Hausse des dépenses militaires : la fabrication du consentement

Publié le 29 juin 2025 | Temps de lecture : 13 minutes


 
La priorité absolue à la Défense

L’opportunité d’accroitre les dépenses militaires du Canada fait consensus au sein de la classe politico-médiatique du pays. Si bien qu’aux dernières élections fédérales, les partis politiques ont unanimement promis d’accroitre le budget de la défense du Canada.

Le résultat, c’est que le parti qui forme aujourd’hui un gouvernement à Ottawa peut prétendre qu’il possède le mandat populaire d’aller de l’avant à ce sujet puisque le peuple a voté pour, n’ayant pas le choix.

Conséquemment, le premier ministre Mark Carney annonçait récemment que le Canada atteindra l’ancienne cible de 2 % recommandée par l’Otan dès cette année, et la nouvelle cible de 5 % d’ici 2035.

Au final, c’est plus de 150 milliards de dollars qui seront dépensés chaque année pour la Défense nationale. Cela représente une ponction fiscale de quinze-mille dollars dans les revenus annuels d’une famille moyenne de deux adultes et de deux enfants.

Même si Ottawa possède toute la légitimité nécessaire pour dépenser une telle somme, il suffit de consulter les forums de discussion de nos médias électroniques pour constater que cette nouvelle course aux armements est loin de faire consensus.

Exception faite de l’Alberta qui, en raison des redevances pétrolières, nage dans les surplus budgétaires, les gouvernements provinciaux peinent à s’acquitter de leurs obligations.

Si bien qu’une partie de la population s’oppose à ce que la priorité d’Ottawa soit là et pas ailleurs.

La fabrication du consentement

Pour consentir aux sacrifices qui seront nécessaires aux nouvelles dépenses militaires, Ottawa doit susciter l’adhésion de la population canadienne.

Pour y parvenir, il peut compter sur deux moyens. Premièrement, exposer exclusivement la population au discours alarmiste de l’Otan. Et deuxièmement, faire miroiter des retombées économiques intéressantes.

Le lavage des cerveaux

Depuis des années, Ottawa a transformé le Téléjournal de Radio-Canada en organe de propagande de l’Otan.

Depuis deux décennies, le grand responsable de l’information internationale y est François Brousseau, un journaliste maccartiste qui voit la menace communiste jusque dans sa soupe.

Par conséquent, tous les ‘experts’ invités au Téléjournal à s’exprimer au sujet des dépenses militaires canadiennes n’exposent que la nécessité de les augmenter.

De manière analogue, sur le site web de Radio-Canada, on ne trouve que des reproches au sujet de l’insuffisance de nos dépenses militaires, associés aux dangers de cette ‘imprudence’. Cette propagande va jusqu’à l’invraisemblance.

L’organisme Inuit Tapiriit Kanatami est une ONG bidon entièrement financée par le gouvernement fédéral et dont le siège social est situé… à Ottawa.

Radio-Canada publiait récemment un texte destiné à nous convaincre que le plus grand souci des Inuits, ce n’est pas l’épidémie de tuberculose qui frappe leurs communautés. Ce n’est pas la pauvreté ni la violence conjugale qui y sévit. Ce n’est pas la fonte rapide des banquises sur lesquelles les mamans phoques nourrissent leurs petits. Ce n’est pas les ours polaires qui, en nombre croissant, rôdent près des habitations des Inuits. Non, leur grande peur, c’est l’invasion arctique de la Russie.

Pourtant, la plus courte distance entre les côtes russes et celles du Québec dépasse 3 600 km. C’est la distance entre Montréal et Vancouver.

La Russie peut certainement envoyer des missiles qui détruiraient nos barrages hydroélectriques. Ce qui handicaperait l’économie du Québec pendant des années. Mais pour nous envahir, elle doit y envoyer des soldats, des chars d’assaut, créer des lignes d’approvisionnement, etc.

Après avoir parcouru les 3 600 km, tout ce dont l’Armée rouge pourra s’emparer, ce sont des iglous, des maisons préfabriquées et des traineaux à chiens. Si Moscou veut s’emparer de quelque chose de plus substantiel, son armée devra ensuite traverser tout le Québec du nord au sud.

En somme, le Québec est le seul endroit au monde où le risque d’une invasion (autre qu’une improbable invasion américaine) est nul. Ce risque n’est pas que faible; il est nul. N-U-L. Comme dans zéro.

Selon un sondage récent, près de la moitié des 18-34 ans seraient en faveur de l’indépendance du Québec.

Il ne fait aucun doute que l’urgence de quitter le Canada leur apparaitra encore plus évidente le jour où ils réaliseront que demeurer au sein du Canada plus longtemps revient à assumer éventuellement la dette croissante et colossale que nous leur laisserons.

L’aide sociale aux fabricants d’armement

Pour ‘vendre’ l’augmentation des dépenses militaires canadiennes, on fait miroiter la possibilité que des entreprises québécoises puissent décrocher de juteux contrats. Et ce, en plus des retombées économiques qui se répercuteront dans l’ensemble de l’économie québécoise.

Les contrats du ministère de la Défense

L’armée canadienne n’a jamais donné au Québec sa juste part des contrats militaires. Il y a quelques années, c’est le critique libéral en matière de Défense qui avait involontairement révélé le pot aux roses lors de l’étude d’un contrat mineur que le ministre de la Défense Marcel Masse devait accorder au Québec.

Pourquoi devrions-nous investir dans une province alors qu’elle pourrait bientôt faire sécession du Canada ?” avait demandé le critique libéral. Ce à quoi le ministre conservateur avait répondu : “Pour l’instant, les Québécois paient des taxes. Si nous les punissons pour une indépendance qu’ils ne font pas, ils sont aussi bien de la faire puisqu’au moins, ils en retireraient les avantages, ce qu’ils n’ont pas en restant dans le Canada.

Voilà pourquoi, par exemple, Ottawa a utilisé toute une série de prétextes pour éviter de donner des contrats maritimes au chantier Davie.

De plus, on doit se rappeler qu’après avoir versé en 2009 près de 13,7 milliards$ à GM et Chrysler pour les sauver de la faillite, lorsque c’est l’industrie aéronautique québécoise qui s’est retrouvée en difficulté, Ottawa a consenti à Bombardier un prêt remboursable de 372,5 millions$ — trois pour cent de 13,7  milliards$ — dont les deux tiers à la condition que ce constructeur aérien maintienne ses activités en Ontario (où sont construits ses avions d’affaires Global 7000).

Si Bombardier décidait de produire des avions militaires, il faudrait que l’avionneur les fabrique en Ontario pour qu’Ottawa l’aide à cette fin.

Troisième exemple. En vue d’une installation au Canada, la compagnie Oerlikon avait envisagé plusieurs sites, dont Saint-Jean-sur-Richelieu.

Lorsqu’André Bissonnette — député conservateur de la circonscription et ministre d’État affecté aux Petites entreprises — avait appris que la candidature de sa ville avait été rejetée, il s’était discrètement informé auprès de la compagnie pour connaitre la ou les raisons de ce rejet.

Or tous ces motifs de rejet étaient inexacts; au contraire, Saint-Jean-sur-Richelieu possédait tous les atouts souhaités par le constructeur. Grâce à son influence, Oerlikon finit par s’établir dans cette ville.

Furieux que le député québécois ait empêché Oerlikon de s’établir ailleurs (comme ils le lui conseillaient), les fonctionnaires fédéraux se sont vengés en déclenchant une enquête de la Gendarmerie royale contre le député sous l’accusation fallacieuse d’avoir spéculé sur les terrains achetés par le constructeur, accusation dont André Bissonnette fut complètement innocenté par les tribunaux.

À partir de ces exemples, imaginer que le Québec obtiendrait dorénavant sa juste part des contrats militaires fédéraux relève du jovialisme.

La sous-traitance de l’armée américaine

Qu’il s’agisse d’une participation canadienne à la construction d’un système antimissiles nord-américain (surnommé Dôme d’or) ou de l’achat de matériel militaire américain, le Canada ne peut pas compter sur Washington pour que des entreprises d’ici bénéficient de contrats de sous-traitance.

Pour que cela se fasse, il faudrait que Donald Trump favorise l’intégration nord-américaine de l’industrie de l’armement. En d’autres mots, que les compagnies canadiennes fabriquent des obus ou des composants, ou procèdent à l’assemblage final des systèmes antimissiles, par exemple.

Comme c’est le cas de l’industrie automobile nord-américaine où le Canada fabrique des pièces détachées, ou assemble certains modèles de voitures.

Au contraire, Donald Trump sabote l’intégration économique canado-américaine par des taxes à l’importation dont le but est de forcer les fournisseurs canadiens à délocaliser leur production aux États-Unis.

Et on veut nous faire croire qu’il ferait l’inverse dans le cas de l’industrie de l’armement ?

Envers le Canada et les autres pays de l’Otan, Donald Trump ordonne le paiement d’un tribut comme l’exigeait Rome des peuples de son Empire. Le président américain veut que la protection militaire de son pays ait un prix.

Ce qui est parfaitement légitime. Tous les citoyens paient des impôts qui servent à financer la police et l’armée. Washington veut qu’il en soit de même de la protection militaire qu’il assure à ses vassaux.

Les retombées économiques

Toute dépense de l’État occasionne des retombées économiques. Prenons un exemple.

Lorsqu’Ottawa attribue un milliard de dollars à la construction domiciliaire, cette somme est injectée intégralement dans l’économie canadienne. Mais chaque dollar sert plusieurs fois.

Les entrepreneurs en construction qui bénéficient des contrats gouvernementaux dépensent l’argent reçu du gouvernement à payer leurs ouvriers et à acheter des matériaux.

D’une part, les fabricants de ciment, de bois d’œuvre, de portes et fenêtres prennent l’argent des entrepreneurs (reçu du gouvernement) pour renflouer leurs stocks.

Et les ouvriers dépensent leurs salaires — versés par leurs employeurs à partir de l’argent des contrats gouvernementaux — pour nourrir les membres de leur famille et les loger, pour chauffer le domicile conjugal, pour acheter du matériel scolaire, du lait maternisé ou des couches pour bébé. Etc.

Et l’épicier qui leur vend des aliments utilise l’argent que ceux-ci dépensent pour rémunérer leurs propres employés et renflouer ses stocks auprès de ses fournisseurs. Et ainsi de suite.

En moyenne, chaque dollar dépensé génère près de trois dollars de retombées économiques. En d’autres mots, les retombées économiques des contrats gouvernementaux sont habituellement comprises entre 270 % à 300 %.

Selon Ottawa, l’achat des chasseurs-bombardiers F-35 par le Canada représente des retombées économiques de l’ordre de dix-milliards de dollars. Cela semble beaucoup.

Toutefois, il faut dépenser 45 milliards$ pour en retirer un bénéfice de dix-milliards$ (22 %).

L’acquisition des chasseurs-bombardiers F-35 par notre pays est le plus mauvais contrat militaire de l’histoire du Canada.

Mais il y a toujours pire. Selon toute vraisemblance, le financement canadien au ‘Dôme d’or’ américain n’occasionnera aucune retombée économique ou presque; ce projet pharaonique n’est qu’un stratagème d’extorsion totalement inutile contre les missiles supersoniques russes.

Conclusion

Alors que de partout résonne le tambour de la guerre, que faut-il au Canada pour se défendre dans l’éventualité d’une Troisième Guerre mondiale ? Voilà la première question à se poser.

La seconde concerne le cout des moyens qui nous seraient alors nécessaires.

Si on en juge par les guerres actuelles, ce dont le Canada a besoin, ce sont des drones autonomes mus par intelligence artificielle (comme ceux utilisés par Israël dans la bande de Gaza), des missiles sol-sol et sol-air (qui empêchent l’ennemi d’acquérir la suprématie aérienne), un système de géolocalisation satellitaire qui détermine précisément les cibles à atteindre, et des missiles supersoniques qui rendent toute défense inutile.

Au lieu d’être le Neville Chamberland des temps modernes et d’acheter de la camelote américaine démodée avant même d’être produite, Mark Carney devrait se tenir debout et dire que le Canada a déjà tout ce dont il a besoin pour pallier une invasion militaire qui n’arrivera pas et que la meilleure manière de prévenir la guerre est l’intégration économique avec les pays dont nous cultivons, au contraire, l’animosité.

Au Québec, les hôpitaux tombent en ruine, les écoles manquent de place, la crise du logement sévit, aucun projet de transport en commun n’a été initié par la CAQ depuis sept ans, l’adaptation aux changements climatiques est un fiasco et Montréal s’anglicise sous l’effet du déluge migratoire voulue par Ottawa.

Le danger qui guette le Canada ne vient pas de l’Étranger; il vient de l’intérieur. Quand la dette que nos gouvernements auront accumulée nécessitera à la fois une hausse importante des impôts et la privatisation des services dont on nous promettait la gratuité, il y a lieu de craindre une instabilité sociale contre laquelle les militaires canadiens, armés jusqu’aux dents, seront impuissants.

Références :
« Dôme d’or » : Carney dit être intéressé, mais…
Dépenses militaires : le Canada atteindra la cible de l’OTAN dès cette année, dit Carney
Du beurre ou des bombes: faut-il se ruiner pour l’OTAN?
L’Alberta dégage un surplus de 8,3 G$ en 2024-2025
La façade ministérielle de l’État canadien
La géopolitique de l’Arctique
L’augmentation des dépenses militaires du Canada
Le Canada s’engage à plus que doubler ses dépenses militaires d’ici à 2035
Le colonialisme économique ‘canadian’
Le Québec en position stratégique pour le réarmement de la défense canadienne
Le sabotage de la vente d’hélicoptères québécois par le ministre fédéral François-Philippe Champagne
Les miettes dorées du F-35
Les miettes fédérales au chantier maritime Davie
Le TVA Nouvelles demeure numéro 1 au Québec
Les Inuit pressent Ottawa de sécuriser l’Arctique
L’OTAN doit se calmer le pompon
Trump dit que l’adhésion du Canada au « Dôme d’or » coûtera 61 milliards de dollars
Un nouvel engouement des jeunes pour la souveraineté

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4 commentaires à Hausse des dépenses militaires : la fabrication du consentement

  1. Jacques Légaré dit :

    Excellent texte de Jean-Pierre Martel.

    Tous les arguments sont solides.

    J’en rajoute un :
    le coefficient du rendement de la dépense militaire est deux fois moins élevé que celui de la dépense civile, ont déjà estimé des économistes que je relate dans ma thèse.

    Ma thèse doctorale « L’Évolution historique de l’humanité vers la paix » propose une réflexion à la fois historique et mondiale.

    J’aimerais que Monsieur Martel la lise ou la publicise afin de fortifier chez nos compatriotes l’esprit pacifique (différent des positions pacifistes connues) afin de contrer tant Trump que Poutine.

    j.l. ph.d. en philosophie politique

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Bien sûr, j’aimerais prendre connaissance de votre thèse.

      Mais j’aimerais en premier lieu l’ajouter aux références de mon texte et rendre ce document disponible, si possible, à partir de mon blogue afin de m’assurer de son accessibilité.

      Pourriez-vous m’indiquer comment l’obtenir ?

  2. André Joyal dit :

    Au final, c’est plus de 150 milliards de dollars qui seront dépensés chaque année pour la Défense nationale.

    C’EST UN SCANDALE!!!!!

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