Le Québec, Dollarama des études postsecondaires ?

Le 26 octobre 2023

L’exemple des Pays-Bas

En raison du Brexit, des milliers de jeunes qui espéraient obtenir leur formation auprès d’une université britannique se sont tournés vers la formation universitaire donnée en anglais dans certaines universités d’Europe continentale.

Aux Pays-Bas, c’est exclusivement en anglais que 122 287 étrangers y font leurs études postsecondaires annuellement.

La popularité des études dans la langue de Shakespeare s’est répercutée sur le marché locatif; on estime que le pays a besoin de 26 500 chambres pour y loger ses étudiants.

En raison de la hausse des loyers causée par cette pénurie; les étudiants néerlandais dépensent en moyenne la moitié de leurs revenus pour se loger.

Sur des sites locatifs offrant de l’hébergement, on commence à voir apparaitre les avertissements ‘No Internationals’ et ‘Dutch only’. Une discrimination illégale que les autorités tolèrent.

En juin 2022, les universités de Maastricht et d’Utrecht ont écrit à toutes les personnes qui voulaient y étudier de ne pas y venir à moins d’avoir trouvé un lieu pour habiter.

Afin de pallier cette crise, le gouvernement néerlandais a décidé de réduire radicalement le nombre de ses étudiants étrangers.

En premier lieu, sauf exception, les deux tiers de toute formation universitaire qui mène à l’obtention d’un baccalauréat devront se faire en néerlandais.

Au cas où cette mesure ne serait pas suffisante, le gouvernement des Pays-Bas obligera, à partir de septembre 2024, tous les étudiants étrangers qui veulent s’inscrire dans l’une ou l’autre des universités du pays à connaitre les rudiments du néerlandais.

Finis bientôt ces étudiants qui, employés comme serveurs à Amsterdam, répondent “Oh, I’m so sorry; I don’t speak Dutch” aux clients néerlandais qui aimeraient être servis dans leur langue dans leur propre pays.

Le cas québécois

Après Terre-Neuve, le Québec est la province où les frais universitaires sont les moins élevés au Canada.

Non pas parce que nos universités ‘produisent’ des diplômés à moindre cout, mais parce que nous avons fait le choix de société de favoriser l’accès de nos adolescents aux études supérieures en subventionnant celles-ci.

Depuis le gouvernement libéral de Philippe Couillard, les frais universitaires varient selon la catégorie à laquelle l’étudiant appartient. Or il y a trois catégories :
• les étudiants internationaux,
• les étudiants canadiens des autres provinces, et
• les étudiants québécois.

Les universités québécoises sont libres de charger les frais de scolarité qu’elles veulent aux étudiants internationaux.

Par contre, jusqu’ici, les étudiants canadiens des autres provinces payaient la moitié du cout réel de leur formation universitaire (8 992$ sur 17 000$). L’autre moitié était déboursée par les contribuables québécois.

Quant aux jeunes d’ici, l’État subventionne la très grande majorité des couts de leur formation.

Effets de la dérèglementation libérale

Des dizaines de pays occidentaux convoitent la clientèle lucrative des étudiants internationaux en leur offrant une formation universitaire en anglais.

C’est l’argument qu’avaient invoqué les démarcheurs des universités anglophones du Québec pour convaincre le régime libéral de Philippe Couillard de dérèglementer les frais universitaires à l’égard des étudiants provenant de l’extérieur du Québec.

Mais comme le ‘marché’ des étudiants internationaux anglophones est beaucoup plus important que le ‘marché’ étudiants internationaux francophones, cette manne a surtout profité aux universités anglophones.

De 2019 à 2022, les frais d’inscription des étudiants hors Québec aux universités McGill, Concordia et Bishop ont rapporté 282 millions de dollars soit plusieurs fois ce que les étudiants étrangers ont versé aux universités francophones du Québec.

Les étudiants non québécois paieront plus cher

Plus tôt cette semaine, le Québec a annoncé son intention de majorer les frais universitaires imposés aux étudiants originaires de l’extérieur du Québec qui s’inscrivent aux universités d’ici.

Sont exclus de cette hausse, les étudiants français ou belges puisque leurs pays ont signé des ententes de réciprocité avec le Québec (ce que les provinces anglophones du pays ont refusé de faire).

Dans le cas des étudiants internationaux, les universités continueront de facturer le montant qu’elles veulent. Sauf qu’on établira un tarif plancher de vingt-mille dollars par année.

De plus, le Québec cessera de subventionner la formation des étudiants des autres provinces qui sont inscrits aux universités anglophones du Québec.

Pourquoi ? Parce que la majorité de ces étudiants quittent le Québec à la fin de leurs études et donc, parce que nous investissons à perte dans leurs études universitaires.

Réaction au Canada anglais

Ces jours-ci, la population des autres provinces est beaucoup plus préoccupée par les bruits de guerre que par les nouvelles d’une hausse des frais de scolarité au Québec.

Malgré cela, incapables de résister à la tentation de casser du sucre sur le dos du Québec, certains politiciens se sont empressés de confier leur déception aux journalistes.

L’enflure lyrique a probablement atteint un sommet avec la réaction de Pablo Rodriguez, ministre fédéral des Transports :

Pour moi, les universités, c’est comme une fenêtre sur le monde. Puis là, j’ai l’impression qu’on ferme un peu nos fenêtres.

Oh, comme la formule est mignonne !

Mais relisez cette phrase : elle n’a du sens que si le Québec avait décidé de fermer tous ses campus universitaires.

On doit savoir que son collègue, le ministère fédéral de l’Immigration, approuve 92 % des demandes de requérants étrangers pour étudier à l’université McGill.

Par contre, il refuse la moitié des demandes pour étudier à l’université Laval. Le pourcentage des refus grimpe même à 72 % dans le cas des établissements scolaires francophones lorsqu’il s’agit de demandeurs provenant d’Afrique.

En somme, oublions les fenêtres; le colonialisme anglais d’Ottawa ferme les portes de nos universités à des milliers de jeunes Francophones talentueux de partout à travers le monde.

Réactions au Québec

Lundi dernier, à l’émission Mordus de politique de Radio-Canada, l’ex-ministre libérale Michelle Courchesne déclarait :

Là, on est en train de dire que des étudiants étrangers anglophones au Québec, on n’en veut pas.

Rappelons que le gouvernement libéral de Philippe Couillard est celui qui a dérèglementé les frais universitaires pour les étudiants étrangers, provoquant une forte majoration de leurs frais d’inscription.

Si on fait exception du prix plancher fixé à 20 000$ par année, le gouvernement de la CAQ ne change rien à leur sujet. Où est le problème ?

En plus des oppositions attendues des Chambres de commerce et du Parti libéral du Québec, la mairesse de Montréal s’en est mêlée.

Que voulez-vous, depuis l’incendie à la Place d’Youville, la mairesse a le feu…

Celle-ci déclarait donc :

Je pense qu’on peut accomplir cet objectif-là [la défense du français] sans se pénaliser d’étudiants et de talents dont on a tellement besoin. Puis ça porte un coup dur à la réputation internationale de la métropole du Québec.

Ces jours-ci, je lis quotidiennement Le Monde (de Paris), The Guardian (de Londres), Al Jazeera (de Doha, au Qatar), et le South China Morning Post (de Hong Kong). Et c’est étrange : sur la scène internationale, personne ne s’intéresse à la hausse québécoise des frais universitaires pour la étudiants des autres provinces.

Depuis un an, ce qui a dominé l’actualité internationale concernant Montréal et porté un dur coup à la réputation de la ville, c’est justement l’incendie à la Place d’Youville.

À l’occasion de ce feu, toute la presse internationale a exposé l’incurie de l’administration Plante; le moratoire des inspections par les pompiers, les permis de la location attribués pour des chambres sans fenêtre, autorisations du morcèlement des chambres, de la destruction des coupe-feux, etc. Bref, le laisser-faire complet.

Compte tenu du cout de la vie qui y est moindre, Montréal demeure une ville attrayante pour ceux qui veulent y poursuivre leurs études. Malheureusement, leur plus grand souci, c’est de se loger.

Ce dont les étudiants universitaires ont réellement besoin, ce sont ces chambres et ces appartements abordables si abondamment promis, mais si peu construits depuis que Mme Plante est au pouvoir.

Conclusion

Si on fait exception de ses conséquences linguistiques et locatives, la venue au Québec de dizaines de milliers d’étudiants étrangers n’a que des bons côtés.

En France, sur les 260 000 étudiants étrangers, un peu plus de 110 000 (42 %) sont Africains. Ils y dépensent annuellement 1,5 milliard d’euros.

À Montréal, chaque étudiant étranger débourse environ 20 000$ par année pour assurer sa subsistance (logement, nourriture, transport, forfait téléphonique, etc.).

Collectivement, ils représentent un investissement annuel de plusieurs millions de dollars dans l’économie québécoise.

En contrepartie, la crise du logement rend nécessaire la construction de logements ou de chambrettes pour les accueillir.

Par exemple, la Caisse de dépôt et placement veut dépenser une somme colossale pour construire un complexe résidentiel (appelé ‘Cité universitaire’) destiné à loger les étudiants de McGill.

Cet investissement n’aidera pas les familles québécoises à la recherche d’un logement puisque ces chambrettes ne correspondent pas à leurs besoins.

Mais en rendant caduc ce projet immobilier, on libère des sommes qui pourront être dépensées plus judicieusement à s’occuper des nôtres.

Quant à l’aspect linguistique, il est regrettable que ces changements tarifaires ne soient pas accompagnés, pour toutes les personnes qui veulent étudier dans une université anglophone du Québec, de l’obligation préalable de connaitre le français.

Sans cette exigence, les changements tarifaires voulus par la CAQ sont, du point de vue strictement linguistique, des demi-mesures qui ralentiront sans doute un peu l’anglicisation de Montréal, mais probablement pas de manière importante.

Bref, la controverse autour de la hausse de certains frais d’inscription aux universités québécoises est une tempête dans un verre d’eau; en ajustant les frais universitaires au niveau de celui des autres provinces canadiennes, le Québec cesse tout simplement d’être le Dollarama des études postsecondaires.

Références :
Don’t come unless you have a place to live, universities warn international students
‘Dutch by default’: Netherlands seeks curbs on English-language university courses
Étudiants étrangers : les préférences canadiennes
Frais de scolarité des étudiants étrangers : « Un coup dur » pour Montréal, dit Plante
La façade ministérielle de l’État canadien
L’anglicisation du Québec et la Caisse de dépôt et placement
L’apport économique des étudiants étrangers
Le feu à la place d’Youville : pour la scission de l’arrondissement Ville-Marie
Student housing shortfall rises 20% as more international students come to NL
Universités anglophones: hausse importante des frais de scolarité pour les étudiants canadiens (2023-10-13)

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2 commentaires à Le Québec, Dollarama des études postsecondaires ?

  1. André joyal dit :

    Lorsque j’étais prof à l’UQTR, deux excellents étudiants africains ont été admis à faire leur doctorat sous ma direction. Or, le Canada a refusé leur venue sous le faux prétexte qu’ils n’avaient pas les ressources financières suffisantes. Un avait prouvé disposer de 31 000$ et l’autre en a fait autant pour 26 000$. Plus scandaleux : je connais un étudiant congolais qui voulait faire sa maîtrise à l’UQAM et le Canada l’a refusé malgré une preuve bancaire d’une somme de 49 000$. De la véritable discrimination. Mais, n’allez pas dire ça à nos députés du parti libéral. Surtout pas à André Prate.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Je vous encourage à répéter ce témoignage à chaque fois que vous en aurez l’occasion.

      Quelle preuve plus irréfutable du colonialisme canadian que cet État qui approuve l’immense majorité des demandes en anglais des personnes qui veulent s’établir au Québec et, en même temps, refuse la majorité des requérants francophones. C’est ça, le colonialisme.

      Les milieux politiques et les médias québécois sont tellement infestés de traitres que personne ne s’indigne de la discrimination systématique d’Ottawa contre nous.

      Merci encore pour votre témoignage.

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