Immigration : l’illusion des prophéties

Publié le 13 mars 2019 | Temps de lecture : 5 minutes

L’approche néolibérale

Pierre Fortin est un des plus brillants économistes du Québec. J’écoutais dernièrement un extrait de son témoignage en commission parlementaire.

Celui-ci faisait valoir l’importance de l’adéquation entre les besoins du marché et les qualifications des candidats à l’immigration.

Pour maximiser la contribution des néoQuébécois au développement du Québec, il faut choisir les candidats qui ont les meilleures chances de refaire leur vie ici.

Et pour en juger, on établirait une grille d’évaluation basée sur les besoins en main-d’œuvre de l’économie québécoise. Plus le candidat est apte à combler ces besoins, plus il serait accueilli à bras ouverts.

Cette approche est exactement celle du système Arrima, élaboré par l’ex-gouvernement libéral et que veut mettre en place le nouveau gouvernement caquiste.

Il s’agit d’une approche néolibérale dans la mesure où elle consiste à transformer les candidats à l’immigration en marchandise. En d’autres mots, elle consiste à dresser la liste du capital humain dont nous avons besoin comme on dresse sa liste d’épicerie.

Le mirage

Le problème fondamental de cette approche, c’est qu’elle se bute à l’imprévisibilité du futur dans un monde évoluant de plus en plus rapidement.

Les délais à l’immigration, qui se calculent en années au fédéral, font en sorte que les compétences utiles que possède le requérant pourraient ne plus être celles recherchées lorsqu’il est finalement accepté au pays.

À titre d’exemple, si Arrima avait été en vigueur il y a vingt ans, nous aurions accordé la citoyenneté canadienne à de nombreuses personnes capables de pourvoir les postes offerts dans le domaine des télécommunications, alors en plein essor.

Mais de 2007 à 2009, le secteur des télécommunications canadiennes s’est effondré. Au point que Nortel, un fleuron de l’économie canadienne, a fait faillite. Aurions-nous retiré la citoyenneté à tous ces gens qui auraient soudainement cessé de correspondre aux besoins du marché ?

D’où l’intérêt de dresser une grille qui tient compte des tendances du marché, de manière à anticiper les besoins du Québec dans un avenir prévisible.

Alors là, c’est pire.

Toujours dans les années 2000, la stratégie industrielle du gouvernement Charest, c’était le Plan Nord. Celui-ci consistait en un vaste projet de soixante-milliards de dollars visant à provoquer artificiellement un boum minier au Québec.

Si nous avions anticipé les besoins en main-d’œuvre du Plan Nord et ‘importé’ des mineurs à l’avance — de manière à ce qu’ils aient eu le temps de s’adapter au Québec et d’être parfaitement opérationnels lorsque les minières auraient eu besoin d’eux — on serait pris à essayer de recycler dans d’autres domaines ces mineurs étrangers devenus chômeurs chez nous en raison du fiasco total du Plan Nord.

Il est utopique de vouloir arrimer une politique migratoire sur une cible aussi fuyante que sont les besoins du marché.

Alors que faire ?

Une alternative humaniste

Depuis 2001, la réforme éducative québécoise repose à la fois sur l’apprentissage des connaissances et sur l’acquisition de compétences jugées importantes au XXIe siècle : la pensée critique, la communication, la collaboration, la créativité, l’innovation, la facilité numérique et technologique, l’apprentissage continu, la flexibilité et l’adaptabilité, la citoyenneté, et l’esprit d’initiative.

On qualifie de transversales les compétences qui, une fois acquises, pourraient être appliquées dans n’importe quel autre domaine.

Depuis près de deux décennies, tous les professeurs du Québec évaluent l’acquisition de compétences transversales chez leurs élèves. Or évaluer cela chez un candidat à l’immigration ou chez un écolier, c’est pareil.

Le système Arrima consacre la suprématie des marchés. Il repose malheureusement sur une illusion; l’aptitude à prévoir rigoureusement les besoins futurs d’une économique dont le rythme de transformation s’accélère.

Plus pertinente, une politique migratoire humaniste consacre la suprématie de l’être humain.

En effet, ce dont le Québec a besoin, ce sont des citoyens capables d’affronter l’avenir, de s’y adapter et de réussir leur vie dans un monde en évolution. Or ce monde sera de plus en plus imprévisible.

Les compétences valorisées par notre politique migratoire devraient être les mêmes que celles inculquées par notre système éducatif à nos propres enfants.

De manière à ce que rien ne distingue l’aptitude à réussir du citoyen né au Québec de celui qui est venu s’y installer plus tard dans son existence.

Références :
Immigration: la CAQ accusée d’agir dans la précipitation
Les compétences du XXIe siècle

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Écrit par Jean-Pierre Martel