Le débat des chefs du 13 septembre 2018

16 septembre 2018

Impression subjective

Très souvent grimaçant, parlant le plus fort même lorsqu’il était le seul à s’exprimer, François Legault m’a paru le plus stressé.

Au contraire, c’est Manon Massé qui s’est davantage exprimée sur le ton de la conversation.

Philippe Couillard a paru le plus calme avec toutefois un peu de condescendance lorsqu’il s’adressait à la seule femme du débat, un détail qui n’a sans doute pas échappé aux téléspectatrices.

Après avoir enregistré et écouté ce débat trois fois, je peux dire que j’ai apprécié de façon croissante la performance de M. Lisée en dépit du fait que je la trouvais assez bien dès la première écoute.

Les partis en présence n’ont pas profité pleinement des règles qui régissaient ce débat. Celui-ci visait à offrir un temps d’antenne à peu près égal à chaque parti.

Concrètement, lorsque deux chefs parlaient en même temps, le chronomètre de chacun d’eux augmentait la durée du temps d’antenne utilisé.

La meilleure stratégie consistait donc à utiliser principalement son temps d’antenne à tenir les propos les plus convaincants. Une fois l’essentiel dit, il fallait poursuivre en tenant succinctement les propos les plus susceptibles de faire réagir l’adversaire, l’inciter à vous interrompre au sujet de détails insignifiants et épuiser ainsi son temps d’antenne à lui.

La santé

Marqué par la cacophonie, ce segment a été le procès de seize ans de régime libéral.

Le Parti libéral

Philippe Couillard a vanté les 49 supercliniques (et le 25 autres à venir) que son ministre de la santé a créées.

Personne parmi ses opposants ne lui a fait remarquer que les supercliniques n’ajoutent aucun médecin de plus au Québec puisque ce sont généralement des cliniques privées qui font simplement changer de statut.

Le Parti Québécois

Dans le but de désengorger les hôpitaux et faire davantage de prévention, le PQ promet deux fois plus de soins à domicile que les autres partis.

De plus, un médecin qui accepte de superviser le travail d’une superinfirmière reçoit une prime de 60 000$ par année. Jean-François Lisée veut abolir cette prime, libérer les infirmières et les pharmaciens de la tutelle médicale et faire en sorte qu’ils puissent offrir davantage de soins de première ligne.

La Coalition Avenir Québec

Reprochant au gouvernement Couillard sa générosité à l’égard des médecins spécialistes, la CAQ compte modifier le mode de rémunération des omnipraticiens.

Appelé capitation, ce mode consiste à rémunérer un médecin par ‘tête de pipe’, c’est-à-dire par le nombre de personnes qu’il prend en charge.

Ce mode de rémunération, en vigueur en Angleterre, comporte de nombreux avantages. Il en est question au Québec depuis un quart de siècle.

Québec Solidaire

Québec Solidaire veut réduire la part des budgets de santé liée à la rémunération des médecins (le double qu’en Europe) et veut favoriser le financement des CLSC (publiques) aux dépens des supercliniques (privées).

L’éducation

Le Parti Québécois

Jean-François Lisée veut faire adopter un ‘bouclier’ législatif qui interdirait toute compression dans les budgets consacrés à l’éducation.

Puisqu’il s’agirait d’une loi (si j’ai bien compris), rien n’interdirait toutefois à un gouvernement de l’abroger s’il voulait passer outre.

Créateur des CPE (centres de petite enfance), le PQ veut également compléter le réseau en ajoutant 17 000 places dans les CPE dès son premier mandat.

De plus, le PQ compte consacrer 2,6 milliards$ à la réfection et à la construction d’écoles d’ici quatre ans.

Le Parti libéral

Philippe Couillard a reproché au PQ d’avoir offert aux professeurs de prendre volontairement leur retraite il y a une vingtaine d’années. Comme si cela avait encore de l’importance aujourd’hui.

Pour alléger la tâches des enseignants actuels, il promet d’embaucher plus de professeurs et d’offrir la gratuité des garderies aux enfants de 4 ans.

À la dernière élection, il s’était formellement engagé à ne pas hausser le tarif des garderies, promesse aussitôt brisée lorsqu’il est arrivé au pouvoir.

Québec Solidaire

Québec Solidaire veut faire cesser le financement public des écoles privées (où étudient 12% des élèves du Québec). Les 500 millions$ qu’elle compte ainsi économiser serviraient à majorer le financement de l’école publique.

Ce parti veut également réduire le nombre d’élèves par classe et promet la gratuité scolaire, du CPE à l’université.

La Coalition Avenir Québec

François Legault veut qu’au secondaire, on ajoute cinq heures par semaine pour l’aide aux devoirs.

La CAQ veut modifier les échelles salariales de professeurs de manière à augmenter leur rémunération. Elle compte couper dans le gaspillage. De plus, elle veut instaurer la maternelle dès l’âge de 4 ans.

D’après ce que je comprends, vingt pour cent des enfants de 4 ans sont déjà dans des CPE ou dans des garderies. Mais s’ils vont dans des maternelles (comme en France), ils seront pris en charge par des commissions scolaires.

Or, à Montréal, on peine à loger les élèves du primaire. Voilà pourquoi on a loué cette année des conteneurs amovibles dans lesquels des classes temporaires ont été aménagées.

Les dirigeants scolaires affirment qu’il leur est impossible d’accueillir des dizaines de milliers d’enfants de 4 ans.

L’économie

Le segment consacré à l’économie fut le plus faible. Au lieu de parler d’économie au sens de stratégie industrielle ou de développement économique, les chefs de parti ont parlé d’économie au sens strict d’économiser de l’argent aux contribuables.

Le Parti libéral

Philippe Couillard s’est vanté d’avoir rétabli l’équilibre budgétaire… qui existait avant que les Libéraux prennent le pouvoir en 2003.

Il s’est également vanté d’avoir créé 217 000 emplois depuis quatre ans. Ce qui est une manière de dire fièrement qu’il a échoué à réaliser sa promesse d’en créer 250 000. Cette cible ratée aurait été dans la moyenne si cet objectif avait été atteint.

Son parti augmentera le salaire minimum de manière à ce qu’il atteigne la moitié du salaire médian au Québec.

Le Parti Québécois

Jean-François Lisée a été clair; le PQ ne promet pas de réduire les taxes et les impôts des contribuables, mais s’engage à faire en sorte qu’ils en aient plus pour leur argent.

Il a rappelé que si les hauts salariés du Québec sont plus taxés qu’ailleurs au Canada, c’est en raison des CPE et garderies publiques et des frais universitaires qui sont la moitié, le tiers ou le quart (selon les facultés) des frais payés dans les autres provinces canadiennes (sauf Terre-Neuve).

Il a également promis de s’attaquer aux employeurs qui font travailler leurs salariés en deçà de ce que prescrit la loi.

La Coalition Avenir Québec

François Legault veut réduite les taxes scolaires et augmenter les allocations familiales. Il ne veut pas augmenter le salaire minimum, mais attirer au Québec les entreprises qui créent des emplois très bien rémunérés (ce que souhaitent tous les pays du monde).

Québec Solidaire

Pour Québec Solidaire, la pénurie actuelle de main-d’œuvre est une occasion unique d’augmenter le salaire minimum à 15$. De plus, elle veut augmenter le pouvoir d’achat des citoyens en offrant la gratuité scolaire complète, la gratuité des soins dentaires et la gratuité partielle du transport collectif. Toutes ces dépenses seraient financées par l’imposition accrue des riches et des entreprises.

L’environnement

Le Parti libéral

Philippe Couillard s’est vanté d’avoir ‘sauvé Anticosti’ et s’est érigé en grand défenseur de l’environnement.

Pourtant son gouvernement a adopté une loi qui accorde le droit d’expropriation aux pétrolières. Il a limité les pouvoirs des municipalités de s’opposer à des projets pétroliers. Et il a adopté une loi qui fait en sorte l’exploration pétrolière dans nos lacs et rivières est permise ou non, discrètement, par simple décision ministérielle (c’est-à-dire sans passer par le parlement).

Québec Solidaire

Dans ce segment, Manon Massé a livré un vibrant plaidoyer en faveur de l’environnement.

Québec Solidaire veut interdire ici toute exploration et toute exploitation des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel). Elle propose également un ambitieux programme d’investissement dans l’électrification des transports.

Cette formation politique s’oppose au ‘troisième lien’ (probablement un pont) entre la ville de Québec et Lévis. Et elle compte augmenter les redevances exigées par l’État sur l’eau embouteillée. De plus, elle interrompra les versements annuels au Fonds des générations afin de financer son plan de transition énergétique pour le Québec.

La Coalition Avenir Québec

La CAQ veut faire cesser le développement de l’éolien en raison des surplus d’énergie d’Hydro-Québec. Elle veut prolonger le Réseau express métropolitain de Montréal. Et elle s’oppose à cimenterie de Port Daniel, en Gaspésie, en raison de la pollution qu’elle entraine.

Le Parti Québécois

Sans préciser dans quelle mesure, le PQ augmentera les redevances sur l’eau embouteillée.

Dès son élection, le PQ ne permettra que l’achat d’autobus scolaires électriques.

De plus, le PQ veut lui aussi interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures au Québec.

Et s’il est de nouveau question de faire traverser tout le territoire québécois par un pipeline, François Lisée promet de livrer une guérilla législative et normative pour empêcher cela.

Ce que M. Lisée feint d’ignorer, c’est que le transport interprovincial, peu importe par quel moyen, est un domaine de compétence exclusif du fédéral.

S’il est de nouveau question de construire un pipeline comme Énergie Est, seule l’indépendance du Québec permet d’empêcher un tel projet.

À preuve : si le Québec était déjà indépendant, le Canada ne pourrait exporter son pétrole vers l’Est que par la Baie d’Hudson ou en contournant le Québec par les États-Unis.

Bref, le PQ se tire dans le pied en faisant croire qu’on peut retirer tous les avantages de l’indépendance sans avoir besoin de la faire.

Ce que PQ doit dire, c’est que si un tel projet devait renaître de ses cendres — ce qui finira bien par arriver un jour — il sera trop tard pour réagir. Les Québécois doivent dès maintenant voter pour un parti indépendantiste et voter également oui au prochain référendum sur l’indépendance du Québec.

De plus, j’aurais aimé que M. Lisée souligne que le PQ compte abroger la loi que le gouvernement Couillard a adoptée et qui accorde aux pétrolières le droit d’expropriation. Sans ce pouvoir, le cout de construction d’un pipeline traversant le Québec augmente considérablement, ce qui nuit à sa rentabilité et diminue le risque qu’un projet comme Énergie Est renaisse de ses cendres.

À titre de comparaison, Manon Massé a offert une meilleure réponse : « Pour Québec Solidaire, il n’y a qu’une façon de pouvoir réaliser le changement de cap nécessaire pour relever les défis du XXIe siècle — notamment la lutte aux changements climatiques — c’est de mettre fin à nos liens avec le Canada, cet État pétrolier… »

Immigration et identité

Ce dernier segment ne nous a pas appris grand-chose.

Québec Solidaire

Manon Massé à critiqué les traités de libre-échange puisqu’ils réduisent la souveraineté des États. Elle propose la création de carrefours d’accueil des immigrants et veut appuyer la culture québécoise car celle-ci véhicule le bonheur d’être québécois.

De plus, QS maintiendra les niveaux actuels en matière d’immigration.

Afin de corriger rapidement la sous-représentation des minorités visibles au sein de la fonction publique québécoise, la CAQ établira une discrimination positive en leur faveur et leur réservera le quart des postes ouverts au cours des quatre prochaines années.

La Coalition Avenir Québec

La CAQ a réitéré son intention de faire passer des tests de français et des tests de connaissance des valeurs québécoises. Toutefois la CAQ ne réalise pas encore qu’on peut connaitre les valeurs de la société québécoise sans avoir l’intention d’y adhérer.

Elle veut réduire le nombre annuel d’immigrants au Québec à 40 000.

Le Parti Québécois

Jean-François Lisée décrit l’échec des politiques de francisation du Parti libéral et présente une de ses solutions : exiger la connaissance préalable du français avant de pouvoir immigrer au Québec.

Il n’y pas de solution plus radicale pour s’assurer que tous les néoQuébécois choisis par le gouvernement du Québec soient des locuteurs francophones; sans ce pré-requis, on n’entre pas chez nous.

C’est simple, c’est clair et c’est efficace.

Quant au niveau annuel d’immigrants, il serait fixé selon l’étude des besoins du Québec.

Le Parti libéral

Et finalement, Philippe Couillard s’est attaqué à la politique migratoire de la CAQ et a réitéré son intention de maintenir le nombre d’immigrants que l’on reçoit annuellement (environ 50 000).

Conclusion

Un grand nombre de personnes écoutent les débats des chefs un peu comme les Romains se rendaient au Colisée; afin de voir les gladiateurs périr sous les coups de leurs adversaires.

Ont donc été déçus ceux qui espéraient voir un chef de parti perdre la face sous les propos accusateurs d’un adversaire politique.

Mais ont été servis ceux qui espéraient en savoir plus au sujet des programmes politiques des partis qui s’affrontent à cette élection.

De ce débat, je retiens deux choses.

Premièrement, j’ai été agréablement surpris par la sincérité de la ferveur indépendantiste de Manon Massé.

Quant au reste, je ne crois pas que ce débat à lui seul ait pu modifier les intentions de vote.

Mais de tous les chefs de parti, Jean-François Lisée est celui qui est le plus sous-estimé dans la population en général. Or il a été bien meilleur que l’image que s’en faisaient les sympathisants des autres partis.

Donc même si ces derniers ont probablement conservé leurs préférences politiques, il est probable que plus de gens le voient apte à diriger le Québec.

Dans ce sens, le chef du PQ a gagné ce débat.

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Écrit par Jean-Pierre Martel