Les miettes dorées du F-35

27 mai 2013
Chasseur bombardier F-35

Depuis deux mois, le constructeur américain Lockheed Martin — qui fabrique le chasseur bombardier F-35 — mène une campagne de relations publiques dans cinq villes canadiennes afin de promouvoir son appareil militaire haut-de-gamme.

C’est donc mercredi dernier que les journalistes montréalais ont été invités à prendre place à l’intérieur du simulateur de vol du F-35 que la compagnie avait fait aménager à leur intention.

À cette occasion, le constructeur a fait valoir que si le Canada devait renoncer à son intention d’acheter 65 chasseurs F-35 Lightning II, notre pays perdrait d’importantes retombées économiques.

Plus de 70 entreprises canadiennes ont décroché des contrats relatifs au F-35, pour une valeur d’environ 450 millions de dollars. Au total, le gouvernement Harper estime que les retombées économiques seraient de l’ordre de dix milliards de dollars.

En somme, les contribuables devraient dépenser 45 milliards$ pour en retirer un bénéfice de dix milliards$ : cet investissement représente donc une perte de 78%. Est-ce là le meilleur placement qu’a trouvé le gouvernement Harper pour développer l’économie du pays ?

Lorsque le Québec construit un barrage hydroélectrique, on emploie des milliers de personnes pendant des années, on achète du ciment, des turbines, du matériel roulant, on construit des routes menant au site, etc. Bref, presque tout est dépensé au Québec et les retombées économiques dépassent les sommes investies dans le projet.

Avec les F-35, c’est le contraire. Pourquoi ?

C’est le résultat de la naïveté et de l’aveuglement idéologique des Conservateurs. Retour en arrière.

En 1999, le gouvernement fédéral de Jean Chrétien accepte que le Canada fasse partie d’un consortium de huit pays visant à mettre au point la prochaine génération de chasseurs bombardiers. Le protocole prévoyait une contribution monétaire du Canada au développement du projet mais aucun engagement d’achat.

Pourquoi le Canada a-t-il accepté de participer financièrement à ce projet ? Parce que cela rendait les entreprises militaires canadiennes éligibles à recevoir des contrats pour l’ensemble de la production du F-35 (et non seulement sur les appareils que le Canada aurait pu acheter).

Sous les Conservateurs de Stephen Harper, le Canada signe autre protocole en 2006 par lequel le Canada s’engage à faire l’acquisition de F-35. Le nombre d’avions de chasse se précise le 16 juillet 2010 : ce jour-là, le ministre de la Défense annonce que le Canada fera l’acquisition de 65 chasseurs F-35 Lightning II.

Mais par ce nouveau contrat, les Conservateurs renoncent à des retombées économiques garanties pour le Canada. Naïvement, le gouvernement Harper a préféré s’en remettant à la bonne foi habituelle entre partenaires d’affaires.

Mais au sein même des États-Unis, Lockheed Martin rencontre des difficultés à convaincre les décideurs publics à acheter cet appareil. Afin de maximiser ses appuis parmi les élus à Washington, le constructeur a saupoudré ses contrats d’approvisionnement dans quarante-six (sur 50) États américains, ce qui réduit d’autant les retombées de ce côté-ci de la frontière.

Bref, par la faute des Conservateurs, le Canada se fait fourvoyer.

Mais ceci étant dit, une discussion relative l’équipement militaire dépasse la simple question des retombées économiques. Si ces avions sont indispensables à la défense du pays, avons-nous vraiment le choix ? En d’autres mots, la question fondamentale est de savoir si nous avons absolument besoin de ces chasseurs bombardiers.

À long terme, un conflit avec la Chine ou la Russie est une possibilité à envisager. Mais ces pays ne se risqueront pas à se mesurer aux États-Unis tant que ces derniers conserveront une suprématie militaire écrasante.

D’ici à ce cette suprématie soit menacée, le Canada aura plutôt à participer à des opérations anti insurrectionnelles comme celles menées en Afghanistan. Or dans de tels conflits, les hélicoptères et les drones sont nettement plus utiles que des chasseurs bombardiers dernier cri.

Quant à la défense de la souveraineté canadienne dans l’Arctique — un des arguments invoqués par Lockheed Martin — le F-35 sera dans l’incapacité de communiquer dans l’Arctique jusqu’en 2019 car, contrairement aux CF-18, il ne possède pas la technologie nécessaire pour communiquer par satellite militaire. De plus, il est incapable d’atterrir dans le Nord canadien et il ne peut pas être ravitaillé en vol par les avions-citernes des Forces canadiennes.

Bref, la campagne de relations publiques de Lockheed Martin, ce n’est pas fort.

Références :
Dossier des F-35 : des contrats sont en danger
Lockheed Martin F-35 Lightning II
F-35: Lockheed Martin promet 10 milliards de retombées
Le F-35 est en ville… enfin presque
Lockheed Martin launches Canadian PR campaign for F-35

Parus depuis :
Trudeau annulerait l’achat des F-35 (2015-09-20)
Les drones armés vont-ils remplacer le Casque bleu canadien? (2017-12-07)

Sur le même sujet : Pourquoi acheter des chasseurs F-35 ?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pourquoi acheter des chasseurs F-35 ?

16 avril 2012
Chasseur bombardier F-35

En 1999, le gouvernement fédéral de Jean Chrétien accepte que le Canada fasse partie d’un consortium de huit pays visant à mettre au point la prochaine génération de chasseurs bombardiers. Le protocole prévoyait une contribution monétaire du Canada au développement du projet mais aucun engagement d’achat.

Pourquoi le Canada a-t-il accepté de participer financièrement à ce projet ? Parce que cela rendait les entreprises militaires canadiennes éligibles à recevoir des contrats pour l’ensemble de la production du F-35 (et non seulement sur les appareils que le Canada aurait pu acheter).

Sous les Conservateurs de Stephen Harper, le Canada signe autre protocole en 2006 par lequel le Canada s’engage à faire l’acquisition de F-35. Le nombre d’avions de chasse se précise le 16 juillet 2010 : ce jour-là, le ministre de la Défense annonce que le Canada fera l’acquisition de 65 chasseurs F-35 Lightning II.

Dans toute l’histoire militaire du pays, le Canada a fait l’acquisition de plus de mille avions de chasse dont moins de cinquante ont été utilisés au combat : aucun durant la Guerre de Corée (1950-53), vingt-quatre durant la Première Guerre du golfe (en 1991), dix-huit durant la guerre du Kosovo (en 1999), aucun en Afghanistan (2001-2011), et six ou sept en Libye (en 2011).

Jusqu’ici, le Canada n’a déployé ses avions de chasse qu’en nombre limité et seulement lorsque la suprématie des airs était déjà acquise à ses alliés.

Les 1 053 autres chasseurs bombardiers servent donc à décorer magnifiquement les hangars dans lesquels le Canada les a entreposés afin de les protéger des intempéries.

Rien n’égal le spectacle de ces avions de chasse tout neufs, rutilants de propreté, que les musées militaires à travers le monde s’arracheront un jour à un prix d’or en raison de l’état impeccable dans lequel ils se trouvent. On comprendra facilement la réticence du Canada à utiliser ces coûteux appareils au combat alors qu’ils risqueraient de s’abimer…

Ces jours-ci, on s’interroge sur les coûts de ces appareils et sur la transparence (pour ne pas dire de la franchise douteuse) du gouvernement dans ce dossier.

Je ne doute pas que ces chasseurs bombardiers, lorsqu’ils seront mis en marché, seront les meilleurs au monde. Et, avec toute la naïveté qui me caractérise, je suis prêt à croire qu’ils offrent le meilleur rapport coût-bénéfice. Mais pour moi, la question fondamentale est : en avons-nous besoin ?

Malgré qu’ils se rendent plus rapidement sur les lieux d’une tragédie, aucun pays n’achète des avions supersoniques pour des missions de sauvetage en haute mer ou sur le territoire national.

On serait toutefois justifié d’acheter des avions de combat afin de protéger le pays contre des envahisseurs. Dans le cas du Canada, lesquels ?

Le Canada n’a que quatre voisins : la Russie, les États-Unis, les îles Saint-Pierre et Miquelon, et le Groenland.

La Russie ne se risquerait pas d’envahir le Canada puisque cela mettrait en péril l’approvisionnement des États-Unis en matières premières et provoquerait immédiatement l’entrée de ce pays en guerre. Si devenir un champ de bataille n’est jamais une perspective intéressante pour aucun pays, avoir 65 chasseurs F-35 ne changerait rien à ce scénario improbable.

Pour ce qui est des Américains, on voit mal pourquoi ils utiliseraient la force afin de s’emparer de ressources qu’ils obtiennent déjà pacifiquement pour une bouchée de pain, grâce à la bienveillance de nos dirigeants politiques.

Quant à la menace d’un envahissement par les milices redoutables de Saint-Pierre et Miquelon ou les Esquimaux du Groenland, j’imagine qu’un seul avion suffirait.

Il est donc évident que la seule raison qui pourrait justifier l’achat des F-35, ce sont des missions de combat à l’étranger auxquelles le Canada pourrait être invité à participer.

Puisqu’on ne peut prévoir la nature ni le lieu de ces futures missions, pourquoi ne pas nous préparer à tous les scénarios possibles en nous dotant des meilleurs avions de chasse au monde ?

Ce qui nous amène à nous demander dans quel type de guerre le Canada pourrait être invité à participer.

Si, à long terme, un conflit avec la Chine est une possibilité à envisager, il est certain que ce pays ne se risquera pas à se mesurer aux États-Unis tant que ces derniers conserveront une suprématie militaire écrasante.

Dans un avenir prévisible, le Canada aura à participer à des opérations anti insurrectionnelles comme celles menées en Afghanistan. Or dans de tels conflits, les hélicoptères et les drones sont nettement plus utiles que des chasseurs bombardiers dernier cri.

D’où la question, toujours sans réponse, pourquoi le Canada devrait-il acheter des F-35 ?

Références :
Brian Stewart: Rethink the F-35s? Let’s rethink the entire process
F-35 – Indécente insouciance
La prochaine génération du club des chasseurs : comment l’évolution des marchés façonnera-t-elle le débat sur les F35 du Canada?
Le dossier des F-35 – Vol à vue !

Parus depuis :
Trudeau annulerait l’achat des F-35 (2015-09-20)
Les drones armés vont-ils remplacer le Casque bleu canadien? (2017-12-07)
L’armée canadienne, au rapport (2018-07-14)

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Écrit par Jean-Pierre Martel