Les besoins éphémères
Depuis plus d’un an, le gouvernement caquiste répète inlassablement son intention d’arrimer l’immigration aux besoins du marché. Et ce, à l’aide d’un système informatique appelé Arrima.
L’assise fondamentale de ce système est la conviction qu’on peut évaluer précisément les besoins du marché.
Effectivement, on peut évaluer les besoins actuels du marché en compilant les emplois disponibles.
Toutefois, la manière la plus efficace de combler de tels besoins est par le biais des permis de travail.
On le fait déjà pour les travailleurs saisonniers. Il suffit de généraliser les programmes à ce sujet.
Ce moyen est plus rapide parce que le candidat n’a pas à décider de recommencer sa vie au Québec, d’abandonner parents et amis à l’Étranger, et de quitter le sol où ses ancêtres sont ensevelis.
Si les règles sont claires, le travailleur temporaire sait qu’il retournera chez lui lorsqu’on n’aura plus besoin de lui ici.
Par contre, si on veut combler des besoins actuels par le biais de l’immigration, non seulement les délais administratifs s’allongent, mais dès que les besoins du marché changent après qu’un candidat ait obtenu la citoyenneté canadienne, on aura ‘arrimé’ un immigrant à des besoins qui se seront avérés finalement éphémères.
Besoins du marché vs politique migratoire
Voilà pourquoi une politique migratoire doit aller bien au-delà d’une simple compilation d’emplois disponibles.
Et c’est là que les choses se compliquent.
Tout ce qui existe peut être mesuré. Et ce qui existera peut-être fait partie du domaine des prédictions.
Le ministère de l’Immigration possède-t-il l’expertise interne qui lui est nécessaire pour prédire les besoins futurs du marché ?
La réponse à cette question nous est fournie par l’amateurisme dont il a fait preuve en réformant le Programme de l’expérience québécoise.
Rappelons qu’en vertu de ce programme, tout étudiant ayant terminé ses études avec succès au Québec pouvait obtenir facilement le statut de résident permanent.
Du jour au lendemain, le gouvernement a décidé de restreindre ce privilège qu’à ceux qui étudient dans des domaines qui, selon lui, sont arrimés aux besoins du marché.
Le cas le plus absurde est le cas du baccalauréat en Sciences domestiques — qui apparait dans la liste du ministère — un programme aboli depuis des décennies et qui visait à donner autrefois une formation rigoureuse aux femmes qui se destinaient à devenir les ‘reines du foyer’.
Mais comment le gouvernement Legault en est-il arrivé là ?
Il semble que les fonctionnaires du ministère de l’Immigration se soient basés sur l’édition de 2018 de l’État d’équilibre du marché du travail. Il s’agit d’un rapport annuel publié par le ministère du Travail dont l’édition de 2018 a été préparée à partir de données remontant à l’année précédente.
En somme, le talon d’Achille de cette politique migratoire, c’est qu’elle sera toujours basée sur des prédictions anciennes au sujet des besoins anticipées du marché.
Toute la rigueur présumée d’une politique basée sur les besoins du marché s’avère donc être un mirage qui s’évanouit au contact de la réalité concrète du fonctionnement de l’État et de l’imperfection de la nature humaine.
Une alternative humaniste
Depuis 2001, la réforme éducative québécoise repose à la fois sur l’apprentissage des connaissances et sur l’acquisition de compétences jugées importantes au XXIe siècle : la pensée critique, la communication, la collaboration, la créativité, l’innovation, la facilité numérique et technologique, l’apprentissage continu, la flexibilité et l’adaptabilité, la citoyenneté, et l’esprit d’initiative.
On qualifie de transversales les compétences qui, une fois acquises, pourraient être appliquées dans n’importe quel autre domaine.
Depuis près de deux décennies, tous les enseignants du Québec évaluent l’acquisition de compétences transversales chez leurs élèves. Or évaluer cela chez un candidat à l’immigration ou chez un écolier, c’est pareil.
Le système Arrima consacre la suprématie des marchés. Il repose malheureusement sur une illusion; l’aptitude à prévoir rigoureusement les besoins futurs d’une économique dont le rythme de transformation s’accélère.
Plus pertinente, une politique migratoire humaniste consacre la suprématie de l’être humain.
En effet, ce dont le Québec a besoin, ce sont des citoyens capables d’affronter l’avenir, de s’y adapter et de réussir leur vie dans un monde en évolution. Or ce monde sera de plus en plus imprévisible.
Les compétences valorisées par notre politique migratoire devraient être les mêmes que celles inculquées par notre système éducatif à nos propres enfants.
De manière à ce que rien ne distingue l’aptitude à réussir du citoyen né au Québec de celui qui est venu s’y installer plus tard dans son existence.
Références :
Fonction publique : coupe-t-on encore dans le gras ?
Immigration : la liste de formations du gouvernement Legault pleine d’incohérences
Immigration : l’illusion des prophéties
Les vieux arguments de François Legault
Tellement contre-productif!