Le premier Irlandais à s’établir en Nouvelle-France fut Tadhg-Cornelius O’Brennan.
O’Brennan est la forme anglicisée de Ua Braonáin. En gaélique, ce nom signifie descendant de Braonáin. Il s’agit d’un clan établi en Osraige, un royaume celte qui — du Ier au XIIe siècle — s’étendait sur une bonne partie du comté actuel de Fassadinin, en Irlande (en vert pâle sur la carte ci-dessous).
Né en 1632 à Dysart-on-the-Dinen (aujourd’hui appelé Dysart Glebe), il immigre au Canada en 1661.
À l’époque, Canada est le nom porté par une des trois colonies de la Nouvelle-France. Vaguement délimitée, elle correspond à la vallée du Saint-Laurent. Les deux autres sont l’Acadie et de la Louisiane.
Quelles sont les raisons qui ont motivé Tadhg-Cornelius O’Brennan à quitter son pays ?
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Dans les décennies qui ont précédé sa naissance, la couronne anglaise avait entrepris la colonisation de l’Irlande; on dépossédait les Irlandais de leurs terres afin de les confier à des colons anglais.
La carte ci-dessus s’arrête à 1620. On y voit que la baronnie de Fassadinin (dans laquelle est localisé Dysart-on-the-Dinen) n’était pas touchée par ces confiscations massives.
Toutefois, cette colonisation s’est poursuivie sous Charles Ier. C’est précisément sous son règne que les O’Brennan furent dépossédés de leurs terres au profit de Christopher Wandesford.
Ce dernier était un membre influent du parlement anglais. Après avoir été nommé Garde des Sceaux d’Irlande, celui-ci s’est servi de cette position pour prouver en 1635 — Tadhg-Cornelius O’Brennan n’avait que quatre ans — que les O’Brennan n’avaient aucun droit de propriété sur les terres qu’ils habitaient depuis des siècles.
En somme, les O’Brennan subirent le même sort que celui des Métis du Manitoba, quelques siècles plus tard.
Cette dépossession les poussa à la clandestinité et à la résistance armée. Tadhg-Cornelius O’Brennan passa donc la majorité de son enfance et de son adolescence dans le maquis.
De nos jours, les citoyens qui s’opposent à l’envahissement de leur pays par des troupes américaines ou britanniques sont qualifiés de ‘terroristes’.
À l’époque, les Irlandais qui s’opposaient à la colonisation de leur pays étaient sanctionnés par les tribunaux anglais en tant que malfaiteurs et fauteurs de trouble. Ce fut le cas des O’Brennan.
En 1641, près de 125 000 colons anglais s’installent en Irlande, ce qui déclenche la Rébellion irlandaise.
Au cours de cette rébellion, des milices catholiques réglèrent leurs comptes avec les colons anglais. Des milliers d’entre eux furent massacrés.
Les Irlandais catholiques s’étaient regroupés au sein d’une confédération dont le siège était situé à Kilkenny, au centre de la baronnie de Fassadinin.
Les troupes envoyées par Charles Ier pour rétablir l’ordre en 1642 furent victorieuses. Mais pas complètement. Elles auraient totalement anéanti les rebelles irlandais n’eut été du déclenchement in extrémis de la guerre civile anglaise cette même année.
Les troupes anglaises furent donc rapatriées aussitôt, ce qui sauva miraculeusement la Confédération de Kilkenny.
Si, du point de vue anglais, le dossier irlandais était en suspens, en réalité les Catholiques et les Protestants se livrèrent à un nettoyage ethnique qui concentra leur population respective dans différents parties de l’ile.
Dans le vide laissé par le départ des troupes royales, la Confédération de Kilkenny étendit son autorité sur environ les deux tiers de l’ile.
Elle gouverna jusqu’en 1649 dans un contexte de tensions interreligieuses qui s’atténua lorsque la confédération prêta allégeance (du bout des lèvres) au roi d’Angleterre.
C’est durant cette période que des négociations furent entreprises en vue de la restitution des biens confisqués aux O’Brennan.
Mais le 30 janvier 1649, Oliver Cromwell fait décapiter Charles Ier. Farouchement anticatholique, Cromwell se trouve en situation conflictuelle avec les confédérés (théoriquement) royalistes d’Irlande.
Cromwell envahit l’Irlande le 22 juin 1649, à la tête d’une armée de 12 000 soldats.
Durant l’année que dura la reconquête de l’ile, entre le tiers et la moitié de la population de l’Irlande fut massacrée. Les registres paroissiaux des naissances, baptêmes, mariages et décès furent systématiquement détruits.
En 1650, on interdit aux marchands catholiques d’Irlande d’exercer des activités commerciales, les condamnant à la ruine.
En 1652, lorsque l’armée irlandaise capitule, environ 30 000 rebelles furent autorisés à partir pour la France ou l’Espagne tandis que des milliers d’autres Irlandais, hommes, femmes et enfants, furent déportés aux Antilles.
À 24 ans, Tadhg-Cornelius O’Brennan fait partie des rebelles déportés en France en 1652.
À l’époque, la Compagnie des Cent-Associés, responsable du peuplement de la Nouvelle-France, peine à trouver des volontaires pour l’Amérique.
En effet, les colons français ont créé des relations harmonieuses avec tous les peuples autochtones sauf les Iroquois. Or ces derniers mènent une guérilla incessante contre les colons français et ne seront pacifiés qu’en 1667.
Tadhg-Cornelius O’Brennan en a vu d’autres. Il a vécu toute sa jeunesse menacé par des ennemis. Il s’inscrit donc comme volontaire pour le Canada. Il y arrive en 1661.
À son arrivée au pays, Tadhg-Cornelius O’Brennan n’est pas un Anglophone puisqu’avant la Grande Famine, les Irlandais parlaient le gaeilge (le gaélique irlandais, une langue celte). Toutefois, il parle aussi français en raison de son séjour en France.
Comme la grande majorité des gens de son temps, M. O’Brennan est analphabète. Au recensement du 30 juin 1663, le recenseur l’inscrit phonétiquement sous le nom de ‘Thècle-Cornelius Aubrenan’.
Parmi les 3 035 habitants de la Nouvelle-France, seulement six ne sont pas nés en France ni dans la colonie. L’un d’eux est irlandais : c’est lui.
En 1670, il épouse Jeanne Chartier, fille du Roy née à Paris.
Au recensement de 1681, on le retrouve inscrit sous le nom de Jacques Tecaubry. Toutefois c’est sous une variante de ce nom, Aubry, que s’appelleront ses sept enfants.
Ces derniers eurent une abondante progéniture. Si bien que de nos jours, la majorité des Aubry du Canada et des États-Unis descendent de lui plutôt que d’un Aubry venu de France (puisque ce patronyme existe dans ce pays).
Références :
Cerball mac Dúnlainge
Christopher Wandesford
Confédération irlandaise
Conquête cromwellienne de l’Irlande
Guerres confédérées irlandaises
Histoire de l’Irlande
Irlande (pays)
Nos ancêtres
Osraige
Plantations en Irlande
Sur un sujet analogue :
As the toll of Australia’s frontier brutality keeps climbing, truth telling is long overdue (2019-03-03)
Très intéressant, Jean-Pierre!
Merci!
J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à écrire ce texte. Et je crois que cela parait.
J’ai toujours cru, à tort, que les premiers Irlandais à immigrer au Québec avaient fui la Grande famine au XIXe siècle.
Or en préparant mon reportage au sujet du défilé montréalais de la Saint-Patrick de 2017, j’apprends que le premier Irlandais à venir au Québec est arrivé ici en 1661.
C’est quatre ans avant notre ancêtre Honoré Martel. Imaginez mon étonnement.
J’ai donc cherché à savoir ce qui avait poussé cet homme à venir en Nouvelle-France. Voilà pourquoi ce texte porte surtout sur sa jeunesse en Irlande et ne traite que superficiellement de sa vie adulte en Nouvelle-France (dont on a beaucoup d’informations).
Ceci étant dit, la recherche au sujet de Tadhg-Cornelius O’Brennan s’est avérée très laborieuse en raison de deux contraintes.
D’une part, beaucoup de dirigeants de la petite noblesse européenne s’inventent une généalogie flatteuse — remontant par exemple à un empereur romain — afin de se donner une légitimité quand en fait, leur domination familiale fut acquise par la force des armes.
C’est ainsi que certaines sources font remonter le clan des Braonáin à un des fils d’un roi celte du IXe siècle qui fait partie de la mythologie irlandaise. Sans nier que cette version romancée puisse être vraie, comment peut-on aujourd’hui s’en assurer alors les registres des naissances entre le IXe et le XVIIe siècle n’existent plus ?
À l’opposé, beaucoup de sources noircissent le tableau en présentant les O’Brennan comme des bandits et des pillards. Ces sources s’appuient sur les jugements rendus contre eux par la justice répressive du conquérant anglais. Or l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. On doit également s’en méfier.
En écartant ces deux extrêmes, on réalise que Tadhg-Cornelius O’Brennan a vécu à une époque où les royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande étaient livrés à la barbarie.
Mon plaisir à écrire ce texte vient du fait que ce fut un prétexte pour parler d’aujourd’hui.
Pour dire subtilement que la célébration cette année du 150e anniversaire du Canada est de la vulgaire propagande fédéraliste destinée à nier le fait que le Canada se soit étendu d’un océan à l’autre à partir d’un noyau originel né durant la Renaissance, le long de la vallée du Saint-Laurent, peuplée de nos ancêtres à nous et qui s’appelait déjà Canada à l’époque.
Pour montrer que la déportation des Acadiens, la dépossession des Métis du Manitoba et les pensionnats autochtones ne sont que la répétition des mêmes techniques efficaces utilisées aux XVIe et XVIIe siècles par le gouvernement colonial anglais (dont le gouvernement fédéral canadien est l’héritier).
Pour dire qu’en accordant par la loi 106 le droit d’expropriation aux pétrolières canadiennes, le gouvernement Couillard prépare la dépossession massive du territoire que s’apprête à entreprendre Trans-Canada pour faire passer le pipeline Énergie-Est à travers le Québec. Tout comme les colons anglais recouraient aux tribunaux pour s’emparer du territoire irlandais qu’ils convoitaient.
Bref, sous des apparences historiques, ce texte s’adresse en fait aux Québécois d’aujourd’hui.
J’aime bien la façon dont Tadhg-Cornelius O’Brennan devient Thècle-Cornelius Aubrenan puis Jacques Tecaubry.
Absolument intéressant M. Martel, merci pour ce texte.
J’ai toujours cru, comme J.Pierre, qu’ils avaient fui la Grande famine au XIXe siècle !
Oui sandy39, c’est ce que je croyais.
Dans le cas du XVIIIe siècle, il s’agit d’un exil de rebelles et de plusieurs déportations de population à une époque où l’émigration transatlantique était hors de portée du paysan moyen, en Irlande comme ailleurs en Europe.
Par contre, dans le cas de la Grande famine, il s’agit d’un exode nécessité par une pénurie alimentaire en partie artificielle.
Les récoltes de 1845 à 1852 chutèrent d’environ 40% en raison du mildiou. Mais en plus, les propriétaires terriens anglais refusèrent de vendre leur production aux Irlandais, préférant respecter leurs contrats d’exportation vers l’Angleterre.
Certains propriétaires anglais embauchèrent même des hommes armés qui avaient ordre de tirer sur les Irlandais qui, la nuit, venaient voler des pommes de terre des champs afin d’éviter que leur famille meure de faim.
En 1845, à la première de ces récoltes désastreuses, le sultan musulman Abdülmecit Ier voulut envoyer 10 000£ au profit des paysans irlandais. Mais ce don faisant ombrage à celui, cinq fois moindres, de la reine Victoria.
Celle-ci exigea que le sultan diminue sa contribution à mille livres, ce que fit le sultan. Mais il accompagna son don de trois navires remplis de nourriture, que les soldats anglais tentèrent de bloquer.
La Grande famine fit un million de morts et provoqua l’exode de près de deux-millions d’Irlandais.
Les orphelins furent éduqués dans des pensionnats anglais. Si bien que le gaélique, parlé par 90% des Irlandais en 1845, ne l’était plus que par 20% de la population quinze ans plus tard.
Référence : Grande Famine en Irlande
Votre commentaire à mon intention laissé sur le site du Devoir m’a mené à votre page.
Quelle surprise que votre ancêtre soit Honoré Martel. Ma mère était une Martel, de l’Assomption, mon père un Lamontagne, soit l’autre surnom d’Honoré. Sait-on, nous pourrions être être cousins…
Je porte le nom de l’Irlandais que j’ai épousé il y a plus de quarante ans.
Tout ce qui a trait à l’Irlande m’intéresse.
Nous serons en Irlande dans quelques semaines, à Dublin, Kilkenny, et Dingle, une région Gaeltacht.
En France, le patronyme Martel arrive au 227e rang : au Québec, il arrive au 36e rang principalement grâce à la fécondité des descendants d’Honoré Martel et, secondairement, de ceux de cinq autres Martel.
Si votre mère descendait de Pierre Martel, né à l’Assomption, ou de son père, Pierre-Marc Martel, nous sommes parents.
Dans ce cas, notre généalogie commune serait :
• Honoré Martel (1632-1714)
• Alphonse Martel (1672-1741)
• Jean Martel (1717-1799)
• Abraham Martel (1751-1808)
• Pierre-Marc Martel (1785-1842)
• Pierre Martel (1816-1879)
Dans le cas contraire, si on tient compte de leurs lignées patriarcales et matriarcales, à peu près tous les Québécois sont liés par des liens de parenté.
Pour revenir à votre intérêt pour l’Irlande, si vous notez des inexactitudes dans les faits relatés dans ce texte ou dans les deux autres réponses ci-dessus, n’hésitez pas à me corriger.
Si tout est parfait, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue sur ce blogue et beaucoup de plaisir lors de votre prochain voyage en Irlande.
C’est très intéressant, tout ça….
J’ai oublié de vous demander une chose, J.Pierre : si, à peu près tous les Québécois sont liés par des liens de parenté, vous avez, donc, de grandes chances, d’être cousins… avec « la » Céline…
C’est probable.
Mais si on m’écoute chanter sous la doute, ce n’est pas du tout évident…