L’architecte Ieoh-Ming Pei et la petite histoire de la Place Ville-Marie

17 mai 2019
La Place Ville-Marie

Introduction

Doyen des architectes de réputation mondiale, Ieoh-Ming Pei est décédé à 102 ans dans la métropole américaine durant la nuit de mercredi à jeudi dernier.

Né à Guangzhou (ou Canton), immigré aux États-Unis à 18 ans, on lui doit la Place Ville-Marie de Montréal.

Il était une fois, il y a 70 ans

C’est en 1949 que William Zeckendorf (né à Paris) prit le contrôle de Webb and Knapp, une entreprise américaine de développement immobilier.

Sous sa gouverne, celle-ci devint la plus importante firme de promotion immobilière aux États-Unis.

En 1948, il avait eu l’idée de créer, à l’interne, son propre département d’architecture, confié à un certain Ieoh-Ming Pei, sous la recommandation de Nelson Rockefeller.

À l’origine, Pei est à la fois directeur du département et son seul employé.

Bouleverser le centre-ville de Montréal

Au cours du XXe siècle, toutes les grandes villes étaient desservies par le train. Et pour atteindre leur centre-ville, on construisait des gares centrales reliées à des voies ferrées généralement aménagées en sous-sol.

Si bien que depuis les années 1930, le centre-ville de Montréal était traversé du nord ou sud par une large cicatrice ferroviaire.

Alors que d’autres villes nord-américaines avaient réussi à mettre en valeur ce territoire, rien de concret n’avait été entrepris à Montréal.

C’est alors que William Zeckendorf entre en scène.

Cet Américain a l’idée de construire, au cœur de Montréal, le plus grand complexe d’affaires au monde… sur des terrains qui ne lui appartiennent pas.

Pour ce faire, il doit négocier un prix avec la compagnie ferroviaire, propriétaire du terrain, et la rassurer puisqu’il s’agit d’y élever une haute tour reposant sur des pilotis.

Cette tour, si elle devait s’effondrer, entrainerait la ruine du promoteur immobilier, mais aussi du transporteur ferroviaire puisque ses installations seraient une zone sinistrée pendant des mois, paralysant ses opérations.

William Zeckendorf doit obtenir les autorisations de la ville et même rassurer l’évêché, inquiet que les vibrations entrainées par le dynamitage du sol ne fragilisent la structure de la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, située à proximité.

Mais Zeckendorf rassure tout le monde par son professionnalisme. Le milieu des affaires sera le dernier à croire au succès de l’entreprise.

Entre 1958 et 1962, William Zeckendorf fera donc élever à Montréal le gratte-ciel cruciforme le plus élevé au monde.

Un des trois autres édifices du complexe

Celui-ci fera partie d’un complexe immobilier de quatre édifices qui représenteront une surface locative de 0,3 km² (3,4 millions de pieds carrés).

Sous les ordres de Ieoh-Ming Pei, une cinquantaine d’architectes s’affairent au plus gros projet de l’entreprise.

Mais à Webb and Knapp, Pei étouffe. Constamment, il doit justifier ses choix professionnels à des supérieurs qui ne sont intéressés qu’à construire au plus bas cout possible.

Jusque là, il était resté pour une seule raison; l’appui indéfectible de William Zeckendorf.

Ce dernier avait compris que les matériaux nobles et la qualité d’exécution exigée par Ieoh-Ming Pei coutent davantage, mais cela permettait à Webb and Knapp d’exiger des loyers plus élevés auprès des entreprises soucieuses de cultiver le prestige de leur image.

L’architecte en chef propose à William Zeckendorf un divorce à l’amiable; il créera son propre cabinet d’architectes qui sera client, espère-t-il, de Webb and Knapp.

Admirateur de Laurent de Medicis (un homme politique florentin de la Renaissance), William Zeckendorf consent à laisser partir Pei et son équipe. Son pari est que la nouvelle liberté créatrice de Pei permettra à Webb and Knapp de proposer des projets toujours plus ambitieux.

Durant la construction de la Place Ville-Marie, Ieoh-Ming Pei doit structurer son nouveau cabinet d’architectes, I.M. Pei & Associates.

Les tâches administratives l’accaparent au point qu’il confie le projet de la Place Ville-Marie à deux associés : Henry-N. Cobb et Vincent Ponte.

Ce dernier, bien qu’Américain, parle français. Ce qui facilite la promotion du projet auprès des autorités municipales et de l’évêché.

Le projet montréalais sera décisif pour la carrière de Ieoh-Ming Pei. Si ce projet avait échoué, son cabinet aurait mis des années à s’en remettre. Si c’était une réussite, sa carrière internationale était lancée.

Voilà pourquoi il supervise toutes les grandes orientations du projet et pousse ses collaborateurs à l’audace.

Le retentissement mondial qu’eut la Place Ville-Marie permit à l’architecte d’entreprendre de nombreux travaux à travers le monde, dont trois illustrés en annexe.

La Place Ville-Marie, en plongée

Au premier coup d’œil, la Place Ville-Marie semble reposer sur quatre blocs de pierre beiges disposés aux angles. En réalité, tout l’édifice est supporté par une série de poutres de métal profondément ancrées dans le sol.

Entourés au rez-de-chaussée par des vitrines, ces quatre blocs reposent eux-mêmes sur des poutres métalliques, ce qui contribue à donner un caractère aérien à l’ensemble architectural.

Conclusion

Plus d’un demi-siècle plus tard, la Place Ville-Marie a très bien vieilli. La noblesse de ses matériaux, une audace architecturale tempérée par le souci de l’élégance, voilà ce qui caractérise la contribution de Ieoh-Ming Pei au patrimoine architectural montréalais.

Merci M. Pei.


Annexe

Sous la pyramide du Louvre (1988)
Tour de la Banque de Chine à Hong-Kong (1990)
Entrée latérale du Musée historique allemand de Berlin (2003)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Place Ville-Marie fête son 50e anniversaire

16 septembre 2012
La Place Ville-Marie

C’est entre 1958 et 1962 que le promoteur new-yorkais William Zeckendorf fit construire à Montréal le gratte-ciel cruciforme le plus élevé au monde. Celui-ci fait partie d’un complexe immobilier de quatre édifices qui représentent une surface locative de 0,3 km² (3,4 millions de pieds carrés). Au moment de son inauguration, c’était le plus grand complexe d’affaires du monde.

Un des trois autres édifices du complexe

Pour le construire, le promoteur fit appel à l’architecte Ieoh Ming Pei, relativement peu connu à l’époque, dont c’était d’ailleurs la première œuvre architecturale majeure. Sa réalisation la plus célèbre est aujourd’hui la pyramide du Louvre.

Inaugurée il y a cinquante ans, plus précisément le 13 septembre 1962, ce gratte-ciel de 188,1 mètres et de 44 étages est aujourd’hui le quatrième en hauteur à Montréal. Il tire son nom, Ville-Marie, de celui que portait originellement la ville de Montréal. Jusqu’à la construction du stade olympique, la Place Ville-Marie était l’édifice emblématique de la métropole.

Alors que les autres gratte-ciels modernes de Montréal étaient sombres à cause de leur revêtement en verre teinté, la nouvelle Place Ville-Marie étonnait avec son éclatant revêtement extérieur en aluminium. De plus, sa forme en croix permetait un maximum de bureaux en coin, particulièrement prisés par les entreprises.

La Place Ville-Marie, en plongée

Au premier coup d’œil, l’édifice semble reposer sur quatre blocs de pierre beiges disposés aux angles. En réalité, tout l’édifice est supporté par une série de poutres de métal profondément ancrées dans le sol puisqu’une partie des trains qui partent de la Gare centrale du Canadien Pacifique, un peu au Sud de la Place Ville-Marie, passent sous ce complexe immobilier.

Un des quatre halls d’entrée

Entourés au rez-de-chaussée par des vitrines, ces quatre blocs reposent eux-mêmes sur des poutres métalliques, ce qui contribue à donner un caractère aérien à l’ensemble architectural.

Le complexe immobilier est percé de 13 054 fenêtres. Sa construction a nécessité 49 000 tonnes d’acier, plus d’un million de boulons, 261 km de tuyauterie, 1 150 km de conducteurs électriques et 59 000 luminaires.

Sur son toit, on a installé un gyrophare peut être vu à une distance de 58 km à la ronde. Il prend environ 32 secondes pour faire un tour complet.

« Female » (1972)

Au sud de l’avenue du Collège McGill, le côté nord de l’esplanade est décoré d’une fontaine au centre de laquelle se trouve une sculpture en bronze intitulée « Female » du Torontois Gerald Gladstone. À l’origine, cette esplanade était entièrement minérale : ces jours-ci, des ouvriers s’affairent à la recouvrir de gazon.

« Autoportrait, 2012 »

Don de la Banque Royale, d’Ivanhoe Cambridge et d’AIMco, une installation spectaculaire, grandeur nature, décore depuis trois jours le côté ouest de l’esplanade.

Scellée sous un immense cube transparent, l’œuvre contemporaine s’intitule « Autoportrait, 2012 » de Nicolas Baier. Puisqu’il ne s’agit pas d’un autoportrait de l’artiste, pourquoi ce titre ? Parce l’installation reflète l’essence de ce qu’est la Place Ville-Marie, soit une tour de bureaux. Y sont représentés les accessoires et le mobilier d’une conférence; du projecteur à gauche à l’iPad en bas à droite, le tout en métal chromé.

Galerie marchande

Au sous-sol, une galerie marchande de 80 boutiques constitue la plaque tournante de la ville souterraine. En effet, ce centre commercial est relié à un réseau de 30 km de couloirs qui protègent les utilisateurs des intempéries.

Ce réseau donne accès à des centaines de commerces, restaurants, et bureaux — en fait, à près de 35% de tous les commerces du centre-ville — ainsi qu’au métro et aux principaux terminus de transport. Selon Wikipédia, ce serait le plus grand réseau souterrain piétonnier au monde.

Références :
Montréal souterrain
Place Ville-Marie

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif Lumix 12-35mm F/2,8
1re photo : 1/320 sec. — F/6,3 — ISO 200 — 14 mm
2e  photo : 1/200 sec. — F/5,0 — ISO 200 — 16 mm
3e  photo : 1/500 sec. — F/8,0 — ISO 200 — 13 mm
4e  photo : 1/125 sec. — F/3,5 — ISO 200 — 27 mm
5e  photo : 1/500 sec. — F/7,1 — ISO 200 — 13 mm
6e  photo : 1/125 sec. — F/3,5 — ISO 200 — 15 mm
7e  photo : 1/250 sec. — F/5,0 — ISO 200 — 12 mm

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