La tentation groenlandaise de Trump

Publié le 1 février 2025 | Temps de lecture : 7 minutes
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Introduction

Contrairement à ce qu’on pense généralement, Charles Chaplin n’était pas juif.

À l’époque du tournage du Great Dictator (ci-dessus), ses amis l’avaient supplié : « Ne fais pas un film qui se moque d’Hitler: c’est sur nous, les Juifs, qu’il se vengera

La réaction européenne

Depuis que Donald Trump a fait savoir qu’il veut annexer une partie du royaume de Danemark, on aurait pu s’attendre à ce que l’Europe se dresse contre le président américain.

Après tout, l’Union européenne (UE) s’est mobilisée quand la Russie a envahi l’Ukraine (qui n’est pas membre de l’Union). Comment justifierait-elle son indifférence face à une invasion du royaume de Danemark qui, lui, est membre de l’UE ?

Après une conversation téléphonique orageuse (et demeurée secrète) avec Trump, la présidente danoise a entrepris une brève tournée des capitales européennes.

De manière générale, les dirigeants européens se partagent en deux camps.

Il y a ceux qui en appellent au respect des frontières sans oser préciser ce qu’ils feraient si Trump passait à l’acte.

Et il y a ceux qui refusent de croire que Trump est sérieux. Ceux-ci préfèrent donc faire le mort en attendant que les envies de Trump lui passent.

Techniquement, les dirigeants de l’Union européenne (UE) pourraient invoquer que si le Danemark ‘continental’ est membre de l’Union — et, conséquemment, a le droit d’être protégé par elle — ce n’est pas le cas du Groenland qui s’est retiré de l’UE en février 1982.

À l’Otan, la présidente danoise s’est fait dire que l’Alliance atlantique s’en lave les mains.

En juillet 1974, la Turquiye (membre de l’Otan) s’est emparée de 38 % de l’ile méditerranéenne de Chypre qui, jusque-là, appartenait en totalité à la Grèce (également membre). L’Otan ne s’en est pas mêlée.

Ici la victime ne pouvait pas menacer de quitter l’Otan puisqu’en pareil cas, l’agresseur aurait toute l’Otan de son côté. Donc la Grèce a rongé son frein.

Le Danemark ferait de même s’il était attaqué par les États-Unis.

Une occasion unique

Du premier mandat de Donald Trump, au-delà des déclarations incendiaires, il reste peu de chose. Exception faite de la mise au point des vaccins à ARN messager, de la remise en question des droits des femmes et des minorités, et du pivotement de la politique étrangère américaine vers le Pacifique.

Même si son second mandat devait être une suite de conflits commerciaux stériles, Donald Trump passera à l’histoire s’il annexe (ou achète) le Danemark.

La superficie de son pays passerait alors de 9 631 419 km² à 11 797 505 km², soit une augmentation de 22,5 %.

Or Donald Trump est dans une situation idéale pour ce faire.

En temps normal, les pays européens n’ont déjà pas la puissance militaire pour s’opposer à une invasion américaine au Groenland.

À l’occasion de la guerre en Ukraine, ils ont épuisé une bonne partie de leurs réserves d’armement en approvisionnant généreusement Kyiv.

Pour les remplacer, les armes sophistiquées qu’ils achètent proviennent à 80 % des États-Unis : c’est de l’armement que le Pentagone peut inactiver à distance lorsque des pays clients décident de s’en servir contre ses soldats.

Bref, les pays de l’UE sont faits comme des rats.

Arrivant à peine à s’approvisionner cet hiver en hydrocarbures, ils ne peuvent se permettre d’indisposer un fournisseur comme les États-Unis. Un fournisseur qui a l’audace de les menacer de sanctions s’ils ne consentent pas à accroitre leur vassalisation.

L’eldorado groenlandais

Toutes les puissances hégémoniques salivent à l’idée d’annexer n’importe quel territoire qu’ils croient plein de richesses.

Contrairement à ce qu’on dit partout, le potentiel minier du Groenland est largement inconnu. Mais avec ses 2 166 086 km², le territoire de l’ile doit nécessairement receler plusieurs filons intéressants.

Sur une année, la moyenne des températures est de +5°C en Alaska et de -21°C au Groenland. Annexé par Trump, le Groenland deviendrait le meilleur endroit aux États-Unis pour installer des fermes de minage de cryptomonnaie, des centres de données et des serveurs dédiés à l’intelligence artificielle.

Parce que la puissance de calcul des ordinateurs augmente lorsque la température baisse.

La population du Groenland est composée à 98 % d’Inuits. Ceux-ci sont très majoritairement hostiles à l’annexion de leur pays aux États-Unis.

Mais les États-Unis n’ont pas eu besoin de la permission des Canadiens pour nous envahir en 1812 (et d’échouer à nous conquérir).

Ils n’ont pas eu besoin non plus de la permission des Cubains pour envahir l’ile en 1898; il a suffi de la mystérieuse explosion d’un navire américain dans le port de La Havane pour qu’ils invoquent leur droit à la légitime défense.

Or, qui sait la perfidie dont les Groenlandais seraient capables pour provoquer la colère de Trump…

Contrer une menace surfaite


 
Parmi les arguments invoqués par Donald Trump pour annexer le Groenland, il y a la nécessité de protéger le monde libre contre la présence croissante de la Russie et de la Chine dans l’Arctique.

Ce que les agences de presse pro-occidentales négligent de dire, c’est que cette présence accrue est limitée à l’Arctique russe, habituellement le long de la rive arctique de la Fédération de Russie.

Une proportion appréciable du territoire de celle-ci se trouve au-delà du cercle polaire. Le développement économique de cette région nécessite des injections de capitaux. Ce qui, en soi, n’a rien de répréhensible.

Quant à elle, la Chine cherche à améliorer les installations portuaires russes qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Cette route maritime est importante pour la Chine puisque c’est la seule qui ne soit pas contrôlée par les États-Unis.

Aux yeux de Washington, il est intolérable que la Chine puisse tenter d’échapper à sa domination. D’où l’idée de menacer la Route polaire de la soie en construisant de nouvelles bases militaires au nord du Groenland.

Une menace à la paix

Indépendamment du fait que l’annexion américaine légitimerait l’expansionniste d’autres puissances, cela menacerait la paix mondiale.

Une des grandes leçons de l’Histoire, c’est qu’il faut éviter que des pays ennemis soient voisins. Comme il est imprudent, au réveillon du temps des Fêtes, de placer côte à côte deux beaux-frères qui se détestent.

Dans le cas des pays ennemis, il est toujours préférable qu’ils soient séparés par des pays-tampons lorsque cela est possible.

C’est une leçon que Washington a ignorée en manipulant le peuple ukrainien de manière à lui faire croire qu’il était dans son intérêt de devenir un ennemi militaire de son redoutable voisin. Avec les conséquences qu’on sait.

C’est une erreur que les États-Unis veulent répéter au Groenland. En agrandissant leur territoire au plus près de la Russie, ils augmentent le risque d’une guerre mondiale.

Références :
Acquisitions territoriales des États-Unis
«Grave et potentiellement très dangereux» : entretien «houleux» entre le Danemark et Donald Trump, qui veut racheter le Groenland
Guerre canado-américaine de 1812-1815
Invasion turque de Chypre
La nouvelle Théorie des dominos
La géopolitique de l’Arctique
Le climat à Alaska, États-Unis
Le climat à Groenland
Occupation américaine de Cuba

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Écrit par Jean-Pierre Martel