Poulets : le gouvernement Legault doit se mêler de ses affaires

18 juin 2021


 
Introduction

Je devais avoir entre huit et dix ans. En me promenant dans ma ville natale, Joliette, je m’étais arrêté à un abattoir de poulets.

Les uns après les autres, les camions déchargeaient leurs casiers de bois décorés de plumes et de duvet dans lesquels s’entassaient les poulets.

Dans une grande pièce ouverte vers l’extérieur, des employés en sarrau blanc ouvraient les casiers, empoignaient les poulets par les pattes et les suspendaient la tête en bas sur un convoyeur.

Près d’eux sur cette chaine de production, d’autres employés, le sarrau maculé de sang, infligeaient une profonde entaille dans le cou de la volaille. Insuffisante à provoquer la mort de l’animal, la blessure provoquait une hémorragie destinée à vider lentement le poulet de son sang.

Le but étant d’obtenir une volaille à la belle chair blanche dans les comptoirs de nos épiceries.

Évidemment, on aurait pu abréger leur agonie en les décapitant. Mais justement, on comptait sur les battements du cœur pour maintenir la circulation sanguine et obtenir une vidange plus complète du sang.

Une manipulation de l’opinion publique

Ces jours-ci, les producteurs québécois de poulets ont euthanasié près d’un million de poulets, incapables d’écouler leur production en raison d’une grève à l’abattoir d’Exceldor.

Aux actualités télévisées, on nous montre des milliers de poulets nouveau-nés dans leur mignonne parure de duvet jaune, alors que sur les médias sociaux, on accuse les grévistes de cruauté animale.

La méthode utilisée pour euthanasier les poulets est la suivante. On calfeutre toutes les ouvertures d’une ferme d’élevage. On fait entrer du gaz carbonique. Au fur et à mesure que les taux d’oxygène diminuent, les poulets deviennent d’abord somnolents, puis décèdent endormis.

Les carcasses sont envoyées à une usine où elles sont transformées en farine animale.

Toutefois, les poulets qu’on euthanasie, ce ne sont pas ces nouveau-nés qu’on nous montre à la télévision. Ce sont des poulets ‘à maturité’ qui, s’ils n’avaient pas été tués dans leur sommeil, seraient morts au bout de leur sang.

La seule différence, c’est que ces poulets ne seront pas consommés par des humains, mais par des animaux de boucherie, mêlés sous forme de farine à leur moulée.

C’est d’ailleurs parce qu’ils seront consommés qu’on ne tue pas à l’aide d’un poison qui laisserait des résidus toxiques.

Les grévistes et la pandémie

Les abattoirs du Québec font partie du petit nombre d’entreprises qui n’ont pas été obligées de fermer leurs portes lors du confinement.

Sauf en cas d’éclosions. Or il y en a eu beaucoup.

Au cours de la première vague, la Santé publique du Québec faisait campagne contre le port du masque. Même en juin 2020, on déconseillait l’usage systématique des scanneurs thermiques et on recommandait aux employés de tousser dans leur coude. Toute la stratégie sanitaire du Québec reposait alors sur la distance sanitaire et le lavage des mains.

Or dans un abattoir, les employés sur la chaine de production sont près les uns des autres. En somme, il leur était impossible de respecter la distance sanitaire.

Avant qu’on les sépare de panneaux de Plexiglass, leur seule protection était le lavage des mains. Or le Covid-19 ne s’attrape presque jamais par le toucher.

Conséquemment, après les hospices, les abattoirs ont été les principaux sites d’éclosion de la pandémie.

De nombreux travailleurs en ont été atteints et ont transmis le virus aux membres de leur famille. Et une partie d’entre eux sont affligés, pour une période indéterminée, du syndrome postcovid.

Dès avril 2020, à son usine de Saint-Bruno-de-Montarville, 23 des 350 travailleurs d’Exceldor avaient déjà attrapé de Covid-19, soit un taux de contamination 17 fois supérieur à la moyenne québécoise.

L’intervention du gouvernement Legault

Le gouvernement Legault est un gouvernement de droite. Plus charismatique que le détestable gouvernement libéral précédent. Mais de droite quand même.

En 2019, lors du conflit à l’aluminerie de Bécancour, le premier ministre avait publiquement qualifié des demandes syndicales de ‘déraisonnables’. Ce qu’il fait rarement lorsque des dirigeants d’entreprise québécoises majorent substantiellement leurs salaires. Or, de nos jours, la croissance du salaire de ces derniers dépasse largement celle du salaire de leurs ouvriers.

En 2020, lors de la grève au port de Montréal, le premier ministre pressait Ottawa de forcer le retour au travail des grévistes.

Et voilà maintenant que M. Legault somme les grévistes de l’abattoir de volailles Exceldor d’accepter l’offre d’arbitrage déjà acceptée par la partie patronale.

Parmi les douze abattoirs de volaille du Québec, celui d’Exceldor représente environ 13 % de la production aviaire québécoise.

Contrairement à la grève au port de Montréal, celle à Exceldor ne risque pas de paralyser l’économie québécoise.

Du coup, on comprend mal ce qui justifie que le premier ministre vienne mettre son nez dans un conflit de travail au sein d’une entreprise privée.

Il est possible que la médiation soit une bonne idée. Mais ce n’est pas au premier ministre de dicter au syndicat la stratégie qu’il devrait adopter. Surtout quand on sait que les grévistes ont déjà fait les frais du fiasco de sa lutte sanitaire.

Références :
COVID-19: 23 cas à l’usine d’Exceldor de Saint-Bruno-de-Montarville
Exceldor: François Legault presse le syndicat d’accepter l’arbitrage
Grève au port de Montréal : Ottawa privilégie la négociation
Les syndicats doivent être «plus raisonnables», selon Legault
Nouveau propriétaire pour l’abattoir Avicomax
Parlons poulet
Près d’un million de poulets euthanasiés
Recommandations sanitaires — Industrie des abattoirs

Paru depuis :
Grève chez Exceldor : des milliers de poulets font des allers-retours (2021-06-20)

3 commentaires

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les Européens et la grève

15 janvier 2011

Pourquoi, en français, appelle-t-on « grève » une cessation concertée du travail par les salariés d’une entreprise ?

Au Moyen-Âge, à Paris, les bords de la Seine n’étaient pas aménagés comme ils le sont aujourd’hui. Un des principaux points d’accostage des bateaux dans la capitale française était la Place de grève. Située à proximité de l’hôtel de ville, celle-ci était bordée d’une plage de sable, d’où son nom.

Pour décharger un bateau de sa marchandise, le capitaine comptait en premier lieu sur ses matelots. Lorsque cela n’était pas suffisant, il choisissait parmi les hommes sans emploi qui s’entassaient sur la place dans l’espoir d’une embauche facile. Mais lorsque l’un d’entre eux y avait passé la journée à attendre en vain, on disait qu’il « avait fait la grève ».


Jours de grève par pays, par mille employés, de 2005 à 2009
 


 
Relativement aux arrêts de travail, on classe les pays de l’Union européenne en trois groupes distincts.

Le premier groupe comprend les pays où, en moyenne, on a perdu annuellement moins de vingt jours de travail par tranche de mille employés. Dans l’histogramme ci-dessus, ils sont en vert. Entre 2005 et 2009, ce groupe comprenait tous les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’est, de même que le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et le Portugal. Le record appartient à l’Autriche, un pays sans aucune grève durant ces années, suivi de près par l’Estonie.

Le deuxième groupe, en bleu, comprend le Royaume-Uni, l’île de Malte, l’Italie, l’Irlande et Chypre : ce sont des pays où le ce nombre passe de vingt à soixante jours par année, en moyenne, pour la même période.

Cinq pays forment le groupe (en rouge) où ce nombre est supérieur à soixante jours par année, soit l’Espagne, la France, la Finlande, la Belgique et le Danemark. Il est à noter que les données relatives à ces trois derniers pays sont influencées par une grève des employés du secteur public survenue en Finlande et en Belgique en 2005, de même qu’au Danemark en 2008. Sans cette super-grève, ces trois pays feraient partie du deuxième groupe : par exemple, le Danemark aurait eu 23,7 jours perdus annuellement.

On peut s’attendre à que les données à ce sujet soient très différentes pour les années qui viennent.

Références :
Developments in industrial action 2005–2009
Grève

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Écrit par Jean-Pierre Martel