Les ONG financées par Washington ont mis dix-huit ans à convaincre les Ukrainiens de devenir les ennemis militaires de leurs voisins russes. Avec les conséquences qu’on sait.
Mais il a suffi de quelques semaines à une croisade médiatique occidentale pour persuader les Finlandais de l’urgence d’adhérer à l’Otan avant d’être, eux aussi, envahis par l’armée russe.
La décision finlandaise de demander l’adhésion à l’Otan est la première défaite importante de Vladimir Poutine depuis le début de la guerre russo-ukrainienne.
Les relations russo-finlandaises depuis la Deuxième Guerre mondiale
Craignant qu’en s’alliant à l’URSS contre l’Allemagne nazie, elle ne retrouve plus son indépendance une fois la guerre terminée, la Finlande a choisi d’être un allié de l’Allemagne.
À l’issue de sa défaite, la Finlande perdit le dixième de son territoire et accepta de payer en six ans un tribut de guerre de trois-cent-millions de dollars à l’URSS.
Puisque le pays comptait alors 3,75 millions d’habitants, cela représentait 80 $ par personne, soit 1 329 dollars d’aujourd’hui.
Au cours des années qui suivirent, les deux pays ont entretenu des relations cordiales. Un traité de coopération et d’assistance mutuelle fut signé en 1948 et fut renouvelé en 1955, en 1970 et en 1983.
Par ce traité, la Finlande acceptait d’éviter de joindre toute organisation considérée comme hostile à l’URSS.
Toutefois, lorsque le bloc soviétique s’est effondré en 1991, la Finlande a estimé que cette entente devenait caduque, l’autre signataire ayant disparu.
Une nouvelle entente intervenue avec la Russie l’année suivante ne contenait rien de précis à ce sujet si ce n’est une vague résolution à régler mutuellement leurs différends de manière pacifique.
En 1995, la Finlande adhérait à l’Union européenne et adoptait l’euro comme devise.
Sans être officiellement membre de l’Otan, la Finlande (tout comme la Suède) participait déjà, depuis des années, à des exercices militaires de l’Otan sur son territoire. Des exercices que la Russie, évidemment, voyait d’un mauvais œil.
En 2014, les pays membres de l’Otan se sont lancés dans une course à l’armement, voyant dans l’annexion de la Crimée une preuve de l’expansionnisme russe.
En Finlande, la possibilité que le pays se joigne à l’Otan était un sujet de controverse. En janvier dernier, seul le quart des Finlandais y étaient favorables : toutefois, au 12 mai dernier, ce pourcentage avait bondi à 76 %.
La crise des missiles
En 1962, les États-Unis avaient instauré un blocus maritime autour de Cuba après que ce pays eut décidé de se doter de missiles dirigés contre les États-Unis.
Ne pouvant tolérer des missiles ennemis dans leur cour arrière, les États-Unis avaient menacé de faire sombrer tout navire russe qui s’approcherait des côtes cubaines.
Les navires russes décidèrent de rebrousser chemin. Et c’est ainsi qu’on a évité une Troisième Guerre mondiale.
Les côtes cubaines sont à 1 860 km de Washington alors que la frontière ukrainienne est à 458 km de Moscou (trois fois plus proche).
Du coup, la possibilité que l’Otan déploie en Ukraine des missiles hostiles contre la Russie devenait aussi intolérable pour Moscou que le déploiement de missiles russes à Cuba l’était pour Washington.
C’est encore plus vrai dans le cas de la Finlande puisque Saint-Pétersbourg est à seulement 150 km des frontières finlandaises.
Bref, la décision de la Finlande d’adhérer à l’Otan correspond à un bouleversement géostratégique puisqu’on triple l’interface terrestre entre l’Otan et la Russie.
Autrefois limitée à la frontière orientale de l’Estonie et de la Lettonie, de même que l’extrémité septentrionale de la Norvège (soit au total 480 km), l’Otan possèdera bientôt 1 710 km de frontière commune avec la Russie.
Entre deux blocs hostiles — comme le sont devenus l’Occident et la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine — il est sage de maintenir une zone tampon entre les deux afin d’éviter qu’une simple escarmouche de frontière dégénère en guerre mondiale.
La déstabilisation de la Finlande
Pour avoir une idée des moyens que pourrait utiliser la Russie en Finlande afin de l’inciter à revenir sur sa décision, voyons les moyens utilisés par les États-Unis en Amérique latine afin de lutter contre les gouvernements de gauche.
À Cuba, ils ont financé une opération (celle dite de la baie des Cochons) visant à renverser le régime castriste, et ont soutenu des dizaines de tentatives d’assassinat contre Fidel Castro.
Afin de limiter l’influence de la Révolution cubaine en Amérique latine, ils y ont renversé des gouvernements élus démocratiquement (dont celui de Salvador Allende au Chili en 1973) afin d’installer des dictateurs d’extrême-droite qui ont fait des dizaines de milliers de morts parmi leurs opposants.
De 1979 à 1990, ils ont financé 23 000 terroristes au Honduras dans l’espoir de susciter l’insécurité et le mécontentement contre le gouvernement de Daniel Ortega.
Sous le gouvernement socialiste de Luiz-Inácio Lula da Silva (2003-2011), ils ont soudoyé les syndicats brésiliens afin de déstabiliser l’économie du pays.
Ils ont financé des opérations militaires dans le but de renverser le gouvernement du Venezuela en 2020.
Tout cela donne une idée de ce qui attend la Finlande.
On ne voit pas comment Moscou pourrait avoir des scrupules à utiliser des moyens auxquels les États-Unis eux-mêmes n’hésitent pas à recourir lorsque cela leur convient.
Conclusion
Depuis quelques années, les Finlandais étaient le peuple le plus heureux du monde.
L’histoire d’Adam qui croque la pomme de l’arbre de la connaissance de bien et du mal — ce qui provoque son expulsion du paradis — est l’équivalent biblique de la décision finlandaise d’adhérer à l’Otan; cela ouvre un nouveau chapitre de l’histoire de ce pays. Un chapitre beaucoup plus mouvementé.
Après avoir bénéficié d’une longue période de paix et de stabilité en cultivant des relations harmonieuses avec l’URSS, la Finlande vient de choisir une autre voie, dictée par un nouveau contexte international.
On peut souhaiter que la période qui s’achève, la plus heureuse de l’histoire de ce pays, se poursuive d’une autre manière.
Mais on peut raisonnablement anticiper que cela ne sera pas le cas.
Références :
Arbre de la connaissance du bien et du mal
C’est quoi un parti de droite ou un parti de gauche ?
Débarquement de la baie des Cochons
Contras
Crise des missiles de Cuba
Finland : The postwar period
Guerre américano-mexicaine
Guerre anglo-américaine de 1812
Guerre de Continuation
La Finlande, pays le plus heureux du monde
La Suède et la Finlande aux portes de l’OTAN
Opération Gideon
Opération Mongoose
Salvador Allende
Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe
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