L’aide humanitaire à Gaza : l’hypocrisie du Canada

Le 31 janvier 2024

Les allégations israéliennes contre l’Onu

Vendredi dernier, les dirigeants israéliens ont accusé une agence de l’Onu (l’UNRWA) de compter des terroristes parmi son personnel.

Le jour même, onze pays occidentaux se sont empressés de suspendre leur contribution à cette agence : les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Finlande, l’Autriche, la Roumanie, l’Italie, le Japon et l’Australie.

Pour compenser, le ministre canadien du Développement international annonce aujourd’hui que son ministère versera 40 millions$ à des organismes qui prendront, dit-il, la relève de l’UNRWA :

« Nous accordons un financement d’urgence supplémentaire pour que nos partenaires fiables et expérimentés du secteur humanitaire puissent continuer à veiller à ce que ce financement vienne en aide aux personnes plus vulnérables lorsqu’elles en ont besoin.»

L’UNRWA

L’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a été créée en 1949 à la suite de l’épuration ethnique à l’origine de la création d’Israël et après les déplacements de la population palestinienne occasionnés par le conflit arabo-israélien qui en a résulté.

L’agence offre ses services partout où se trouvent des réfugiés palestiniens au Proche-Orient.

Même si des organismes onusiens ont été créés pour pallier d’autres crises humanitaires, l’UNRWA est le seul qui s’occupe des réfugiés palestiniens.

Voilà pourquoi une vingtaine d’ONG — dont le Conseil norvégien pour les réfugiés, Oxfam et Save the Children — ont affirmé qu’il n’y a pas de solution de remplacement à l’UNRWA.

Le but de cette agence est de répondre aux besoins essentiels des Palestiniens en matière de santé, d’éducation, d’aide humanitaire et de services sociaux.

C’est ainsi qu’elle prend en charge la scolarité de plus de 540 000 enfants palestiniens au sein de ses écoles, tout en supervisant environ soixante camps de réfugiés (dont 19 en Cisjordanie et 8 dans la bande de Gaza).

Entre le 21 octobre 2023 et le 24 janvier 2024, l’Agence a distribué aux Gazaouis treize tonnes de farine, pour 6,2 millions$ de médicaments et de fournitures médicales, et 19 millions de litres d’eau.

Sur les 30 000 employés de l’Agence, 13 000 opèrent dans l’une ou l’autre de ses trois-cents installations situées dans la bande de Gaza. Ils y œuvrent comme enseignants, médecins, pharmaciens, infirmiers, aides-soignants, travailleurs sociaux et gestionnaires.

À 99 %, ces employés-là sont des Gazaouis : personne n’est plus motivé qu’eux pour aider leur propre peuple. À preuve : ils continuent d’accomplir leurs tâches en dépit du fait que 152 d’entre eux ont été tués jusqu’ici au cours de la riposte israélienne.

En supposant que les partenaires fiables dont parle le ministre recrutent d’ici peu les milliers de personnes courageuses qui voudront, sous les bombes, prendre la relève de l’UNRWA, jamais le gouvernement de Gaza (le Hamas) n’acceptera que des ONG occidentales, truffées d’espions à la solde des États-Unis, opèrent sur son sol en pleine guerre.

La solution du ministre est d’une telle stupidité qu’on se demande sur quelle planète vit le gouvernement canadien.

Conclusion

L’affrontement actuel entre le Hamas et Israël est non seulement un conflit armé; c’est aussi une guerre de propagande.

Depuis des années, l’Onu condamne la colonisation illégale de la Palestine par Israël. Même les États-Unis sont de cet avis. Pour se venger, Israël tente de discréditer l’Onu.

Pour l’instant, les allégations d’Israël semblent être vraies puisque l’UNRWA a, sur-le-champ, congédié elle-même presque tous les employés pointés du doigt par Israël.

Toutefois, on ne doit pas oublier que ces accusations concernent un millième du personnel de l’UNRWA dans la bande de Gaza.

Il y a deux jours, en éditorial, le quotidien Le Monde concluait :

« Les actes d’une dizaine d’employés ne doivent pas être instrumentalisés contre une agence tout entière, dont l’action est aujourd’hui indispensable pour éviter une catastrophe encore plus grande.»

L’empressement du Canada à couper les vivres à l’UNRWA est indécent. Alors que l’État d’Israël est accusé par l’Onu de punir tout le peuple palestinien pour des actes commis par le Hamas, le Canada fait pareil; il coupe son financement à l’UNRWA et punit ainsi les centaines de milliers de ses bénéficiaires.

Intrinsèquement, la décision d’Ottawa est déjà gênante. Défendre cette décision en prétendant que l’aide du Canada à l’égard des Palestiniens est maintenue, mais sera simplement acheminée autrement, est typique de l’hypocrisie d’Ottawa : cela n’arrivera pas.

Références :
Gaza : l’ONU mise en cause mais indispensable
Gaza: qu’est ce que l’UNRWA, cette agence de l’One mise en cause par Israël
Le Canada versera 40 millions $ à d’autres ONG que l’UNRWA pour aider à Gaza
Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient
Pourquoi l’UNRWA, l’agence d’aide humanitaire à Gaza, est au cœur d’une polémique ?
Qu’est-ce que l’UNRWA, à laquelle plusieurs pays ont suspendu leurs versements ?
What we know about Israel’s allegations against UN staffers in Gaza

Parus depuis :
Pays-Bas : un tribunal suspend la livraison de pièces de F-35 à Israël (2024-02-12)
Israël bloque au port d’Ashdod de l’aide alimentaire destinée à Gaza (2024-02-15)
Which countries are still funding UNRWA amid Israel’s war on Gaza? (2024-02-17)
Nicaragua drags Germany to ICJ for ‘facilitating Israel’s genocide’ in Gaza (2024-03-02)
Une coalition poursuit Ottawa pour faire cesser ses exportations militaires à Israël (2024-03-05)
Sept travailleurs humanitaires tués :Israël dénoncé de toutes parts (2024-04-02)

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5 commentaires à L’aide humanitaire à Gaza : l’hypocrisie du Canada

  1. Jacques Ouellette dit :

    Je suis tout à fait d’accord avec toi.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Je vous remercie pour votre appui, mon cher cousin.

      Ayant déjà travaillé pour une patronne juive orthodoxe et une autre musulmane (qui ne portait pas le voile), j’avoue avoir beaucoup d’hésitations à m’exprimer au sujet du conflit israélo-palestinien. Puisqu’il est très facile de heurter la sensibilité à fleur de peau des uns et des autres.

      Je le fais à contrecœur, uniquement en proposant une réflexion qui va, je l’espère, au-delà de l’anecdote.

  2. Marsolais dit :

    Bonjour,
    Je suis sûrement naïve mais pourquoi Justin Trudeau ne prend-il pas la peine de réfléchir un peu plus longtemps avant de réagir à des problèmes d’une telle importance ?? N’est-il pas entouré de gens compétents, aux opinions variées et qui émettent des idées auxquelles il faut réfléchir au moins qqs jours ?? Des gens de son propre parti ont des opinions contraires: pourquoi ne sent-on pas qu’elles sont considérées dans la prise de position finale ?? C’est honteux !

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Tout comme vous, Mme Marsolais, la majorité de la population canadienne ne comprend pas l’incohérence d’Ottawa.

      En matière de politique étrangère, les positions du Canada sont immuables. Elles le sont parce que les intérêts géostratégiques du pays ne changent pas lorsqu’un nouveau parti prend le pouvoir.

      Ce qui change alors, ce sont les justifications invoquées.

      Le gouvernement libéral prend le prétexte d’allégations israéliennes pour couper les vivres à l’UNRWA. Si les Conservateurs étaient au pouvoir, ils lui couperaient les vivres parce que l’UNRWA est, selon eux, une organisation terroriste.

      La justification change, mais le résultat est le même; le gouvernement canadien est indifférent, dans les faits, aux souffrances du peuple palestinien. Lorsqu’il semble s’en soucier, c’est dans le cadre d’une opération de relations publiques. En somme, parce que cela parait bien.

      J’ai déjà publié deux textes qui aident à comprendre la situation actuelle.

      Dans ‘La façade ministérielle de l’État canadien’, je concluais que les députés, les sénateurs et les ministres ne sont que l’interface entre la machine étatique d’Ottawa et le peuple.

      Donc, peu importe les avis exprimés dans l’entourage politique de Justin Trudeau, le ministre des Affaires étrangères suit les recommandations de ses fonctionnaires.

      Or, en substance, ce que ses fonctionnaires lui disent, c’est : ‘Monsieur le ministre, vous rappelez-vous quand la France a mis en doute publiquement les accusations américaines (avérées fausses depuis) selon lesquelles Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive ? Vous rappelez-vous que les Américains, en représailles, ont boycotté les produits français ? Voulez-vous que le Canada subisse le même sort ?

      Le texte ‘L’Ukraine doit s’inspirer du Canada’ débute par cette phrase : ‘Depuis la nuit des temps, le sort de tout pays faible qui voisine un pays puissant, c’est d’être son vassal.

      C’est le cas de notre pays; sur la scène internationale, le gouvernement canadien est le perroquet de celui des États-Unis. Voilà pourquoi, à deux reprises, le Canada a échoué à se faire élire au Conseil de sécurité de l’Onu.

      Fondamentalement, l’État d’Israël est situé aux marches de l’empire occidental. En quelque sorte, c’est la vitrine promotionnelle de l’Occident au Proche-Orient. Ce pays jouit donc de l’appui inconditionnel de Washington… et du coup, de son vassal canadien.

  3. Marsolais dit :

    Merci Jean-Pierre pour ces navrants rappels…
    Ils sont pourtant essentiels afin de garder une certaine impassibilité devant trop de réactions politiques incompréhensibles. 😏
    Bonne soirée, 🙋🏻‍♀️

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