Les Pandora Papers : pour en finir avec les paradis fiscaux

Le 7 octobre 2021

Évitement fiscal vs évasion fiscale

L’évitement fiscal consiste à utiliser légalement les failles du système fiscal d’un État afin d’y payer moins d’impôt.

Par contre, l’évasion fiscale consiste à utiliser différents stratagèmes comptables afin de déplacer frauduleusement les revenus réalisés dans un pays vers des pays à très faible taux d’imposition (surnommés ‘paradis fiscaux’).

Malheureusement, il suffit de permettre la délocalisation des profits pour blanchir l’évasion fiscale et ainsi la légaliser. C’est ce qu’ont fait de nombreux pays, dont le Canada.

Si bien qu’il n’y a pas de distinction entre les deux; l’évitement fiscal est de l’évasion fiscale légalisée.

Cette pratique est même officiellement encouragée pour permettre aux entreprises ‘canadiennes’ d’être plus concurrentielles.

Dans la mesure où n’importe quelle personne fortunée peut s’incorporer et jouir du même privilège, la légalisation de l’évasion fiscale équivaut à dispenser les possédants du financement des gouvernements, faisant ainsi reposer le poids fiscal de l’État sur les épaules de la classe moyenne.

Les documents de Pandore

Une fuite récente de 11,9 millions de documents confidentiels provenant de quatorze cabinets d’avocats permet de constater que l’évasion fiscale se porte bien.

Que ce soit les Luxembourg Leaks (révélés en 2014), les Panama Papers (révélés en 2016), les Paradise Papers (révélés en 2017), les Luanda Leaks (révélés en 2020), ou ces nouveaux documents (appelés documents de Pandore), le profil est le même; des centaines de responsables publics, des dizaines de chefs d’État et de milliardaires cachent leur argent dans des paradis fiscaux afin d’échapper au fisc, et ce en toute légalité.

Le Consortium international des journalistes d’investigation va plus loin. Il conclut que les sociétés créées dans les paradis fiscaux sont entourées d’un secret qui permet de cacher des flux d’argent illicites permettant la corruption, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et le financement du terrorisme.

Les solutions

Abolir les paradis fiscaux

L’idée est évidente. Mais tout seul, ce moyen ne permet pas de mettre fin à l’évasion fiscale. Prenons un exemple.

N’importe quelle minière peut prétendre que son mode d’extraction est un secret industriel. Il lui suffit de transférer les droits d’auteur de ce procédé secret à sa succursale située aux Bahamas pour avoir le droit de collecter des droits d’utilisation auprès de chacune des succursales de cette minière à travers le monde (dont la canadienne).

En pareil cas, le flux d’argent n’est pas le résultat de la délocalisation des profits, mais le résultat du simple acquittement d’un droit d’utilisation. Le résultat est le même.

En somme, la délocalisation de la propriété intellectuelle permet une évasion fiscale impossible à combattre en raison des traités internationaux qui protègent les droits d’auteur.

Imposer une taxe minimale sur le chiffre d’affaires

En plus de l’impôt sur les profits, l’État peut imposer une taxe minimale sur le chiffre d’affaires qui est réalisé au pays. Cette taxe s’appliquerait également aux revenus des Canadiens qui ont choisi d’incorporer leurs activités professionnelles.

En somme, il s’agit d’une taxe de type GAFA qui s’ajoute à la TVA (ou Taxe sur la valeur ajoutée).

Punir les fraudeurs

Par le biais de la Foreign Account Tax Compliance Act (adoptée en 2010), les États-Unis obligent les banques étrangères à dévoiler les noms des Américains qui ont ouvert des comptes auprès d’elles. Le Canada ne possède pas une telle loi, préférant ne pas le savoir.

De plus, au Canada, il y a une justice pour les riches et une justice pour les pauvres.

C’est ce qui explique que de riches Canadiens condamnés à l’emprisonnement peuvent purger leur peine dans leur riche demeure, entourés de toutes les commodités et y donner même des réceptions.

C’est ce qui explique également qu’à la suite de la tragédie de Lac-Mégantic, par exemple, on a tenté de faire condamner des subalternes en évitant soigneusement d’accuser les vrais responsables, soit les patrons de la compagnie ferroviaire.

Lorsque le fisc canadien trouve qu’une riche personne est responsable d’évasion fiscale, il se contente de lui demander de verser les sommes dues, sans payer d’intérêts ni de pénalités.

Du coup, tous ceux qui sont tentés par la fraude fiscale ont intérêt à s’y adonner puisque dans le meilleur des cas, ils épargneront de l’argent et dans le pire, ils paieront ce qu’ils auraient payé de toute manière s’ils étaient demeurés honnêtes.

Les riches contribuables ont les moyens de se prendre un avocat et de faire trainer les procédures à leur sujet. Pour le ministère du Revenu, il devient alors plus économique de s’entendre à l’amiable avec les fraudeurs que d’engager des procédures couteuses en vue de leur condamnation.

Cette évaluation du rapport prix-bénéfice ne se justifie que dans une perspective néolibérale, en vertu de laquelle l’État est géré comme une entreprise privée. Et puisqu’il est impossible d’évaluer le prix de la justice sociale, on l’estime dépourvue de valeur.

C’est cette façon de voir les choses que partagent tous les partis politiques fédéraux susceptibles d’exercer le pouvoir.

Le Jour de la jalousie

Le 1er novembre, les Finlandais célèbrent la Journée nationale de la jalousie.

Ce jour-là, le ministère du Revenu rend public le revenu imposable de tous les citoyens. Il suffit d’en faire la demande pour apprendre combien gagne une célébrité, votre voisin, un dirigeant d’entreprise (votre patron, par exemple), ou un collègue qui effectue le même travail que vous.

Toutefois, depuis 2014, le ministère a décidé d’informer la personne concernée de l’identité des gens qui demandent à connaitre ses revenus. Ce qui a fait chuter dramatiquement le nombre de requêtes…

Ce qui n’empêche pas les journalistes de publier des articles comparatifs, soulignant au passage des rémunérations suspectes, suscitant les soupçons du fisc.

Retirer le droit fiscal du champ de pratique des avocats

Ce n’est pas une coïncidence si tous les grands scandales relatifs à l’évasion fiscale naissent de fuites de documents provenant de grands cabinets d’avocats-fiscalistes.

Dans tous les cas, ces cabinets ont pris contact avec des banques installées dans des paradis fiscaux, ont appris la manière de créer une constellation de sociétés-écrans destinée à opacifier les transferts de fonds, et ont développé pour leur clientèle un petit guide facile de la fraude fiscale basé sur un modus opérandi standardisé, propre à chaque cabinet d’avocats.

Et c’est derrière le paravent de leur secret professionnel que se cachent les fraudeurs.

Normalement, ce devrait être auprès d’un comptable que le contribuable prend conseil au sujet des moyens de payer le moins d’impôt possible.

Le rôle des avocats devrait se limiter à vulgariser publiquement le droit fiscal ou de l’expliquer privément à des comptables de manière à ce que ces derniers puissent conseiller le mieux possible leur clientèle.

Tant chez les comptables que chez les avocats, la loi permet la levée du secret professionnel lorsqu’il sert de paravent à la commission d’un délit.

Toutefois, les obstacles à la levée du secret professionnel sont beaucoup plus importants chez les avocats que chez les comptables.

Tout comme l’Ordre des comptables, le Barreau du Québec est le défenseur des utilisateurs des services de leurs membres. Mais à la différence du premier, le Barreau est aussi un puissant syndicat professionnel, farouche défenseur des privilèges de ses membres.

À titre d’exemple, j’ai eu l’occasion de travailler avec une avocate congédiée par le Barreau du Québec — elle y œuvrait à titre de syndic-adjointe — parce qu’elle avait osé porter plainte contre un avocat puissant…

D’autre part, les avocats poursuivis par l’État peuvent compter sur l’esprit de caste de leurs collègues nommés à la magistrature. Les comptables ne jouissent pas d’un tel avantage.

Bref, s’attaquer aux paradis fiscaux serait beaucoup plus facile à partir du moment où seuls les comptables auraient le droit de prodiguer leurs conseils fiscaux directement aux contribuables ou aux entreprises.

Y parvenir serait toutefois une tâche titanesque puisque la profession juridique en tire d’immenses bénéfices qu’elle défendra bec et ongles.

Conclusion

À la campagne électorale de 2015, Justin Trudeau promettait de mettre fin aux paradis fiscaux.

Fort de cette promesse, Gabriel Ste-Marie, député du Bloc Québécois, présentait en octobre 2016 la motion M-42 à la Chambre des Communes. Cette motion visait à mettre un terme à l’évitement fiscal à la Barbade, le principal paradis fiscal utilisé jusque-là par des Canadiens.

Étonnamment, un député libéral vota pour tandis que 172 députés libéraux votèrent contre. Tous les députés conservateurs votèrent contre. Seuls le NPD (39 votes), le Bloc Québécois (10 votes) et le Parti Vert (1 vote) ont appuyé la résolution.

Pire, en juin 2017, le gouvernement Trudeau ajoutait les iles Cook à la liste canadienne des endroits où les richissimes contribuables peuvent légalement cacher leur argent.

La conclusion est claire; peu importe ce qu’on nous promet, le Canada n’a pas l’intention de s’attaquer aux paradis fiscaux. En d’autres mots, tolérer les paradis fiscaux est le prix du fédéralisme canadien.

C’est une des nombreuses raisons qui m’incitent à être indépendantiste : la naissance d’un pays est une occasion de faire table rase du passé et notamment de l’établir sur des bases différentes de ces vieilles démocraties libérales, nées au XIXe siècle, sclérosées et impuissantes face à la montée des inégalités sociales.

En particulier, pourquoi ne pas créer un pays où règne la déclaration publique obligatoire de le fortune personnelle (un peu comme en Finlande) et où tout secret professionnel dans le domaine fiscal serait aboli ?

Références :
Est-il juste que les riches paient autant d’impôt ?
Évasion fiscale
« Journée de la jalousie » : quand la Finlande rend publics les revenus fiscaux de tous ses citoyens
Le Canada et les paradis fiscaux
La DPCP et l’esprit de caste
Le fédéral, les paradis fiscaux et l’indépendance du Québec
Motion M-42 : résultats du vote
Pandora Papers
Pour la déclaration obligatoire des investissements des élus dans les paradis fiscaux
Si le Canada voulait vraiment lutter contre les paradis fiscaux…
Une machine à déterrer l’hypocrisie
Vive les paradis fiscaux !

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