Introduction
Il y a un mois, le gouvernement québécois annonçait son intention de consacrer 870 millions$ à la réfection du toit du Stade olympique. Un demi-siècle après sa construction, cette toiture arrive en fin de vie après environ vingt-mille déchirures.
Soutenue par certains, l’idée de le détruire (parce que cela éviterait une telle dépense) doit être rejetée pour une raison très simple; une grande métropole a besoin d’un stade sportif qui répond à ses besoins actuels et futurs.
Dans la liste des stades montréalais, les deuxième et troisième places sont occupées par des stades extérieurs d’une capacité nettement moindre : le stade Percival-Molson (25 000 places) et le stade de soccer Saputo (20 000 place).
Couvert, le Stade olympique (d’une capacité de 65 000 places) est unique et irremplaçable. De plus, c’est une structure emblématique de la métropole.
La neige et le verglas : des dangers sous-estimés
Pour vendre le nouveau toit, on nous promet une meilleure acoustique. Ce qui permettrait, dit-on, de rentabiliser cet investissement en rendant possible la tenue à Montréal de concerts de vedettes pop d’envergure mondiale comme Taylor Swift.
Tout ceci fait penser à la fable ‘La laitière et le pot au lait’; on ne construit pas un modèle d’affaires sur du vent.
En tant que grosse structure creuse en béton, le stade possède une acoustique très réverbérée. La seule fois où j’y ai assisté à un concert, on entendait à peine les artistes sur scène, enterrés par la clameur de la foule et son écho. Or la toiture dont on parle n’est que la partie centrale d’une voute dont la majeure partie, en périphérie, demeurera inchangée.
D’autre part, en vertu du Code du bâtiment, on ne peut pas y tenir des évènements si plus de 3 cm de neige ou si plus de 3 mm de verglas s’est accumulé sur le toit.
Cela ne signifie pas que le toit s’effondrerait au quatrième centimètre. Cette norme est dictée par la prudence; les responsables nous assurent que le toit pourrait supporter un poids bien au-delà de la charge maximale permise… sans savoir exactement leur marge de manœuvre; j’ai posé la question à ce sujet à la Régie des installations olympiques (RIO) sans réussir à obtenir une réponse précise. Donc, on ne le sait pas.
La partie périphérique du toit comprend une large bande verte. Cette bande, c’est une pellicule de polychlorure de vinyle. Cette pellicule fait glisser la neige du toit.
De plus, en raison de la forme convexe du toit actuel, la neige a peu tendance à y rester. En balayant la neige de son souffle, le vent évite qu’elle ne s’y accumule.
Toutefois avec le nouveau toit, cela n’est plus vrai.
À l’entrevue qu’il a accordée à Benoit Dutrisac, l’ingénieur québécois François Delaney est catégorique. En raison du fait que la partie centrale du nouveau toit sera plate, cela veut dire qu’à chaque tempête, il faudra pelleter la neige qui s’y accumulera.
À défaut de quoi, lors d’une vraie grosse tempête, le poids de la neige sera suffisant pour provoquer l’effondrement de la tour inclinée. (sic)
Or M. Delaney n’est pas n’importe qui; c’était un des adjoints de Roger Taillibert, l’architecte du Stade olympique.
Écoutez la vidéo de cette entrevue : c’est ce que M. Delaney déclare explicitement. En effet, cette tour-ci supportera à 75 % le poids de la neige accumulée. Or, selon l’expert, elle n’a pas été conçue pour cela.
L’autre 25 % sera supporté par l’anneau technique. En réalité, cela se fait par l’intermédiaire d’un anneau elliptique de verre. À sa face même, compter sur la solidité du verre pour supporter quoi que ce soit est une mauvaise idée.
Pour ce qui est du verglas, rappelons que le Stade olympique a traversé la crise du verglas de 1998 sans s’être effondré. Pourtant, beaucoup plus que 3 mm de glace la recouvrait.
Paradoxalement, ce qui l’a protégé, c’est la fragilité du tissu de la partie centrale du toit.
En effet, lors d’une tempête de verglas, de la glace s’accumule le long des câbles qui relient la tour au toit. Or en dégelant, des carottes de glace glissent le long des câbles et viennent frapper la partie du toit qu’ils soutiennent.
C’est ainsi qu’au cours de cette tempête, la chute de ces carottes a perforé la toiture à plusieurs endroits.
Avec un toit plus solide, celui-ci encaissera leur impact plutôt que de les évacuer par des déchirures. Ces carottes rebondiront sans doute un peu partout sur la toiture et tomberont peut-être au sol.
Toutefois, il ne semble pas qu’on ait modélisé tout cela.
Un toit ouvrable ou fermé ?
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Depuis une vingtaine d’années, François Delaney propose une solution audacieuse; un toit ouvrable en deux moitiés, reposant sur quatre bras (ou consoles) fixés directement sur le roc situé sous le bâtiment.
Non seulement ces consoles s’intègreraient à l’architecture intérieure du stade, mais elles soulageraient celui-ci de quatre-mille tonnes de pression.
Projet retenu
Le projet retenu par la RIO est plutôt un toit fixe dont la partie centrale, relativement plate, sera soutenue à 75 % par des câbles reliés à la tour et à 25 % par l’appui sur l’anneau technique.
Ce nouveau toit aura une partie centrale opaque, entourée d’une ellipse de verre translucide. On dit qu’il permettra à beaucoup plus de lumière naturelle d’entrer dans le stade.
En réalité, cette dose de lumière sera homéopathique. La partie centrale du nouveau toit fixe sera pâle, mais opaque. Et la toiture verte en périphérie (de loin, plus importante) est également opaque. Seule la minuscule ellipse de verre permettra à la lumière extérieure de pénétrer dans le stade.
Lorsqu’on compare la solution retenue par les dirigeants du stade avec la suggestion de M. Delaney, la première est, à mon avis, plus artistiquement réussie alors que la seconde est plus sécuritaire.
Avec la solution de M. Delaney, la nouvelle partie du toit s’appuie directement sur le roc du Bouclier canadien. Rien n’est plus solide.
L’étude de marché
Selon une étude de marché effectuée par la RIO, 99 % des évènements qui se dérouleront au Stade olympique ne nécessiteront pas de toit ouvert.
Pourtant, je verrais très bien un salon annuel du jardinage tenu au printemps dans un stade ensoleillé, mais dont on pourrait fermer le toit rétractable les jours de pluie.
Je verrai un très bien également un derby de démolition (où la poussière serait évacuée par le haut), une course équestre, et plein d’autres activités auxquelles il serait agréable d’assister au grand air dans un espace au toit ouvert.
Il suffirait d’un peu d’imagination pour attirer au Stade olympique la tenue d’évènements qui n’intéresserait personne dans un stade scellé comme une tour de bureaux.
Mais l’étude non dévoilée de la RIO dit le contraire…
Conclusion
Je suis assez indifférent quant à savoir quelle est la meilleure solution. Toutefois, je ne vous cacherai pas que les mises en garde de M. Delaney m’inquiètent au plus haut point alors que les arguments de vente des dirigeants de la RIO me semblent extrêmement superficiels.
Quand on me dit que ce projet est réalisé en mode ‘collaboratif’ (sous-entendu : entre tous les partenaires), j’y vois des gens qui couchent dans le même lit.
Ce qui me désole, c’est la mauvaise foi des dirigeants de la RIO. Or cette mauvaise foi s’explique par le lien fusionnel qui se développe inévitablement lorsqu’on travaille en mode ‘collaboratif’ puisque toute menace aux intérêts de l’un devient une menace aux intérêts de l’autre.
Dire à M. Delaney qu’il n’a qu’à se trouver un consortium prêt à réaliser son idée et à soumettre un devis, cela aurait été bien inutile face à un appel d’offres taillé sur mesure pour lui être défavorable.
Il y eut une époque où on était heureux de rencontrer et d’encourager les nôtres qui avaient de bonnes idées.
En 1962, le gouvernement du Québec mandatait un ingénieur de 32 ans de réaliser ce qui était à l’époque la plus importante structure en béton au monde, longue de 1,5 km, soit le pont-tunnel Hippolyte-La Fontaine.
C’était à cette époque qu’on confiait à un étudiant en architecture à McGill la tâche de concevoir Habitat’67, devenu un des chefs-d’œuvre mondiaux d’architecture du XXe siècle.
Un demi-siècle plus tard, après la réussite de nos grands barrages hydroélectriques, nous sommes devenus des peureux. Et lorsqu’un des nôtres présente une idée originale, on sent le besoin de tuer son idée dans l’œuf plutôt que s’y intéresser et de la promouvoir s’il y a lieu.
Dans l’histoire de l’architecture, on n’aurait jamais érigé des cathédrales gothiques (dont Notre-Dame de Paris) si on avait tenu à continuer de faire des petites églises romanes, comme il y en avait déjà partout.
On n’aurait jamais donné naissance à des gratte-ciels (édifiés autour d’un squelette de métal) si on avait continué à construire des édifices reposant sur des murs porteurs.
On n’aurait pas construit des dômes géodésiques (comme le Biodôme de Montréal). Les arcs elliptiques de Gaudí n’auraient jamais vu le jour.
Devant tout projet d’infrastructure, la première question à se poser est de savoir si celui-ci est cautionné par des ingénieurs ou des architectes qui en garantissent la solidité.
L’insistance des dirigeants de la RIO à ne considérer que des solutions dites ‘éprouvées’ témoigne de leur manque d’audace et de leur médiocrité.
Références :
Breffage technique, remplacement de la toiture du Stade olympique (vidéo)
870 millions pour le nouveau toit et le nouvel anneau technique du Stade olympique
Le nouveau toit du Stade olympique devra laisser entrer la lumière naturelle
Le stade, l’invraisemblable saga du toit et l’inventeur François Delaney
Stade : il a proposé un toit moins cher, sans risques et… on l’a ignoré ! (vidéo)
Un nouveau toit fiable pour les 50 prochaines années
Postscriptum du 7 mars 2024 : On annonce aujourd’hui que le contrat entre Québec et le consortium Pomerleau-Canam a été officiellement conclu au prix de 729 millions$ (excluant les dépenses déjà effectuées).
Réalisé en mode ‘collabo’, ce contrat est 279 millions$ plus élevé que les 450 millions$ du projet de François Delaney.
Contre les dépassements de couts, celui-ci comprenait déjà un ‘coussin’ représenté par une marge de profit de 100 % pour les entrepreneurs qui auraient réalisé son projet.
Référence : Le contrat officiellement conclu (2024-03-07)
Bonsoir J.-Pierre,
La présentation de M. Delaney m’a beaucoup impressionnée !
Un tout petit commentaire/question sur ton dernier paragraphe où tu parles de « l’insistance des dirigeants de la RIO à ne considérer que des solutions dites éprouvées »: pourtant lorsqu’il est question des chutes de neige, M. Delaney mentionne qu’un toit plat tel celui qui sera fort probablement construit ne passerait pas le test de soufflerie. Est-ce que cela ne contredit pas la propension de la RIO à construire des solutions éprouvées ?
En effet, madame Marsolais. D’où les guillemets à ‘éprouvées’.
En 2010, j’ai publié le texte “Le partenariat public privé (PPP) et la corruption libérale”. Alors que j’écrivais ce texte, aucun média québécois ne critiquait ce mode de financement de nos infrastructures promu par le gouvernement de Jean Charest.
Environ six mois plus tard, après le rapport dévastateur du Vérificateur général (je crois) à ce sujet, les PPP étaient devenus complètement discrédités.
De nos jours, je n’entends que du bien des projets réalisés en ‘mode collaboratif’. Partout en Amérique du Nord, ils sont à la mode.
À mon avis, ils le sont parce qu’ils permettent aux entrepreneurs de grands travaux d’inféoder les décideurs publics à leurs intérêts.
Dans ce cas-ci, avant même que les contrats soient signés, la RIO a pris fait et cause pour son unique soumissionnaire.
Comme vous le soulignez, l’argumentaire de la RIO est illogique. C’est un ‘pitch de vente’ comparable à celui d’un vendeur d’autos d’occasion.
Merci J.-Pierre: tes compléments d’informations sont toujours très appréciés 🙏