais et des Slovaques pour faire place à des colons allemands.

Le texte de Radio-Canada déclare également que dans son rapport, la Commission Deschênes (au sujet des criminels de guerre) aurait écrit que « les accusations de crimes de guerre contre les membres de la division de Galicie n’ont jamais été fondées.»

Ceci est inexact.

Au paragraphe 58 de la première partie de son rapport, le juge Deschênes écrit plutôt qu’aucune preuve ne lui a été présentée afin d’étayer les accusations de crimes de guerre portées contre les membres de la Division Galicie. Il n’a pas dit que ces preuves n’existaient pas, mais que si elles existent, elles ne lui ont pas été soumises.

Par contre, les avocats de la poursuite au Procès de Nuremberg ont disposé de ressources considérables. Or ils y ont fait la preuve que la Division SS Galicie avait commis quelques-uns des pires massacres de la Deuxième Guerre mondiale.

Conclusion

En 2019, la famille de Yaroslav Hunka a versé une somme de 30 000$ à l’Université de l’Alberta à titre de dotation privée à son nom.

À la suite du scandale à la Chambre des Communes invoqué plus tôt, l’université, à juste tire, a retourné cet argent à la famille Hunka.

Cette dernière serait bien avisée de verser cette somme à une fondation juive qui honore le nom des victimes de la Shoah.

De plus, au lieu de justifier les pages sombres de son passé, l’ex-milicien SS devait plutôt dire (même s’il n’y croit pas) que son adhésion à la Division SS Galicie était une erreur de jeunesse — il n’avait que 17 ou 18 ans — à une époque où il était difficile de partager les bons et les méchants.

Références :
À l’Onu, le Canada refuse de condamner le nazisme
Comment des militaires d’une unité SS sont-ils arrivés au Canada ?
FSWC Appalled by Standing Ovation in Parliament for Ukrainian Veteran Who Served in Nazi Military Unit
Hundreds in Ukraine attend marches celebrating Nazi SS soldiers
Hunka un ex-SS : les Ukrainiens canadiens le savaient
L’ex-combattant nazi ovationné au parlement n’est pas le seul à avoir refait sa vie ici en héros
14e division SS (galicienne no 1)
Rapport de la Commission Deschênes sur les criminels de guerre/a>
Un groupe ukrainien défend l’ancien membre de la Waffen-SS honoré au Parlement
University of Alberta returning $30,000 donation to Yaroslav Hunka’s family, closing endowment in his name

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’inflation et la réponse enfantine du fédéral

18 septembre 2023

Introduction

Accusé de laxisme depuis des mois par le chef de l’opposition conservatrice, le gouvernement libéral s’est trouvé un bouc émissaire; les grandes chaines d’épicerie.

Celles-ci ont été sommées de se présenter à Ottawa aujourd’hui pour expliquer la hausse marquée du panier d’épicerie des Canadiens.

Signalons qu’en juin dernier, sous la pression du gouvernement français, les transformateurs et distributeurs alimentaires ont consenti volontairement à un gel de prix sur certains aliments.

Deux mois plus tard, le taux d’inflation du prix des aliments en France était encore le double du taux d’inflation pour l’ensemble de l’économie de ce pays. On a donc renforcé cette mesure en l’étendant à environ cinq-mille articles.

L’inflation au Canada et dans le monde
 

Dans un rapport sénatorial publié l’an dernier (et dont le graphique ci-dessus est tiré), les auteurs écrivent qu’un nombre relativement faible d’éléments — notamment l’énergie et les couts de l’habitation — explique en grande partie la hausse des prix moyens à la consommation.

Mais l’inflation n’est pas limitée au Canada; elle est mondiale.
 

 
Depuis trois ans, l’inflation a connu deux phases consécutives qui se sont superposées au point de créer, en apparence, une seule ‘vague’.

La première phase est apparue lors de la reprise économique consécutive à la levée des mesures sanitaires. La brutale augmentation de la demande qui en a résulté a provoqué la rupture temporaire des chaines d’approvisionnement avec l’Asie et l’engorgement des ports américains qui donnent sur l’océan Pacifique.

À cette inflation d’environ 3 %, s’est ajouté depuis l’effet des sanctions occidentales contre la Russie. Celles-ci ont provoqué une rupture permanente de milliers de chaines d’approvisionnement.

Obligées de s’approvisionner ailleurs, les entreprises ont dû, en catastrophe, rompre des contrats à long terme qui leur garantissaient un approvisionnement stable et économique, pour se tourner vers le marché libre où elles ont dû payer le gros prix pour obtenir la même chose.

Dans certains cas, ‘la même chose’ doit s’interpréter littéralement. C’est ainsi que les pays d’Europe occidentale achètent autant (sinon plus) d’hydrocarbures russes. Mais au lieu d’effectuer leurs achats directement de la Russie, ces pays achètent du pétrole russe une fois raffiné dans des pays intermédiaires.

D’autre part, afin d’éviter de pénaliser ses agriculteurs, Washington a pris soin d’exclure les engrais russes de la liste des produits interdits.

Mais Ottawa — sous l’influence de la vice-première ministre Chrystia Freeland (de descendance ukrainienne) — a interdit l’importation d’engrais russes. Ce qui a obligé les agriculteurs québécois à se tourner vers d’autres fournisseurs et à payer plus cher. Ce qui a contribué à hausser le prix des aliments au Canada.

Les taux d’intérêt

Les États-Unis ayant décidé de hausser substantiellement leurs taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, le Canada a été obligé de suivre.

Obligé parce que sans une hausse similaire de ce côté-ci de la frontière, les gestionnaires de capitaux auraient boudé les obligations canadiennes et se seraient tournés massivement vers le marché obligataire américain, plus rentable. Et cette fuite des capitaux aurait provoqué une dépréciation de la devise canadienne.

Fondamentalement, toute hausse des taux d’intérêt diminue l’inflation en réduisant la demande de biens et services. En d’autres mots, en provoquant un ralentissement économique, voire une récession.

Les sanctions économiques contre la Russie s’étant avérées inefficaces, la solution de dernier recours est la récession économique.

En entrainant une diminution de la consommation mondiale des hydrocarbures, celle-ci provoquerait une chute des revenus d’exportation de la Russie et une diminution du financement de sa guerre en Ukraine.

Ici et ailleurs, les politiciens promettent diverses mesures pour faire face à l’inflation. On adopte ainsi des mesures de mitigation qui rendent nécessaires des hausses encore plus importantes des taux d’intérêt.

Conclusion

Plutôt que de laisser les peuples occidentaux assumer les conséquences des sanctions économiques qu’ils réclamaient hier à grands cris (et qu’ils appuient toujours), on infantilise la population en lui faisant croire qu’on peut indirectement faire la guerre sans en éprouver le moindre inconvénient.

La hausse du prix des hydrocarbures augmente le prix de tout ce qui est transporté sur de longues distances. Et cette hausse augmente également le prix des engrais puisque ceux-ci sont produits à partir de gaz fossile.

Donc la principale composante de l’inflation canadienne — la hausse du prix de l’énergie — est liée aux décisions géopolitiques d’Ottawa.

Et parce que cette inflation est intolérable aux yeux des banques centrales, celles-ci haussent leurs taux d’intérêt. Ce qui entrave l’accès à la propriété, aggrave la crise du logement, et pousse les loyers à la hausse.

Voilà l’origine de la deuxième composante de l’inflation canadienne en ordre d’importance.

Bref, le ‘show de boucane’ auquel Ottawa s’apprête à procéder aujourd’hui est un vieux truc qui fonctionne très souvent. Il consiste à faire d’un bouc émissaire le responsable de ses choix politiques.

Références :
Derrière les chiffres : ce qui cause la hausse des prix des aliments
France announces more food price caps, takes aim at multinational firms
La hausse (et le recul?) de l’inflation au Canada : une analyse détaillée de son évolution post-pandémie
Les baisses d’impôts, l’inflation et la guerre
Les PDG des grandes chaînes d’alimentation convoqués à Ottawa

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le maïs transgénique et l’impérialisme anglo-saxon

26 août 2023

Avant-propos : le bannissement du blé transgénique au Canada

Depuis 2020, l’Argentine est le seul pays au monde à permettre la culture d’un blé transgénique sur son territoire.

Autorisés à titre expérimental, des essais de culture de blé OGM ont toutefois été menés en pleine nature de 1997 à 2005 au Canada et dans seize États américains.

Mais ces expériences sont demeurées sans suite puisque ces céréales n’ont jamais été autorisées à être commercialisées au Canada ou aux États-Unis.

Puisqu’il est impossible d’empêcher le vent de disséminer le pollen d’une plante OGM, un cas de blé transgénique a officiellement été découvert en Alberta en 2018, soit quatorze ans après la fin des essais canadiens.

Depuis 2004, il est probable que les gènes du blé transgénique de Monsanto se sont disséminés bien au-delà de ce champ albertain.

Pourquoi le Canada, d’habitude si servile à l’égard de l’industrie agrochimique, a-t-il tenu tête à Monsanto ? C’est en raison de l’opposition farouche des agriculteurs des provinces de l’Ouest, soutenus par le puissant Canadian Wheat Board, l’organisme qui possédait à l’époque le monopole de la commercialisation du blé canadien.

Pour justifier son refus d’homologuer le blé transgénique, Ottawa invoquait le principe de précaution. Le blé étant à la base de l’alimentation canadienne — puisqu’on le retrouve dans le pain, les pâtes, les pâtisseries, la bière, etc.— on jugeait préférable de ne pas transformer les Canadiens en rats de laboratoire sur lesquels serait évaluée la toxicité chronique du blé transgénique chez l’Humain.

Le bannissement du maïs transgénique au Mexique

Le maïs possède dans l’alimentation des Mexicains la même importance que le blé possède dans l’alimentation des Canadiens.

Après que le gouvernement mexicain eut autorisé la culture expérimentale de maïs OGM sur quelques milliers d’hectares en 2009, un collectif de producteurs mexicains (la Colectividad del maíz) obtint quatre ans plus tard une injonction dite ‘de précaution’ sur la base que la Constitution mexicaine garantit le droit à un environnement propre et considérant que la pollinisation croisée du maïs génétiquement modifié menaçait l’intégrité des variétés de maïs indigènes. Or, ceux-ci occupent une place centrale dans les paysages, les cultures et les cuisines du pays.

Les avocats mexicains ayant eux aussi la manie de multiplier les requêtes afin de maximiser leurs honoraires, la contestation juridique de cette injonction dura huit ans. Finalement, la Cour suprême du Mexique valida en 2021 l’injonction accordée en 2013.

Après avoir perdu une centaine de requêtes à ce sujet, les compagnies américaines touchées par ce bannissement ont convaincu l’administration Biden de menacer le Mexique de représailles en prétendant que les actions de ce pays seraient une violation de l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Étonnamment, le gouvernement fédéral canadien a décidé d’appuyer les menaces américaines contre le Mexique afin de le forcer à ouvrir son marché au maïs transgénique.

Conjointement, le ministre canadien du Commerce international et celui de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire ont publié hier le communiqué suivant :

« Le Canada partage les préoccupations des États-Unis selon lesquelles le Mexique ne respecte pas les obligations en matière d’études scientifiques et d’analyse des risques en vertu du chapitre sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de [l’accord de libre-échange].»

« Le Canada estime que les mesures adoptées par le Mexique ne sont pas étayées scientifiquement et qu’elles risquent de perturber inutilement les échanges commerciaux sur le marché nord-américain.»

En réalité, l’innocuité du maïs transgénique chez l’Humain n’a jamais fait l’objet d’une étude.

Les seuls données qui existent à ce sujet sont des études ‘maison’ financées par les semenciers. Il s’agit d’études effectuées en éprouvette et d’autres, dites de ‘toxicité chronique’ (de seulement 30 ou de 90 jours), effectuées chez l’animal.

Aucun rapport avec la consommation, toute sa vie durant, de la cuisine mexicaine.

Considérant que leurs études constituent de la propriété intellectuelle — donc protégées par les droits d’auteur — ces compagnies soumettent secrètement leurs ‘études’ aux organismes règlementaires (qui acceptent de les considérer) tout en leur interdisant de les rendre publiques.

Résultat : la communauté scientifique est incapable de réfuter, s’il y a lieu, les études dont le protocole est déficient ni de découvrir les conflits d’intérêts dont se sont rendus coupables leurs auteurs.

L’argument selon lequel la décision mexicaine n’est pas basée sur la science oublie hypocritement de dire que, tout comme le bannissement du blé OGM au Canada, l’interdiction mexicaine obéit essentiellement au principe de précaution.

Conclusion

On n’imagine pas le mélange de fascination et de détestation que suscitent les pays riches d’Occident auprès de la population des pays émergents.

Autant la technologie occidentale crée l’émerveillement, autant notre manie de faire la morale aux autres et nos menaces de sanctions économiques envers quiconque s’oppose à notre volonté irritent les pays auxquels nous adressons nos reproches.

C’est sans doute pourquoi 85 % de la population mondiale habite dans des pays qui n’ont pas adopté de sanctions contre la Russie et qui refusent de s’impliquer dans la guerre en Ukraine. Pour eux, il s’agit d’un conflit entre pays occidentaux (la Russie étant jugée comme tel malgré son système politique différent).

Il y a quelques années, au Forum économique de Davos, un conférencier du tiers-monde (de l’Inde, je crois) avait provoqué un tonnerre d’applaudissements en déclarant, en réponse à une question de l’assistance, que rien ne lui ferait plus plaisir que de voir les Occidentaux s’entretuer du premier jusqu’au dernier.

Les États-Unis et le Canada se prétendent de grands défenseurs de la Démocratie. Mais ce qu’ils oublient, c’est que la Démocratie, c’est le pouvoir souverain du peuple.

Quand le peuple mexicain est massivement hostile au maïs transgénique et préfère s’alimenter des variétés traditionnelles de maïs qui sont à la base de leur alimentation depuis des siècles, cette volonté populaire doit prévaloir, au nom de la Démocratie, sur des intérêts économiques étrangers.

De plus, on peut raisonnablement penser que si le bannissement du blé transgénique par le Canada et les États-Unis est conforme au traité de libre-échange nord-américain, il est probable que le bannissement du maïs transgénique au Mexique l’est également.

Mais cela n’empêche pas les États-Unis et le Canada, en tant que pays riches et puissants, de menacer le Mexique de représailles et de tenter de le forcer à plier devant les géants de l’agrochimie mondiale.

Leurs menaces sont révélatrices de l’incapacité des peuples anglo-saxons de se mettre à la place des autres, de faire l’effort de les comprendre et de respecter leurs préoccupations fondamentales.

Références :
Blé génétiquement modifié
Contamination de blé OGM en Alberta
Contamination du maïs mexicain : la controverse scientifique
Innocuité du maïs transgénique : les doutes
Interdiction du maïs génétiquement modifié : le Canada appuie les États-Unis dans un désaccord avec le Mexique
La contamination par les OGM au Canada
Mexique – La Cour suprême valide le moratoire sur le maïs OGM
Le maïs transgénique est-il inoffensif ?
Monsanto abandonne le blé GM
Monsanto abandonne le blé transgénique sous la pression des consommateurs

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le fascisme américain

13 juin 2023


 
Depuis la tentative de coup d’État de Donald Trump le 6 janvier 2021, un centre de recherche basé à l’université de Chicago suit tous les trois mois l’évolution de la sympathie de l’opinion publique américaine à l’égard de la violence politique.

Les résultats de son plus récent sondage, effectué en avril dernier, ont été publiés vendredi dernier par le quotidien britannique The Guardian.

Plus de deux ans après l’accession au pouvoir de Joe Biden, encore un électeur sur cinq croit qu’il est un usurpateur.

Même si l’appui au fascisme a diminué de moitié depuis juin 2021, cet appui semble se stabiliser; douze-millions d’Américains — soit 4,4 % de la population adulte de ce pays — croient justifié de recourir à la lutte armée pour restaurer le pouvoir de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Au-delà de ce but très précis, si on inclut tous ceux qui croient que le recours à la force est opportun pour atteindre leurs objectifs politiques (quels qu’ils soient), on atteint 13,9 % des électeurs américains, soit un adulte sur sept.

À 12,4 %, les Américains croient à l’intérêt de recourir à la violence pour rétablir le droit à l’avortement. À 8,4 %, pour forcer leurs représentants à Washington à prendre les bonnes décisions. À 6,3 %, pour préserver la suprématie de la ‘race blanche’ (c’est-à-dire pour défendre les droits des ‘Blancs’). À 6,1 %, pour empêcher l’inculpation de Donald Trump au sujet de n’importe quel de ses crimes.

La proportion des Américains qui croient que le pouvoir à Washington est entre les mains de pédophiles sataniques est stable, passant de 11 % à 10 % entre juin 2021 et avril 2023.

La théorie du Grand Remplacement est soutenue par des influenceurs qui prétendent qu’il existe un complot en vue de remplacer la ‘race blanche’ américaine par des gens qui n’en font pas partie (les Juifs, les N… et les Latinos). Depuis deux ans, la proportion des partisans de cette théorie est relativement stable à 25 %.

Puisque le financement politique aux États-Unis est de corruption légalisée, on ne s’étonnera pas que 47,9 % des Américains pensent que leurs élites politiques (autant démocrates que républicaines) sont les gens les plus corrompus et les plus immoraux du pays.

Référence : 12m Americans believe violence is justified to restore Trump to power

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Espionnage : TikTok, applications téléphoniques et propagande

8 mai 2023
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Introduction

L’an dernier, l’émission française Cash Investigation a effectué un reportage au sujet de l’espionnage dont nous sommes les sujets par le biais de nos téléphones multifonctionnels.

Le reportage dure une centaine de minutes. Toutefois, l’essentiel se trouve dans les vingt premières minutes.

En résumé

Dès qu’une application demande l’accès aux contacts d’un internaute, si ce dernier acquiesce, cette application copiera intégralement toutes les données qui s’y trouvent et les vendra à des entreprises comme Lusha, Kaspr, AeroLeads ou Coldcrm.

Ce dernier, par exemple, autorise n’importe quel de ses abonnés (au tarif mensuel de 129 euros) d’effectuer une recherche parmi sa base de données. Celle-ci concerne 320 millions de personnes dont quelques-uns des principaux dirigeants politiques et militaires français.

Le système d’exploitation Android dirige le fonctionnement de 86 % des téléphones multifonctionnels. Or Android appartient à Google. Donc, sous Android, même si vous utilisez un autre moteur de recherche, Google vous espionne.

De plus, la majorité des applications téléphoniques utilisent des traceurs (ou cookies) mis au point par Facebook. Donc même si on évite d’installer Facebook sur son téléphone, toutes les informations colligées par ces traceurs sont transmises à Facebook quand même, peu importe la marque de l’appareil téléphonique utilisé.

L’application de prière Muslim Pro est accusée d’avoir transmis à l’armée américaine les données de géolocalisation de tous les Musulmans qui l’utilisent à travers le monde.

Les courtiers en données

Les courtiers en données sont des entreprises qui font affaire en achetant et en vendant des données. En Europe, ce marché représente à lui seul 400 milliards d’euros.

À 36:44, le reportage nous apprend que l’un d’eux, Axiom, possède la plus grande base de données au monde concernant les consommateurs; 2,5 milliards de personnes y sont fichées.

On y trouve des données générales comme l’état civil, l’adresse, le numéro de téléphone, l’âge, le poids, et les requêtes effectuées auprès des moteurs de recherche, etc.

Également, les courtiers de données chercheront à connaitre vos revenus, les personnes que vous fréquentez, vos centres d’intérêt, vos habitudes de consommation, etc.

Ils sont les clients les uns des autres afin de compléter le profil de chaque personne espionnée. Or ce profil comprend jusqu’à trente-mille informations obtenues de différentes sources.

Et pour reculer dans le temps avant l’invention de l’internet, on comptera le tout à l’aide de questions ‘de sécurité’ comme celles qui vous demandent quel était le nom de votre premier animal de compagnie ou la marque de votre première voiture.

Bref, voilà tout ce qui permettrait le vol de votre identité ou de vous personnifier auprès de gens qui ne vous ont pas vu depuis des décennies.

Et TikTok dans tout cela ?

Lorsqu’on écoute ce reportage attentivement, on réalise qu’il existe des outils sophistiqués qui permettent de savoir très précisément quelles sont les données qui sont recueillies et transmises par une application téléphonique.

On peut présumer que Washington dit vrai lorsqu’il accuse TikTok de colliger des données personnelles. Mais est-ce que ce média social va au-delà de ce que font déjà tous les médias sociaux américains ?

On peut en douter puisque jamais Washington ne le précise à l’aide de preuves pourtant faciles à obtenir. Ce sont toujours de vagues accusations hypothétiques selon lesquelles TikTok serait au service du gouvernement chinois.

Le peuple américain est essentiellement individualiste. Pour susciter sa cohésion sociale, il a besoin d’une menace externe commune.

Autrefois, c’était la peur viscérale du communisme. Aujourd’hui, la peur du ‘wokisme’, suscitée par des élus républicains, ne joue pas ce rôle puisqu’elle consiste à dresser les Américains les uns contre les autres.

De nos jours, ce qui unit les Américains, c’est la peur de la Chine. Une peur compréhensible puisqu’il est probable que la Chine détrônera un jour les États-Unis au titre de première puissance mondiale.

D’ici là, Washington est déterminé à faire flèche de tout bois. L’épisode rocambolesque des ‘ballons-espions’ chinois en est un exemple.

L’hostilité à l’égard de TikTok fait partie de sa propagande antichinoise.

Une propagande d’autant plus efficace qu’elle est de l’ordre de la paranoïa; comment une simple application de courts vidéos de danse, de recettes de cuisine, de trucs de maquillage ou de décoration intérieure peut-elle sournoisement menacer l’hégémonie mondiale des États-Unis ?

Parus depuis :
Doctissimo condamné à une amende de 380 000 euros pour de multiples violations du droit des données personnelles (2023-05-17)
Le FBI espionne encore régulièrement les communications d’Américains (2023-05-19)
Protection de données : une amende de 1,75 milliards $ pour Meta, un record en Europe (2023-05-22)

Compléments de lecture : Le bannissement de TikTok au travail

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Oui aux changements de régime à l’Étranger : non à l’ingérence étrangère au Canada

30 mars 2023

Le Canada souhaite un changement de régime en Russie

Le 26 mars 2022, à l’occasion d’un discours en Pologne, le président américain a déclaré que Vladimir Poutine ne pouvait pas moralement demeurer au pouvoir en Russie.

Aussitôt, le secrétaire d’État américain s’est empressé de rectifier le tir et de préciser que le président américain ne voulait pas réellement dire qu’il souhaitait le renversement du régime de Poutine.

Ce qui n’a pas empêché le sénateur républicain Lindsey Graham, sur les ondes de Fox News d’en appeler à l’assassinat du président russe. Une opinion partagée par plusieurs de ses collègues au Congrès.

Ceci étant dit, cela n’est pas la position ni officielle ni officieuse de Washington. La raison est très simple; personne ne possède la certitude que le successeur de Vladimir Poutine serait plus ‘acceptable’ du point de vue américain.

Or un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Indépendamment de tout le mal qu’on en dit en Occident, Vladimir Poutine est un chef d’État froid et calculateur, totalement dépourvu d’impulsivité. Ceux qui le croient imprévisible ne connaissent rien au personnage.

Il y a quelques jours, la ministre des Affaires étrangères du Canada s’est réjouie publiquement à l’idée que les sanctions économiques occidentales contre la Russie puissent entrainer un changement de régime dans ce pays.

Ce qui a soulevé une vive réaction à Moscou.

L’indignation face à l’ingérence étrangère dans les affaires internes du Canada

À juste titre, notre pays condamne l’ingérence étrangère dans ses affaires internes.

Évidemment, on n’ose pas condamner le financement du Convoi de la liberté par la Droite américaine.

Mais on s’objecte aux tentatives de manipulation de l’opinion publique canadienne par des cyber-usines de trolls installées en Russie.

De la même manière, la Gendarmerie royale canadienne soupçonne le Service à la famille chinoise du Grand Montréal et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud d’être des antennes chinoises qui inciteraient des Sino-Canadiens à voter conformément à des directives émises par Beijing.

Dernièrement, la chaine de nouvelles Global News accusait la Chine d’avoir favorisé en 2019 l’élection du député libéral Han Dong (né à Shanghai).

Conformément au néoMaccarthysme hystérique qui s’est emparé de l’Occident depuis l’invasion russe en Ukraine, Global News accuse même le député d’avoir incité la Chine à prolonger l’emprisonnement de deux citoyens canadiens dans ce pays.

Comment peut-on croire sérieusement qu’un simple député canadien ait quelque influence que ce soit sur Xi Jinping ?

Conclusion

La Chine se mêle de politique intérieure canadienne par des moyens parfaitement légaux en vertu du Droit international et qui sont couramment utilisés par d’autres pays, dont les États-Unis et la Turquie.

Évidemment, les États-Unis ne menacent pas leurs propres ressortissants à l’Étranger, mais la Turquie le fait.

La condamnation par le Canada d’irritants qui sont inhérants à la démocratie — et qui, concrètement, ont eu peu d’effets sur l’issue du scrutin — est bien hypocrite puisque notre pays souhaite par ailleurs un changement de régime en Russie en aggravant une guerre que le Canada a rendu inévitable en soutenant l’expansionnisme toxique de l’Otan.

Si le Canada veut qu’on évite de se mêler de ses affaires internes, il doit donner l’exemple.

Références :
Allégations d’ingérence chinoise : le député Han Dong quitte le caucus libéral
Barack Obama invite les Canadiens à appuyer Justin Trudeau
Le « convoi de la liberté » avait réussi à recueillir 24 millions
Les cyber-adorateurs
Les «postes de police» chinois se sont ingérés dans des campagnes électorales
Les «postes de police» chinois se sont ingérés dans des campagnes électorales
Le terrorisme judiciaire d’Erdoğan
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Maccarthysme
Millions in foreign funds spent in 2015 federal election to defeat Harper government, report alleges
Moscou outré par les commentaires de la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly
Québec coupe les vivres à un présumé poste de police chinois
Regime Change in Russia?
Ukraine: No Russia regime change plans, says Blinken
Why Regime Change in Russia Might Not Be a Good Idea

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Écrit par Jean-Pierre Martel


France : la réforme des retraites finance l’augmentation des dépenses militaires

18 mars 2023

Le président de la République française a justifié le recours au bâillon pour court-circuiter l’Assemblée nationale et forcer l’adoption de sa réforme des retraites en ces termes : « Je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands.»

Son ministre délégué aux comptes publics a été plus explicite :
« C’est la réforme ou la faillite ! »

Tout comme les entreprises, l’État doit avoir en tout temps les liquidités qui lui sont nécessaires pour respecter ses engagements.

Or l’essentiel de la dette des États est constitué de bons du Trésor.
Lorsqu’ils viennent à échéance, le pays émetteur peut alors les payer (s’il en a les moyens) ou pelleter vers l’avant cette dette en émettant de nouveaux bons du Trésor pour payer les anciens.

Il y a quelques mois, l’ambitieux programme de réduction de taxes pour les riches (qui devait accroitre substantiellement la dette britannique) a été abandonné par Londres quand les bons du Trésor nouvellement émis n’ont pas trouvé preneurs.

Ce qui a entrainé la démission de la première ministre britannique.

D’abord estimé sommairement à 43 milliards de livres sterling, cette réforme devait finalement couter entre 100 et 200 milliards de livres.

Dans le même ordre d’idée, la France a dernièrement annoncé une augmentation de son budget militaire de 413 milliards d’euros en sept ans.

Par crainte de la sanction des milieux financiers, la France doit sabrer son filet de protection sociale. D’où la réforme des retraites.

Puisque le compte n’y est pas, on peut donc anticiper — lorsque la grogne populaire sera passée — d’autres compressions budgétaires reflétant les nouvelles orientations de l’Élysée.

Références :
Crise de la dette : S&P dégrade la perspective du Royaume-Uni
La Banque d’Angleterre intervient en urgence pour empêcher le naufrage de la dette britannique
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
Pourquoi la Banque d’Angleterre est-elle intervenue sur le marché obligataire?
Réforme des retraites : Macron justifie le 49.3 en invoquant des « risques financiers trop grands »
Retraites : la réforme pourrait rapporter 18 milliards d’euros d’ici à 2030, le gouvernement fait l’impasse sur les surcoûts

Paru depuis :
Le gouvernement [français] veut faire 10 milliards d’euros d’économies (2023-06-19)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’invasion de Taïwan par la Chine continentale

12 mars 2023

Deux républiques, un pays

L’Onu a été créée le 24 octobre 1945 à la suite de la ratification de sa Charte par un certain nombre de pays, dont la Chine.

À l’époque, ce pays était en proie à une guerre civile qui durait depuis des décennies. Celle-ci opposait d’une part le gouvernement du Kuomintang, soutenu par les États-Unis et dirigé par Tchang Kaï-check, et d’autre part, le Parti communiste chinois dirigé par Mao Zedong.

En 1949, lorsque le Parti communiste victorieux proclame la République populaire de Chine, Tchang Kaï-check et ses soldats se réfugient sur l’ile chinoise de Taïwan où ils fondent la République de Chine.

Chacune de ces deux républiques revendique alors la pleine et légitime souveraineté sur la totalité du territoire chinois (Chine continentale et Taïwan).

Toutefois, à l’Onu, c’est le gouvernement militaire de Tchang Kaï-check — le signataire de la Charte de l’Onu — qui représente l’ensemble de la population chinoise.

Lorsque finalement la Chine de Mao Zedong fait son entrée à l’Onu en 1971, c’est à la condition que Taïwan en soit expulsé et que Beijing soit seul à parler au nom de la nation chinoise.

Bref, en vertu du droit international, Taïwan fait toujours partie de la Chine.

Qu’il s’agisse de Taïwan et des (anciennes) régions autonomes de Hong Kong ou de Macao, la politique de la Chine a toujours reposé sur la conviction que le temps jouait en sa faveur. En somme, il suffisait d’attendre pour que, comme des fruits murs, ces territoires tombent d’eux-mêmes dans le giron chinois.

Ce fut le cas de Hong Kong et de Macao, rétrocédés à la Chine en 1997 et en 1999.

Reste Taïwan.

L’indépendance de Taïwan, un tabou

En 1947, avant la victoire du Parti communiste, l’ile de Taïwan était gouvernée de Nanjing (en Chine continentale) par le gouvernement de Tchang Kaï-check.

Or cette année-là, l’ile connut des épidémies de peste et de choléra, de même que des pénuries alimentaires. Tout cela provoqua des émeutes dont la répression par le Kuomintang fit trente-mille morts.

Deux ans plus tard, lorsque le gouvernement de Tchang Kaï-check s’exile à Taïwan, l’ile est peuplée de différents peuples hostiles pour qui les troupes de Tchang Kaï-check sont des envahisseurs.

Pendant les 38 ans qui suivirent — une période connue sous le nom de Terreur Blanche — l’ile fut placée sous le régime de la loi martiale. Aux yeux des Taïwanais, les régimes totalitaires du Kuomintang et celui de Mao Zedong semblaient bonnet blanc et blanc bonnet.

En 1986 eut lieu la première élection présidentielle au suffrage universel. En 2000, le Kuomintang perd le pouvoir et le nouveau président entreprend la consolidation de l’identité taïwanaise.

Quelques élections plus tard, Mme Tsai Ing-wen est élue à la présidence à partir d’un programme politique où transpire l’aspiration à la sécession avec Beijing.

Après une gestion autoritaire de la pandémie — moins contraignante toutefois que la politique Zéro Covid de Beijing — Taïwan leva presque toutes les restrictions sanitaires en mai 2022.

Cette liberté retrouvée fut soulignée par les dirigeants taïwanais comme un avantage d’être citoyen d’un pays libre.

Pour tous ceux qui n’ont jamais connu la dictature de Tchang Kaï-check, qui ont accès librement à la technologie occidentale et qui passent quotidiennement des heures sur les médias sociaux, il est inconcevable que leur ile puisse un jour être dirigée par le Parti communiste chinois.

Pour Beijing, il n’est plus certain que le temps joue en sa faveur.

Toutefois, un peu à l’image du Québec, l’opinion des Taïwanais est ambivalente. S’ils rejettent massivement la réunification politique de la Chine, ils rejettent aussi majoritairement son contraire, soit une indépendance qu’ils jugent imprudente dans la mesure où ils craignent qu’elle provoque l’invasion de l’ile par l’armée chinoise.

Pour une majorité de Taïwanais, l’idéal est un statuquo dont la durée serait indéfinie.

En 2022, 28,7 % des Taïwanais souhaitaient le maintien de statuquo avec la possibilité d’en décider autrement plus tard, 28,5 % voulaient le prolongement indéfini du statuquo, et 25,4 % souhaitaient le maintien du statuquo pour l’instant, mais tout en travaillant à une indépendance éventuelle.

Des relations commerciales protectrices

Dans les années qui suivirent l’avènement des microordinateurs personnels, les clones d’IBM-PC étaient tous fabriqués à Taïwan.

Peu à peu, lorsque Taïwan a perdu ce monopole, l’ile s’est recyclée dans la fabrication des semi-conducteurs.

En 2021, la production mondiale des semi-conducteurs se répartissait comme suit :
• Taïwan 65 %,
• Corée du Sud 15 %,
• États-Unis 7 %,
• Chine 6 %, et
• autres 7 %.

Or ceux-ci sont des composants essentiels de tout produit de consommation dit ‘intelligent’, du réfrigérateur haut de gamme, au téléviseur branché, en passant par l’auto électrique, etc.

Parmi les fabricants mondiaux de semi-conducteurs, c’est à Taïwan qu’on trouve TSMC (au 3e rang mondial) et MediaTek (au 9e rang). Au-delà de ce palmarès, c’est à Taïwan qu’on fabrique les puces les plus avancées du monde.

Signalons que TSMC est le fabricant exclusif des processeurs des iPhone, iPad et ordinateurs Macintosh.

Taïwan vend ses semi-conducteurs à tous ceux qui veulent en acheter.

En raison de l’importance industrielle des semi-conducteurs, toute menace à l’approvisionnement américaine en semi-conducteurs taïwanais devient une menace aux intérêts géostratégiques des États-Unis. Taïwan croit s’assurer ainsi de la protection militaire américaine en cas d’invasion chinoise.

Par contre, en étant également un fournisseur stratégique de la Chine, toute invasion de l’ile par cette dernière pourrait s’avérer catastrophique pour l’industrie chinoise si Taïwan pratiquait une politique de terre brulée — c’est-à-dire le sabotage de ses propres usines — dès le début d’une invasion chinoise.

En contrepartie, Taïwan dépend totalement des terres rares importées de Chine continentale pour la fabrication de ses semi-conducteurs.

C’est donc par le biais de cette dépendance réciproque que Taïwan espère vivre en paix avec son puissant voisin.

L’envers du décor

Afin de se préparer à toutes les éventualités, le Pentagone se livre périodiquement à des simulations de conflits armés. Deux équipes de généraux américains se font alors la guerre avec les forces dont les belligérants disposeraient si elles devaient s’affronter.

Or à l’issue de toutes les simulations à une invasion hypothétique de l’armée chinoise à Taïwan, Washington perdait la guerre.

Convaincus que l’ile est indéfendable, les États-Unis ont commencé à se sevrer de leur dépendance en semi-conducteurs taïwanais.

En juillet 2022, le Congrès américain a adopté le CHIPS and Science Act. Celui-ci prévoit 39 milliards$ de prêts industriels et 13,2 milliards$ d’investissements publics dans la recherche relative aux semi-conducteurs.

De plus, Washington accorde un crédit d’impôt de 25 % afin de favoriser l’augmentation de la capacité manufacturière à ce sujet en sol américain (qui répondait à 37 % des besoins du pays en 1990, mais à seulement 12 % de nos jours).

Depuis l’adoption de cette loi, Micron Technology a annoncé un investissement de 40 milliards$ aux États-Unis.

Qualcomm et GlobalFoundries ont annoncé une augmentation de la capacité industrielle de leur usine de l’État de New York, au cout de 4,2 milliards$.

Parallèlement, le département du Commerce américain a ordonné l’an dernier un blocus technologique contre la Chine.

Ce blocus interdit l’exportation en Chine :
• de puces électroniques puissantes, notamment celles qui servent à l’intelligence artificielle,
• du matériel robotisé nécessaire à leur fabrication,
• des ingrédients qui entrent dans leur composition, et
• des logiciels nécessaires à leur conception.

Au départ, le blocus concernait uniquement l’exportation par des entreprises américaines. Mais depuis janvier dernier, les États-Unis ont conclu des accords avec le Japon et les Pays-Bas qui calfeutrent les fuites possibles vers la Chine de puces fabriquées dans ces deux pays.

Taïwan ne participe pas à ce blocus technologique qui n’est ni dans son intérêt commercial ni son intérêt sécuritaire.

Mais au cas, où les dirigeants taïwanais en décideraient autrement par aveuglement idéologique, la Chine a entrepris d’effectuer sa propre recherche de pointe dans ce secteur.

Le 2 mars dernier, l’Institut australien de politique stratégique publiait une étude effectuée sur plus d’un an et qui conclut que la recherche chinoise était en avance dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées.

De leur côté, les États-Unis demeuraient en avance dans des secteurs comme les vaccins, l’informatique quantique et les systèmes de lancement de vaisseaux spatiaux.

Dans le cas de certains domaines de haute technologie, les dix meilleurs instituts de recherche au monde sont situés en Chine et produisent collectivement neuf fois plus d’études scientifiques que le deuxième leadeur mondial (souvent, les États-Unis).

En somme, il y eut une époque où la Chine était une puissance manufacturière qui se contentait de pirater des brevets occidentaux. Cette époque est révolue depuis longtemps; au cours de la dernière décennie, la Chine est lentement devenue un chef de file technologique devançant les États-Unis dans la majorité des domaines.

Inciter la Chine à s’armer

Depuis des années, des groupes de réflexion américains discutent de l’opportunité d’une guerre ‘préventive’ contre la Chine. Comme celle que la France a déclarée (et perdue) contre la Prusse en 1870.

Même si rien n’indique que Washington y songe sérieusement, la rhétorique belliqueuse de Washington à l’égard de la Chine a tout pour inquiéter cette dernière.

Jamais n’a-t-on vu deux partenaires économiques aussi intimement liés entretenir de si mauvaises relations.

Prenons trois exemples récents.

Les dangereux ballons-espions chinois

L’armée américaine a dernièrement abattu quatre ‘ballons-espions’ chinois qui, dit-on, voulaient cartographier des bases stratégiques de lancements de missiles intercontinentaux.

Si la Chine voulait réellement obtenir une vue aérienne de ces bases, elle n’avait qu’à utiliser Google Earth. Cela aurait été plus rapide et plus économique.

D’ailleurs, elle possède 260 satellites-espions qui épient la surface du globe et photographient déjà toutes les bases américaines.

Le danger de Tik Tok

Interdire à des fonctionnaires d’utiliser cette application, c’est l’équivalent de leur interdire de jouer aux cartes durant leurs heures de travail. Comment se fait-il qu’on ne l’ait pas fait avant ?

Mais pour ce qui est des dangers d’espionnage pour vous et moi, Tik Tok ne peut pas nous espionner plus que ce que font déjà les médias sociaux américains, c’est-à-dire le maximum que leur permet le système d’exploitation de nos ordinateurs et de nos appareils mobiles.

Si j’étais un utilisateur de Tik Tok, le Parti communiste chinois — et peut-être Xi Jinping en personne — saurait déjà que je m’appelle Louis-Philippe Demers (c’est mon pseudonyme sur les médias sociaux) et que je suis né le 27 mars 1975 (ce qui n’est pas le cas).

Et ce sont les États-Unis — qui, selon Edward Snowden, épient tous les courriels, tous les textos et tous les appels téléphoniques sur Terre — qui accusent la Chine d’espionnage…

La Chine a causé la pandémie au Covid-19

Voilà que Washington sort maintenant des boules à mites cette vieille accusation trumpienne selon laquelle la pandémie au Covid-19 aurait été causée par une fuite d’un laboratoire virologique de Wuhan.

Tenez-vous bien; l’accusation est portée non pas par un institut renommé de recherche scientifique, mais par le département… de l’Énergie. Elle est aussitôt relayée, non pas par la CIA, mais par le FBI (dont ce n’est pas le champ d’expertise).

Sans surprise, tous les médias occidentaux se sont empressés de répéter la ‘nouvelle’ comme des perroquets.

Doit-on s’étonner qu’il y a une semaine, la Chine ait annoncé la plus importante hausse de ses dépenses militaires depuis 2019. Si les États-Unis voulaient inciter la Chine à s’armer et la pousser dans les bras de la Russie, ils n’agiraient pas autrement.

Ces jours-ci, le message de Washington à la Chine est simple; nous vous interdisons de vendre des armes à la Russie, mais dès qu’on en aura fini avec elle, on vous arrangera le portrait.

Comme c’est subtil…

Au-delà de l’Ukraine

En recourant à la totalité des sanctions économiques et financières dont ils sont capables contre la Russie, les États-Unis ont informé involontairement la Chine des moyens contre lesquels celle-ci doit se prémunir en cas d’invasion de Taïwan.

Dans le cas de la Russie (dont le PIB est intermédiaire entre celui de l’Italie et de l’Espagne), le grand capital international a relevé — en quelques mois, mais au prix d’une inflation importante — le défi d’une ‘remondialisation’ rendu nécessaire par la rupture de dizaines de milliers de liens commerciaux directs avec la Russie et la création de milliers de liens indirects (par le biais de revendeurs situés dans des pays tiers).

Toutefois, ajoutez à cela une rupture de tous les liens commerciaux directs avec la Chine — la deuxième puissance économique mondiale — et vous créez un choc qui serait probablement suffisant pour provoquer l’effondrement de l’économie mondiale.

Par exemple, un blocus économique immédiat contre la Chine ferait en sorte que toutes les tablettes des quincailleries américaines se videraient d’outils en moins d’un mois. Et les compagnies américaines qui voudraient prendre la relève en seraient incapables en raison de la pénurie de main-d’œuvre consécutive à la pandémie de Covid-19 (un million de morts aux États-Unis).

Bref, un blocus économique et financier draconien contre la Chine est imprudent à brève ou à moyenne échéance.

En cas d’invasion, ce que feront les États-Unis, c’est de faire semblant d’être surpris et de condamner sévèrement la ‘traitrise chinoise’. Ce qui, toutefois, est encore hypothétique. Comme nous le verrons plus bas.

La seule chose qui ferait mal à la Chine serait la saisie de ses avoirs en Occident, notamment les bons du Trésor américain qu’elle possède.

En 2011, la Chine détenait à elle seule 12 % de la dette du gouvernement américain. Une décennie plus tard, au début de la guerre en Ukraine, elle en détenait trois fois moins.

Depuis la saisie des avoirs russes par de nombreux pays occidentaux, la Chine a accéléré sa vente de bons du Trésor américain. Ses avoirs ont baissé de 1 040 milliards$ au début de 2022 à 867 milliards$ un an plus tard.

En vendant des actifs qui rapportent des taux d’intérêt très faibles, la Chine se donne ainsi les moyens financiers de stimuler la demande intérieure chinoise dans l’éventualité d’un blocus économique occidental consécutive à une invasion taïwanaise.

De plus, en y allant à fond de train dans la fourniture d’armes à l’Ukraine, les pays occidentaux ont abondamment pigé dans leur arsenal militaire.

À l’exception des chasseurs-bombardiers (que l’Occident hésite encore à fournir à l’Ukraine), on estime que l’arsenal militaire occidental a fondu du tiers depuis le début de cette guerre par procuration.

Ce qui en laisse moins pour aider Taïwan dans le cas d’une invasion décidée par Beijing.

Et puisque la fabrication d’armement de pointe est extrêmement lente, on pourrait penser que c’est le temps idéal pour la Chine d’agir.

Mais c’est mal connaitre ce pays.

Dans toute son histoire, la Chine n’a jamais gagné une seule guerre. Et à l’exception de l’époque de Mao Zedong, elle n’a jamais cherché à imposer aux autres pays son modèle de gouvernement basé sur la méritocratie.

Le but de la Chine est d’arriver à ses fins avec le moins d’effort possible.

Le discours autonomiste du parti taïwanais au pouvoir inquiète Beijing. Mais compte tenu de l’opinion encore nuancée des Taïwanais, la Chine possède d’autres cartes dans son jeu.

Le mois dernier, les dirigeants du Kuomintang — le principal parti d’opposition à Taïwan — ont effectué un voyage de neuf jours en Chine continentale en vue de pourparlers avec leurs anciens ennemis communistes.

Ces parlementaires taïwanais souhaitent rassurer une partie de leur électorat qui craint que Taïwan subisse le même sort que l’Ukraine en se dressant comme un ennemi militaire de son puissant voisin.

De son côté, Beijing veut offrir à ce parti des arguments qui favoriseraient sa prise du pouvoir aux élections de janvier 2024 et du coup, qui prolongerait une stabilité rassurante autant pour les Chinois de Taïwan que pour ceux de Chine continentale.

Si cette stratégie échoue, la possibilité d’une invasion chinoise à Taïwan montera d’un cran.

Références :
Biden’s hugely consequential high-tech export ban on China, explained by an expert
China leading US in technology race in all but a few fields, thinktank finds
CHIPS and Science Act Will Lower Costs
En 2022, Taïwan exporte toujours plus de semi-conducteurs
Incident 228
La Chine détient de moins en moins de dette américaine et voilà pourquoi ça ne changera pas grand chose pour les Etats-Unis
La Chine augmente son budget de la Défense
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
La COVID-19 résulterait d’une fuite de laboratoire, selon un rapport américain
Les réserves de change de la Chine ont diminué de 51 milliards de dollars en février
Taïwan
Taiwan Independence vs. Unification with the Mainland
Taiwan’s KMT hopes for elections boost after China trip
Why Chinese AI and semiconductors could fall decades behind under US chip ban ‘blitz’
Why is unification so unpopular in Taiwan? It’s the PRC political system, not just culture

Parus depuis :
Former Taiwan president to visit China in unprecedented trip (2023-03-20)
Semi-conducteurs : « C’est bien une guerre industrielle et commerciale qui se joue dans le camp occidental » (2023-03-31)
China bans US chipmaker Micron from vital infrastructure projects (2023-05-22)
China overtakes US in contributions to nature and science journals (2023-05-24)
Qui finance la dette des États-Unis ? (2023-06-24)
China beats US in top global scientific ‘hot papers’ ranking: report (2023-09-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les relations sino-saoudiennes

12 février 2023


 
Le 7 décembre dernier, les plateaux de France24 accueillaient quatre panellistes qui profitaient de la visite de trois jours du président chinois en Arabie saoudite pour discuter plus spécifiquement des liens économiques entre ces deux pays, et plus généralement de la perte d’influence de l’Occident dans cette partie du monde.

Étaient réunis :
• Jean-Joseph Boillot, économiste spécialiste des BRICS et auteur du livre “Utopies made in Monde”
• Jean-Paul Tchang, économiste et cofondateur de la Lettre de Chine,
• Clarence Rodriguez, consultante et seule reporter permanente accréditée en Arabie saoudite de 2005 à 2017,
• David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique.

En résumé :
• l’Arabie saoudite veut montrer qu’elle est menée par ses propres intérêts,
• la guerre russo-ukrainienne ayant perturbé le transport ferroviaire entre l’Europe et la Chine, celle-ci veut solidifier sa ‘Route de la soie’ vers le Moyen-Orient (dans le but de faciliter l’importation des matières premières dont elle a besoin). Rappelons que par un nouveau pipeline passant par la Birmanie, la Chine importe de 20 % à 25 % de son pétrole d’Arabie saoudite et 52 % de son pétrole des pays arabes,
• les deux pays jettent les bases de discussions en vue d’un éventuel traité de libre-échange,
• la trentaine d’accords signés (30 milliards$) visent à vendre des équipements chinois en Arabie saoudite et notamment des technologies essentielles à l’industrialisation du monde arabe alors que les États-Unis n’investissent rien dans la région,
• ces accords sont partiellement des échanges culturels destinés à faire la promotion en Chine de la civilisation arabe et de l’influence positive de l’Islam, répondant ainsi au désir de considération de l’Arabie saoudite,
• le projet le plus cher à Mohammed ben Salmane est la construction de la ville futuriste Neom en plein désert, au cout de 500 millards$. Or ce projet suscite l’indifférence en Occident, mais l’intérêt (feint ou non) de la Chine.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La corruption au parlement européen

9 janvier 2023

L’exemple québécois

Depuis une loi adoptée par le Parti Québécois en 1984, seuls les adultes canadiens domiciliés au Québec depuis au moins un an peuvent contribuer à la caisse électorale des partis politiques québécois.

En plus du montant — généralement minime, de l’ordre de 5$ par année — exigé pour être membre d’un parti politique, on peut effectuer une contribution annuelle maximale de 100$, sauf l’année d’une élection alors que ce maximum est porté à 200$.

Après un scrutin, l’État verse à chaque parti politique un montant fixe pour chaque vote obtenu.

Suivant l’exemple du Québec, le parlement canadien a adopté une loi semblable en 2003.

Cela élimine presque totalement la corruption. Seules subsistent des ‘faveurs’ qui disposent favorablement le récipiendaire à l’égard du donateur sans obliger formellement le premier à accorder des contrats gouvernementaux à ce dernier.

C’est ainsi qu’en 2017, le premier ministre du Canada a passé gratuitement le temps des Fêtes à bord du yacht luxueux d’un millionnaire qui, parait-il, est son ami d’enfance… mais qu’il ne connaissait pas avant d’accéder au pouvoir.

L’indignation feinte de la cheffe d’opposition à ce sujet a complètement disparu lorsque les journalistes ont révélé qu’elle avait fait pareil.

Au Sénat canadien, accepter des voyages payés par des gouvernements étrangers est parfaitement ‘normal’.

Dernièrement, le ministre de l’Économie du Québec a été invité à chasser gratuitement le faisan sur une ile privée qui appartient à un groupe de millionnaires québécois.

Dans chacun de ces exemples, les ‘faveurs’ représentent des dizaines de milliers de dollars. Pour le simple député, surtout s’il est dans l’opposition, les faveurs se limitent à des broutilles; en effet, pourquoi devrait-on ‘investir’ dans quelqu’un qui ne décide de rien ?

Par contre, dans la plupart des pays démocratiques, le financement politique est de la corruption légalisée. C’est le cas aux États-Unis et au parlement européen, où la corruption est dans un autre ordre de grandeur.

Le Qatargate

Le vendredi 9 décembre, Alexandros Kaïlí était arrêté à Bruxelles dans le cadre d’une enquête pour corruption menée depuis juillet dernier. Au moment de son arrestation, les policiers ont découvert environ 600 000 euros (en argent liquide) dans son appartement.

À partir de cette découverte, les policiers belges ont fait lever l’immunité parlementaire dont jouissait sa fille, Éva Kaïlí — une des quatorze vice-présidents du parlement européen — et ont fouillé le jour même l’appartement de celle-ci où ils ont trouvé une autre tranche de 150 000 euros, toujours en billets de banque.

Ont également été arrêtés :
• l’assistant parlementaire de Mme  Kaïlí, Francesco Giorgi, qui est également son conjoint,
• Niccolò Figà-Talamanca (démarcheur et activiste),
• l’ancien eurodéputé Antonio Panzeri, avec lequel Mme Kaïlí a co-fondé l’ONG Combattons l’impunité (sic), et qui, selon le quotidien Le Soir, serait le chef d’une organisation criminelle chargée d’influencer les décisions du Parlement européen en faveur du Qatar.

Selon Wikipédia, ces trois personnes auraient plaidé coupables à l’accusation de corruption et de blanchiment d’argent.

Le ‘corrupteur’ dans cette affaire serait le Qatar, une des pétromonarchies qui, par la force des décisions du parlement européen, est devenu un des principaux fournisseurs de gaz fossile liquide (GFL) de l’Union européenne.

Après la Norvège, et les États-Unis, le Qatar est maintenant au troisième rang des fournisseurs de GFL avec seize pour cent des approvisionnements.

Le parti Renew Europe (autrefois appelé Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe) est la quatrième formation politique en ordre d’importance; il compte 104 députés sur les 705 du parlement européen

Avant qu’elle n’en soit expulsée, ce parti, par la voix de son président, a présenté sa députée, Mme  Kaïlí, comme une victime.

Pointant un doigt accusateur vers le Qatar, le Français Stéphane Séjourné a déclaré : « Nous ne laisserons pas salir notre travail. Nous ne laisserons pas salir ce Parlement. Nous ne laisserons pas salir l’Europe », sous les applaudissements de ses partisans.

En entendant celui-ci, on peut se demander quel mineur de charbon, couvert de suie au fond de son puits, n’aimerait pas lui aussi être sali par de beaux billets de banque tout neufs…

Signalons que le parti Renew Europe a reçu près d’un demi-million d’euros de multinationales. Son congrès de Madrid, tenu en 2018, a été financé par les succursales européennes de Google, Walt Disney, Microsoft et Bayer (fabricant du glyphosate).

Quand le premier réflexe d’un parti est de blâmer le corrupteur et non la corrompue (qui était libre de refuser l’argent), c’est que ce parti est plus gangréné par la corruption qu’il ne le croit…

Comment le parlement européen est-il tombé si bas ?

Tout comme au Québec, les partis en lice au parlement européen peuvent percevoir des dons des particuliers, en plus de l’argent versé par le parlement européen pour chaque vote obtenu à l’occasion d’une élection.

Mais contrairement aux législations québécoise et française, les partis européens peuvent également accepter des dons provenant de personnes morales (c’est-à-dire d’entreprises, d’associations, de groupes de pression, de syndicats, etc.).

Chaque don est limité à 18 000 euros. Mais chaque filiale d’un conglomérat peut effectuer un don, ce qui permet de contourner cette limite.

De plus, après Washington, le parlement européen est sollicité par la deuxième plus importante horde de démarcheurs au monde, soit environ 37 300 personnes.

Les hauts dirigeants européens doivent, théoriquement, inscrire leurs rencontres dans un registre. Ce à quoi ne sont pas tenus les simples eurodéputés hors de l’enceinte parlementaire.

On estime à trois-milliards d’euros les sommes consacrées à tenter d’influencer les décideurs au sein du parlement européen.

Même si Ursula von der Leyden, présidente de la Commission européenne, a bien tenté d’adopter un profil bas depuis cette affaire afin de ne pas en être éclaboussée, on doit savoir qu’en juillet dernier, l’exécutif européen adoptait une résolution destinée à élargir le financement des partis européens aux ‘donateurs’ (particuliers, entreprises ou gouvernements) hors de l’Union européenne.

À sa face même, cette recommandation de l’exécutif était une invitation à la corruption étrangère du parlement européen.

Même si cette proposition avait été rejetée (ce qui n’est pas le cas), le simple fait qu’on ait pu l’envisager sérieusement en dit long sur l’état de pourrissement de la démocratie en Europe.

Références :
Clara Robert-Motta. Qatargate : “Les Européens sont dans une situation schizophrénique”
Corruption fédérale : les voyages forment la vieillesse
Elections européennes: Argent public, dons d’entreprises… Comment sont financés les partis européens?
Fitzgibbon à la chasse sur l’île de la gang du lac
Le Parlement européen dénonce une « attaque » contre la démocratie
Les eurodéputés veulent étendre le financement des partis politiques au-delà de l’UE
Pendant que Trudeau était critiqué pour ses vacances dans l’île de l’Aga Khan, Rona Ambrose était sur le yacht d’un milliardaire
Petit guide de lobbying dans les arènes de l’Union européenne
« Qatargate » : au Parlement européen, l’urgence de la transparence
« Qatargate » : ce que l’on sait des soupçons de corruption au Parlement européen
Qatargate : “L’amitié professionnelle” embarrassante de Marie Arena avec Pier Antonio Panzeri

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Écrit par Jean-Pierre Martel


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