Introduction
On apprend ce matin que la première décision du nouveau ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration est de couper l’allocation de 28$ par jour que le gouvernement de la CAQ offrait aux néoQuébécois qui assistent aux cours de francisation donnés par l’État.
Jean-François Roberge est un des plus brillants ministres de la CAQ. Et c’est un excellent communicateur; il pourrait vendre des réfrigérateurs aux Esquimaux.
Pour justifier sa décision, il affirme :
On n’a plus besoin de cette mesure incitative, nos listes d’attente débordent !
Le ministre oublie de dire que les listes débordent parce que son offre de francisation est nettement insuffisante.
Entre l’année fiscale 2018-2019 et l’année 2023-2024, le nombre de participants à ces cours a plus que doublé, passant de 30 734 à 68 844.
Malgré cette augmentation, le nouveau commissaire à la langue française estime que l’offre de francisation correspond à environ 5 à 6 % du nombre nécessaire pour que les immigrants temporaires puissent parler couramment français.
En d’autres mots, si on n’admettait plus aucun immigrant temporaire, cela prendrait seize à vingt ans pour franciser ceux qui sont déjà sur le territoire québécois.
Plus tôt cette semaine, le premier ministre a déclaré à l’Assemblée nationale que le nombre d’immigrants temporaires au Québec était passé (en gros) de 300 000 à 600 000 personnes en deux ans.
Le fiasco de la francisation
En Grande-Bretagne, un immigrant ne peut pas mettre le pied sur le sol britannique s’il n’a pas déjà la connaissance de l’anglais. De manière conséquente, un citoyen britannique ne peut pas faire venir son conjoint de l’Étranger si cette personne ne parle pas l’anglais.
La CAQ a choisi une autre approche. L’exigence préalable n’est pas demandée. Toutefois, le requérant à l’immigration doit s’engager à apprendre le français au cours des trois années qui suivent son arrivée au Québec. À défaut de quoi la CAQ exigera son expulsion du pays par le gouvernement canadien.
En d’autres mots, Québec demandera à Ottawa — où la majorité des fonctionnaires sont des Anglophones unilingues — d’expulser des gens dont le crime aura été d’être eux aussi des Anglophones unilingues.
“C’est épouvantable; ils avaient dit qu’ils apprendraient le français” dira la CAQ. “Ya, big deal” répondront les fonctionnaires d’Ottawa en bâillant.
Lorsque la francisation est exigée préalablement, cela ne coute rien à l’État puisque ceux qui veulent venir au Québec se francisent à leurs frais dans leur pays d’origine… à l’exception des réfugiés, évidemment, en raison de l’urgence de leur situation.
Mais quand c’est l’État qui francise ceux qu’il a admis au pays, il faut des classes de francisation et des enseignants. Et quand cela ne suffit pas, il faut offrir une prestation financière. Tout cela est dispendieux.
Or l’expérience démontre l’échec de cette approche.
Avant même l’arrivée de la CAQ au pouvoir, on savait que :
• les deux tiers des immigrants qui ne pouvaient pas parler français à leur arrivée ne se donnaient même pas la peine d’assister aux cours gratuits qu’on leur offrait,
• le tiers des inscrits abandonnaient leur formation avant la fin, et
• dans 90 % des cas, ceux qui tenaient bon jusqu’à la fin étaient toujours incapables de fonctionner en français.
Bref, c’est un fiasco.
Lorsqu’une situation est désespérée et qu’on croit que ça ne peut pas être pire, il arrive souvent qu’on réalise que le pire est possible. En fait, ça peut toujours être pire; ça dépend de ce qu’on fait.
Le 10 aout dernier, on apprenait que la CAQ obligeait un certain nombre d’écoles à réduire ou à limiter le nombre de classes de francisation et ce, malgré l’explosion de la demande.
Et maintenant, le ministre Roberge coupe les allocations destinées à motiver les néoQuébécois à apprendre le français.
Est-il nécessaire d’avoir une boule de cristal pour prévoir la suite des choses ?
Les “prometteux” de la CAQ
En mai 2023, la CAQ annonçait son intention d’exiger la connaissance du français comme condition préalable à l’immigration.
Pour la première fois depuis que la CAQ est au pouvoir, je me réjouissais d’entendre cela.
Mais un détail m’avait échappé; la CAQ n’annonçait pas la mise en application d’une mesure, mais la simple intention de l’adopter.
Depuis, on attend.
Le 27 aout 2024, soit quinze mois plus tard, le quotidien Le Devoir révélait qu’il faudra attendre encore pour savoir concrètement comment la CAQ compte imposer préalablement la connaissance adéquate du français à ceux qui veulent immigrer au Québec.
La règlementation habilitante sera ‘pré-publiée’ cet automne en vue d’une entrée en vigueur souhaitée en 2025… si, évidemment, la CAQ n’y renonce pas d’ici là.
Bref, la politique linguistique de la CAQ est comme les éoliennes; elle change en fonction du vent.
La défense homéopathique du français par la CAQ
Le comble de l’insignifiance est cette campagne publicitaire — une grande mobilisation citoyenne, dit le ministre Roberge — invitant les citoyens à exiger d’être servis en français et d’exiger de travailler dans notre langue.
• La langue de travail
La Loi 101 interdit à un employeur d’exiger de ses employés la connaissance de l’anglais à moins que cela soit strictement nécessaire.
En somme, pour franciser les milieux de travail, la Loi 101 exige l’unilinguisme français par défaut.
À tort ou à raison, 63 % des entreprises montréalaises exigent de leurs employés la connaissance de l’anglais. Et dans certains cas (notamment les entreprises fédérales), on embauche fréquemment des anglophones unilingues. Ce qui a pour effet de faire de l’anglais la langue de travail plutôt que le français.
Lorsque le ministre Roberge demande aux travailleurs francophones d’exiger de travailler dans leur langue, que veut-il dire exactement ?
Veut-il dire que, lors d’une entrevue d’embauche, celui qui aspire à un poste fasse savoir à l’employeur qu’il refusera de parler autre chose que le français ? Ou qu’il acceptera de parler anglais uniquement selon son bon vouloir ?
Veut-il dire que ceux qui ont déjà un emploi devraient dorénavant refuser de parler autre chose que la langue de Molière ?
Concrètement, je n’arrive pas à comprendre ce que veut dire ‘exiger de parler le français’ pour celui qui n’a généralement aucun recours s’il est congédié sauf de porter plainte au Tribunal du travail et d’attendre deux ou trois ans avant que sa cause soit entendue.
• La langue de service
Notre ministre ponce-pilate veut remettre la défense du français entre les mains du citoyen. Bien.
Si le ministre veut que les citoyens aient la responsabilité de faire respecter la Loi 101, qu’il leur en donne les moyens, notamment l’accès direct aux tribunaux.
En d’autres mots, sans passer par la plainte à l’Office québécois de la langue française. Une plante qui, dans l’immense majorité des cas, ne donne rien.
Lorsque l’État transfert ses responsabilité sans transférer ses moyens répressifs, cela veut dire : arrangez-vous avec vos troubles.
Au contraire, il lui suffit de faire adopter une loi qui exempte, par exemple, le client de payer la note d’un restaurant s’il a été servi en anglais et c’est certain que les choses bougeront rapidement.
Pour défendre le français au Québec, les vœux pieux ne suffisent pas. Il faut que la personne responsable de cette défense (le ministre ou le peuple) dispose d’un pouvoir de coercition parce que cela ne se fera pas tout seul.
Conclusion
En théorie, le gouvernement québécois ne devrait rien dépenser du tout pour la francisation des néoQuébecois; à l’exception des réfugiés, aucun immigrant ne devrait mettre les pieds au Québec, sans connaitre préalablement le français.
Le message devrait être :
Bienvenue chez nous. Nous sommes heureux de vous accueillir alors que nous manquons de bras et de talents.
Toutefois, vous devez absolument prendre racine chez nous en français puisque nous refusons de devenir des étrangers dans notre propre pays.
En se dotant d’une politique linguistique couteuse et inefficace, la CAQ la soumet aux vicissitudes de la situation budgétaire de l’État québécois.
Les quinze ans de laisser-faire libéral auront donc été suivis par six ans d’hésitation caquiste.
Indépendamment de la question qui leur sera posée, la véritable question à laquelle les Québécois auront à répondre au prochain référendum sera, implicitement : «Préférez-vous affronter les tumultes d’une accession à l’indépendance ou renoncer à l’héritage de vos ancêtres et vous réfugier dans le confort d’une lente ‘louisianisation’ menant à l’extinction du peuple francoQuébécois ?»
Bref, c’est l’indépendance ou la mort.
Références :
Avec sa publicité sur la défense du français, le gouvernement Legault nous dit: «Débrouillez-vous», selon le Mouvement Québec français
Immigrants’ spouses ‘must speak English before entering UK’
La convergence culturelle : communion et symbiose
L’été est la saison des ‘p’titres vites’ : la CAQ manque d’argent pour franciser
L’immigration au Québec : enfin de bonnes décisions !
Manquer à ses promesses en francisation
Québec lance une nouvelle campagne publicitaire pour faire la promotion du français
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