Histoire de chenille (épilogue)

29 mai 2018

J’avais pourtant décidé que c’était fini.

Mais à 22h hier soir, il a plu.

Si dans la nature, les papillons trouvent facilement des abris pour se protéger, l’endroit où j’ai libéré mon papillon quelques heures plus tôt était plutôt à découvert.

Dans le noir, a-t-il réussi à trouver refuge ?

Dans le pire des cas, il devrait être encore vivant ce matin, à se débattre dans la boue.

Et dans le meilleur des cas, il devrait être perché quelque part, immobile au soleil à réchauffer ses muscles afin les préparer à battre des ailes.

Au parterre de fleurs jaunes où j’ai vu mon papillon pour la dernière fois, il n’y était plus ce matin. J’ai soigneusement scruté le sol pour le trouver. En vain.

Mais à deux pas, un scintillement perçu du coin de l’œil attire mon attention : c’est lui !

C’est quand même incroyable; quelles sont les probabilités de retrouver un papillon en liberté une vingtaine d’heures plus tard à peu près au même endroit ? Une chance sur un million, peut-être.

De ces temps-ci, les seules choses qui volent au Québec sont les libellules et les oiseaux; aucun papillon ‘autochtone’ n’a eu le temps de se former. Et à le voir de près, il n’y a aucun doute; c’est bien lui.

À 9h45, ce matin

J’en prends trois photos, dont celle-ci, que je trouve banales. Alors que je j’approche dans le but d’en prendre une meilleure, le voilà qui prend peur et s’envole.

Mais qu’est-ce qu’il lui prend ? Un papillon que j’ai nourri et protégé depuis sa ponte. Et voilà qu’il ne me reconnait plus. Après tout, j’ai presque changé ses couches.

D’un autre côté, c’est bon signe; son caractère sauvage le protègera des prédateurs.

Comme il s’est envolé au loin alors qu’il n’avait pas vraiment quitté les lieux depuis hier après-midi, je présume qu’il reviendra.

Je m’assois dans une de ces chaises de bois si confortables que le Jardin botanique a placé çà et là à la disposition des visiteurs.

Après une dizaine de minutes à l’attendre, je décide plutôt d’aller voir ce qu’il y a de neuf au Jardin botanique. Or justement, il y a toujours du neuf puisque c’est dans un endroit pareil qu’on met en scène le spectacle changeant de la nature.

Après avoir fait le tour, je reviens à mon point de départ non sans avoir scruté les lieux en m’approchant. Toujours rien.

Je reste planté là un court moment en balayant du regard l’horizon tout autour de moi. Puis à regret, je mets lentement en marche pour rentrer à la maison… tout en me retournant à plusieurs reprises dans l’espoir de l’apercevoir une dernière fois.

Cette silhouette sombre que j’ai vue voler au loin à la cime d’un arbre et disparaitre derrière une serre, était-ce un oiseau ou mon papillon ? Je ne le saurai jamais.

Dès que je traverse les grilles du Jardin botanique, la page est définitivement tournée.

Puisqu’il ne trouvera jamais une femelle de son espèce, son histoire s’arrêtera dans quelques semaines. Son sort est maintenant entre les mains de Dieu.

Ceci étant dit, envisageons le pire.

S’il devait être dévoré par le premier oiseau venu, il contribuera à la survie de son prédateur.

Et cet été, lorsque j’entendrai le chant d’un oiseau, je penserai que peut-être cet oiseau a le cœur à la fête parce qu’il y a quelques semaines, les rayons du soleil ont permis à mon oranger de développer ses feuilles et de nourrir une petite chenille devenue papillon devenue sa proie, permettant à cet oiseau de grandir et d’enjoliver ce jour-là le murmure du vent.

Quelles sont les probabilités qu’une telle coïncidence se produise ? Elles sont très minces. Tout comme les chances de retrouver en liberté un papillon là où on l’a quitté vingt heures plus tôt.

Et pourtant…

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 40-150mm F/2,8 + multiplicateur de focale MC-14 — 1/250 sec. — F/4,0 — ISO 1000 — 210 mm


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Écrit par Jean-Pierre Martel