Après Real World, créée aux États-Unis en 1992, Pignon sur rue fut la deuxième téléréalité au monde.
Diffusée de 1995 à 1999 sur les ondes de Télé-Québec, celle-ci fut donc la première téléréalité québécoise.
De nos jours, le concept de la ‘téléréalité’ est devenu n’importe quoi.
Il comprend des concours où on suit de jeunes adultes, transposés oisivement dans une villa sous les tropiques, qui sont pressés de tomber amoureux avant le dernier épisode.
Il comprend également des compétitions où, pour éviter l’élimination, les participants doivent former des alliances qu’ils seront obligés de trahir s’ils veulent se rendre en finale.
Dans un cas comme dans l’autre, on fait intervenir fréquemment un deus ex machina qui relance l’action lorsqu’elle s’enlise.
Le concept comprend même un concours semblable au premier exemple que nous avons donné, mais où les participants sont nus à la campagne, mais où leurs parties génitales sont brouillées à l’écran pour ne pas choquer les âmes sensibles qui ne peuvent résister à l’envie de l’écouter quand même…
Bref, tout cela est autant de la ’téléréalité’ que de filmer les rats de laboratoire d’une compagnie pharmaceutique.
Avant cette dérive décadente, il y a eu donc la première vraie téléréalité québécoise.
Le Pignon sur rue originel
Cette série consistait à présenter, sous forme d’épisodes hebdomadaires, le quotidien de sept jeunes partis des régions du Québec pour étudier à Montréal et qui avaient accepté d’être colocataires d’un même grand appartement sous l’œil de la caméra.
Offerte depuis sur YouTube, la série originelle demeure un document sociologique exceptionnel au sujet de la génération X québécoise et ce, à une époque où les médias sociaux n’existaient pas.
Le nouveau Pignon sur rue
Dernièrement, on pouvait voir les trois premiers épisodes de la nouvelle mouture de Pignon sur rue sur les ondes de Télé-Québec.
La série est présentée du lundi au jeudi à 18h30. Et chaque épisode est repris le soir même à 23h, puis le lendemain à 11h et à 16h.
De nouveau, on y met en vedette de jeunes adultes provenant de diverses régions du Québec qu’on suit dans leurs déplacements quotidiens. Le tout entrecoupé de vues du quartier de Pointe-Saint-Charles où se trouve la maison qu’ils habitent.
Des sept (trois filles et quatre gars, âgés de 18 à 25 ans), ma préférée est Maureen. En plus d’être attachante, elle répond très bien à mes trois critères d’évaluation : la qualité du français, sa diction et le débit de son élocution.
En deuxième place, Jean-Gabriel — un gaillard qui aimerait être journaliste ou attaché politique (si j’ai bien compris) — est celui qui possède clairement le meilleur vocabulaire, sans les clichés (les ‘genre’ et les ‘Oh my God’) de sa génération.
Des cinq autres participants, deux méritent également de bonnes notes tandis que les trois autres ont des lacunes.
Puisque la force de Pignon sur rue, c’est son aspect sociologique, cette série reflète les préoccupations actuelles de notre société.
Non seulement par les propos des participants, mais également par les choix des créatrices de cette série, qu’elles ont voulue scrupuleusement inclusive; en plus d’un représentant de la diversité quant à l’orientation sexuelle, on y trouve notamment un autiste très léger et une personne atteinte minimalement du trouble de l’attention.
Dans ces deux cas, cela correspond à une surreprésentation; j’ai peine à croire qu’un tiers des jeunes en région ont des troubles psychologiques légers.
En vue de la troisième mouture de cette série, j’attacherais plus d’importance à l’élocution des participants.
Au départ, j’avais mis les écouteurs intra-auriculaires qui accentuent les graves et dont je me sers pour écouter de la musique. Mais comme je ne comprenais à peu près rien de ce que disait un des participants, j’ai changé pour un casque à la sonorité plus sèche.
Peine perdue; ce participant n’articule pas; on ne comprend pas la moitié de ce qu’il dit. En plus, il parle vite, ce qui n’arrange rien.
Ces deux défauts, on les trouve aussi, dans une mesure plutôt acceptable, chez une participante.
Pour avoir une idée du français parlée par nos jeunes en région, il est essentiel de comprendre ce qu’ils disent. En raison de l’aspect sociologique de la série, il ne s’agit pas ici de choisir des participants exemplaires quant à la qualité de leur français, mais de choisir des gens qui articulent.
Parmi les participants, il aurait été utile d’avoir une musulmane voilée (c’est-à-dire portant le hijab). L’excellente série télévisée Immigrants de souche nous présente des néoQuébécois qui ont fait leur place en région et dont l’ethnicité dépasse le cadre étroit de la pigmentation de la peau, chère à tous ceux qui se targuent d’inclusivité.
J’aurais aimé entendre la voix de cette participante musulmane et voir la dynamique qu’elle aurait instaurée par sa différence vestimentaire.
En dépit de sa distribution ‘catholique blanche marbrée de brun’, cette série s’annonce tout aussi passionnante que sa célèbre mouture précédente, devenue historique, et qui nous permet de comparer l’évolution des mentalités depuis.
J’attends déjà avec impatience les prochains épisodes et je n’ai aucun doute que cette série deviendra une mine d’or pour les sociologues et pour tous ceux qui veulent comprendre la société québécoise actuelle.
Ceux qui ont manqué les premiers épisodes peuvent se reprendre grâce à la vidéo sur demande sur le site de Radio-Québec.
Complément de lecture : 25 ans de téléréalité au Québec