Les abus de pouvoir de l’UPAC

Publié le 1 novembre 2017 | Temps de lecture : 5 minutes

L’irrespect des droits constitutionnels

L’article 10 de la Canadian Constitution exige qu’en cas d’arrestation, tout citoyen soit informé des motifs qui la justifie dans les plus brefs délais.

Il y a une semaine, le député Guy Ouellette a été arrêté par l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Relâché après un interrogatoire de plusieurs heures, le député attend toujours de connaitre les motifs de son arrestation.

Selon l’UPAC, l’opération visait à sécuriser des éléments de preuve. Toutefois, on ignore précisément quelles sont les actions criminelles qu’auraient commises Guy Ouellette dans cette affaire.

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Sommée par le président de l’Assemblée nationale du Québec (vidéo ci-dessus) et à l’invitation du premier ministre, l’UPAC a tenu une conférence de presse au cours de laquelle elle a refusé de respecter les droits constitutionnels de Guy Ouellette.

Sans fixer d’échéancier, l’APAC a déclaré que pour connaitre les raisons de l’arrestation de Guy Ouellette, il faudra attendre le dépôt de la plainte que la Direction des poursuites civiles et pénales (DPCP) pourrait prendre contre lui si cet organisme trouve cela justifié à partir des preuves que lui soumettra éventuellement l’UPAC.

Mais à la suite de son analyse, si la DPCP juge que les preuves de l’UPAC sont insuffisantes, qu’arrive-t-il ? Ah, ce n’est pas prévu.

Une arrestation sans mandat

Toutes les forces policières ont un pouvoir d’arrestation sans mandat lorsqu’elles sont témoins d’un méfait en train d’être commis ou lorsqu’on fait entrave à l’exercice de leurs fonctions.

Rappelons brièvement comment le député a été arrêté.

À partir du téléphone confisqué d’un policier, l’UPAC a envoyé à Guy Ouellette un texto lui laissant croire que ce policier avait des révélations à lui faire. Arrivé sur les lieux du rendez-vous, le député réalise qu’il s’agit d’un piège destiné à l’arrêter.

Il est illégal pour un policier de révéler des éléments d’enquête et il est illégal pour quiconque (Guy Ouellette) de transmettre ces preuves aux journalistes. Toutefois, ici nous n’avons affaire ni à la première situation ni à la deuxième.

Conséquemment, l’UPAC se devait d’obtenir préalablement un mandat d’arrestation à défaut de quoi nous sommes en présence d’un autre abus de pouvoir.

L’UPAC avait-elle un mandat d’arrestation ?

Toute requête policière auprès d’un juge en vue d’obtenir un mandat d’arrestation contient les motifs qui justifient cette requête. Dans un pays démocratique, aucun juge n’accorde un tel mandat sans savoir pourquoi.

Il est extrêmement douteux que Guy Ouellette, un ancien policier, ait oublié d’exiger de voir le mandat d’arrestation sur lequel les policiers se basaient pour l’arrêter.

Si le député avait pu le consulter, il saurait pourquoi on l’a arrêté.

De plus, si ce mandat existait, les journalistes seraient en mesure d’en obtenir une copie puisqu’un mandat d’arrestation est un document public qui précise toujours les motifs de son émission.

À la conférence de presse de l’UPAC, le directeur des opérations de cet organisme (André Boulanger) à déclaré : « J’ai autorisé l’arrestation sans mandat du suspect » (en parlant de Guy Ouellette).

Conclusion

À la suite de son arrestation, Guy Ouellette a décidé de démissionner du caucus des députés libéraux.

En raison de la menace d’accusations que l’UPAC fait planer contre lui, le député est devenu inapte à siéger à toute commission parlementaire devant laquelle l’UPAC pourrait être convoquée.

Par le biais d’une arrestation dont les motifs demeurent secrets, Robert Lafrenière se débarrasse d’un député avec lequel il est à couteaux tirés depuis longtemps et devant lequel il n’aura plus à répondre officiellement.

Puisque la corruption de l’État québécois sous le gouvernement de Jean Charest a couté des centaines de millions$ aux contribuables et qu’aucune condamnation à sujet n’a été obtenue par l’UPAC depuis sa fondation il y a six ans, Robert Lafrenière — qui dirige l’UPAC depuis le début — devrait être destitué de son poste en raison de son inefficacité et de ses abus de pouvoir.

Parus depuis :
Affaire Guy Ouellette : l’inverse des droits fondamentaux (2017-11-03)
Guerre de mots entre l’UPAC et l’Assemblée nationale (2018-01-20)
Affaire Normandeau : Lafrenière et son entourage à l’origine des fuites, selon le BEI (2022-05-30)

Sur le même sujet :
Le verrou libéral

Post-Scriptum : Le 28 septembre 2018, le Directeur des poursuites criminelles et pénales s’est rendu aux arguments invoqués par l’avocat de Guy Ouellette dans sa requête en cassation. Concrètement, cette décision invalide la perquisition opérée par l’UPAC au dominicle de Guy Ouellette.

De plus, on apprend que l’UPAC avait obtenu un mandat d’arrestation contre Guy Ouellette mais avait prétendu le contraire pour éviter de lui révéler les motifs de son arrestation.

Références :
Guy Ouellette a reproché à l’UPAC d’avoir enfreint la loi pour le piéger
L’UPAC ne pourra pas examiner les documents saisis chez Guy Ouellette

Deuxième postscriptum, du 10 juin 2021 : Frédéric Gaudreau, à titre de commissaire à la lutte contre la corruption, a présenté les excuses de l’UPAC au député Guy Ouellette pour son arrestation injustifiée en octobre 2017 et a critiqué implicitement les méthodes de son prédécesseur, Robert Lafrenière.

Référence :
Le chef de l’UPAC présente ses excuses à Guy Ouellette

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le verrou libéral

Publié le 26 octobre 2017 | Temps de lecture : 4 minutes

Le Parti libéral du Québec a changé. C’était le message rassurant que répétait le nouveau chef de ce parti, Philippe Couillard, confronté aux allégations de corruption de son parti sous son prédécesseur.

Deux hommes symbolisaient la nouvelle honnêteté libérale.

D’abord Robert Poëti. Ex-policier reconnu pour son intégrité, il fut brièvement ministre des Transports avant d’être dégommé parce que l’enquêteuse qu’il avait nommée posait trop de questions au sein de son ministère. Il vient de faire un retour remarqué au Conseil des ministres à un an des élections.

Le deuxième garant de l’intégrité libérale était Guy Ouellette. Ce simple député est un ancien policier de la Sureté du Québec qui s’est illustré dans la lutte contre les motards criminels.

Toutefois, le système organisé de corruption de l’État mis en place par Jean Charest n’a donné suite à aucun procès.

Créée en mars 2011, l’Unité permanente anticorruption (UPAC) a eu six ans pour punir ceux qui ont pillé le Trésor public et surtout, ceux qui ont mis en place un système bien huilé de corruption de l’État québécois qui a opéré durant les années 2000.

Dans sa lutte contre la corruption au niveau de l’État québécois, ses seules actions concrètes sont :
— une accusation surprise contre Nathalie Normandeau à la veille du renouvèlement de mandat de Robert Lafrenière, assurant ainsi le prolongement de son mandat, et
— cette arrestation d’hier qui vise à punir Guy Ouellette pour des fuites dont il serait responsable.

Lorsque le patron de l’UPAC avait témoigné en commission parlementaire en mai 2017, celui-ci avait réservé ses mots les plus durs non pas à l’égard de ceux qui ont volé des millions de dollars aux contribuables, mais à l’égard des responsables des fuites au sein de l’UPAC (qualifiés de ‘bandits’).

Pourtant, au cours de ce même témoignage, il avait estimé ces fuites sans importance. « En aucun temps, la conclusion de cette enquête-là n’a été menacée par cette fuite-là.» avait-il déclaré.

Parmi ses ennemis politiques, insatisfaits du peu de résultats de l’UPAC, se trouve le député Guy Ouellette. Celui-ci présidait la Commission parlementaire devant laquelle Robert Lafrenière a témoigné. Mais l’arrestation de Nathalie Normandeau a été un coup de théâtre qui rendait Robert Lafrenière intouchable.

Ce qui nous ramène aux questions relatives au ‘verrou libéral’.

Cette expression a été utilisée pour désigner un haut gradé qui — selon le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal — aurait été nommé pour bloquer la mise en accusation des responsables de la corruption sous Jean Charest.

Ce verrou, l’a-t-on trouvé ?

Comment se fait-il qu’à l’UPAC, tout soit retombé dans l’immobilisme le plus total depuis le ‘show de boucane’ de Robert Lafrenière en commission parlementaire ?

À l’annonce de l’arrestation de Guy Ouellette, le chef de la Coalition Avenir Québec a déclaré que cette nouvelle constituait une bombe pour le Parti libéral. Est-il possible que le chef de la CAQ n’ait rien compris ?

Au lieu de se débarrasser d’un ennemi politique et d’assoir son pouvoir, il est fort à parier que ce coup d’éclat du chef de l’UPAC ramènera à l’avant les questions persistantes quand aux minces résultats de l’organisme qu’il dirige depuis sa création.

D’où la question : où est le verrou libéral ?

Références :
Corruption : le ‘verrou’ libéral
Guy Ouellette avait maille à partir avec le patron de l’UPAC, selon des ministres libéraux
L’agente de renseignements « n’était pas bienvenue » au MTQ, dit Poëti
L’arrestation de Guy Ouellette provoque une onde de choc
Robert Poëti

Parus depuis :
Guerre de mots entre l’UPAC et l’Assemblée nationale (2018-01-20)
Affaire Normandeau : Lafrenière et son entourage à l’origine des fuites, selon le BEI (2022-05-30)

Postscriptum du 28 février 2022 : Le commissaire à la lutte contre la corruption a mis fin officiellement aujourd’hui à l’enquête Mâchurer ouverte en avril 2014 pour faire la lumière sur des pratiques de financement douteuses au sein du Parti libéral du Québec.

Tel que prévu, l’enquête est close sans qu’aucune accusation ne soit portée.

Référence : L’UPAC met fin à l’enquête Mâchurer

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les services à visage découvert et les droits constitutionnels

Publié le 14 septembre 2017 | Temps de lecture : 5 minutes

Voile_islamique
 
Lors de la cause célèbre de Zunera Ishaq, les tribunaux canadiens ont établi qu’une personne peut prêter le serment d’allégeance au pays en portant le niqab, à la condition qu’elle se soit dument identifiée au préalable.

Depuis ce temps, on sait que le port du niqab est un droit constitutionnel. Mais s’agit-il d’un droit fondamental ?

La réponse est oui si on pense que rien n’est plus fondamental qu’un droit constitutionnel.

Mais si on croit que seuls les droits de l’Homme universels sont des droits fondamentaux, la réponse est différente.

Le port du niqab et de la burka est un droit constitutionnel au Canada. Mais ce n’est pas un droit constitutionnel en France. Ce n’est pas un droit constitutionnel en Belgique. Ce n’est pas un droit constitutionnel en Allemagne. Et ce n’est même pas un droit constitutionnel au Maroc, pourtant pays musulman.

Essentiellement, les idéologues qui ont rédigé la Canadian Constitution voulaient consacrer la suprématie absolue des droits individuels pour deux raisons.

Premièrement, parce que cela permettait d’ajuster le système juridique canadien au néolibéralisme triomphant de l’époque.

Et secondairement, parce que cela permettait de bloquer une loi québécoise révolutionnaire basée, au contraire, sur la suprématie des droits collectifs, soit la Loi 101.

Ce faisant, ces idéologues n’ont pas su prévoir la montée de l’intégrisme musulman. L’intégrisme religieux a toujours existé mais le wahhabisme a pris en Occident une influence considérable, grâce aux sommes colossales que la dictature saoudienne consacre à sa promotion.

Par son projet de loi 62, le gouvernement Couillard se propose d’obliger que la demande et que la fourniture de services gouvernementaux soient faites à visage découvert.

Lorsqu’on accuse le Québec de brimer ainsi les droits constitutionnels des femmes niqabées et de celles qui portent la burka, ce qu’on fait, c’est qu’on exige la soumission du Québec à l’ordre constitutionnel dicté par le Canada anglais.

On ne se demande pas si l’interdiction du niqab et le la burka est justifiée : on constate simplement que cette interdiction est contraire à la Canadian Constitution et on voudrait que nous nous inclinions béatement devant cette dernière.

Comme s’il s’agissait d’un texte sacré que l’ancien premier ministre Pierre-Elliott Trudeau — tel Moïse descendant de la colline Parlementaire — aurait confié à son peuple de la part de Dieu.

Au contraire, la Canadian Constitution est une loi ethnique votée par l’ethnie dominante du Canada à l’issue d’une séance ultime de négociation à laquelle le Québec n’a pas été invité.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le Canada est un pays colonial. Mais à la différence des autres — qui ont leurs colonies au loin, sous les tropiques — le Canada a les siennes dispersées sur son territoire.

Ce sont des poches autochtones régies par un apartheid juridique dont le but est leur lente extermination et le Québec dont on soutire 50 milliards$ de taxes et d’impôts en contrepartie de 9 à 12 milliards$ de péréquation s’il se tient tranquille.

Cette loi ethnique fut adoptée sans nous de la même manière qu’une colonie ne décide pas des lois que la métropole désire lui imposer.

Que l’ethnie dominante ait pu en catimini négocier une nouvelle constitution et l’adopter sans le Québec dit tout de notre statut au sein de ce pays dont les politiques multiculturelles n’arrivent pas à masquer la nature profondément raciste de ses institutions.

Dans le texte de cette constitution, il y a une clause dérogatoire. Elle peut être invoquée pour tout sauf l’article 23 qui, très précisément, est celui qui prescrit la lente extinction linguistique du Québec.

Mais on peut invoquer cette clause dérogatoire pour tout le reste. Nous serions stupides de nous en priver.

Et si les élites canadiennes anglaises ne sont pas d’accord, c’est leur problème et non le nôtre.

Dans tous les cas, il est clair qu’un Québec indépendant aura la liberté de se doter d’une constitution d’inspiration européenne plutôt que d’être enchainé à la constitution absurde adoptée par le Canada anglais en 1982.

Références :
La burka au volant : est-on devenu fou ?
Énergie au Québec
L’Allemagne interdit le voile intégral dans la fonction publique
Le Canada, un projet colonial réussi
Le Maroc interdit la fabrication et la vente de la burqa
Le prosélytisme de l’Arabie saoudite
Port du voile en hausse parmi les musulmanes au Canada
Zunera Ishaq, who challenged ban on niqab, takes citizenship oath wearing it

Parus depuis :
Sondage: les Canadiens et les Québécois favorables au projet de loi 62 (2017-10-27)
Denmark passes law banning burqa and niqab (2018-05-31)
L’Algérie interdit le port du niqab sur le lieu de travail (2018-10-21)
Switzerland to ban wearing of burqa and niqab in public places (2021-03-07)
Burqa ban bill approved by Portugal’s parliament seen as targeting Muslim women (2025-03-17)

Pour consulter les textes de ce blogue consacrés au prix à payer pour l’appartenance au Canada, veuillez cliquer sur ceci

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| 2014-2018 (années Couillard), le prix du fédéralisme, Politique québécoise, Sociologie | Mots-clés : , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Analyse de la haine antimusulmane au Québec

Publié le 31 août 2017 | Temps de lecture : 13 minutes

Introduction

Littéralement, ‘islamophobie’ signifie peur de l’islam. Dans les faits, on utilise ce mot pour parler de l’hostilité à l’endroit de la religion musulmane ou de ceux qui la pratiquent. Or peur et hostilité sont deux choses bien différentes.

De plus, détester une religion et souhaiter du mal à ceux qui la pratiquent sont également deux choses différentes.

Voilà pourquoi le texte qui suit préfèrera utiliser l’adjectif ‘antimusulman’ qui lui, concerne spécifiquement les adeptes de l’Islam.

La haine

On ne peut combattre un phénomène qu’on refuse de nommer.

La haine se définit comme un sentiment violent qui pousse à désirer le malheur de quelqu’un ou à lui faire du mal. De son côté, le logiciel Antidote parle d’un sentiment qui donne envie de commettre des actions agressives envers une autre personne ou de se réjouir de sa souffrance.

Il y a donc divers degrés à la haine. Son expression ultime est l’anéantissement de l’existence l’autre.

Depuis la tuerie de Québec, tout le registre de la haine est couvert, de son expression la plus anodine (le manque d’empathie) à sa forme extrême (l’homicide), en passant par toutes les étapes intermédiaires (dont le vandalisme).

Sans les manifestations extrêmes de la haine, on pourrait éviter l’utilisation de ce mot en préférant des euphémismes comme ‘animosité’, ‘agressivité’, ou même ‘hostilité’. Mais depuis l’attentat de Québec, il faut appeler les choses par leur nom.

Lorsqu’on tue des Québécois musulmans en prière ou qu’on incendie l’auto d’un responsable musulman moins de deux jours après l’annonce de la création d’un cimetière musulman, c’est qu’on a affaire à de la haine.

À l’intérieur de cette gamme de sentiments à caractère haineux, il n’existe pas de seuil au-delà duquel la haine passe d’anodine à intolérable.

Comme tout être social, chacun d’entre nous est sensible au discours ambiant. Toute personne est donc susceptible d’évoluer dans un sens comme dans l’autre dans toute la gamme des sentiments d’hostilité à l’égard de quelqu’un.

La crainte de l’Islam en Occident est alimentée par le terrorisme international financé par la dictature maffieuse saoudienne et véhiculé par l’idéologie haineuse qu’elle propage.

En plus de cela, le discours antimusulman s’est répandu au Québec lors des controverses relatives aux accommodements raisonnables ou au port de signes religieux.

À la lecture des nombreux commentaires publiés par les médias, on peut distinguer quatre manières de diaboliser les Québécois musulmans. Ce sont :
• la victimisation de la majorité,
• la culpabilisation de la minorité
• le déni et la banalisation de l’intolérance
• la dangerosité par association

La victimisation de la majorité

Il faut être sourd aux leçons de l’Histoire pour ne pas réaliser que rien n’est plus dangereux que de faire croire à la majorité qu’elle est victime d’une de ses minorités religieuses ou ethniques.

Dans la fable Le Loup et l’agneau, le loup justifie son agressivité envers l’agneau en accusant ce dernier de troubler son breuvage.

La diabolisation des Québécois musulmans exige que ce soit eux les agresseurs et nous les victimes, de manière à justifier nos représailles, à l’instar de celles du loup.

La victimisation de la majorité est au cœur de la propagande toxique diffusée à pleine radio dans la Vieille capitale. Or ces radios ne font que participer à cette défense des ‘valeurs nationales’ défendues par tous les mouvements de Droite à travers le monde; au Québec, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, notamment.

C’est ainsi que le port d’un vêtement distinctif est présenté comme un acte de provocation. Ce vêtement — surtout s’il est féminin — témoigne d’un mépris des valeurs auxquelles, évidemment, la minorité refuse d’adhérer.

De la même manière, toute demande d’accommodement devient le symbole du complot de la minorité destiné à pervertir la société d’accueil.

En réalité, lorsqu’il est raisonnable, l’accommodement signifie ‘Vivre et laissez-vivre’; il consiste à laisser quelques-uns vivre à leur manière à eux, tout en laissant le reste de la société vivre comme il l’entend.

Toute exagération du préjudice subi par un accommodement fait partie de ce processus de fausse victimisation qui sert d’écran à la persécution.

Voilà pourquoi, lorsqu’on arrive mal à comprendre l’importance concrète du préjudice subi, c’est qu’on a affaire à une théâtralisation d’un préjudice insignifiant.

Par exemple, on s’indignera parce qu’une piscine publique est réservée quatre heures par semaine à la baignade non mixte (deux heures pour chaque sexe). Pour s’y opposer, on invoquera le caractère sacré, dit-on, de la mixité.

Or la mixité n’a jamais fait consensus au Québec; on possède des écoles primaires qui ne sont pas mixtes, des clubs sportifs, des prisons, et des toilettes.

Le scandale suscité par l’accommodement insignifiant sert donc de paravent à l’intolérance. Un paravent placardé de principes creux.

La culpabilisation de la minorité

Imaginez une personne qui oserait prétendre que les femmes victimes d’un viol ont couru après. Que si elles n’avaient pas porté des robes aussi courtes, des vêtements aussi moulants, adopté des démarches aussi provocantes ou s’être promenées si tard, tout cela ne serait pas arrivé.

Pourtant, c’est ce qu’on entend au sujet des causes de la tuerie de Québec.

Un lecteur du Devoir écrit :

Et si vous arrêtiez de traiter les femmes comme des citoyennes de deuxième ordre en sachant fort bien que cela nous choque profondément ?

Et si les femmes musulmanes arrêtaient de porter ce foulard islamique ostentatoire qui est perçu ici comme de la provocation ?

Ça fait plus de vingt ans qu’on vous le demande et vous refusez catégoriquement.

À la lecture de ces reproches, on comprend que les Québécois tués à la mosquée méritaient leur sort. Même s’il n’est pas certain que leurs épouses à eux portaient le voile. En effet, seule une minorité des Musulmanes portent le voile au Québec. Donc rien n’indique que les victimes étaient les époux de femmes voilées. Mais peu importe.

De la même manière, on reprochera aux Québécois musulmans de ne pas condamner publiquement les attentats terroristes commis par des coreligionnaires à l’Étranger.

La question à se poser est la suivante : y a-t-il des silences désapprobateurs ou est-ce que tout silence est complice ?

Chacun d’entre nous a-t-il le devoir de se dissocier de tout méfait commis par des inconnus avec lesquels nous partageons certaines caractéristiques. Par exemple, ai-je l’obligation de condamner publiquement chacun des crimes (par exemple, chaque viol) commis par un autre homme parce qu’autrement, mon silence serait complice ?

En réalité, les Québécois musulmans ne sentent pas le besoin de se dissocier d’un attentat islamiste tout simplement parce qu’ils n’en éprouvent pas de culpabilité. Et ceux qui, au contraire, veulent les tenir responsables pavent la voie aux représailles dont ils pourraient faire l’objet.

Le déni et la banalisation de l’intolérance

Comme beaucoup d’autres, les Québécois aiment croire qu’ils constituent un peuple gentil et bon, imperméable au sexisme, au racisme et aux intolérances de toutes sortes.

Il y a quelques jours, la Coalition Avenir Québec estimait qu’il n’y a pas de montée de l’extrême Droite au Québec.

À la suite de la tuerie de Québec, une lectrice du Devoir écrivait :

Ce texte parle de racisme, d’intolérance de l’autre, d’islamophobie, alors que c’est loin d’être le cas dans cette tuerie.

Ce à quoi je répondais :

À partir de combien de morts de Musulmans peut-on, selon vous, parler d’intolérance et d’islamophobie ?

Loin d’être un cas isolé, cette lectrice du Devoir représente la tendance de nombreux Québécois à nier les évidences qui nous obligeraient à faire une introspection douloureuse et à remettre en question l’image flatteuse que nous cultivons de nous-mêmes.

La dangerosité par association

Depuis les évènements new-yorkais du 11 septembre 2001, l’actualité nous rapporte presque quotidiennement de nouveaux attentats commis par des groupements islamistes à l’Étranger.

À force de répétition, ceux qui ne connaissent personnellement aucun Québécois musulman finissent par être envahis par l’appréhension de ce qu’ils ignorent. Or la peur ne se contrôle pas.

Voilà pourquoi on ne peut l’atténuer par des arguments rationnels : on l’atténue par des mesures rassurantes.

Si on exclut la création d’un centre de déradicalisation dont l’efficacité reste à démontrer, rien n’a été fait jusqu’ici au Québec à ce sujet.

Dans tous les cas où il aurait pu circonscrire la dangerosité d’éléments radicaux au sein de la communauté musulmane (certains imams montréalais, notamment), le gouvernement du Québec a négligé d’intervenir.

Comme si sa priorité n’était pas d’assurer la paix sociale au Québec. Il se comporte plutôt comme s’il cherchait à entretenir des débats identitaires stériles afin de tendre un piège à ses adversaires politiques, accusés de ne pas s’intéresser ‘aux vraies affaires’.

On trouvera à la fin du présent texte un ensemble de mesures inspirées de la loi autrichienne sur l’Islam et qui visent à garantir la liberté de l’exercice de la religion musulmane tout en encadrant la formation des imams de manière à rassurer l’ensemble de la population à ce sujet.

Au-delà de la controverse que suscitera sa mise en application — qui nécessitera sans doute l’invocation de la clause dérogatoire de la Canadian Constitution — on peut s’attendre à ce que ce plan ambitieux instaure à moyen terme un climat d’harmonie interreligieuse au Québec.

La responsabilité des ‘élites’

Les quatre moyens de diaboliser les Québécois musulmans — la victimisation de la majorité, la culpabilisation de la minorité, la banalisation de l’intolérance, et la dangerosité par association — sont utilisés jour après jour par les influenceurs radiophoniques de la ville de Québec depuis des années. Doit-on surprendre que leur idéologie toxique se répande ?

Lorsque des craintes irrationnelles menacent la paix sociale, les autorités politiques ont le devoir de calmer ces appréhensions.

En choisissant l’immobilisme, le gouvernement québécois porte une lourde responsabilité lorsque les choses s’enveniment.

Le chef de l’État doit donc dire et répéter à chaque fois qu’il en a l’occasion que les Québécois musulmans ne forment que trois pour cent de la population québécoise et qu’il est impossible qu’aussi peu de gens obligent le Québec à devenir ce qu’il ne veut pas être.

Deuxièmement, il faut instaurer des mesures susceptibles de rassurer à la fois les adeptes de la religion musulmane et la population en général (voir le plan à la fin du texte). Or rien à ce sujet n’a été fait depuis trois ans.

Et troisièmement, il doit combattre le féminisme de chiffon, principal moyen utilisé par la Droite pour susciter l’animosité contre les Québécoises musulmanes.

Références :
«Aidez-nous à comprendre» l’attentat de Québec
Attentat à Québec — Devant la mosquée, la consternation
Baignades non mixtes à Côte-des-Neiges – À la défense des prudes
De nombreux appels à la haine sur la page Facebook de Bernard « Rambo » Gauthier
La Charte de la laïcité : un mauvais départ
La CAQ estime qu’il n’y a pas de montée de l’extrême droite au Québec
La classe politique québécoise s’émeut après le crime commis contre un leader musulman
La Meute, un groupe Facebook contre « l’invasion de l’islam »
Le Centre de prévention de la radicalisation visé par l’extrême droite
Le Féminisme de chiffon
Le Québec face à l’islamophobie
Les braises de l’intolérance
Pour qu’ils ne soient pas morts en vain
43 000 membres pour le groupe d’extrême droite la Meute
Radicalisme : Couillard s’en lave les mains

Parus depuis :
La droite identitaire, plus dangereuse que l’islam radical (2017-09-14)
Attentat de Québec: de la haine est née la fraternité (2018-01-20)
Les crimes haineux sont en hausse depuis l’attentat de la mosquée de Québec (2018-01-29)
Le terrorisme et l’extrémisme violent au Canada (2018-05-20)
Le discours de La Meute disséqué à l’université (2019-05-22)
L’extrême droite québécoise attire des profils variés (2019-06-01)
Québec, une des pires villes du pays pour ce qui est des crimes haineux (2020-11-29)


Annexe : Plan visant à consacrer la neutralité religieuse de l’État québécois, à encadrer la formation des imams, à assurer le qualité de l’exercice de l’imanat, et à garantir la liberté de l’exercice de la religion musulmane :

A) l’obligation d’offrir et de recevoir des services de l’État à visage découvert (ce que le gouvernement Couillard dit vouloir faire depuis des années sans jamais le faire),

B) le retrait de tout signe religieux amovible sur les murs de tous les édifices appartenant à l’État.

C) l’obligation des imams de parler la langue du pays,

D) l’interdiction du financement étranger quant aux frais de construction et de fonctionnement des institutions confessionnelles,

E) l’obligation pour les municipalités de dresser des règles d’urbanisme claires relativement à la construction des lieux de culte et l’interdiction de les modifier afin de faire obstacle à la construction d’un de ces lieux,

F) la modification des lois entourant les pratiques funéraires de manière à légaliser les pratiques musulmanes, comme l’a fait la France,

G) la subvention aux cimetières du Québec qui voudront devenir multiconfessionnels,

H) la création d’une école coranique de niveau universitaire basée sur des préceptes modernes :

  • l’œcuménisme, c’est-à-dire ouverte à toutes les confessions musulmanes,
  • la parité sexuelle stricte du corps professoral, y compris au niveau de la direction,
  • l’obligation du corps professoral de publier le résultat de leurs recherches au sujet des textes sacrés,
  • la création d’une bibliothèque électronique accessible par l’internet qui permet la consultation des publications et des avis religieux (fatwas) émis par les professeurs,
  • l’interdiction formelle de tout avis religieux (fatwa) qui, directement ou indirectement, suggèrerait que quelqu’un devrait être mis à mort,
  • la mixité des élèves et leur disposition en classe qui ne suggère aucune subordination sexuelle,
  • l’interdiction de tout financement étranger tant pour la création de l’école que pour son fonctionnement, et
  • l’émission d’un diplôme d’attestation de réussite qui pourrait éventuellement servir de base à la certification des imams au Québec.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le Patio culturel de Maisonneuve

Publié le 15 août 2017 | Temps de lecture : 3 minutes

Inaugurée en 1981, la Maison de la culture Maisonneuve fut la première à Montréal. À l’origine, elle logeait dans la bibliothèque située au coin des rues Ontario et Pie-IX.

Maison de la culture Maisonneuve

En 2005, elle déménagea tout près, dans l’édifice de l’ancienne caserne de pompier situé de l’autre côté de la rue Desjardins (photo ci-dessus).

Cet édifice a été construit en 1906-1907 par l’architecte Charles-Aimé Reeves (1872-1948) dont la nouvelle demeure était tout près.

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À droite de la Maison de la culture, on a placé l’armoire vitrée nommée ‘Au plaisir des mots’, alimentée par les citoyens du quartier désireux de se départir de livres au profit de ceux qui seraient intéressés.

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À deux pas, on a installé un babillard métallique plutôt bas, au niveau des enfants. Sur celui-ci sont affichés des dessins d’enfants (reproduits sur plaque métallique) illustrant des textes sur le thème de l’enfance.

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Au-dessus de tout cela, sur les vitres de la Maison de la culture, on a cité les cinq poètes québécois suivants : Anne Hébert, Gaston Miron, Marie Uguay et Gérald Godin.

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Entre la Maison de la culture et la Bibliothèque municipale, la rue Desjardins est interdite à la circulation durant l’été.

C’est à cet endroit qu’on a installé des tables, des chaises de jardin et une borne Wifi gratuite de manière à ce que des citoyens puissent y consulter des imprimés ou l’internet pendant que leurs enfants s’amusent dans des carrées de sable. Des séances d’écriture y sont organisées.

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Cet aire de repos se prolonge sur le terrain ombragé de la bibliothèque.

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Entre les rues La Fontaine et Ontario, les arbres de la rue Desjardins affichent des textes sélectionnés par un comité de 25 poètes québécois. J’ai choisi de montrer celui-ci en raison de ces modestes fleurs qu’un citoyen anonyme a ajouté.

Bref, la Maison de la culture Maisonneuve contribue à sa manière à ce plaisir de vivre tout simple qui rend la métropole si conviviale.

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8
1re photo : 1/5000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm
2e  photo : 1/1250 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm
3e  photo : 1/2500 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 18 mm
4e  photo : 1/1000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 18 mm
5e  photo : 1/4000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 12 mm
6e  photo : 1/2500 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 25 mm
7e  photo : 1/640 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 12 mm
8e  photo : 1/500 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 22 mm
9e  photo : 1/500 sec. — F/3,2 — ISO 200 — 31 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le Québec, paradis de l’exploration pétrolière

Publié le 28 juillet 2017 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

Avant d’aller plus loin, distinguons deux mots similaires : exploration et exploitation.

L’exploration pétrolière consiste à chercher du pétrole et, si on en trouve, à évaluer la quantité présente, de même que la profitabilité de son extraction.

L’exploitation pétrolière est l’extraction, le transport et la vente du pétrole trouvé.

Il faut un permis du gouvernement québécois pour procéder à l’exploration pétrolière et un autre pour l’exploitation pétrolière. L’obtention de l’un n’entraine pas automatiquement l’obtention de l’autre.

Si de nombreux permis de recherche d’hydrocarbures ont été accordés, aucune compagnie ne possède actuellement de permis d’exploitation d’un site pétrolier situé au Québec.

Lorsque les quotidiens La Presse et Le Devoir publient aujourd’hui des textes annonçant la fin de l’exploitation pétrolière à Anticosti, il s’agit d’une figure de style puisque l’exploitation pétrolière, à Anticosti comme ailleurs, n’a jamais débuté.

La fin de l’exploration pétrolière à Anticosti

Plus tôt aujourd’hui, on annonçait une entente intervenue entre l’État québécois et trois des cinq pétrolières qui possèdent des permis d’exploration sur l’ile.

En raison de la générosité des montants accordés, il y a lieu de croire qu’une entente similaire interviendra avec les deux autres pétrolières concernées.

L’entente met fin à une dispute commerciale née de la rupture unilatérale par le gouvernement Couillard du contrat d’investissement conclu entre le gouvernement Marois et les pétrolières.

Aujourd’hui, ces dernières renoncent à poursuivre l’État, cessent toute activité de prospection sur l’ile, et abandonnent implicitement tout espoir d’y extraire des hydrocarbures à des fins commerciales.

Cet abandon est d’autant plus facile pour elles que la commercialisation du pétrole d’Anticosti n’est pas rentable.

Absence de rentabilité des hydrocarbures d’Anticosti

À ce jour, l’exploration pétrolière a démontré que le sous-sol d’Anticosti renferme des dizaines de millions de barils de pétrole.

Ce pétrole est présent sous forme d’une multitude de gouttelettes dispersées dans le roc de l’ile. Toutefois, la concentration des hydrocarbures est trop faible pour qu’il soit rentable de briser cette roche pour en extraire le pétrole.

Les techniques actuelles ne permettent que de récupérer 1,2 % du pétrole qui s’y trouve. Pour en extraire 100 %, il faudrait réduire tout le sous-sol d’Anticosti en poudre, ce qui est impensable.

Même à 100$ du baril, extraire ce 1,2 % permettrait d’obtenir 50 milliards$ de pétrole. Sauf que cela couterait 120 milliards$ pour l’extraire.

Non seulement le pétrole serait extrait à perte mais il faudrait construire des milliers de kilomètres de pipelines pour acheminer ce pétrole déficitaire aux marchés.

Fondamentalement, ce qui protège Anticosti de l’exploitation commerciale de ses gisements pétroliers, c’est l’absence de rentabilité.

Paradoxalement, les millions$ que versera le gouvernement Couillard favorisent l’exploration pétrolière au Québec plutôt qu’ils ne le découragent.

L’État éponge les pertes des pétrolières

Le seul endroit au monde où l’État rembourse les pertes des pétrolières lorsque leur prospection s’avère non rentable, c’est au Québec.

Récapitulons.

En 2008, le gouvernement Charest ordonne à Hydro-Québec de cesser sa recherche infructueuse du pétrole à Anticosti et l’oblige à céder ses droits à Pétrolia en vertu d’une entente secrète.

Deux ans plus tard, Pétrolia annonce la découverte de l’équivalent de quarante-milliards de barils de pétrole à Anticosti.

Cette déclaration fracassante a donné naissance à la rumeur selon laquelle le gouvernement Charest avait vendu la poule aux œufs d’or pour une bouchée de pain à des pétrolières amies.

Pour en avoir le cœur net, le gouvernement péquiste de Mme Marois s’est engagé à investir 56,7 millions de dollars (sur les 115 millions$ originellement prévus) dans le capital-actions de Pétrolia à la condition que cet argent serve exclusivement à la recherche d’énergie fossile (et non à payer des augmentations de salaire à ses dirigeants).

De plus, en vertu de cette entente, la collectivité québécoise recueillerait 60 % des bénéfices d’une éventuelle exploitation si celle-ci s’avérait être rentable.

Mais de retour au pouvoir, les Libéraux en ont décidé autrement. Présumant à juste titre que les nouveaux forages ne révèleraient rien de plus que ce qu’on savait déjà, le gouvernement Couillard rompt le contrat, s’exposant ainsi à des poursuites, ce qui fut le cas.

Plutôt que de dépenser 56,7 millions$ comme le prévoyait le gouvernement Marois à fixer une fois pour toutes le potentiel pétrolier de l’ile (ce qui fait travailler les ouvriers de ce secteur industriel), le gouvernement Couillard dépensera une somme équivalente ou supérieure qui ira dans les coffres des pétrolières afin de régler un conflit qu’il a provoqué.

Conclusion

Si l’État québécois avait laissé les pétrolières moisir dans leur jus, celles-ci y penseraient deux fois avant d’entreprendre de nouvelles activités de prospection en sol québécois. Mais en épongeant leurs pertes, le gouvernement Couillard diminue le risque spéculatif de la recherche d’hydrocarbures au Québec.

En d’autres mots, l’entente intervenue est un brillant exercice de manipulation de l’opinion publique, applaudie unanimement par les groupes environnementaux. En réalité, sous le voile de la protection d’Anticosti, le gouvernement Couillard assume la recherche d’hydrocarbures au Québec lorsque celle-ci s’avère non rentable.

Finalement, tout comme les sommes versées à Bombardier, rien n’empêchera les dirigeants des pétrolières de s’accorder de généreuses primes à partir de l’argent public.

Lorsque cette entente sera étendue aux deux autres pétrolières, on estime qu’entre 100 et 200 millions$ de l’argent des contribuables auront été dépensés dans ce dossier.

La saga de la recherche pétrolière à Anticosti aura été une longue succession de magouilles et de gaspillage des fonds publics. Sa conclusion n’y fait pas exception.

Dans le cas de certaines des pétrolières concernées, celles-ci ont obtenu des permis d’exploration sans se livrer à aucune activité de prospection. En revendant leurs permis inutilisés, elles réalisent un pourcentage de profit faramineux.

Cette saga se résume en deux phrases. En 2008, le gouvernement libéral de Jean Charest accorde des permis d’exploration sur Anticosti pour une bouchée de pain : neuf ans plus tard, le gouvernement libéral de Philippe Couillard les rachète à prix d’or après qu’ils se soient avérés sans valeur.

Références :
Anticosti : payer 200 millions$ pour une pétrolière qui vaut 16,5 millions$
Finie l’exploitation pétrolière à Anticosti
Finis les projets d’exploitation pétrolière et gazière sur l’île d’Anticosti
L’ABC du pétrole d’Anticosti
Pétrole sur Anticosti : c’est officiellement la fin

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le référendum de Saint-Apollinaire

Publié le 20 juillet 2017 | Temps de lecture : 7 minutes

Les problèmes pourrissent plus lentement que les dépouilles

Dimanche dernier, par un vote de 19 contre 16, des citoyens de la municipalité de Saint-Apollinaire ont refusé une modification de zonage qui aurait permis la création d’un cimetière musulman à proximité de leur domicile.

Après avoir lu de nombreux éditoriaux et commentaires publiés à ce sujet, j’en suis venu à la conclusion que ce fait divers est relativement sans importance.

Ce refus est certainement décevant pour le Centre culturel islamique de Québec (qui pilotait ce projet); si le ‘Oui’ l’avait emporté, cela réglait le problème des fidèles qui fréquentent sa mosquée.

Mais cela laissait intact le même problème vécu par presque tous les autres Musulmans du Québec.

En somme, un référendum positif n’aurait pas réglé grand-chose. Conséquemment, il est futile de chercher à savoir si le référendum a été rejeté pour les bonnes ou les mauvaises raisons.

En réalité, tout cela est devenu un ‘problème’ parce que les choses trainent.

On a un gouvernement prompt à nous assurer de son dévouement devant les caméras; on le voit donc la main sur le cœur — quand ce n’est pas la larme à l’œil — nous promettre d’agir promptement.

Mais quand vient ce temps d’agir, justement, il se traine les pieds.

Ceux qui regardent la retransmission télévisée de la période de questions de l’Assemblée nationale, constatent que l’excuse récurrente du gouvernement Couillard lorsqu’un dossier n’est toujours pas réglé, c’est que la faute en incombe au gouvernement Marois.

En réalité, le gouvernement Marois n’a été qu’un interlude de 18 mois dans les quinze ans de pouvoir presque ininterrompu de régime libéral. Évidemment, il n’a pas résolu tous les problèmes du Québec.

La question fondamentale à se poser est la suivante : comment se fait-il qu’après quinze ans, certains problèmes simples ne soient toujours pas réglés ?

Que les Québécois musulmans qui prennent racine au Québec veulent s’y faire enterrer, cela est légitime.

Or ce n’est pas d’hier que nous accueillons au Québec des Musulmans. Est-ce qu’il était écrit quelque part que nous les accueillions à la condition qu’ils changent de religion ? Non ? Alors qu’est-ce qu’on attend ?

Les correctifs

M. Philippe Couillard à l’aréna Maurice-Richard, le 2 février 2017

Le 2 février dernier, aux funérailles montréalaises des victimes de l’attentat terroriste de Québec, le premier ministre a appris (s’il ne le savait pas déjà) que ceux qui s’occupent ici des funérailles des Québécois musulmans rencontrent deux difficultés majeures.

A) La rareté des lieux de sépulture

La première difficulté, c’est qu’il y a très peu d’endroits au Québec où les Musulmans peuvent se faire enterrer.

La principale porte-parole des opposants à la création d’un cimetière musulman à Saint-Apollinaire justifiait son opposition en soutenant que les Québécois musulmans devaient plutôt choisir de se faire enterrer dans des cimetières multiconfessionnels.

Que les Québécois musulmans soient enterrés dans des cimetières qui leur sont exclusifs ou non, cela n’est pas important à nos yeux. Mais ce n’est pas à nous d’en juger.

Si certains Québécois musulmans en décident autrement, qui sommes-nous pour les forcer à modifier leurs préférences ?

Ceci étant dit, il faut réaliser que les milieux de droite ou d’extrême droite ont créé un climat toxique à l’égard des Québécois musulmans. Ce à quoi il faut s’attaquer, ce n’est pas aux radiopoubelles de Québec, aux partis politiques qui carburent à l’islamophobie, ni aux milices d’extrême droite comme La Meute; il faut combattre l’idéologue qui les anime.

Or changer des mentalités prend beaucoup de temps.

D’ici là, pour l’État québécois, la solution la plus simple est de consacrer des sommes d’argent aux cimetières du Québec qui voudront devenir multiconfessionnels, sous réserve de différents critères, dont celui de l’acceptabilité sociale dans leurs milieux respectifs. Cela les obligera à travailler eux-mêmes à cette acceptabilité s’ils veulent bénéficier de cette subvention.

Cela ne règle pas le problème des Québécois musulmans qui souhaitent que leurs proches soient enterrés dans un cimetière spécifiquement musulman. Mais cela règle, dans un premier temps, le problème des autres.

Une chose à la fois.

Dans tous les cas, imposer à une municipalité l’obligation d’accueillir un cimetière (confessionnel ou non) à l’encontre de la volonté de ses citoyens, cela entraine la mise sur pied de mesures répressives pour contrer la profanation des sépultures et le vandalisme des stèles ou des monuments funéraires. Concrètement, c’est l’équivalent de lutter contre le vent. Dans ce sens, ce référendum était une bonne chose.

Il y a plus de mille municipalités au Québec. Il n’est pas nécessaire que chacune d’elles ait son propre cimetière musulman ou multiconfessionnel. Il suffit que de tels cimetières se retrouvent çà et là sur l’ensemble du territoire national.

Pour ce faire, il ne faut qu’un seul prérequis; une volonté politique. Pas seulement de belles paroles.

B) L’obligation d’embaumer

Le rituel funéraire musulman a été établi dans des pays dont le climat est désertique, à une époque où la climatisation n’existait pas.

Selon ce rite, les corps sont simplement lavés et enveloppés dans un linceul avant l’enterrement. Ce linceul est composé d’un nombre impair de pièces de tissus. Quant à lui, l’enterrement doit avoir lieu dans les 24 heures qui suivent le décès.

En France, les démarches administratives font en sorte que les délais pour l’enterrement sont un peu plus longs. Conséquemment, les cercueils y sont obligatoires pour des raisons sanitaires.

Après la rareté des lieux de sépulture, le deuxième problème au Québec, c’est que seuls l’incinération ou l’enterrement après embaumement sont permis. Après embaumement, cela signifie après avoir retiré le sang et les viscères de la dépouille.

Puisque l’embaumement est interdit par le rite musulman, cela oblige les Québécois musulmans qui en ont les moyens de rapatrier les corps à l’Étranger pour que l’enterrement se fasse selon les rites de leur religion.

Que faut-il faire pour corriger cela ? C’est simple.

On consulte la norme française à ce sujet. Par couper-coller, on en fait un projet de loi en y ajoutant le préambule commun à toutes les lois du Québec. Puis on le met au feuilleton de l’Assemblée nationale et on l’adopte. C’est tout.

Comment se fait-il que rien n’a été fait depuis février dernier ? Combien faut-il de mois ou d’années pour qu’un gouvernement élu sur la promesse de s’occuper des ‘vraies affaires’ se grouille le derrière ?

C’est un mystère…

Références :
Cimetière musulman: l’«histoire n’est pas terminée», dit Couillard
Funérailles montréalaises de trois des victimes de l’attentat de Québec

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’été de 1967

Publié le 22 juin 2017 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Dans les mois qui viennent, on pourra voir à Montréal les expositions ‘À la recherche d’Expo 67’ (au musée d’Art contemporain), ‘Expo 67 — Rêver le monde’ (au musée Stewart), et ‘Mode Expo 67’ (au musée McCord).

En plus, le Musée des Beaux-Arts présente l’exposition britannique ‘Revolution’, qui porte sur l’effervescence artistique de la deuxième moitié des années 1960.

Trois mots expliquent cette période; jeunesse, fatalité et hédonisme.

Jeunesse

La deuxième moitié des années 1960 voit l’arrivée sur le marché du travail des Baby Boomers. On appelle ainsi ceux qui sont nés au cours des années suivant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Le pouvoir d’achat soudain d’une jeunesse dépensière issue de cette explosion démographique bouleverse la société de consommation occidentale de l’époque.

Depuis la fin de la guerre, la très grande majorité des biens achetés étaient des biens durables; voitures neuves, maisons, ameublement, et électroménagers (notamment des articles de robotisation des tâches domestiques).

Mais ces babyboumeurs ont un profil de consommation diamétralement opposé à celui de leurs parents.

Fatalité

À cette époque, le monde est divisé en deux clans ennemis représentés par les États-Unis et la Russie. Nous sommes au paroxysme de la Guerre froide.

Chacun de ces clans a accumulé un stock d’ogives nucléaires capable de détruire plusieurs fois toutes les villes de plus de cent-mille personnes du clan adverse.

Pourquoi plusieurs fois ? Au cas où la majorité de ces ogives seraient interceptées. On veut la certitude d’anéantir l’ennemi.

La probabilité que l’Humanité puisse survire à une autre guerre mondiale est nulle; personne ne pourrait échapper à l’intense radioactivité qui détruirait toute vie sur Terre à l’exception des bactéries et des insectes.

Hédonisme

Contrairement à leurs parents à leur âge, on ne rêve plus à cette petite famille qu’on fonde et élève dans une banlieue récemment plantée d’arbres, dans une maison unifamiliale qui abrite même l’auto de papa et devant laquelle les paysagistes s’affairent à installer le gazon acheté en rouleau.

Sous la menace de l’anéantissement de toute vie sur Terre, il ne sert à rien de penser à l’avenir : seul l’instant présent compte. Et il faut le vivre intensément.

Les artistes sont animés de l’urgence de créer pendant qu’ils le peuvent. On décore et s’habille de couleurs vives. La musique se fait bruyante et audacieuse : pour en maximiser l’impact, on voudra l’écouter au cours de messes qui réunissent des foules gigantesques. Les drogues permettent d’expérimenter des perceptions sensorielles impossibles autrement.

Et pour augmenter les chances de survie de l’espèce, on explore des modes d’organisation sociale où les enfants ne sont plus la propriété exclusive d’un couple, mais sont élevés collectivement. Où l’exclusivité sexuelle n’est plus la règle.

Rapidement, l’industrie s’ajuste à cette clientèle libre de toute tradition et ouverte autant à la vulgarité qu’au sublime.

Cinquante ans plus tard, ce que nos musées exposent, ce ne sont pas les artéfacts d’une période révolue. Leur véritable sujet est intangible; c’est l’hédonisme d’une époque caractérisée par une révolution esthétique aussi éphémère que fascinante.

Un évènement emblématique

Si les musées montréalais ont choisi de symboliser cette époque par l’Expo 67, c’est que cet évènement est emblématique.

Après le désistement-surprise de la Russie — qui avait été choisie à la place de Montréal pour tenir l’évènement — on demande à la ville perdante, Montréal, de prendre la relève.

Mais les délais sont trop courts. Devant le fiasco probable de l’entreprise, peu de gens qualifiés veulent risquer leur carrière à prendre en charge la tenue de l’exposition.

Les pouvoirs publics confient donc a une équipe de jeunes —  talentueux mais relativement inexpérimentés — la tâche de faire de leur mieux en organisant une exposition dont le Canada n’aurait pas trop honte.

Et alors que de très nombreux commentateurs (surtout au Canada anglais) critiquent l’irresponsabilité des pouvoirs publics, l’optimisme et l’enthousiasme des organisateurs viennent à bout de tous les obstacles. Ceux-ci mettent finalement sur pied, dans les délais prévus, la plus grande exposition universelle de tous les temps.

Et pour les millions de visiteurs émerveillés, l’été de 1967 demeurera imprégné dans leur mémoire comme étant l’époque où tous les rêves étaient possibles…

Sur le même sujet :
La leçon d’Expo67

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Corruption : le ‘verrou’ libéral

Publié le 11 mai 2017 | Temps de lecture : 15 minutes

Introduction

Le 27 avril 2017, Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, déclarait à la radio qu’il existait un verrou mis en place pour bloquer la mise en accusation de deux élus du Parti libéral du Québec.

Ces allégations extrêmement graves ne concernent que le cas de ces deux personnes. Toutefois, cela a suffi à alimenter les rumeurs selon lesquelles un tel verrou expliquerait l’absence de condamnation des élus libéraux qui ont trempé dans le système de corruption de l’État québécois mis en place au début des années 2000 et qui a fonctionné pendant près d’une décennie.

Origine de la corruption sous Jean Charest

La commission Charbonneau a révélé que l’assujettissement des ministres à rapporter 100 000$ par année à la caisse du Parti libéral du Québec (PLQ) s’est soldé par un vaste pillage du Trésor public. Ce système permettait à des entrepreneurs de gonfler le cout des contrats d’infrastructures moyennant le paiement d’une modeste contribution à la caisse du PLQ.

L’obligation de rapporter annuellement 100 000$ créait une relation d’assujettissement du ministre à la caisse du Parti libéral du Québec plutôt qu’à la nation. La contribution de l’entrepreneur était d’autant plus appréciée que sans elle, le ministre se trouvait relégué au rang de simple député.

Toutefois, à l’époque de la commission Charbonneau, les personnes impliquées dans l’attribution des contrats se sentaient surveillées. Conséquemment, le montant des contrats d’infrastructures a baissé de 30%. Seulement pour 2013, le ministère des Transports aurait économisé 240 millions$.

Les dessous de la corruption sous Jean Charest

On appelle ‘extras’ les dépassements de cout autorisés. C’est le principal mécanisme par lequel s’opérait la corruption sous le gouvernement Charest. Voici comment on procédait.

À la suite d’un appel d’offres gouvernemental, un entrepreneur soumettait l’offre la plus basse en vue de réaliser le projet. Évidemment, il obtenait le contrat.

Toutefois, en cours de réalisation, le ministère exigeait des modifications au devis. L’entrepreneur aurait pu s’y opposer en invoquant les couts supplémentaires que cela entraine.

Mais voilà, ces changements étaient justement le prétexte qu’attendait l’entrepreneur pour faire gonfler la facture, lui qui avait parfois soumissionné à perte dans le but d’obtenir un contrat, confiant de pouvoir se reprendre avec les extras.

En renégociant ce contrat — qui ne pouvait pas être confié à quelqu’un d’autre en raison de l’avancement des travaux — le ministère, complice dès le départ de cet entrepreneur, payait à prix d’or les changements apportés au projet.

Les artisans de la corruption sous Jean Charest

Ce système nécessitait la collaboration d’un grand nombre de complices.

Les collecteurs de fonds devaient s’assurer que les entrepreneurs étaient bien récompensés par l’obtention de contrats publics contrepartie de leur contribution à la caisse du parti.

Des hauts fonctionnaires devaient trouver le prétexte qui justifiait une modification au devis permettant de charger les extras.

Dans d’autres cas, les directeurs de projet s’employaient à scinder l’ouvrage en contrats plus petits de manière à ce qu’ils passent sous le seuil au-delà duquel un appel d’offres est exigé par la loi. Par la suite, on accordait de gré à gré ces petits contrats à des entrepreneurs amis.

C’est ainsi que le gouvernement Charest a triplé le nombre de contrats accordés sans appel d’offres.

Les firmes d’ingénierie orchestraient la collaboration de différents fournisseurs spécialisés (plomberie, peinture, électricité, etc.) parmi ceux qui faisaient partie du ‘gang’.

De l’UAC à l’UPAC

Afin d’éviter de mettre sur pied une commission d’enquête sur l’industrie de la construction, le premier ministre Jean Charest créait en février 2010 une équipe multidisciplinaire spéciale appelée Unité anticollusion au ministère des Transports du Québec (UAC), dirigée par Jacques Duchesneau.

Très tôt, l’UAC suscite le mécontentement et la grogne. Ses policiers posent beaucoup de questions. Beaucoup trop.

Afin de mater Jacques Duchesneau, le gouvernement Charest décide, en mars 2011, de créer une Unité permanente anticorruption (UPAC), plus vaste, dirigé par Robert Lafrenière, lui aussi opposé à la tenue d’une commission d’enquête.

Le 14 septembre 2011, la publication du rapport dévastateur de Jacques Duchesneau a l’effet d’une bombe.

Le scandale est tel que Jean Charest se voit forcé, cinq jours plus tard, de mettre sur pied une commission d’enquête à ce sujet.

Mais Jean Charest est furieux. Exactement deux semaines après la révélation du rapport Duchesneau, ce dernier est finalement congédié par Robert Lafrenière.

Entre l’UPAC et la Commission Charbonneau

Telle que créée originellement, la commission Charbonneau n’avait pas de dents; elle ne pouvait contraindre personne à témoigner.

Après de nombreuses protestations, Jean Charest est forcé d’accroitre les pouvoirs de la commission Charbonneau.

Mais, rappelle-t-il, la commission devra prendre soin de ne pas nuire aux enquêtes de l’UPAC, une mise en garde que répètera Robert Lafrenière.

En d’autres mots, faites bien attention à ce que vous allez révéler.

Déjà en avril 2013, j’accusais publiquement la commission Charbonneau de se trainer les pieds plutôt que d’aborder enfin la corruption de l’État québécois.

Effectivement, à la remise du rapport de la commission le 24 novembre 2015, nous savions tout de la corruption municipale de Montréal et de celle d’un syndicat de la construction.

Mais au sujet de celle de l’État québécois, la commission ne nous apprenait rien de plus que ce qui se trouvait déjà dans le rapport Duchesneau, dévoilé quatre ans plus tôt.

Le blocage

Le système organisé de corruption de l’État mis en place par Jean Charest n’a donné suite à aucun procès. Créée en mars 2011, l’UPAC a eu six ans pour punir ceux qui ont pillé le Trésor public et surtout, ceux qui ont mis en place un système bien huilé de corruption de l’État québécois qui a opéré durant les années 2000.

La seule action concrète est une accusation-surprise contre Nathalie Normandeau à la veille du renouvèlement de mandat de Robert Lafrenière, assurant ainsi le prolongement de son mandat.

Le 24 avril 2017, des fuites policières révélaient que Jean Charest et le grand argentier ‘bénévole’ du PLQ, Marc Bibeau avaient été sous enquête de l’UPAC. De plus, ces fuites précisaient quelques informations — la plupart anodines mais quelques-unes incriminantes — obtenues par l’UPAC.

Trois jours plus tard, Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, faisait à la radio la déclaration dont il a été question au début de ce texte.

Un tsunami de rumeurs a alors déferlé sur la classe politique. De nombreux éditorialistes ont alimenté les doutes quant à l’intégrité des organismes chargés de sanctionner la corruption au Québec.

Indigné par ces révélations, le gouvernement libéral actuel a souligné l’importance de respecter les institutions.

S’il est vrai que l’autorité s’impose, le gouvernement semble oublier que le respect, lui, se mérite.

Il est donc vain d’ordonner le respect envers les institutions. La seule manière d’assurer le respect des institutions, c’est en prouvant au public que celles-ci font leur travail.

La réaction de la DPCP

Lorsque l’UPAC collige suffisamment de preuves de malversations et devient convaincu de la culpabilité de suspects, il transmet leur dossier à la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP). C’est la DPCP qui est responsable de porter plainte devant les tribunaux.

Depuis six ans, l’UPAC n’a transmis qu’un seul dossier à la DPCP au sujet de la corruption au niveau du gouvernement québécois, soit celui de Mme Normandeau et de ses complices présumés.

Si ce dossier avait bien trainé quelques mois à la DPCP, il a finalement abouti grâce à des changements de responsables à la faveur d’une réorganisation administrative.

Un des analystes politiques les plus respectés au Québec est le chroniqueur Michel David du Devoir. Le 4 mai dernier, alors que les spéculations allaient bon train quant à savoir à quel niveau se trouvait le ‘verrou libéral’, ce journaliste donnait à sa chronique le titre ambigu de La loi de Murphy (qui est le nom de famille de la directrice de la DPCP). Certains y ont vu une manière subtile de pointer un doigt accusateur dans la direction de la DPCP.

La plainte concernant Mme Normandeau stagne depuis un an. Le 7 mai, la DPCP a décidé de sauter l’étape de l’enquête préliminaire qui devait débuter le 5 juin prochain. Cela signifie que les accusés iront directement en procès, peut-être dès cette année.

La DPCP n’a pas justifié cette décision exceptionnelle. Mais il y a lieu de croire que l’accélération des procédures est sa réponse à l’exaspération croissante du public à ce sujet.

Cet organisme ne pouvait manifester plus clairement et de manière plus convaincante son désir d’aller rapidement au fond des choses.

Le seul reproche que j’adressais au DPCP est le suivant.

Si on exclut le cas précis de l’ancien ministre Tony Tomassi, et les présents insignifiants — quelques bouquets de fleurs et des billets de concert — il faut réaliser que la corruption de l’État sous Jean Charest a peu profité personnellement à ses ministres; elle a profité à des entrepreneurs amis et à des collecteurs de fonds. L’un de ces derniers pouvait même exercer ses activités de financement ‘bénévolement’ tant les bénéfices qu’il en retirait étaient importants.

Aujourd’hui Nathalie Normandeau n’en serait pas réduite à faire de la radio si elle s’en était mise plein les poches. En somme, elle n’a pas les moyens de payer des avocats pendant des années à retarder les procédures contre elle. Mais en portant des accusations à la fois contre elle et contre six coaccusés richissimes, on lui permet de se placer sous l’aile protectrice des autres accusés qui, eux, auront les moyens de retarder sa cause.

Pensons que les dates de comparution et de procès devront tenir compte des disponibilités de sept avocats (celui de Mme Normandeau et des six coaccusés), ce qui retarde d’autant le procès.

En dépit de cette réserve, s’il y a un verrou, je ne crois pas qu’il se trouve à ce niveau. À mon avis, les yeux doivent se tourner vers l’UPAC.

La réaction de l’UPAC

Pour lever les soupçons de verrou à l’UPAC, son directeur a témoigné récemment en commission parlementaire.

De son témoignage, je retiens trois choses. En ordre décroissant d’importance, ce sont :

Les procédures dilatoires

Robert Lafrenière a affirmé que des procédures dilatoires utilisées par les avocats de Marc Bibeau —  grand argentier ‘bénévole’ de M. Charest à l’époque où ce dernier était premier ministre — avaient empêché jusqu’en février 2017 l’UPAC d’accéder à des preuves-clés d’une enquête débutée en 2013.

Cette enquête porte sur des malversations relatives à trois entreprises appartenant à Marc Bibeau.

Doit-on comprendre que des procédures dilatoires ont paralysé toutes les enquêtes de l’UPAC concernant la corruption de l’État québécois autres que celles qui ont abouti à l’accusation contre Mme Normandeau ?

Ce n’est pas ce qu’a dit Robert Lafrenière. Mais en mettant de l’avant le cas très précis de cette enquête, le directeur de l’UPAC s’en sert comme d’une muléta pour détourner notre attention.

Qu’en est-il de toutes les autres enquêtes ? Pourquoi n’aboutissent-elles pas ?

Une enquête peut durer neuf années

Lorsque des enquêteurs se butent à l’omerta de tous les comploteurs, leur enquête peut effectivement être très longue.

Mais sur le nombre considérable de personnes qui ont participé au pillage du Trésor public sous Jean Charest, on compte probablement déjà un certain nombre de repentis.

La commission Charbonneau a misé sur un petit nombre de témoins-vedettes (Lino Zambito et Ken Pereira) pour faire avancer ses travaux.

Sur les dizaines (si ce n’est pas des centaines) d’entrepreneurs impliqués, je ne peux pas croire qu’il n’y ait aucun repenti prêt à témoigner.

Le cas de chacun de ces repentis peut faire l’objet d’une plainte différente.

En effet, il n’est pas nécessaire de porter une plainte encyclopédique qui regroupe tous les comploteurs; après un certain nombre de condamnations individuelles à des peines d’emprisonnement, les langues se délieront et cette pyramide s’effondrera d’elle-même.

Conséquemment, l’excuse d’une ‘enquête peut prendre neuf ans’ ne tient pas debout.

Le ‘fuiteur-bandit’

Les mots les plus durs employés par Robert Lafrenière au cours de son témoignage sont à l’égard du ‘fuiteur’ qui a révélé des éléments de preuve que le directeur de l’UPAC juge lui-même sans importance.

J’aurais préféré que le directeur de l’UPAC réserve sa désapprobation la plus vive à l’égard de ceux qui ont mis en place un pillage du Trésor public qui a couté des centaines de millions$ aux contribuables.

Conclusion

Les contribuables attendent — avec une impatience qui frise l’exaspération — la sanction des responsables de la corruption sous Jean Charest.

Si j’en juge par des écrits anciens, les collecteurs de fonds du PLQ ne sont pas les premiers à qui on offre de l’or, de l’encens et de la myrrhe; vouloir être dans les bonnes grâces des puissants de ce monde est un réflexe vieux comme la Terre.

Mais Jean Charest n’est pas l’Enfant-Jésus.

Les êtres humains étant ce qu’ils sont, on trouve des malversations dans tous les gouvernements qui ont précédé celui de Jean Charest. Mais le système de financement politique qu’il a mis en place a connu un succès qu’il n’avait peut-être pas prévu lui-même. Ce qui ne veut pas dire qu’on doit éviter de sanctionner un pillage du Trésor public qui a couté des centaines de millions aux contribuables.

Depuis six ans, des policiers font enquête à ce sujet, rédigent leur rapport et le soumettent. Puis d’autres policiers font leur enquête à eux, rédigent leur rapport et le soumettent. Ils sont suivis d’autres policiers qui font leur enquête, rédigent leur rapport et le soumettent. Et ainsi de suite.

Et qu’arrive-t-il ? À peu près rien. On comprend donc leur exaspération; six ans de paralysie n’est pas normal.

La très grande majorité des observateurs politiques ont favorablement été impressionnés par le témoignage du directeur de l’UPAC en commission parlementaire. Ce n’est pas mon cas.

Je lui reconnais un grand talent de communicateur et beaucoup d’adresse.

Mais entre Eliot Ness et Jacques Lafrenière, il y a le même écart qu’entre les actes de l’un et les paroles de l’autre.

Combien nous faudra-t-il d’années, de décennies ou de siècles à attente silencieusement par respect pour les institutions ?

J’ignore où se trouve le ‘verrou’ qui empêche l’UPAC d’agir mais il me faudra plus qu’une belle pirouette en commission parlementaire pour susciter mes applaudissements.

Références :
À quand l’arrestation de l’ex-premier-ministre Jean Charest ?
Charest montre la porte à Tomassi
Comment Marc Bibeau a retardé les procédures pendant 3 ans
Commission d’enquête sur la construction – Le recul
Des accusations contre deux élus libéraux auraient été bloquées
Enquête interne à l’UPAC à la suite de la divulgation d’informations par TVA
Industrie de la construction : Charest lance une commission d’enquête
La Commission Charbonneau se traine les pieds
La loi de Murphy
Le congédiement de Jacques Duchesneau ou la vengeance de M. Charest
Le PLQ a empêché l’UPAC d’accéder à des documents saisis
Les avocats de Bibeau ont ralenti l’enquête Mâchurer
Le témoignage de Robert Lafrenière a «dissipé les doutes»
Les avocats de Bibeau ont ralenti l’enquête Mâchurer
L’ex-ministre Normandeau accusée de complot, de corruption, de fraude et d’abus de confiance
Pas d’enquête préliminaire pour Nathalie Normandeau

Paru depuis :
Affaire Normandeau : Lafrenière et son entourage à l’origine des fuites, selon le BEI (2022-05-30)

Note : Photo de M. Charest par le journal Le Devoir.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La censure politique

Publié le 9 mai 2017 | Temps de lecture : 3 minutes

À l’Assemblée nationale du Québec, tout comme à la Chambre des communes d’Ottawa, il existe un lexique de mots et de qualificatifs à ne pas utiliser.

Ce lexique vise à prévenir la dégradation de la qualité des débats. Elle concerne des injures personnelles comme ‘menteur’, ‘girouette’, ‘pleutre’, ’eunuque’, ‘mal élevé’, ‘hypocrite’, ‘clown’, etc.

Elle concerne également des périphrases. C’est ainsi qu’en plus de ‘menteur’, on ne peut exiger que ‘le ministre se décide à dire la vérité’, qu’un autre cesse de ‘raconter de la foutaise’, etc.

Mais il y a plus. À chaque fois qu’on utilise en chambre l’expression ‘corruption libérale’ (ou le mot ‘corruption’), le président d’assemblée se lève et exige que le parlementaire retire ses propos.

Le temps que met le député à obéir à cette sommation est alors soustrait de la période des questions. Or celle-ci est déjà limitée à 45 minutes, environ trois fois par semaine.

Le mot ‘corruption’ n’est toléré que de manière très limitée comme pour réciter au long le nom de l’UPAC (soit l’Unité permanente anticorruption).

Il est même maintenant interdit d’y faire allusion. C’est ainsi qu’un député ne peut déclarer qu’il règne au Québec une ‘odeur de corruption’ alors que cette expression a été utilisée par une ministre libérale à l’époque où celle-ci était députée de la CAQ. Citer textuellement ce qu’elle disait autrefois est maintenant interdit en chambre.

Aussi irritante que soit la multiplication des questions concernant l’éthique passée ou présente du parti au pouvoir, ces questions disparaitront le jour où leur réponse n’intéressera plus personne.

Les mots sont le véhicule des idées. Jusqu’où ira-t-on pour empêcher que soient exprimés des reproches au sujet des agissements du gouvernement ?

Cela est d’autant plus inquiétant que cette censure politique s’opère au moment où des révélations suggèrent la présence d’un verrou placé à la tête des institutions chargées de sanctionner cette corruption et qu’en réaction à ces révélations, on exige le silence des « fuiteurs » au nom du respect de ces institutions.

Références :
Des accusations contre deux élus libéraux auraient été bloquées
Mots interdits à l’Assemblée Nationale

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