L’affaire Huawei : dure pour le Canada, la vie de caniche américain

Le 19 décembre 2018


 
Introduction

La compagnie Huawei est le deuxième fabricant mondial de téléphones multifonctionnels, derrière Samsung (mais devant Apple).

Le 1er décembre dernier, la citoyenne chinoise Meng Wanzhou a été arrêtée à l’aéroport de Vancouver à la demande du ministère de la Justice américaine (DoJ). Mme Wanzhou est directrice financière de Huawei et deuxième personne en importance dans la hiérarchie de cette compagnie.

Le premier ministre Justin Trudeau admet avoir été informé au préalable de cette arrestation, mais affirme n’y avoir joué aucun rôle. Strictement parlant, les autorités policières ont simplement obéi à une demande d’extradition émise par les États-Unis.

Depuis ce temps, trois Canadiens ont été arrêtés en Chine, en représailles, semble-t-il, à l’arrestation au Canada de Mme Wanzhou.

Les motifs de l’arrestation de Mme Wanzhou

Depuis 1977, la loi intitulée Foreign Corrupt Practices Act habilite les États-Unis, par le biais du DoJ, à poursuivre toute entreprise étrangère qui violerait une loi américaine. Et ce, même lorsque cette entreprise ne possède aucune succursale aux États-Unis et que le ‘délit’ a été commis dans un pays étranger.

Il suffit que l’entreprise effectue de l’Étranger une transaction facturée en dollars américains, qu’elle ait un site web hébergé sur un serveur américain ou qu’elle possède une adresse de courriel offerte par un service américain de messagerie.

Huawei est visé par des allégations selon lesquelles sa succursale Skycom (basée à Hong Kong) aurait tenté de vendre (ou aurait vendu) pour deux millions$US d’équipement informatique à une compagnie iranienne en 2010.

La Chine ne pouvant se procurer des ordinateurs haut de gamme, elle ne peut vendre à l’Iran que des ordinateurs bas ou milieu de gamme. De plus, on doit noter ici qu’il s’agit d’une vente (ou d’une tentative de vente) de deux-millions de dollars et non de deux-milliards.

Bref, les États-Unis cherchent des puces à Huawei.

La compagnie chinoise n’aurait violé ni une loi canadienne ni un embargo décrété par l’ONU, mais plutôt un embargo décrété unilatéralement par les États-Unis contre l’Iran.

Ne pouvant arrêter Mme Wanzhou aux États-Unis — un pays qu’elle évite soigneusement — les autorités américaines ont piégé la dirigeante chinoise à Vancouver (où Mme Wanzhou possède une résidence secondaire).

Une demande d’extradition est un processus qui peut prendre des mois ou des années avant d’aboutir, en raison des nombreuses possibilités d’appel. La décision finale reviendra au ministre fédéral de la Justice (qui ne sera pas tenu de la justifier).

Lors des attentats du 11 septembre 2001 à New York, le seul avion autorisé à quitter le sol américain ce jour-là fut celui qui ramenait vers l’Arabie saoudite des membres de la famille d’Oussama ben Laden (l’ex-chef d’Al Qaida). Ils étaient venus à Washington pour assister à un colloque d’investisseurs. Leur départ s’est fait au grand dam des autorités policières américaines qui auraient voulu les interroger.

Si Justin Trudeau avait invoqué la raison d’État pour imiter George-W. Bush, il aurait certainement provoqué la colère passagère de Donald Trump, mais il aurait évité une crise diplomatique qui ne peut se résoudre qu’en une capitulation canadienne à l’une ou l’autre des superpuissances qui s’affrontent.

En prétextant le désir de protéger les tribunaux canadiens de toute ingérence politique, M. Trudeau feint d’ignorer que la décision finale au sujet de l’extradition de Mme Wanzhou ne sera pas prise par les tribunaux, mais par son ministre de la Justice.

Le 12 décembre dernier, Donald Trump lui-même déclarait qu’il n’hésiterait pas à intervenir auprès du DoJ afin de faire retirer la demande d’extradition américaine s’il le jugeait approprié.

D’où la question : Est-il possible que toute cette affaire ne soit qu’un écran de fumée ? Plus précisément, est-il possible que les États-Unis tentent d’inféoder les pouvoirs répressifs de l’État canadien à la guerre économique qu’ils livrent à la Chine ?

Le fond de l’affaire

L’hégémonie économique des États-Unis repose en bonne partie sur leur supériorité technologique.

L’émergence rapide de la Chine à titre de géant de la téléphonie mobile a reposé longtemps sur la piraterie de brevets occidentaux.

Une piraterie facilitée par des compagnies américaines qui n’hésitaient pas à faire fabriquer des téléphones haut de gamme en Chine, donnant à ce pays l’occasion de découvrir tous les secrets de leur fabrication.

Afin de redonner aux compagnies occidentales une avance technologique, les États-Unis et leurs alliés tentent de mettre au point un nouveau standard de téléphonie (le 5G) dont le débit serait 100 fois plus rapide que de 4G.

Leur problème est que les efforts de recherche et de développement dans le domaine de la téléphonie que consacre la Chine dépassent maintenant ceux des pays occidentaux. En d’autres mots, la Chine a cessé de copier l’Occident et est devenu un leadeur technologique.

En septembre 2018, l’opérateur China Telecom a testé à Shenzhen un réseau 5G ‘lent’ (seulement dix fois plus rapide que le 4G).

L’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis interdisent à leurs opérateurs téléphoniques d’offrir des téléphones de marque Huawei qui accèderaient à de futurs réseaux 5G.

Mais le Canada a autorisé un partenariat entre Huawei et Telus. Non seulement Huawei fabrique des téléphones haut de gamme, mais c’est le plus important fabricant d’équipement pour des réseaux de téléphonie mobile. On voit donc l’intérêt d’une telle association.

En plaçant le Canada en situation conflictuelle avec la Chine au sujet de Huawei, les États-Unis rendent toxique toute association commerciale avec ce concurrent chinois de l’américaine Apple.

Cela ne sera pas suffisant pour empêcher la Chine de développer pleinement sa technologie 5G, mais cela la retardera en la privant partiellement de revenus.

Quant à la saga judiciaire canadienne, elle constitue un risque.

Si les tribunaux canadiens devaient reconnaitre le principe de l’extraterritorialité des lois américaines, le Canada s’en mordra les doigts le jour où ce sera une compagnie canadienne qui sera ciblée par les Américains parce qu’elle leur fait de l’ombre.

Concrètement, la reconnaissance de ce principe par le Canada signifie que non seulement notre pays extradera ceux qui se sont enfuis au Canada dans le but d’échapper à la justice américaine, mais également ceux n’ont jamais mis les pieds aux États-Unis —  et conséquemment, qui n’y ont jamais commis de crime — mais qui ont fait dans n’importe quel pays du monde des choses interdites par les Américains.

Le véritable enjeu de l’affaire Huawei, c’est la souveraineté du Canada. Un enjeu qui est d’abord et avant tout politique. Mais un enjeu qui devient juridique lorsque les dirigeants du Canada s’en remettent aux tribunaux pour défendre l’intérêt national.

Pour régler immédiatement cette crise, le ministre de la Justice du Canada n’a qu’à déclarer que notre pays ne reconnait pas le principe de l’extraterritorialité des lois américaines et conséquemment, ne peut donner suite à des demandes d’extradition basées directement ou indirectement sur ce principe.

Autrement, le Canada consentirait implicitement à avoir un statut analogue à celui de la France libre du maréchal Pétain…

Conclusion

Depuis quelques temps, le monde est entré en régression.

L’affaire Huawei rappelle cette époque où, parfois, un petit royaume servait de champ de bataille à des puissances hégémoniques.

Dans ce cas-ci, on a un petit pays, vassal d’un plus grand, qui se trouve dans la tourmente.

Son impétueux voisin lui ordonne de participer à un rapt.

Au final, l’unique but de ce rapt, c’est de ne libérer la captive que sur paiement d’une rançon colossale payée par Huawei à l’État américain (par l’intermédiaire de son bras juridique).

Bref, l’affaire Huawei n’est qu’une triste histoire de brigands modernes.

Références :
5G
Extraterritorialité du droit américain
Huawei
Huawei affair reveals superpowers’ imperial rules of engagement
Huawei CFO Meng Wanzhou’s arrest: What you need to know
La directrice financière de Huawei libérée sous caution
La directrice financière de Huawei soupçonnée de fraude par les États-Unis
L’affaire Huawei place le Canada entre le marteau chinois et l’enclume américaine
Ottawa confirme l’arrestation d’un troisième Canadien en Chine
Quand la fuite de la famille Ben Laden passait par Genève: le récit du vol qui embarrasse Bush
Trump says he could intervene in U.S. case against Huawei CFO

Parus depuis :
L’affaire Huawei touche à la rivalité stratégique entre la Chine et les Etats-Unis (2018-12-20)
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Le droit américain est devenu une arme de répression et de dissuasion massives (2019-01-21)
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Les Etats-Unis se servent du droit comme d’une arme de destruction contre l’Europe (rapport) (2019-07-01)
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Ottawa peut mettre fin aux procédures contre Meng Wanzhou, dit Louise Arbour (2020-06-23)
Canada only country willing to detain Meng Wanzhou, China says (2020-09-04)
The tensions over Huawei are not about trade, but global supremacy (2020-07-16)
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Complément de lecture : Extraterritorialité et pétainisme

Détails de la photo : Droits appartenant à Luckybusiness. Photo distribuée par la banque d’images Onepixel.

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