Éviter les conflits d’intérêts des membres de l’Assemblée nationale

1 juin 2015

C’est en 1982 que le gouvernement de René Lévesque adopta la Loi sur l’Assemblée nationale. Cette loi était destinée, entre autres, à fixer les règles concernant les conflits d’intérêts de la députation québécoise.

En 2010, on voulut rafraîchir ces dispositions par le biais d’un Code d’éthique et de déontologie. Ce Code ayant été adopté à l’unanimité sous un gouvernement minoritaire, on présume qu’il fut le fruit d’innombrables tractations et de nombreux amendements. Le résultat est un document bavard, contenant 133 articles.

L’incompatibilité des fonctions

Au lieu de dire qu’un député ne doit pas recevoir d’autre rémunération que celle qu’il reçoit à titre de député ou de ministre, le Code le dit en cinq articles totalisant quatorze alinéas.

Et c’est sans compter le chapitre relatif à la rémunération et celui relatif aux dons et avantages marginaux.

À la place de quelques grands principes clairs, cette multiplication d’interdictions spécifiques assorties d’exceptions favorise l’émergence de situations exceptionnelles, non prévues au départ par les auteurs du Code.

Les conflits d’intérêts

Ceux-ci sont abordés dans deux chapitres; l’un s’adressant aux simples députés, l’autre aux ministres.

Le député ou le ministre doit éviter les situations où son intérêt personnel pourrait influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de sa charge.

Il lui est interdit de se servir de son influence afin d’obtenir des faveurs à son avantage ou au bénéfice de sa famille immédiate, de même qu’en faveur de toute autre personne s’il le fait de manière abusive (sans que l’abus soit défini).

Le code interdit évidemment les délits d’initiés. Dans les faits, on présume qu’ils sont courants; n’est-il pas du devoir du député de prévenir un commettant d’un projet gouvernement susceptible de lui être préjudiciable ?

Le reste des dispositions concernant les conflits d’intérêts d’ordre commercial et financier est un spaghetti d’interdits et d’exceptions qui semblent avoir été adoptés pour ne viser personne au moment de son adoption.

L’homme d’affaires qui serait élu simple député n’a l’obligation de confier son entreprise à une fiducie que si cette entreprise n’est pas cotée en bourse et qu’elle fait des affaires avec l’État. Précisons que l’entreprise Québécor — détenue majoritairement par le chef de l’opposition — est cotée en bourse.

D’autre part, dans le cas d’un ministre, les dispositions qui le concernent sont un charabia d’interdits, d’exceptions et de contrexceptions. Par exemple, l’entreprise du conjoint d’un ministre peut obtenir des contrats gouvernementaux à deux conditions; premièrement, que cette entreprise recevait déjà des contrats de l’État avant que le ministre accède à son poste et deuxièmement, que les nouveaux contrats soit accordés par un autre ministre que son conjoint.

Le rapport du Commissaire à l’éthique

Au moment de sa nomination en janvier 2011, le premier commissaire à l’éthique et à la déontologie avait reçu le mandat de faire rapport sur la mise en oeuvre du Code et sur l’opportunité de le modifier et ce, au plus tard trois ans après son entrée en vigueur.

Or quatre ans se sont écoulés depuis. Entretemps, un magnat de la presse a été élu chef de l’opposition et certains de ses adversaires ont exprimé leur inquiétude face à la perspective d’une berlusconisation de la politique québécoise, dans la perspective de l’accession au pouvoir de son parti.

En mars 2014, le commissaire avait précisé la nature de la relation entre un membre du Conseil des ministres — ce que serait M. Péladeau s’il était élu premier ministre — et le fiduciaire à qui il a confié ses biens :
• le fiduciaire doit exercer cette charge de façon indépendante et entièrement autonome
• le fiduciaire doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires à l’égard des biens qui ont été confiés
• il est interdit au ministre d’exercer directement ou indirectement quelque influence auprès du fiduciaire
• le fiduciaire ne peut recevoir, directement ou indirectement, des directives ou des conseils du ministre, sauf des indications générales
• il est interdit au fiduciaire de s’adresser au ministre pour obtenir des directives ou des conseils relatifs à la gestion des biens qu’il administre.

En tant que simple député, le chef de l’opposition n’est pas tenu de confier son entreprise à une fiducie. Mais il aurait à le faire s’il devenait premier ministre. Malgré cela, il a choisi volontairement de se soumettre à cette exigence.

Ses adversaires politiques soutiennent que cela n’est pas suffisant. En effet, M. Péladeau a fait savoir que ses fiduciaires ont tous les pouvoirs, sauf celui de vendre Québécor (son entreprise principale). Pour les Libéraux, les fiduciaires de M. Péladeau devraient être complètement libres d’agir.

Interrogé à ce sujet, le Commissaire à l’éthique a répondu que ce n’était pas à lui de faire dire au Code ce qu’il ne dit pas. En d’autres mots, si l’Assemblée nationale veut ajouter cette exigence visant M. Péladeau, c’est à elle de légiférer dans ce sens.

Le placement en fiducie, une plaisanterie

Ceux qui détiennent le pouvoir économique sont tellement respectés des gouvernements et ont un accès tellement facile aux antichambres ministérielles, qu’on peut se demander s’il ne serait pas raisonnable de leur interdire de faire eux-mêmes de la politique. Malheureusement — ou heureusement, selon le point de vue — cela serait anticonstitutionnel; à quelques exceptions près, tout citoyen a le droit participer à la vie politique de son pays.

Permettre aux hommes d’affaires se lancer en politique à la condition qu’ils se départissent de tous leurs intérêts financiers constitue une contrainte telle qu’elle équivaut à une interdiction indirecte.

Alors que faire ?

La solution adoptée par tous les pays démocratiques, c’est que les hommes d’affaires doivent confier leurs entreprises à une fiducie s’ils accèdent au pouvoir.

Dans les faits, le politicien dont les entreprises sont placées en fiducie a intérêt à adopter des mesures qui leur sont favorables; lorsqu’il quittera la politique, il reprendra des biens dont la valeur se sera accrue considérablement pendant qu’il était au pouvoir.

L’exigence de la société de fiducie est donc une manière de sauver les apparences. Mais il est impossible de faire mieux.

Le dilemme du gouvernement libéral

À mon avis, tout élu à l’Assemblée nationale, qu’il soit député ou ministre, dans l’opposition ou au pouvoir, devrait être soumis aux mêmes règles. À des degrés divers, tous participent à la même vie politique.

Même si un parti d’opposition n’a aucun moyen d’accorder des contrats gouvernementaux et de distribuer les faveurs, il peut toujours monnayer secrètement son appui à un projet gouvernemental. Donc M. Péladeau a raison de se soumettre volontairement à des exigences plus grandes que celles auxquelles il est obligé d’obéir.

Reste la question relative à l’interdiction faite à la fiducie de vendre les entreprises qui lui sont confiées. S’agit-il d’une contrainte déraisonnable ?

À l’article 2.5.3.3 du rapport du Commissaire, on apprend qu’au moment de la création d’une fiducie au nom d’un ministre, le fiduciaire est tenu de révéler au Commissaire les biens financiers que lui a confiés un ministre.

Une fois cette déclaration faite, le fiduciaire qui vend ces biens pour acheter d’autres titres financiers, n’est pas tenu d’en informer personne.

Si les délits d’initiés sont interdits par la loi, dans les faits ils sont monnaie courante. Lorsque cela se produit, le ministre devient le seul — avec le fiduciaire qu’il a choisi — à savoir les entreprises acquises par l’intermédiaire du fiduciaire.

Conséquemment, ni le commissaire à l’éthique, ni les partis d’opposition et ni les journalistes ne peuvent déceler les abus et faire leur devoir qui est d’en alerter l’opinion publique.

En somme, dans le cas précis de M. Péladeau, l’interdiction adressée au fiduciaire de vendre les biens sous sa garde est bien préférable à son contraire.

Il revient donc au peuple de décider. Si les Québécois veulent que leur gouvernement soit administré par un homme d’affaires, c’est leur décision. Vox populi, vox Dei. Ils ont déjà porté au pouvoir un parti — le Parti libéral du Québec — même s’ils le croient corrompu. Dans le monde imparfait dans lequel nous vivons, pourquoi n’auraient-ils pas le choix d’élire un homme d’affaires à la tête de l’État ?

Références :
Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale
Rapport sur la mise en œuvre du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale 2011-2014

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Rencontre avec Pierre-Karl Péladeau

5 mai 2015
Pierre-Karl Péladeau s’entretenant avec un militant

Après être allé aux conférences données à Montréal par Alexandre Cloutier et Martine Ouellette, j’ai assisté hier soir à celle donnée par un autre candidat à la chefferie du Parti québécois (PQ), soit Pierre-Karl Péladeau.

Celui-ci offre un contraste saisissant avec son principal rival, Alexandre Cloutier. Autant ce dernier dégage l’assurance tranquille d’un politicien habile, rassurant et particulièrement compétent, autant M. Péladeau se présente comme un diamant brut, passionné et encore un peu à l’étroit dans son nouvel habit de politicien.

Au-delà de ses professions de foi répétées en faveur de l’indépendance du Québec, les deux thèmes majeurs qui se dégagent nettement des propos de M. Péladeau concerne sa préoccupation relative l’avenir du français au Québec et sa détermination à développer l’économie d’un Québec souverain.

À ma question qui lui demandait pourquoi le Québec se soumet-il volontairement aux dispositions de la Constitution canadienne-anglaise qui mettent en péril sa survie — une question qui avait déstabilisé Martine Ouellet — M. Péladeau a répondu que s’il devenait Premier ministre du Québec, il entendait respecter le Droit. Toutefois, selon lui, si le Québec veut assurer son avenir, il n’a pas d’autre choix que de faire son indépendance…

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 40-150 mm R — 1/60 sec. — F/4,0 — ISO 6400 — 40 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pourquoi le PQ veut-il l’indépendance du Québec ?

20 mars 2015

Introduction

Hier, M. Pierre-Karl Péladeau, aspirant à la chefferie du Parti Québécois, a déclenché une vive controverse après avoir déclaré : « On n’aura pas 25 ans devant nous pour réaliser l’indépendance. Avec la démographie, avec l’immigration, c’est certain qu’on perd un comté à chaque année. On souhaiterait pouvoir mieux les contrôler, mais ne nous faisons pas d’illusion. (…) Qui prend en charge les immigrés qui viennent s’installer ici au Québec ? C’est le gouvernement fédéral. »

Par souci de rectitude politique, les autres candidats à la chefferie se sont empressés de corriger M. Péladeau en soulignant que le projet indépendantiste du Parti Québécois devait rallier tous les Québécois, et que les néoQuébécois constituaient une richesse pour le Québec.

Les porte-paroles des autres formations politiques, dont le Premier ministre du Québec, ont accusé le Parti Québécois d’être animé par un nationalisme ethnique, et d’être un parti sectaire et xénophobe.

Désapprouvé de toutes parts, M. Péladeau a finalement présenté ses excuses.

Les faits

Déclin de l’appui à l’indépendance du Québec depuis une décennie

Depuis une décennie, l’appui à l’indépendance du Québec est passé d’environ 50% à environ 39% de l’ensemble de la population québécoise.

Si on tient compte du fait que la minorité anglophone du Québec est demeurée tout aussi opposée à l’indépendance, il peut conclure que ce déclin est essentiellement lié à une diminution de la ferveur indépendantiste des Francophones eux-mêmes.

Selon Statistique Canada, de 2006 à 2011, le pourcentage de Francophones sur l’île de Montréal est passé de 54,5% en 2006 à 53,3% en 2011 et, dans l’ensemble de la région montréalaise, de 69,2% à 68,4%.

Le déclin de 1% des Francophones montréalais en seulement cinq ans — aussi inquiétant que soit cette tendance à long terme quant à la survie de la majorité francophone au Québec — compte secondairement sur le déclin de l’option indépendantiste dans l’ensemble de la population québécoise depuis une décennie. La cause principale est sa perte de popularité chez les Francophones dits « de souche ».

Nationalisme ethnique vs nationalisme linguistique

Aussi maladroits qu’aient été les propos de M. Péladeau, ceux-ci reflètent une inquiétude sincère chez lui quant à l’avenir du français au Québec, préoccupation partagée par une bonne partie des Montréalais francophones, témoins quotidiens de l’anglicisation de la métropole.

Face aux accusations libérales d’ethnocentrisme et de xénophobie, les autres candidats à la chefferie ont raté une occasion de réitérer que la raison d’être fondamentale du Parti Québécois est la lutte pour la pérennité du caractère majoritairement francophone de la Nation québécoise; en effet, rien d’autre ne justifie l’indépendance du Québec et les risques entrainés par la sécession du Canada.

On a tort de penser qu’on pourra motiver les Québécois à faire l’indépendance pour des raisons aussi abstraites que le désir de voir le Québec écrire son nom dans le grand livre de l’histoire des peuples ou dans le but d’avoir sa propre voix à l’ONU. Même l’argument du chevauchement des domaines de compétence entre le fédéral et le provincial justifie autant la souveraineté du Québec que son contraire, soit la centralisation de tous les pouvoirs à Ottawa.

En diluant son programme afin de le rendre acceptable au plus grand nombre et le rendre aussi inoffensif que des granules homéopathiques, le Parti Québécois a perdu de vue les raisons qui justifient la création d’un pays appelé Québec. Il ne suffit pas de prêter allégeance à la cause souverainiste : le PQ doit expliquer ce qui justifie le partage du Canada.

La cuisante défaite de ce parti aux dernières élections aurait dû provoquer une profonde remise en question de son idéologie. Au contraire, afin d’éviter des déchirements internes, les rescapés du naufrage vivent depuis dans le déni.

Les programmes des candidats à la chefferie péquiste comportent des idées certes intéressantes, mais majoritairement réalisables à l’intérieur du cadre constitutionnel canadien. À titre d’exemple, a-t-on besoin de faire l’indépendance pour favoriser l’électrification des transports ?

Ces idées servent donc de paravent à la soumission à une idéologie qui a fait long feu et qui colle de moins en moins aux préoccupations actuelles des Québécois.

Seul le principal candidat dans cette course — se comportant parfois comme un cheval fou trop à l’étroit dans son enclos — laisse présager, en dépit de ses maladresses, qu’il est le seul qui ait l’envergure, la volonté et la poigne pour amener ce parti à de douloureuses mais nécessaires remises en question.

Références :
Déclin de l’option souverainiste: les immigrants n’y sont pour rien, dit un chercheur
Données linguistiques de Montréal selon le recensement de 2011
L’immigration menace le projet souverainiste, selon Péladeau
Péladeau sur l’immigration: dérive vers le «nationalisme ethnique», selon Couillard
Programme du Parti québécois

Publié depuis :
La rondelle ne roule pas pour le français dans la LHJMQ (2017-08-26)

Compléments de lecture :
Jacques Parizeau radote
La Charte de la laïcité : un mauvais départ
Parti Québécois : une décennie de dysfonctionnement électoral

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