La DPCP et l’esprit de caste

Publié le 4 février 2019 | Temps de lecture : 6 minutes

L’impunité à Lac-Mégantic

À la suite de la catastrophe de Lac-Mégantic, la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) — responsable d’intenter des poursuites criminelles au Québec — a décidé de ne porter aucune accusation contre les propriétaires de la compagnie ferroviaire responsable de cette tragédie.

Après avoir tenté de livrer de simples subalternes en pâture à l’opinion publique, la DPCP a prétexté leur acquittement par un jury pour justifier l’abandon de toute poursuite criminelle dans cette affaire.

Comment se fait-il que la DPCP ne se rende pas compte qu’il est totalement inacceptable qu’une compagnie étrangère tue 47 des nôtres et s’en tire aussi facilement ?

Quelle est la mentalité qui règne au sein de la DPCP pour qu’elle en vienne à trouver cela normal ?

Le scandale du CUSM

Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) est un complexe hospitalier construit de 2009 à 2015 et financé en mode PPP au cout de 1,3 milliard$ (2,5 milliards$ en incluant les immobilisations).

22,5 millions$ en pots-de-vin ont été versés par la firme SNC-Lavalin au directeur général du CUSM et son adjoint. Et ce, afin de truquer l’appel d’offres pour la construction du mégahôpital en faveur de la firme d’ingénierie.

Les dirigeants actuels du CUSM estiment que cette complicité entre leurs prédécesseurs et SNC-Lavalin a permis de faire gonfler le prix de construction de l’hôpital d’environ vingt pour cent.

Deux ans après la mort de l’ancien PDG du CUSM, toutes les charges qui pesaient contre lui ont été abandonnées. Toutefois, 5,5 millions$ auraient été récupérés par le biais d’une plainte contre son épouse, complice dans l’affaire.

Quant au second accusé, il a été condamné en décembre dernier à trente-neuf mois de prison. Une cause au civil pourrait permettre de récupérer six des dix-millions$ reçus par cet ex-directeur général adjoint.

La question qui reste est de savoir qui, chez SNC-Lavalin, a décidé de verser ces pots-de-vin.

L’ex-vice-président exécutif a été condamné à 51 mois de prison. Dans les faits, au moment de sa condamnation, il ne lui restait plus qu’un jour à purger (sa détention préventive comptant au double ou au triple).

Son supérieur hiérarchique était Pierre Duhaime, PDG de SNC-Lavalin. En échange de son aveu de culpabilité sur un des seize chefs d’accusation, la poursuite a abandonné les autres chefs.

L’ex-PDG a été condamné à vingt mois d’emprisonnement avec sursis (une peine qu’il purgera à son domicile). De plus, il devra effectuer 240 heures de travaux communautaires et donner 200 000$ au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels.

Finalement, la plus importante affaire de corruption dans les annales judiciaires canadiennes se solde par cette peine clémente, réclamée par la poursuite elle-même.

La complaisance de la DPCP

Se faisant reprocher la peine clémente infligée à Pierre Duhaime, Me Robert Rouleau, procureur en chef de la DPCP, déclarait la semaine dernière à des journalistes :

Est-ce qu’il y a quelqu’un ce matin, parmi vous, qui voudrait être dans les souliers de M. Duhaime ? D’avoir reconnu sa culpabilité à une infraction criminelle alors que l’on a été un PDG respecté. Avec les conséquences (…) qu’il a subies.

Alors s’il y a quelqu’un qui prétend que Monsieur s’en va le cœur léger et les deux pieds sur la bavette du poêle en riant du système, il se trompe lourdement.

Malheureusement pour la DPCP, elles sont nombreuses à se tromper lourdement, les personnes qui trouvent que tout ceci est une parodie de justice.

Si des voleurs cambriolaient la résidence personnelle de Me Rouleau, il est douteux qu’il serait satisfait de savoir que les voleurs ont simplement été condamnés à lui remettre la moitié de ses meubles.

C’est pourtant ce à quoi se résume cette fraude.

Il est quand même incroyable d’entendre la plus haute autorité québécoise en matière de poursuites criminelle, affirmer qu’à crimes d’égale importance, on doit sanctionner plus sévèrement les pauvres que les riches, puisque les riches ont déjà été punis par le déshonneur qui s’est abattu sur eux du fait de leur condamnation publique.

Le déshonneur suffit-il ?

À l’instant même où il commet un crime, son auteur est moins honorable, c’est-à-dire moins digne d’être honoré.

Tout ce que font des accusations criminelles et la condamnation qui s’en suit, c’est d’entacher une respectabilité surfaite.

Rabaissé au rang du voleur, l’auteur d’une fraude de 22,5 millions$ n’a que la réputation qu’il mérite.

Cette défaveur n’est pas une sanction; la personne concernée a usurpé une réputation qu’elle ne méritait pas et qu’on vient de lui retirer.

Conclusion

Les mots récents du procureur en chef de la DPCP pourraient être considérés comme de simples paroles maladroites si elles ne donnaient pas un sens à l’impunité dont semble jouir la caste sociale à laquelle appartiennent les dirigeants de la DPCP.

Aie-je besoin de rappeler que personne n’a été condamné jusqu’ici relativement à la corruption et au copinage sous le gouvernement libéral de Jean Charest.

Le verrou qui empêche le système judiciaire d’être au service du peuple, c’est la profession juridique elle-même.

En raison du monopole professionnel qu’elle exerce, la profession juridique a transformé l’appareil judiciaire en machine à sous au service de ses propres intérêts et de celui de la caste du ‘Un pour cent’ auquel elle appartient.

Références :
Deux ans après la mort d’Arthur Porter, les accusations portées contre lui tombent
Hôpitaux universitaires montréalais: un prix réel de 7 milliards
L’ancien d.g. adjoint du CUSM est condamné à 39 mois de prison
L’ex-PDG de SNC-Lavalin Pierre Duhaime plaide coupable et évite la prison
MMA : Maudite justice de merde !
Scandale des pots-de-vin au CUSM: la femme d’Arthur Porter plaide coupable
Scandale du CUSM : l’ex-cadre de SNC-Lavalin Riadh Ben Aïssa plaide coupable

Parus depuis :
Arrêt des procédures contre un ex-dirigeant de SNC-Lavalin (2019-02-16)
SNC-Lavalin: arrêt des procédures pour l’ex-vice-président aux finances (2019-02-20)
SNC-Lavalin: l’humiliation judiciaire (2019-02-21)

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Un commentaire à La DPCP et l’esprit de caste

  1. Gagné Gilles dit :

    Bravo M. Martel, voilà une opinion d’aplomb contre des gens qui ne me semblent pas tellement d’équerre. Ah! la misère des riches, elle ne fera brailler que ceux et celles qui mangent à la même auge.

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