La leçon du projet de loi C-29

13 décembre 2016

Introduction

Le 12 décembre 2016, l’honorable Bill Morneau, le ministre des Finances du Canada confirmait le retrait de la section 5 du projet de loi C-29.

Rappelons que cette section avait pour effet de soustraire les banques canadiennes des dispositions de la loi québécoise sur la protection des consommateurs.

Sont méritoires de cette fin heureuse, les dix députés du Bloc québécois qui ont découvert le pot aux roses et alerté l’opinion publique, de même que le ministre Morneau qui a eu le courage de prendre cette décision plutôt que de s’entêter.

Quels enseignements doit-on en retirer ?

La culture du secret

Le projet de loi C-29 est un fourretout de 244 pages qui modifie quatorze lois.

La version électronique de ce document est extrêmement difficile à consulter. S’il est facile d’y trouver le début de la section 5, j’ai mis environ quinze minutes à chercher où elle se termine, tant la typographie et la mise en page en font un document rébarbatif.

D’où la question : Pourquoi les Libéraux ont-ils présenté cette loi ‘mammouth’ alors qu’ils n’ont pas cessé de critiquer cette pratique, instaurée par les Conservateurs ?

Je soupçonne que les coupables sont les hauts-fonctionnaires de ce ministère.

Les employés de l’État aiment travailler dans le secret. Même s’ils ont soumis au parlement, ils apprécient une distance qui les soustrait aux pressions politiques et aux immixtions partisanes dans leur travail.

L’élaboration d’une loi ‘mammouth’ permet aux hauts-fonctionnaires de submerger les élus de documentation à analyser et, dans le cas de l’opposition, de compliquer l’exercice de son devoir de surveillance.

En somme, si le ministère des Finances a continué d’agir comme sous les Conservateurs, c’est que cela convenait à sa culture du secret.

Une mentalité persistante

Au sujet du financement populaire des partis politiques, les lois (québécoise et fédérale) sont des législations révolutionnaires.

Dans toutes les autres démocraties parlementaires, le financement politique n’est rien d’autre que de la corruption légalisée.

En absence de lois contraignantes, lorsque la quête du pouvoir consiste à amasser des fonds en vue des intenses campagnes de propagande que sont les élections, l’important est de plaire à ceux qui détiennent le pouvoir économique parce que ce sont les plus importants donateurs.

En limitant la contribution des entreprises, des syndicats et des groupes de pression, les lois sur le financement politique placent les partis à la merci du peuple.

Cela devait rendre les gouvernements encore plus soucieux de servir le peuple puisque leur financement est tributaire de petites sommes recueillies en tout temps, tout au cours de l’exercice du pouvoir.

Dans tous les pays développés, le ministère des Finances occupe une place stratégique; il joue un rôle déterminant dans la prospérité économique du pays. Pour cette raison, ses hauts-fonctionnaires sont toujours parmi les plus brillants serviteurs de l’État.

Dans leur esprit, leur rôle consiste à enlever tous les obstacles qui nuisent à la liberté du commerce au sein du pays, perçu comme un marché commun au sein duquel les particularités régionales doivent être aplanies.

Or quand des banques font des représentations à l’effet que la multitude des lois provinciales destinées à protéger les consommateurs complique leurs affaires, elles trouvent chez ces hauts-fonctionnaires une oreille compatissante. Et jamais ces derniers ne chercheront à savoir ce qui justifie ces contraintes, perçus comme des obstacles à niveler.

Il y a donc lieu d’inculquer à ces personnes une préoccupation à l’égard du bien commun qui est étranger à leur mentalité, strictement liée à favoriser l’intérêt privé des producteurs de biens ou de services.

En effet, ces fonctionnaires détiennent des maitrises en administration des affaires obtenues des meilleures universités occidentales et sont beaucoup plus sensibles aux préoccupations des gestionnaires d’entreprise qu’à celles des consommateurs.

Voilà pourquoi des formations particulières devraient être mises sur pied au sein des ministères à vocation économique afin que leurs mandarins soient plus soucieux de favoriser le développement économique tout en respectant l’intérêt du peuple.

Sur le même sujet :
Le fédéral veut permettre aux banques de frauder les consommateurs

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Finance et banques

17 janvier 2014

 
Croissance_financeLe secteur financier se compose des banques, des fonds d’investissements, des assureurs, des firmes de vérification comptable et des maisons de courtage.

Dans la décennie qui a précédé la crise financière internationale de 2007, l’importance du secteur financier s’est accrue considérablement dans les pays anglo-saxons.

C’est ainsi que ce secteur représentait 5,4% de la valeur ajoutée au Royaume-Uni en 2000 : il en représentait 9,4% en 2011. Le quartier des affaires de Londres — appelé « The City » parce qu’il correspond au Londres intra-muros médiéval — génère à lui seul 22% de toute la valeur ajoutée de la capitale britannique.

Seule la Suisse possède un secteur financier proportionnellement plus important pour son économie.

La crise financière ayant décimé les plus petites banques, le secteur bancaire britannique est aujourd’hui dominé à 75% par quatre grandes institutions : HSBC (4e au monde), la Banque royale d’Écosse (12e), Barclays (15e) et Lloyds Banking Group (18e). En 2011, ces quatre banques ont généré des profits de 43,6 milliards$ (29,4 milliards d’euros).

En ordre décroissant, les dix plus grosses banques au monde sont : ICBC (Chine), JP Morgan Chase (ÉU), Bank of America (ÉU), HSBC Holdings (Royaume-Uni), China Construction Bank (Chine), Citygroup (ÉU), Mitsubishi Financial Group (Japon), Wells Fargo (ÉU), Banque de Chine, et Banque agricole de Chine.

Si la Chine semble si bien représentée, c’est que son secteur bancaire est plus concentré. Globalement, ce sont les banques américaines (une multitude) qui possèdent les actifs les plus importants au monde.

Les cinq plus grosses banques françaises sont : BNP Paribas (11e rang mondial), Crédit Agricole (13e), Groupe BPCE (22e), Société générale (28e) et le Crédit mutuel (35e).

Parmi la liste des 50 plus grosses banques mondiales, le Canada a deux institutions : la Banque Royale du Canada (41e) et la Banque de Nouvelle-Écosse (49e). La Suisse en a également deux : le Crédit Suisse (30e) et UBS (32e).

Références :
Secteur financier
Top 50 Banks
UK banks: how powerful are they?

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Islande : La révolution des casseroles

29 janvier 2013

Le mirage du néo-libéralisme

L’Islande (littéralement : la Terre de glace) est un pays de 313 000 habitants, urbanisé à 93%. Presque toute la population descend d’envahisseurs norvégiens ou celtes (plus précisément écossais ou irlandais). Le pays est essentiellement une île rocailleuse dont seulement 0,07% est propice à l’agriculture. Il est gouverné par le plus ancien parlement d’Europe, remontant à l’an 930.

Depuis toujours, les Islandais sont un peuple de pêcheurs. Mais avec la dérèglementation des marchés financiers, des entrepreneurs de ce pays se sont découvert une vocation de banquier.

Audacieux comme leurs ancêtres vikings, les banquiers islandais écrémaient les épargnes étrangères à l’aide de réclames télévisées, diffusées au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, qui promettaient des rendements plus élevés qu’ailleurs. Et il suffisait d’une simple connexion internet pour profiter de tous les avantages dont jouissaient déjà les Islandais eux-mêmes, grâce à des succursales d’Icesave installées dans ces deux pays.

Au cours des années 2000, l’argent affluait par milliards en Islande. Comme Cendrillon touchée par la baguette magique du néo-libéralisme, les Islandais jouissaient dès 2006, du revenu par habitant le plus élevé au monde, soit 42 768 euros, et un taux de chômage de 2,9%.

En 2007, le pays possède une dette souveraine d’à peine 28,3% du Produit intérieur brut (PIB) — une des plus faibles d’Europe — épongée cette année-là du sixième, d’un seul coup, par un excédent budgétaire équivalent à 5,5% du PIB.

Et dans le fleuron national constitué des banques privées du pays, tous — du PDG à la caissière — profitent de cette manne inespérée. Mais pour cela, il faut des rendements élevés. Un généreux système de bonus incite les courtiers à prendre des risques inouïs. Or les rendements les plus élevés sont ceux que rapportent des produits financiers mystérieux constitués d’actifs adossés à ces créances douteuses (le « papier commercial »).

Conséquemment, on en achète à tour de bras, sans trop savoir de quoi il s’agit. Peu importe; ces titres sont recommandés par les agences de notation. À la fin de 2007, les actifs consolidés des banques représentent 880% du PIB islandais. Quelques mois plus tard, quand la spéculation dont le papier commercial faisait l’objet cesse brutalement, sa valeur s’effondre. Lorsque la poussière retombe, les banques ont encore quelques actifs sains mais globalement, elles ne valent plus rien.

Répondant à l’appel désespéré de son secteur financier, le gouvernement islandais commet une grave imprudence. Plutôt que de se porter uniquement garant des épargnes de ses propres citoyens, il nationalise les banques privées et conséquemment, avalise les dettes colossales contractées par leurs succursales auprès d’épargnants étrangers (auxquels elles doivent l’équivalent de sept fois le PIB de l’Islande).

Du coup, le pays est au bord de la faillite. Plombée par cette dette soudaine, la monnaie nationale perd la moitié de sa valeur face à l’euro entre janvier et octobre 2008, ce qui aggrave d’autant les obligations nationales à l’égard des épargnants européens.

Pendant ce temps en Angleterre…

Des petits épargnants, des organisations, et des municipalités ont déposé des milliards de livres sterling dans les succursales anglaises des banques islandaises, maintenant nationalisées.

Toutefois, le 7 octobre 2008, les clients anglais d’Icesave (la filiale électronique d’une banque islandaise) constatent qu’ils ne peuvent plus retirer de fonds. Ce jour-là, les marchés financiers s’affolent. On presse le gouvernement britannique d’agir.

Le soir même, le chancelier de l’Échiquier anglais appelle le ministre des Finances islandais. Au cours de cet entretien capital, ce dernier refuse de garantir que les clients anglais seront remboursés, préférant donner la priorité aux déposants islandais.

Conscient de la difficulté pour les citoyens d’un pays de poursuivre un gouvernement étranger, Londres décide d’intervenir.

Le lendemain, le gouvernement britannique décide de placer l’Islande sur sa liste des pays terroristes afin de se doter des moyens légaux de bloquer les avoirs de la branche britannique d’Icesave.

Et pour parer à tout mouvement de panique, les gouvernements britannique et néerlandais se hâtent de rembourser les clients d’Icesave par le biais de leur propre fonds de garantie des dépôts. Ils se retournent ensuite vers le gouvernement islandais afin que celui-ci les rembourse.

En décembre 2009, le couteau sur la gorge, le gouvernement islandais capitule et signe une entente de remboursement (étalée sur quatorze ans) avec Londres et Amsterdam.

La révolution des casseroles

Depuis que leur pays a été mis sur la liste des pays terroristes, les Islandais sont insultés. Chaque samedi depuis la fin de 2008, des manifestations ont lieu devant le Parlement.

Depuis des semaines, une pétition circule réclamant la tenue d’un référendum au sujet du remboursement des épargnants étrangers. Finalement, la pétition recueille les signatures de 23% des citoyens en âge de voter. Le 5 janvier 2010, le Président du pays — en Islande, il est l’équivalent au Gouverneur général au Canada — refuse de parapher l’entente intervenue tant et aussi longtemps qu’elle n’aura pas été acceptée par le référendum.

Les 20 et 21 janvier 2010, les manifestations atteignent leur paroxysme. Les membres du gouvernement sont hués et des groupes d’étudiants parviennent à franchir les lignes de police.

Les pierres volent tandis que les manifestants clament leur colère en frappant sur des récipients de cuisine. La nuit, des feux de joie sont allumés au beau milieu de la rue. Le gouvernement rend les manifestants responsables des incidents violents et les accuse d’aggraver l’insécurité économique de pays.

Le 6 mars 2010, par référendum, l’entente est rejetée par 93% des voteurs.

Ce qu’on baptise rapidement « la révolution des casseroles » force la démission du gouvernement et la prise du pouvoir par une coalition de gauche. Conformément à sa promesse électorale, celle-ci met en place une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution.

Mille citoyens ont été tirés au sort, parmi lesquels 522 ont accepté d’être candidats et dont, finalement, 25 sont élus pour former l’assemblée constituante.

Entretemps, le Royaume-Unis et les Pays-Bas entreprennent de nouvelles négociations qui aboutissent à une deuxième entente le 16 février 2011. En dépit de l’appui unanime des partis politiques islandais, cette nouvelle entente est rejetée par un deuxième référendum, tenu le 9 avril suivant.

Fin du conflit

Le procès intenté par le Royaume-Uni et les Pays-Bas devant les instances judiciaires européennes a connu son aboutissement hier par une victoire éclatante de l’Islande.

L’Association européenne de libre-échange (un tribunal administratif européen) a estimé que ce sont les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas qui doivent payer pour les conséquences de la faillite des succursales bancaires installées sur leur territoire.

En somme, si le gouvernement britannique a choisi de dérèglementer son système financier et de fermer les yeux sur ses abus, c’est à lui d’en payer le prix.

Quant aux Islandais, ils sont donc récompensés pour leur audace et pour avoir établi des mécanismes qui leur permettent de renverser les décisions des gouvernements faibles qui successivement ont trahi leurs intérêts.

Et toute cette histoire, c’est celle de pays riches qui ont tenté de punir un pays vulnérable pour avoir cru naïvement au mirage du néo-libéralisme — un mirage que ces gouvernements ont eux-mêmes suscité — et qui échouent dans leur entreprise d’asservissement. Comme quoi les histoires ont parfois une belle fin.

Références :
Après le rejet de l’accord Icesave, les Islandais s’interrogent sur leur audace
Assemblée constituante islandaise de 2011
Crise financière de 2008 en Islande
Économie de l’Islande
Iceland Wins Major Case Over Failed Bank
Icesave
Icesave dispute
Islande, une crise démocratique bien silencieuse
L’AELE donne raison à l’Islande face aux épargnants étrangers
Papier commercial adossé à des actifs non bancaire

Parus depuis :
Merde aux banquiers! (2013-02-04)
En Islande, les banquiers voyous ont leur prison (2016-12-02)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Dieu contre les puissants de ce monde

13 mars 2012

Autrefois, ceux qui s’engageaient dans la prêtrise ou dans la vie religieuse consacraient une bonne partie de leur existence à soulager la misère des autres. Ici même au Québec, pendant des siècles, toutes les œuvres de charité ont été mises sur pied à l’initiative du clergé. Tous nos hôpitaux et nos écoles étaient la propriété de communautés religieuses.

Celles-ci pouvaient compter sur un immense bassin de bénévoles — c’est-à-dire tous ces Religieux ayant fait vœux de pauvreté — pour s’occuper des blessés, des analphabètes, des pauvres, des handicapés, et des laissés pour compte.

Mais une révolution sociale, survenue dans les années 1960, a incité de nombreuses personnes à quitter la vie religieuse. De plus, quand la médecine moderne s’est mise à dépendre moins du dévouement du personnel soignant que de techniques sophistiquées et de machines coûteuses, et quand le boom des naissances d’après-guerre a dépassé la capacité d’accueil des écoles existantes, l’investissement nécessaire a outrepassé les moyens financiers des communautés religieuses. Si bien que l’État a pris la relève.

Conséquemment, le rôle social des Églises chrétiennes est devenu microscopique comparativement à ce qu’il était.

Mais les choses commencent à changer, ici comme ailleurs.

Les manifestations les plus importantes qui ont jalonnées le « Printemps arabe » ont eu lieu des vendredis, plus précisément au sortir des mosquées, alors que les Musulmans y avaient été chauffés à bloc par des sermons incendiaires.

Dans de nombreuses villes occidentales, le mouvement des indignés a bénéficié de l’appui de religieux qui leur ont offert l’hospitalité en dépit de déchirements internes de leur congrégation.

Encore plus significatif est le cas de ces prêtres américains qui invoquent Dieu pour s’opposer aux saisies aveugles des banques contre leurs ouailles sans être aussitôt accusés d’être communistes, comme le veut la coutume de ce pays.

Depuis 2005, Ryan Bell est le curé de l’église Adventiste du Septième jour à Hollywood, en Californie. Il a entrepris de lutter en faveur d’une plus grande justice sociale en s’appuyant entre autres sur cette citation de l’Ancien testament (Jérémie 5:26-29) :
   • 26 – Parce qu’il s’est trouvé parmi mon peuple des méchants qui dressent des pièges comme on en dresse aux oiseaux, et qui tendent des filets pour surprendre les hommes.
   • 27 – Leurs maisons sont pleines des fruits de leurs tromperies, comme un trébuchet est plein des oiseaux qu’on y a pris : c’est ainsi qu’ils deviennent grands et qu’ils s’enrichissent.
   • 28 – Ils sont gras, ils sont vigoureux, et en même temps ils violent ma loi par les actions les plus criminelles. Ils n’entreprennent point la défense de la veuve; ils ne soutiennent point le droit du pupille, et ils ne font point justice aux pauvres.
   • 29 – Ne punirai-je point ces excès ? dit le Seigneur, et ne me vengerai-je point d’une nation si criminelle?

Afin de passer des paroles aux actes, ce pasteur protestant a dernièrement retiré les avoirs de son église à la Bank of America (plusieurs centaines de milliers de dollars) pour les placer ailleurs, afin de protester contre les saisies immobilières massives effectuées par cette banque.

Au cours des trois dernières années, plusieurs communautés religieuses américaines ont agi de la sorte. Au total, 16 millions$ ont été retiré des institutions financières jugées les plus rapaces : Bank of America, Wells Fargo and JPMorgan Chase.

Références :
A Hollywood, le révérend veut punir les banques au nom de saint Matthieu
La cathédrale Saint-Paul Inc.
Jérémie 5:26-29
Mortgage Crisis Inspires Churches to Send Lenten Season Message to Banks
Needed: Prophetic Voices for a Just Economy

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Écrit par Jean-Pierre Martel