L’invasion de Taïwan par la Chine continentale

Publié le 12 mars 2023 | Temps de lecture : 16 minutes

Deux républiques, un pays

L’Onu a été créée le 24 octobre 1945 à la suite de la ratification de sa Charte par un certain nombre de pays, dont la Chine.

À l’époque, ce pays était en proie à une guerre civile qui durait depuis des décennies. Celle-ci opposait d’une part le gouvernement du Kuomintang, soutenu par les États-Unis et dirigé par Tchang Kaï-check, et d’autre part, le Parti communiste chinois dirigé par Mao Zedong.

En 1949, lorsque le Parti communiste victorieux proclame la République populaire de Chine, Tchang Kaï-check et ses soldats se réfugient sur l’ile chinoise de Taïwan où ils fondent la République de Chine.

Chacune de ces deux républiques revendique alors la pleine et légitime souveraineté sur la totalité du territoire chinois (Chine continentale et Taïwan).

Toutefois, à l’Onu, c’est le gouvernement militaire de Tchang Kaï-check — le signataire de la Charte de l’Onu — qui représente l’ensemble de la population chinoise.

Lorsque finalement la Chine de Mao Zedong fait son entrée à l’Onu en 1971, c’est à la condition que Taïwan en soit expulsé et que Beijing soit seul à parler au nom de la nation chinoise.

Bref, en vertu du droit international, Taïwan fait toujours partie de la Chine.

Qu’il s’agisse de Taïwan et des (anciennes) régions autonomes de Hong Kong ou de Macao, la politique de la Chine a toujours reposé sur la conviction que le temps jouait en sa faveur. En somme, il suffisait d’attendre pour que, comme des fruits murs, ces territoires tombent d’eux-mêmes dans le giron chinois.

Ce fut le cas de Hong Kong et de Macao, rétrocédés à la Chine en 1997 et en 1999.

Reste Taïwan.

L’indépendance de Taïwan, un tabou

En 1947, avant la victoire du Parti communiste, l’ile de Taïwan était gouvernée de Nanjing (en Chine continentale) par le gouvernement de Tchang Kaï-check.

Or cette année-là, l’ile connut des épidémies de peste et de choléra, de même que des pénuries alimentaires. Tout cela provoqua des émeutes dont la répression par le Kuomintang fit trente-mille morts.

Deux ans plus tard, lorsque le gouvernement de Tchang Kaï-check s’exile à Taïwan, l’ile est peuplée de différents peuples hostiles pour qui les troupes de Tchang Kaï-check sont des envahisseurs.

Pendant les 38 ans qui suivirent — une période connue sous le nom de Terreur Blanche — l’ile fut placée sous le régime de la loi martiale. Aux yeux des Taïwanais, les régimes totalitaires du Kuomintang et celui de Mao Zedong semblaient bonnet blanc et blanc bonnet.

En 1986 eut lieu la première élection présidentielle au suffrage universel. En 2000, le Kuomintang perd le pouvoir et le nouveau président entreprend la consolidation de l’identité taïwanaise.

Quelques élections plus tard, Mme Tsai Ing-wen est élue à la présidence à partir d’un programme politique où transpire l’aspiration à la sécession avec Beijing.

Après une gestion autoritaire de la pandémie — moins contraignante toutefois que la politique Zéro Covid de Beijing — Taïwan leva presque toutes les restrictions sanitaires en mai 2022.

Cette liberté retrouvée fut soulignée par les dirigeants taïwanais comme un avantage d’être citoyen d’un pays libre.

Pour tous ceux qui n’ont jamais connu la dictature de Tchang Kaï-check, qui ont accès librement à la technologie occidentale et qui passent quotidiennement des heures sur les médias sociaux, il est inconcevable que leur ile puisse un jour être dirigée par le Parti communiste chinois.

Pour Beijing, il n’est plus certain que le temps joue en sa faveur.

Toutefois, un peu à l’image du Québec, l’opinion des Taïwanais est ambivalente. S’ils rejettent massivement la réunification politique de la Chine, ils rejettent aussi majoritairement son contraire, soit une indépendance qu’ils jugent imprudente dans la mesure où ils craignent qu’elle provoque l’invasion de l’ile par l’armée chinoise.

Pour une majorité de Taïwanais, l’idéal est un statuquo dont la durée serait indéfinie.

En 2022, 28,7 % des Taïwanais souhaitaient le maintien de statuquo avec la possibilité d’en décider autrement plus tard, 28,5 % voulaient le prolongement indéfini du statuquo, et 25,4 % souhaitaient le maintien du statuquo pour l’instant, mais tout en travaillant à une indépendance éventuelle.

Des relations commerciales protectrices

Dans les années qui suivirent l’avènement des microordinateurs personnels, les clones d’IBM-PC étaient tous fabriqués à Taïwan.

Peu à peu, lorsque Taïwan a perdu ce monopole, l’ile s’est recyclée dans la fabrication des semi-conducteurs.

En 2021, la production mondiale des semi-conducteurs se répartissait comme suit :
• Taïwan 65 %,
• Corée du Sud 15 %,
• États-Unis 7 %,
• Chine 6 %, et
• autres 7 %.

Or ceux-ci sont des composants essentiels de tout produit de consommation dit ‘intelligent’, du réfrigérateur haut de gamme, au téléviseur branché, en passant par l’auto électrique, etc.

Parmi les fabricants mondiaux de semi-conducteurs, c’est à Taïwan qu’on trouve TSMC (au 3e rang mondial) et MediaTek (au 9e rang). Au-delà de ce palmarès, c’est à Taïwan qu’on fabrique les puces les plus avancées du monde.

Signalons que TSMC est le fabricant exclusif des processeurs des iPhone, iPad et ordinateurs Macintosh.

Taïwan vend ses semi-conducteurs à tous ceux qui veulent en acheter.

En raison de l’importance industrielle des semi-conducteurs, toute menace à l’approvisionnement américaine en semi-conducteurs taïwanais devient une menace aux intérêts géostratégiques des États-Unis. Taïwan croit s’assurer ainsi de la protection militaire américaine en cas d’invasion chinoise.

Par contre, en étant également un fournisseur stratégique de la Chine, toute invasion de l’ile par cette dernière pourrait s’avérer catastrophique pour l’industrie chinoise si Taïwan pratiquait une politique de terre brulée — c’est-à-dire le sabotage de ses propres usines — dès le début d’une invasion chinoise.

En contrepartie, Taïwan dépend totalement des terres rares importées de Chine continentale pour la fabrication de ses semi-conducteurs.

C’est donc par le biais de cette dépendance réciproque que Taïwan espère vivre en paix avec son puissant voisin.

L’envers du décor

Afin de se préparer à toutes les éventualités, le Pentagone se livre périodiquement à des simulations de conflits armés. Deux équipes de généraux américains se font alors la guerre avec les forces dont les belligérants disposeraient si elles devaient s’affronter.

Or à l’issue de toutes les simulations d’une invasion hypothétique de l’armée chinoise à Taïwan, Washington perdait la guerre.

Convaincus que l’ile est indéfendable, les États-Unis ont commencé à se sevrer de leur dépendance en semi-conducteurs taïwanais.

En juillet 2022, le Congrès américain a adopté le CHIPS and Science Act. Celui-ci prévoit 39 milliards$ de prêts industriels et 13,2 milliards$ d’investissements publics dans la recherche relative aux semi-conducteurs.

De plus, Washington accorde un crédit d’impôt de 25 % afin de favoriser l’augmentation de la capacité manufacturière à ce sujet en sol américain (qui répondait à 37 % des besoins du pays en 1990, mais à seulement 12 % de nos jours).

Depuis l’adoption de cette loi, Micron Technology a annoncé un investissement de 40 milliards$ aux États-Unis.

Qualcomm et GlobalFoundries ont annoncé une augmentation de la capacité industrielle de leur usine de l’État de New York, au cout de 4,2 milliards$.

Parallèlement, le département du Commerce américain a ordonné l’an dernier un blocus technologique contre la Chine.

Ce blocus interdit l’exportation en Chine :
• de puces électroniques puissantes, notamment celles qui servent à l’intelligence artificielle,
• du matériel robotisé nécessaire à leur fabrication,
• des ingrédients qui entrent dans leur composition, et
• des logiciels nécessaires à leur conception.

Au départ, le blocus concernait uniquement l’exportation par des entreprises américaines. Mais depuis janvier dernier, les États-Unis ont conclu des accords avec le Japon et les Pays-Bas qui calfeutrent les fuites possibles vers la Chine de puces fabriquées dans ces deux pays.

Taïwan ne participe pas à ce blocus technologique qui n’est ni dans son intérêt commercial ni son intérêt sécuritaire.

Mais au cas, où les dirigeants taïwanais en décideraient autrement par aveuglement idéologique, la Chine a entrepris d’effectuer sa propre recherche de pointe dans ce secteur.

Le 2 mars dernier, l’Institut australien de politique stratégique publiait une étude effectuée sur plus d’un an et qui conclut que la recherche chinoise était en avance dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées.

De leur côté, les États-Unis demeuraient en avance dans des secteurs comme les vaccins, l’informatique quantique et les systèmes de lancement de vaisseaux spatiaux.

Dans le cas de certains domaines de haute technologie, les dix meilleurs instituts de recherche au monde sont situés en Chine et produisent collectivement neuf fois plus d’études scientifiques que le deuxième leadeur mondial (souvent, les États-Unis).

En somme, il y eut une époque où la Chine était une puissance manufacturière qui se contentait de pirater des brevets occidentaux. Cette époque est révolue depuis longtemps; au cours de la dernière décennie, la Chine est lentement devenue un chef de file technologique devançant les États-Unis dans la majorité des domaines.

Inciter la Chine à s’armer

Depuis des années, des groupes de réflexion américains discutent de l’opportunité d’une guerre ‘préventive’ contre la Chine. Comme celle que la France a déclarée (et perdue) contre la Prusse en 1870.

Même si rien n’indique que Washington y songe sérieusement, la rhétorique belliqueuse de Washington à l’égard de la Chine a tout pour inquiéter cette dernière.

Jamais n’a-t-on vu deux partenaires économiques aussi intimement liés entretenir de si mauvaises relations.

Prenons trois exemples récents.

Les dangereux ballons-espions chinois

L’armée américaine a dernièrement abattu quatre ‘ballons-espions’ chinois qui, dit-on, voulaient cartographier des bases stratégiques de lancements de missiles intercontinentaux.

Si la Chine voulait réellement obtenir une vue aérienne de ces bases, elle n’avait qu’à utiliser Google Earth. Cela aurait été plus rapide et plus économique.

D’ailleurs, elle possède 260 satellites-espions qui épient la surface du globe et photographient déjà toutes les bases américaines.

Le danger de Tik Tok

Interdire à des fonctionnaires d’utiliser cette application, c’est l’équivalent de leur interdire de jouer aux cartes durant leurs heures de travail. Comment se fait-il qu’on ne l’ait pas fait avant ?

Mais pour ce qui est des dangers d’espionnage pour vous et moi, Tik Tok ne peut pas nous espionner plus que ce que font déjà les médias sociaux américains, c’est-à-dire le maximum que leur permet le système d’exploitation de nos ordinateurs et de nos appareils mobiles.

Pourtant, ce sont les États-Unis — qui, selon Edward Snowden, épient tous les courriels, tous les textos et tous les appels téléphoniques sur Terre — qui accusent la Chine d’espionnage…

La Chine a causé la pandémie au Covid-19

Voilà que Washington sort maintenant des boules à mites cette vieille accusation trumpienne selon laquelle la pandémie au Covid-19 aurait été causée par une fuite d’un laboratoire virologique de Wuhan.

Tenez-vous bien; l’accusation est portée non pas par un institut renommé de recherche scientifique, mais par le département… de l’Énergie. Elle est aussitôt relayée, non pas par la CIA, mais par le FBI (dont ce n’est pas le champ d’expertise).

Sans surprise, tous les médias occidentaux se sont empressés de répéter la ‘nouvelle’ comme des perroquets.

Doit-on s’étonner qu’il y a une semaine, la Chine ait annoncé la plus importante hausse de ses dépenses militaires depuis 2019. Si les États-Unis voulaient inciter la Chine à s’armer et la pousser dans les bras de la Russie, ils n’agiraient pas autrement.

Ces jours-ci, le message de Washington à la Chine est simple; nous vous interdisons de vendre des armes à la Russie, mais dès qu’on en aura fini avec elle, on vous arrangera le portrait.

Comme c’est subtil…

Au-delà de l’Ukraine

En recourant à la totalité des sanctions économiques et financières dont ils sont capables contre la Russie, les États-Unis ont informé involontairement la Chine des moyens contre lesquels celle-ci doit se prémunir en cas d’invasion de Taïwan.

Dans le cas de la Russie (dont le PIB est intermédiaire entre celui de l’Italie et de l’Espagne), le grand capital international a relevé — en quelques mois, mais au prix d’une inflation importante — le défi d’une ‘remondialisation’ rendu nécessaire par la rupture de dizaines de milliers de liens commerciaux directs avec la Russie et la création de milliers de liens indirects (par le biais de revendeurs situés dans des pays tiers).

Toutefois, ajoutez à cela une rupture de tous les liens commerciaux directs avec la Chine — la deuxième puissance économique mondiale — et vous créez un choc qui serait probablement suffisant pour provoquer l’effondrement de l’économie mondiale.

Par exemple, un blocus économique immédiat contre la Chine ferait en sorte que toutes les tablettes des quincailleries américaines se videraient d’outils en moins d’un mois. Et les compagnies américaines qui voudraient prendre la relève en seraient incapables en raison de la pénurie de main-d’œuvre consécutive à la pandémie de Covid-19 (un million de morts aux États-Unis).

Bref, un blocus économique et financier draconien contre la Chine est imprudent à brève ou à moyenne échéance.

En cas d’invasion, ce que feront les États-Unis, c’est de faire semblant d’être surpris et de condamner sévèrement la ‘traitrise chinoise’. Ce qui, toutefois, est encore hypothétique. Comme nous le verrons plus bas.

La seule chose qui ferait mal à la Chine serait la saisie de ses avoirs en Occident, notamment les bons du Trésor américain qu’elle possède.

En 2011, la Chine détenait à elle seule 12 % de la dette du gouvernement américain. Une décennie plus tard, au début de la guerre en Ukraine, elle en détenait trois fois moins.

Depuis la saisie des avoirs russes par de nombreux pays occidentaux, la Chine a accéléré sa vente de bons du Trésor américain. Ses avoirs ont baissé de 1 040 milliards$ au début de 2022 à 867 milliards$ un an plus tard.

En vendant des actifs qui rapportent des taux d’intérêt très faibles, la Chine se donne ainsi les moyens financiers de stimuler la demande intérieure chinoise dans l’éventualité d’un blocus économique occidental consécutive à une invasion taïwanaise.

De plus, en y allant à fond de train dans la fourniture d’armes à l’Ukraine, les pays occidentaux ont abondamment pigé dans leur arsenal militaire.

À l’exception des chasseurs-bombardiers (que l’Occident hésite encore à fournir à l’Ukraine), on estime que l’arsenal militaire occidental a fondu du tiers depuis le début de cette guerre par procuration.

Ce qui en laisse moins pour aider Taïwan dans le cas d’une invasion décidée par Beijing.

Et puisque la fabrication d’armement de pointe est extrêmement lente, on pourrait penser que c’est le temps idéal pour la Chine d’agir.

Mais c’est mal connaitre ce pays.

Dans toute son histoire, la Chine n’a jamais gagné une seule guerre. Et à l’exception de l’époque de Mao Zedong, elle n’a jamais cherché à imposer aux autres pays son modèle de gouvernement basé sur la méritocratie.

Le but de la Chine est d’arriver à ses fins avec le moins d’effort possible.

Le discours autonomiste du parti taïwanais au pouvoir inquiète Beijing. Mais compte tenu de l’opinion encore nuancée des Taïwanais, la Chine possède d’autres cartes dans son jeu.

Le mois dernier, les dirigeants du Kuomintang — le principal parti d’opposition à Taïwan — ont effectué un voyage de neuf jours en Chine continentale en vue de pourparlers avec leurs anciens ennemis communistes.

Ces parlementaires taïwanais souhaitent rassurer une partie de leur électorat qui craint que Taïwan subisse le même sort que l’Ukraine en se dressant comme un ennemi militaire de son puissant voisin.

De son côté, Beijing veut offrir à ce parti des arguments qui favoriseraient sa prise du pouvoir aux élections de janvier 2024 et du coup, qui prolongerait une stabilité rassurante autant pour les Chinois de Taïwan que pour ceux de Chine continentale.

Si cette stratégie échoue, la possibilité d’une invasion chinoise à Taïwan montera d’un cran.

Références :
Biden’s hugely consequential high-tech export ban on China, explained by an expert
China leading US in technology race in all but a few fields, thinktank finds
CHIPS and Science Act Will Lower Costs
En 2022, Taïwan exporte toujours plus de semi-conducteurs
Incident 228
La Chine détient de moins en moins de dette américaine et voilà pourquoi ça ne changera pas grand chose pour les Etats-Unis
La Chine augmente son budget de la Défense
L’armée française manque de munitions pour la haute intensité
La COVID-19 résulterait d’une fuite de laboratoire, selon un rapport américain
Les réserves de change de la Chine ont diminué de 51 milliards de dollars en février
Taïwan
Taiwan Independence vs. Unification with the Mainland
Taiwan’s KMT hopes for elections boost after China trip
Why Chinese AI and semiconductors could fall decades behind under US chip ban ‘blitz’
Why is unification so unpopular in Taiwan? It’s the PRC political system, not just culture

Parus depuis :
Former Taiwan president to visit China in unprecedented trip (2023-03-20)
Semi-conducteurs : « C’est bien une guerre industrielle et commerciale qui se joue dans le camp occidental » (2023-03-31)
China bans US chipmaker Micron from vital infrastructure projects (2023-05-22)
China overtakes US in contributions to nature and science journals (2023-05-24)
Qui finance la dette des États-Unis ? (2023-06-24)
China beats US in top global scientific ‘hot papers’ ranking: report (2023-09-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les relations sino-saoudiennes

Publié le 12 février 2023 | Temps de lecture : 2 minutes


 
Le 7 décembre dernier, les plateaux de France24 accueillaient quatre panellistes qui profitaient de la visite de trois jours du président chinois en Arabie saoudite pour discuter plus spécifiquement des liens économiques entre ces deux pays, et plus généralement de la perte d’influence de l’Occident dans cette partie du monde.

Étaient réunis :
• Jean-Joseph Boillot, économiste spécialiste des BRICS et auteur du livre “Utopies made in Monde”
• Jean-Paul Tchang, économiste et cofondateur de la Lettre de Chine,
• Clarence Rodriguez, consultante et seule reporter permanente accréditée en Arabie saoudite de 2005 à 2017,
• David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique.

En résumé :
• l’Arabie saoudite veut montrer qu’elle est menée par ses propres intérêts,
• la guerre russo-ukrainienne ayant perturbé le transport ferroviaire entre l’Europe et la Chine, celle-ci veut solidifier sa ‘Route de la soie’ vers le Moyen-Orient (dans le but de faciliter l’importation des matières premières dont elle a besoin). Rappelons que par un nouveau pipeline passant par la Birmanie, la Chine importe de 20 % à 25 % de son pétrole d’Arabie saoudite et 52 % de son pétrole des pays arabes,
• les deux pays jettent les bases de discussions en vue d’un éventuel traité de libre-échange,
• la trentaine d’accords signés (30 milliards$) visent à vendre des équipements chinois en Arabie saoudite et notamment des technologies essentielles à l’industrialisation du monde arabe alors que les États-Unis n’investissent rien dans la région,
• ces accords sont partiellement des échanges culturels destinés à faire la promotion en Chine de la civilisation arabe et de l’influence positive de l’Islam, répondant ainsi au désir de considération de l’Arabie saoudite,
• le projet le plus cher à Mohammed ben Salmane est la construction de la ville futuriste Neom en plein désert, au cout de 500 millards$. Or ce projet suscite l’indifférence en Occident, mais l’intérêt (feint ou non) de la Chine.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La corruption au parlement européen

Publié le 9 janvier 2023 | Temps de lecture : 8 minutes

L’exemple québécois

Depuis une loi adoptée par le Parti Québécois en 1984, seuls les adultes canadiens domiciliés au Québec depuis au moins un an peuvent contribuer à la caisse électorale des partis politiques québécois.

En plus du montant — généralement minime, de l’ordre de 5$ par année — exigé pour être membre d’un parti politique, on peut effectuer une contribution annuelle maximale de 100$, sauf l’année d’une élection alors que ce maximum est porté à 200$.

Après un scrutin, l’État verse à chaque parti politique un montant fixe pour chaque vote obtenu.

Depuis l’adoption de la loi québécoise, il n’y a eu que deux cas de corruption en quatre décennies.

Premièrement, il y a eu le cas d’un ministre qui, à l’époque où il était député, avait accepté une carte de crédit dont le solde était payé par une compagnie. Et deuxièmement, le cas d’un ministre de l’Économie qui a été invité à chasser gratuitement le faisan sur une ile privée qui appartient à un groupe de millionnaires québécois.

Suivant l’exemple du Québec, le parlement canadien a adopté une loi semblable en 2003. Moins sévère, celle-ci diminué la corruption à Ottawa sans l’éliminer totalement.

De nos jours, seules subsistent des ‘faveurs’ qui disposent favorablement le récipiendaire à l’égard du donateur.

C’est ainsi qu’en 2017, le premier ministre du Canada a passé gratuitement le temps des Fêtes à bord du yacht luxueux d’un millionnaire qui, parait-il, est son ami d’enfance… mais qu’il ne connaissait pas avant d’accéder au pouvoir.

L’indignation feinte de la cheffe d’opposition à ce sujet a complètement disparu lorsque les journalistes ont révélé qu’elle avait fait pareil.

Au Sénat canadien, accepter des voyages payés par des gouvernements étrangers est parfaitement ‘normal’.

Dans chacun de ces exemples, les ‘faveurs’ représentent des dizaines de milliers de dollars.

Par contre, dans la plupart des pays démocratiques, le financement politique est de la corruption légalisée. C’est le cas aux États-Unis et au parlement européen, où la corruption est généralisée.

Le Qatargate

Le vendredi 9 décembre, Alexandros Kaïlí était arrêté à Bruxelles dans le cadre d’une enquête pour corruption menée depuis juillet dernier. Au moment de son arrestation, les policiers ont découvert environ 600 000 euros (en argent liquide) dans son appartement.

À partir de cette découverte, les policiers belges ont fait lever l’immunité parlementaire dont jouissait sa fille, Éva Kaïlí — une des quatorze vice-présidents du parlement européen — et ont fouillé le jour même l’appartement de celle-ci où ils ont trouvé une autre tranche de 150 000 euros, toujours en billets de banque.

Ont également été arrêtés :
• l’assistant parlementaire de Mme  Kaïlí, Francesco Giorgi, qui est également son conjoint,
• Niccolò Figà-Talamanca (démarcheur et activiste),
• l’ancien eurodéputé Antonio Panzeri, avec lequel Mme Kaïlí a co-fondé l’ONG Combattons l’impunité (sic), et qui, selon le quotidien Le Soir, serait le chef d’une organisation criminelle chargée d’influencer les décisions du Parlement européen en faveur du Qatar.

Selon Wikipédia, ces trois personnes auraient plaidé coupables à l’accusation de corruption et de blanchiment d’argent.

Le ‘corrupteur’ dans cette affaire serait le Qatar, une des pétromonarchies qui, par la force des décisions du parlement européen, est devenu un des principaux fournisseurs de gaz fossile liquide (GFL) de l’Union européenne.

Après la Norvège, et les États-Unis, le Qatar est maintenant au troisième rang des fournisseurs de GFL avec seize pour cent des approvisionnements.

Le parti Renew Europe (autrefois appelé Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe) est la quatrième formation politique en ordre d’importance; il compte 104 députés sur les 705 du parlement européen

Avant qu’elle n’en soit expulsée, ce parti, par la voix de son président, a présenté sa députée, Mme  Kaïlí, comme une victime.

Pointant un doigt accusateur vers le Qatar, le Français Stéphane Séjourné a déclaré : « Nous ne laisserons pas salir notre travail. Nous ne laisserons pas salir ce Parlement. Nous ne laisserons pas salir l’Europe », sous les applaudissements de ses partisans.

En entendant celui-ci, on peut se demander quel mineur de charbon, couvert de suie au fond de son puits, n’aimerait pas lui aussi être sali par de beaux billets de banque tout neufs…

Signalons que le parti Renew Europe a reçu près d’un demi-million d’euros de multinationales. Son congrès de Madrid, tenu en 2018, a été financé par les succursales européennes de Google, Walt Disney, Microsoft et Bayer (fabricant du glyphosate).

Quand le premier réflexe d’un parti est de blâmer le corrupteur et non la corrompue (qui était libre de refuser l’argent), c’est que ce parti est plus gangréné par la corruption qu’il ne le croit…

Comment le parlement européen est-il tombé si bas ?

Tout comme au Québec, les partis en lice au parlement européen peuvent percevoir des dons des particuliers, en plus de l’argent versé par le parlement européen pour chaque vote obtenu à l’occasion d’une élection.

Mais contrairement aux législations québécoise et française, les partis européens peuvent également accepter des dons provenant de personnes morales (c’est-à-dire d’entreprises, d’associations, de groupes de pression, de syndicats, etc.).

Chaque don est limité à 18 000 euros. Mais chaque filiale d’un conglomérat peut effectuer un don, ce qui permet de contourner cette limite.

De plus, après Washington, le parlement européen est sollicité par la deuxième plus importante horde de démarcheurs au monde, soit environ 37 300 personnes.

Les hauts dirigeants européens doivent, théoriquement, inscrire leurs rencontres dans un registre. Ce à quoi ne sont pas tenus les simples eurodéputés hors de l’enceinte parlementaire.

On estime à trois-milliards d’euros les sommes consacrées à tenter d’influencer les décideurs au sein du parlement européen.

Même si Ursula von der Leyden, présidente de la Commission européenne, a bien tenté d’adopter un profil bas depuis cette affaire afin de ne pas en être éclaboussée, on doit savoir qu’en juillet dernier, l’exécutif européen adoptait une résolution destinée à élargir le financement des partis européens aux ‘donateurs’ (particuliers, entreprises ou gouvernements) hors de l’Union européenne.

À sa face même, cette recommandation de l’exécutif était une invitation à la corruption étrangère du parlement européen.

Même si cette proposition avait été rejetée — elle ne l’a pas été, du moins jusqu’ici — le simple fait qu’on ait pu l’envisager sérieusement en dit long sur l’état de pourrissement de la démocratie en Europe.

Références :
Amendements pré-rédigés, accès au Parlement… Comment les lobbys opèrent au sein de l’Union européenne
Clara Robert-Motta. Qatargate : “Les Européens sont dans une situation schizophrénique”
Corruption fédérale : les voyages forment la vieillesse
Elections européennes: Argent public, dons d’entreprises… Comment sont financés les partis européens?
Financement transparent des partis politiques européens
Fitzgibbon à la chasse sur l’île de la gang du lac
Le Parlement européen dénonce une « attaque » contre la démocratie
Les eurodéputés veulent étendre le financement des partis politiques au-delà de l’UE
Pendant que Trudeau était critiqué pour ses vacances dans l’île de l’Aga Khan, Rona Ambrose était sur le yacht d’un milliardaire
Petit guide de lobbying dans les arènes de l’Union européenne
« Qatargate » : au Parlement européen, l’urgence de la transparence
« Qatargate » : ce que l’on sait des soupçons de corruption au Parlement européen
Qatargate : « L’amitié professionnelle » embarrassante de Marie Arena avec Pier Antonio Panzeri
Soupçons de corruption : le Parlement européen dénonce une « attaque » contre la démocratie

Parus depuis :
Les commis-voyageurs pro-israéliens du Parlement européen (2023-03-09)
Ingérences étrangères : comment des députés ont été instrumentalisés pour soutenir le Qatar (2024-12-06)
Enquête pour corruption au Parlement européen : perquisitions en Belgique et au Portugal (2025-03-13)
Affaire Huawei : 6 choses à savoir sur ce scandale de corruption qui secoue le Parlement européen (2025-03-17)
Pfizergate, quand la transparence ébranle von der Leyen et la Commission européenne (2025-05-14)
Corruption massive en Europe : La vérité éclate enfin… (vidéo du 2025-06-17)
De quoi Rachida Dati est-elle accusée ? (vidéo du 2025-08-11)
Brussels in shock as ex-EU diplomat Mogherini arrested in tender-rigging probe (2025-12-02)

Complément de lecture : Les États prédateurs

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le plafonnement du prix du pétrole russe

Publié le 8 décembre 2022 | Temps de lecture : 6 minutes

Ursula von der Leyden, la tigresse de papier

Comme le lapin des piles Energizer, la présidente de la Commission européenne bat vaillamment le tambour de la guerre économique contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine.

Le fiasco des sanctions économiques entreprises jusqu’ici — qui se sont retournées contre les pays membres de l’Union européenne — n’a pas ralenti son ardeur.

Sa dernière trouvaille est le plafonnement du prix du pétrole russe.

Le résultat est connu d’avance; imaginez des milliers d’acheteurs potentiels d’un spectacle de Taylor Swift — la chanteuse la plus populaire du moment — qui décideraient qu’ils ne paieraient pas plus de 25$ du billet. Eh bien, les stades s’empliraient sans eux.

Tant que la demande mondiale de pétrole dépasse l’offre, ce sont les producteurs de pétrole qui ont le gros bout du bâton.

L’effet du plafonnement

Le pétrole brut distribué par pipeline

Le principal mode de distribution du pétrole brut russe est par pipeline. Or, depuis leur embargo de mai 2022, les pays membres de la Communauté européenne en achètent presque plus.

En payant une fortune pour du pétrole autre que russe destiné aux pays en voie de développement — qu’ils détournent afin d’assurer leurs propres besoins — les pays européens ont créé ailleurs dans le monde un vide que le pétrole russe s’est empressé de combler.

Si bien que la valeur des exportations de pétrole russe a augmenté substantiellement depuis le début de la guerre en Ukraine.

Or cette nouvelle sanction ne s’applique pas au brut que la Russie exporte par pipeline ailleurs qu’en Europe.

Le pétrole brut distribué par pétrolier

L’autre mode de transport du brut est par pétrolier. Le plafonnement s’applique donc uniquement aux pétroliers qui tenteront de décharger leur cargaison à des ports européens.

Les pétroliers qui approvisionnent en brut la Turquie, l’Inde ou la Chine échappent aux sanctions européennes… en théorie (nous y reviendrons).

Le pétrole de chaque pays producteur porte sa signature chimique. Selon sa teneur en souffre, notamment, la Communauté européenne peut savoir d’où il vient et sanctionner ses membres qui auront acheté par bateau du brut russe au-delà du prix maximal qu’elle a décrété.

Le pétrole brut distribué par train ou camion-citerne

La nouvelle sanction européenne ne s’applique pas non plus au mazout (appelé également fioul), au diésel, ou à l’essence automobile puisqu’une fois raffinée, l’essence de pétrole perd la signature chimique du brut d’origine.

Une fois raffinée, l’essence est transportée par camion-citerne ou par train.

Si du pétrole albertain peut parcourir 3 000 km pour être acheminé à Montréal, du pétrole russe raffiné en Turquie peut parcourir 2 500 km pour être livré à Berlin.

En présence de mazout turc, même si on devait se douter que c’est du pétrole russe ‘déguisé’, personne en Allemagne ou en France préfèrera greloter cet hiver plutôt que s’en servir.

Bref, au premier abord, cette nouvelle sanction est une plaisanterie ‘vonderLeydienne’. Ce n’est pas tout à fait le cas.

L’assurance

Le véritable but de la nouvelle mesure européenne concerne l’assurance maritime du transport pétrolier.

Lorsque la cargaison d’un pétrolier est détruite, son propriétaire (l’armateur ou son client) peut être remboursé par sa compagnie d’assurance.

Or 90 % du fret maritime est protégé par des compagnies d’assurances occidentales, principalement anglaises ou anglo-américaines.

Cela signifie que si un pétrolier transportant du brut russe sombre mystérieusement en mer — comme les gazoducs Nord Stream I et II ont mystérieusement été sabotés — l’assuré ne recevra qu’un prix maximal de 60 $US du baril.

De la même manière qu’il était prévisible que la fermeture des succursales russes de sociétés occidentales allait entrainer une russification de l’économie de la Russie, on peut prévoir que le refus d’assurer à 100 % la cargaison de pétroliers grecs transportant du brut russe les incitera à s’assurer ailleurs.

En d’autres mots, ce sera une occasion en or pour des puissances émergentes comme l’Inde ou la Chine de développer leur secteur financier.

Toutefois, en voulant échapper à cette nouvelle sanction européenne, même si un armateur s’assurait auprès d’une compagnie qui n’est pas occidentale, il faut savoir que toutes les compagnies d’assurances au monde sont protégées à leur tour par un ‘super-assureur’ qu’est la Lloyds of London.

Par le biais de cette dernière, les pays européens et le G7 espèrent rendre risqué le transport maritime du brut russe et du coup, décourager l’achat de cet hydrocarbure.

Mais il suffit que la Russie garantisse secrètement de payer la différence si jamais un malheur devait frapper un pétrolier transportant son pétrole pour que cette nouvelle sanction européenne ne s’avère qu’un vœu pieux…

Si bien que les principales victimes de cette nouvelle sanction européenne risquent d’être les grands assureurs londoniens.

Conclusion

Dans la chanson V’là le bon vent, v’là le joli vent, il est dit : “Visa le noir, tua le blanc. Ô fils du roi, tu es méchant.”

Dans le cas de cette nouvelle sanction, en visant l’or noir russe, la présidente de la Commission européenne fait de la blanche Albion — c’est le surnom de la Grande-Bretagne — sa victime collatérale… ce qui est une manière insidieuse de lui faire payer le prix du Brexit.

Références :
Le pétrole russe plafonné à 60 dollars après l’accord du G7 et de l’Australie
McDonald’s et la culture du bannissement
Prix du pétrole russe : le baril plafonné à 60 dollars par le G7 et l’UE

Compléments de lecture :
L’engrenage ukrainien
L’épouvantail russe

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le cout de la dé-Merkellisation de l’Allemagne

Publié le 8 août 2022 | Temps de lecture : 11 minutes


 
L’ouverture à l’Est

Née en 1954, Angela Merkel avait vécu presque toute sa vie en Allemagne de l’Est lorsqu’elle assiste, à titre de jeune politicienne, à la réunification de l’Allemagne (en 1989-1990) et à la dislocation de l’URSS en 1991.

Au moment où les deux Allemagnes se fusionnent, l’économie de sa partie occidentale est très prospère alors que sa partie orientale est en piteux état en raison d’un désinvestissement chronique.

Cette dernière sera donc un bassin de main-d’œuvre compétente et à bon marché pour la première.

De plus, aux yeux de la nouvelle classe politique allemande — au sein de laquelle Mme Merkel occupe diverses fonctions ministérielles — la Russie ruinée représente une occasion d’affaires.

En 1991, le parlement russe adopte un ambitieux plan de privatisation de son économie. Profitant des lacunes du droit des affaires, des proches du pouvoir font main basse — à partir de fonds dont on ignore la provenance — sur les fleurons de l’économie russe.

C’est ainsi que Mikhaïl Khodorkovski a payé en 1996 la somme de 309 millions de dollars pour Ioukos, la quatrième plus importante compagnie pétrolière au monde, dont la valeur réelle dépassait vingt-milliards de dollars.

Tout occupée à investir dans l’ancienne Allemagne de l’Est pour y hausser le niveau de vie, la classe politique allemande n’a pas incité ses industriels à participer au pillage économique de la Russie.

Toutefois, la stratégie industrielle allemande fut d’ouvrir le marché allemand aux nouveaux riches russes à la condition que les industriels allemands aient accès à du gaz fossile, du pétrole et des ressources minières à des prix défiant toute concurrence.

Et comment inciter les Russes à offrir tout cela à des prix d’ami ? En leur promettant le financement des infrastructures nécessaires à l’exportation de leur production.

Les nouveaux oligarques russes trouvèrent donc en Allemagne une source d’enrichissement personnel presque illimité. Et d’autre part, l’industrie allemande acquérait un avantage compétitif.

Mais la motivation des dirigeants allemands dépassait le cadre limité du calcul économique et même celui des préoccupations environnementales (puisque bruler du méthane crée moins de gaz à effet se serre qu’utiliser du charbon ou du pétrole).

Pacifier par l’intégration

Pendant des siècles, les empires européens se sont fait la guerre en dépit des mariages dynastiques qui avaient précisément pour but de les empêcher.

Quant aux alliances militaires, contrairement à ce qu’on pense, elles sont belligènes.

La Première Guerre mondiale a été déclenchée à la suite d’un fait divers; l’assassinat du prince héritier de la dynastie austro-hongroise à Sarajevo en 1914.

Un mois plus tard, l’Empire austro-hongrois déclarait la guerre à la Serbie.

Mais en raison de tout un réseau complexe d’alliances militaires bilatérales, bientôt l’Europe entière fut mise à feu et à sang.

C’est le développement de liens commerciaux et plus précisément l’intégration économique qui diminue les risques de guerre. Quand deux pays ne peuvent plus se passer l’un de l’autre, ils trouvent le moyen d’apaiser leurs divergences par la diplomatie.

Ce que font incidemment les partenaires sexuels…

L’exemple franco-allemand

La France et la Prusse (alliée à une bonne partie des principautés allemandes) se sont fait la guerre en 1870. Elles étaient ennemies en 1914-1918. Puis de nouveau en 1939-1945.

Le 9 mai 1950, alors que les haines suscitées par la Deuxième Guerre mondiale étaient encore vives, Robert Schuman, en sa qualité de ministre français des Affaires étrangères, propose à l’ennemi d’hier de placer l’ensemble de la production franco-allemande du charbon et de l’acier sous l’autorité d’un organisme supranational.

Cette déclaration aboutit l’année suivante à création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ancêtre du marché commun européen.

De nos jours, l’intégration économique entre ces deux pays est telle qu’une guerre entre eux est impossible. En exagérant à peine, on pourrait dire que la France et l’Allemagne forment une fédération sans gouvernement central où sont réunies une province occidentale dirigée par un président français, et une province orientale dirigée par un chancelier allemand.

Le résultat, c’est que non seulement ces deux pays vivent en paix depuis sept décennies, mais tous les conflits européens qui sont survenus au cours de cette période l’ont été hors du marché commun.

C’est cela que Mme Merkel avait à l’esprit en établissant des ponts économiques entre son pays et la Russie; elle pacifiait leurs relations mutuelles.

Comme tous les choix politiques, ce pari n’était pas sans risque, mais il en valait la peine à ses yeux.

Toutefois, à la suite du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, ses successeurs ont choisi une autre voie pendant qu’éditorialistes et chroniqueurs, d’une même voix, s’entendaient pour blâmer l’ancienne chancelière d’avoir fragilisé l’économie allemande en la rendant aussi dépendante de la Russie.

En réalité, l’ex-chancelière a soutenu une politique d’ouverture qui faisait consensus au sein de la classe politique allemande pendant trente ans et du coup, qu’ont soutenue les trois chanceliers allemands au pouvoir depuis l’effondrement de l’Union soviétique.

Plutôt que de défendre son héritage, Mme Merkel a préféré se murer dans le silence, convaincue que le peuple allemand découvrirait assez vite les conséquences du harikiri économique décrété par ses successeurs sous pression américaine.

Le cout catastrophique des sanctions allemandes

La compagnie allemande Uniper est le principal distributeur de gaz fossile russe en Allemagne. Elle est responsable de la vente d’environ 60 % de tout le gaz fossile vendu dans le pays.

Liée à des municipalités et à des géants industriels par des contrats à long terme, elle a dû acheter à fort prix du gaz fossile sur les marchés internationaux afin de respecter ses engagements quand la Russie a réduit ses exportations.

Si bien que les cinq mois de guerre russo-ukrainienne l’ont mené au bord de la faillite. Conséquemment, l’État allemand a dû débourser quinze-milliards d’euros pour la renflouer.

Puisque cette compagnie a été autorisée à hausser le prix de son gaz, on calcule que chaque foyer allemand pourrait bientôt payer mille euros de plus par année pour se chauffer… à moins de se résoudre à économiser de l’énergie.

Dans l’éventualité où le pays devrait se résoudre au rationnement, la règlementation européenne stipule qu’on doit prioriser les résidences privées, les petites et les moyennes entreprises, de même que ce qui est essentiel au maintien de l’ordre public et de la protection de la vie; la police, le service des incendies et les établissements de la santé.

Selon la modélisation de Bruxelles, les Allemands devraient manquer de gaz dès février 2023 si le gazoduc Nord Stream I continue de fonctionner à 20 % de sa capacité (comme actuellement).

Les premières usines qui devront se serrer la ceinture, ce sont celles qui produisent des biens non essentiels. En principe, cela devrait être le cas des aciéries, des verreries et des usines de céramique.

Mais si on prend le cas des verreries, il faut distinguer la fabrication des gobelets de la fabrication des fioles de médicaments injectables. De plus, sans phares ni parebrises, l’industrie automobile est paralysée.

Certains géants industriels possèdent déjà leurs propres centrales électriques, capables de produire de l’électricité indistinctement à partir du méthane ou du pétrole.

À l’heure actuelle, une multitude d’entreprises cherchent désespérément à s’équiper de génératrices afin d’augmenter leur autonomie.

L’hydrogène peut être produit par l’hydrolyse de l’eau. Mais il est généralement produit à partir du méthane. Pour la pétrochimie allemande, manquer de gaz fossile, c’est manquer aussi de ce qu’il faut pour produire de l’ammoniac (pour fabriquer de l’engrais et des produits de nettoyage) et de l’acétylène (pour la fabrication des colles industrielles). C’est donc paralyser l’agriculture, la construction, l’industrie automobile et l’industrie pharmaceutique, entre autres.

Pour pallier la pénurie, on retardera la mise hors service de toutes les chaudières industrielles qui fonctionnent encore au charbon et dont certaines remontent à l’ère soviétique.

Et pour être en mesure de hausser au maximum sa production d’électricité afin d’aider l’Allemagne l’hiver prochain, la France a décidé de hâter la réparation de la moitié de son parc nucléaire.

De telles réparations sont habituellement effectuées à la belle saison alors que la consommation d’électricité est plus faible. Elles sont beaucoup plus nombreuses cet été à nécessiter des réparations parce que celles-ci ont été différées depuis deux ans en raison de la pandémie.

Le résultat, c’est que la France achète de l’électricité aux pays voisins, dont l’Allemagne, alors cette dernière tente désespérément de constituer des réserves en vue de l’hiver.

Pendant ce temps, les États-Unis — principal fournisseur de gaz fossile liquéfié (GFL) à l’Europe — ont un problème; les installations portuaires de leur deuxième terminal méthanier (à Freeport, au Maine) ont été détruites par le feu en juin dernier. Ce qui réduit du sixième la capacité exportatrice américaine de GFL vers l’Europe.

Bref, tout va mal.

Conclusion

La dé-Merkellisation n’est pas seulement la rupture brutale des relations commerciales avec la Russie, c’est aussi un recul environnemental avec le retour à des combustibles encore plus polluants que le gaz fossile.

Avec sa population de 83 millions de personnes, l’Allemagne ne manque pas de talents pour faire face aux défis gigantesques qu’elle devra relever au cours des prochains mois.

Mais tous ces problèmes, elle ne les aurait pas si elle avait laissé le peuple ukrainien assumer son choix de devenir un ennemi militaire de son puissant voisin. Ce qui rendait la guerre russo-ukrainienne inévitable.

En décembre 2021, deux mois avant le déclenchement de cette guerre, la chancelière Merkel quittait la vie politique. Ce qui ne l’a pas empêchée, à titre privé, de la condamner sévèrement.

Toutefois, au-delà des paroles accusatrices, on ne saura jamais ce qu’elle aurait fait si elle était encore au pouvoir.

Ce qui est certain, c’est que si elle et ses prédécesseurs (Gerhard Schröder et Helmut Kohl) n’avaient pas poursuivi contre vent et marée une politique d’ouverture à l’égard de la Russie, l’Allemagne n’aurait pas connu la remarquable période de prospérité économique qui fut la sienne depuis l’effondrement du Bloc soviétique et au cours de laquelle son PIB a doublé.

Références :
Angela Merkel
Boris Eltsine
Déclaration du 9 mai 1950
Europe et Russie : la bataille des gazoducs
Germany Plans for a Winter Without Gas from Russia
Guerre franco-allemande de 1870
L’engrenage ukrainien
L’expansionnisme toxique de l’Otan
Oligarchie russe
Pourquoi autant de réacteurs nucléaires français sont-ils actuellement à l’arrêt ?

Parus depuis :
Germany confronts a broken business model (2022-12-06)
Le moteur de l’Europe cale (2023-09-18)
En Allemagne, l’incertitude sur les grands projets industriels affecte la crédibilité de la politique de Berlin (2024-09-23)
Volkswagen to shut three factories, axe jobs and cut pay by 10%, says union (2024-10-28)
L’équipementier automobile Schaeffler supprime 4 700 emplois en Europe (2024-11-05)
Le sidérurgiste allemand ThyssenKrupp va supprimer 11 000 postes (2024-11-25)
En Allemagne, engluée dans la stagnation, une « hausse vertigineuse des faillites » (2025-01-14)
En Allemagne, la restructuration de l’aciériste ThyssenKrupp symbole d’une industrie « en chute libre » (2025-12-03)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’épouvantail russe

Publié le 15 avril 2022 | Temps de lecture : 8 minutes


 
Une guerre inévitable

Toute alliance militaire repose sur la crainte d’un ennemi commun.

Depuis l’effondrement du bloc soviétique, l’Otan se cherchait une vocation.

En février 2014, l’annonce par l’Ukraine qu’elle retirera au russe son statut de langue officielle en Crimée — très majoritairement peuplée de Russophones — provoque son indépendance et son rattachement à la Russie.

Pour l’Otan, cette annexion est une aubaine; c’est la preuve de l’expansionnisme russe.

Du coup, en septembre de cette année-là, les pays membres de l’Otan se sont engagés à ce qu’en 2024, le niveau de leurs dépenses atteigne un minimum de 2 % de leur produit intérieur brut (PIB).

Cette nouvelle course aux armements a été déclenchée alors la puissance militaire américaine était déjà cinq à dix fois supérieure à celle de la Russie. En d’autres mots, alors que toute déclaration de guerre de la Russie à l’Occident aurait été suicidaire.

En 2016, en déplaçant une partie de leur arsenal nucléaire de leur base turque d’Incirlik à leur base roumaine de Deveselu, les États-Unis ont réduit la distance de leurs ogives nucléaires de Moscou de 2 000 km à 1 488 km.

Dès l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’Otan, le redéploiement des ogives nucléaires américaines dans ce pays diminuera considérablement temps d’une frappe américaine contre la Russie.

Celle-ci ne peut tolérer la présence d’un ennemi militaire dans sa cour arrière. Tout comme les États-Unis ne pouvaient pas tolérer la présence de missiles russes à Cuba (d’où la Crise des missiles de 1962).

En 2021, pendant des mois, la Russie a amassé ses troupes à la frontière ukrainienne. Plutôt que d’y voir là une matière à réflexion, l’Ukraine s’est entêtée à croire que tout cela n’était qu’un bluff.

Jamais il n’est venu à l’esprit des dirigeants ukrainiens que toutes les sanctions occidentales appliquées dès le lendemain d’une invasion de la Russie n’étaient rien pour elle en comparaison avec la possibilité d’un anéantissement nucléaire de ce pays par des missiles de l’Otan une fois déployés en Ukraine.

Bref, pour la Russie, la neutralité militaire ukrainienne correspond à un objectif géostratégique crucial.

David contre Goliath

Maintenant que la guerre russo-ukrainienne est déclenchée, les Ukrainiens sont seuls à affronter la tempête.

Les appels désespérés du président Zelensky n’y changent rien; la fourniture d’armes américaines à l’Ukraine affaiblira incontestablement l’armée russe, mais ne changera pas l’issue de la guerre, connue d’avance.

Plus tôt l’Ukraine capitulera, plus elle limitera la souffrance de son peuple et le tribut de guerre qu’elle aura à payer à la Russie pour les dommages causés à son armée. Parce que les perdants paient toujours un tribut de guerre au gagnant.

À partir du moment où Vladimir Poutine confie l’armée russe au général Dvornikov (qui ne fait pas dans la dentelle), on doit s’attendre à assister à la méticuleuse destruction de l’économie ukrainienne au cours des semaines ou des mois qui viennent.

Ce qui permettra aux États-Unis de susciter l’indignation et d’agiter l’épouvantail russe.

Une occasion d’affaires

Déjà, tous les pays de l’Otan sont plus déterminés que jamais à s’armer en dépit de leur incontestable supériorité militaire. En bonne partie, cette augmentation des budgets de la Défense sera constituée d’achats de matériel militaire américain.

Pourtant, la Russie rencontre des difficultés à s’emparer de l’Ukraine, un pays adjacent de 44 millions d’habitants. Comment peut-on s’imaginer qu’elle partirait à la conquête des 880 millions de personnes qui peuplent l’Union européenne, la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis ?

Ce danger est tellement invraisemblable qu’on demeure médusé devant l’extraordinaire pouvoir de conviction de la propagande américaine et devant l’empressement de nos journalistes à la répéter comme des perroquets.

En rendant toxique toute relation commerciale avec la Russie, les États-Unis espèrent remplacer ce pays comme fournisseur important de pétrole et de gaz naturel à l’Europe.

S’ils devaient réussir, cela donnerait aux entreprises américaines un avantage concurrentiel puisque les hydrocarbures américains seront toujours moins chers lorsqu’achetés aux États-Unis plutôt qu’une fois transportés en Europe, à des milliers de kilomètres.

En d’autres mots, la campagne américaine pour inciter les Européens à s’affranchir des hydrocarbures russes vise à assujettir davantage l’Europe à la puissance hégémonique des États-Unis.

Les conséquences mondiales du conflit

Si cette guerre se prolonge, elle entrainera des révoltes dans les pays qui dépendent de l’approvisionnement en céréales d’Ukraine et de Russie, de même que dans ceux où les agriculteurs ont besoin des engrais chimiques russes. Dans un cas comme dans l’autre, guerre égale famine égale révolte.

Le boycottage de l’économie russe provoque artificiellement la pénurie de tous ses produits d’exportation. Ce qui veut dire que l’inflation, déjà évidente avant le conflit, sera propulsée à des niveaux imprévisibles.

Cela obligera les banques centrales à relever leurs taux d’intérêt de base. Ce qui provoquera un ralentissement économique. Or toute diminution de la consommation entraine parallèlement une diminution des sommes perçues sous forme de taxes à la consommation (TVA, taxes de vente, etc.).

Lorsque les États sont peu endettés, ils peuvent entreprendre de grands chantiers pour soutenir l’économie lorsque survient un ralentissement.


 
Malheureusement, de nombreux pays se sont fortement endettés au cours du confinement décrété en début de pandémie. Dans le cas de la France, sa dette actuelle équivaut maintenant à 116,3 % de son PIB (comparativement à un peu plus de vingt pour cent pour la Russie).

Le ralentissement économique et l’augmentation des couts de la dette obligeront les États à remettre à plus tard les projets colossaux qui sont nécessaires à combattre le réchauffement climatique.

La seule issue budgétaire pour eux sera d’adopter des mesures d’austérité.

Entre autres, cela signifie moins d’argent pour nos hôpitaux, moins pour nos écoles, moins pour le transport en commun, et moins pour le logement social.

Tout cela parce que la priorité budgétaire sera l’accroissement futile de nos dépenses militaires. Au Canada, l’armée sera une vache sacrée qui bouffera annuellement 34,5 milliards$, soit deux pour cent du PIB.

Pour une famille canadienne de deux parents et de deux enfants, c’est 3 681 $ qu’on prélèvera chaque année dans ses poches.

Ceux qui applaudissent aujourd’hui ces augmentations seront les premiers à protester contre l’appauvrissement que cela entrainera.

Après le fiasco de la lutte sanitaire en Occident, les gouvernements qui ont si mal protégé leur population contre la pandémie peuvent s’attendre à la montée de la colère du peuple quand ils entreprendront de le faire souffrir davantage par des mesures d’austérité.

Références :
À la fin du troisième trimestre 2021, la dette publique s’établit à 2 834,3 Md€
Aleksandr Dvornikov: Russian general who helped turn tide of Syrian war
Crise des missiles de Cuba
Dépenses militaires : le Canada s’éloignerait de la cible de 2 % de son PIB
Des budgets militaires en expansion
Doubler les dépenses militaires et la dénaturation du Canada
Guerre en Ukraine : Egypte, Liban, Soudan… Ces pays menacés par des pénuries alimentaires à cause du conflit
La dépendance du marché des engrais à la Russie met à risque la production céréalière
La Finlande décidera « d’ici quelques semaines » de son adhésion à l’OTAN
Le budget fédéral prévoit une aide militaire de 500 M$ de plus à l’Ukraine
Le Canada a formé des éléments d’un régiment ukrainien lié à l’extrême droite
Le coût des engrais devrait continuer d’augmenter en raison de la guerre en Ukraine
Pas de retombées furtives pour le F-35
Théorie des dominos
Ukraine economy to shrink by almost half this year, World Bank forecasts
US moves nuclear weapons from Turkey to Romania
U.S.-Ukraine Charter on Strategic Partnership

Parus depuis :
The Energy Shock — Germany Plans for a Winter Without Gas from Russia (2022-07-29)
Au Royaume-Uni, nouvel épisode des grèves de la colère face à l’inflation (2022-08-18)
En Belgique, la colère sociale gronde face à l’explosion des factures énergétiques (2022-09-09)

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La menace de Joe Biden à Vladimir Poutine

Publié le 25 mars 2022 | Temps de lecture : 3 minutes

Introduction

Le président américain a menacé hier Vladimir Poutine de représailles si ce dernier devait utiliser des armes chimiques contre le peuple ukrainien, précisant que « la nature de la réponse dépendra de la nature de cette utilisation.»

Rappel historique

La dernière fois qu’un président américain a fait une telle menace, c’était en 2012.

Barack Obama avait alors laissé entendre (sans le dire explicitement) que les États-Unis pourraient officiellement entrer en guerre contre la Syrie si son président, Bachar al-Assad, utilisait une fois de plus des armes chimiques contre son propre peuple.

En dépit de cela, quelques mois plus tard, une attaque chimique importante eut lieu en mars 2013 à Kan al-Assad, aussitôt imputée à Bachar al-Assad et condamnée par tous les pays occidentaux.

L’enquête de l’Onu effectuée sur place a conclu qu’elle avait commise par les rebelles et non par les forces gouvernementales syriennes.

Les enquêteurs de l’Onu s’étaient notamment basés sur la trace de l’impact de l’obus au sol pour déterminer qu’il avait été tiré de positions rebelles. Ces rebelles étaient affiliés à Al-Qaida.

En somme, les mercenaires étrangers à la solde de l’Arabie saoudite et du Qatar ont volontairement mis en scène une attaque chimique afin de forcer la main du président américain pour que les États-Unis entrent en guerre contre le régime de Bachar al-Assad.

La menace, version II

En menaçant Vladimir Poutine, le président américain s’adresse à plusieurs auditoires au premier rang desquels, son homologue russe.

De plus, aux yeux des peuples occidentaux, il se présente comme le protecteur du peuple ukrainien. Si effectivement aucune arme chimique ne devait être utilisée d’ici la fin de la guerre, il pourra soutenir que c’est grâce à lui… même si cela n’avait jamais été l’intention de Poutine.

Malheureusement, cette menace augmente (et non réduit) les risques que des armes chimiques soient utilisées.

En Ukraine, comme dans tous les pays du monde, il y a des organisations criminelles. Or la guerre perturbe leurs activités.

Qui fréquente les bordels quand les bombes pleuvent ? Qui participe à des paris clandestins quand toute la population se réfugie aux abris ? Qui se présente là où on vend habituellement de la drogue quand les balles sifflent de partout ?

Le président américain envoie donc un message à la pègre ukrainienne; il lui promet d’accélérer le retour au bon vieux temps si elle met en scène une attaque chimique incriminant la Russie.

Voilà comment on manipule les peuples à distance…

Références :
Armes chimiques: Barack Obama met en garde Damas
Attaque chimique de Khan al-Assal
L’OTAN « répondra » si la Russie utilise des armes chimiques en Ukraine, dit Biden
Quel rôle a joué la Mafia italienne au cours de la Seconde Guerre Mondiale ?

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’engrenage ukrainien

Publié le 15 mars 2022 | Temps de lecture : 13 minutes
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Introduction

Peuplée de 44 millions d’habitants, l’Ukraine est le deuxième plus vaste pays d’Europe (après la France).

Ses deux principaux groupes ethniques sont les Ukrainophones et les Russophones (voir la carte).

La révolution orange

À l’éclatement de l’URSS en 1991, l’Ukraine a d’abord été dirigée par deux présidents pro-russes.

Qu’il soit qualifié de pro-russe ou de pro-occidental, chaque gouvernement du pays depuis l’indépendance a souhaité le développement des échanges commerciaux avec l’Union européenne.

La véritable distinction entre les deux, c’est que les premiers ont cherché à développer la coopération militaire avec la Russie, alors que les seconds souhaitent l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.

L’élection présidentielle de 2004 fut la première où s’affrontèrent ouvertement des candidats soutenus par des puissances étrangères. À titre d’exemple, l’administration Bush a versé 65 millions de dollars à la campagne du candidat pro-occidental.

Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité des voix exprimées, on organisa un second tour.

Alors que le candidat pro-occidental avait probablement remporté l’élection, ce fut son adversaire pro-russe qui fut officiellement déclaré vainqueur.

Cela provoqua de grandes manifestations à travers le pays — regroupées sous l’appellation de ‘révolution orange’ — à l’issue desquelles on organisa un 2e ‘second tour’.

Cette fois, c’est le candidat pro-occidental qui fut déclaré victorieux.

Entre deux révoltes

Depuis l’indépendance, la situation économique de l’Ukraine s’est considérablement dégradée.

La Grande récession étant survenue au cours de la présidence de ce candidat pro-occidental, son impopularité a pavé la voie à son successeur pro-russe, élu de justesse en 2010 par 48,95 % des votes (contre 45,47 % pour sa rivale pro-occidentale).

Au cours de son mandat, le gouvernement de l’Ukraine, économiquement au bord de la ruine, a été courtisé par la Russie et par l’Union européenne.

À l’exception de la Grande-Bretagne, valet de Washington, les pays d’Europe occidentale se sont longtemps opposés à l’adhésion de l’Ukraine au marché commun européen pour deux raisons.

Premièrement, en raison de la corruption endémique qui règne dans le pays. Une corruption qui va bien au-delà de la moyenne européenne.

Et surtout parce que l’Ukraine ne répond pas aux critères européens quant à l’indépendance de son système judiciaire. Celui-ci est indépendant de la présidence du pays, mais il ne l’est pas à l’égard du parlement.

Pour redonner un second souffle au mouvement pro-occidental, l’Union européenne a proposé à l’Ukraine un accord d’association qui, en réalité, visait à faire cheminer la législation ukrainienne et ses politiques économiques vers les standards européens.

Ce qui, à long terme, préparait la voie à son adhésion en bonne et due forme.

En 2013, au moment où l’Ukraine s’apprête signer cet accord, le pays est au bord de la faillite.

En novembre de cette année-là, il lui reste 18,79 milliards de dollars de réserves de change alors qu’elle doit bientôt rembourser sept-milliards de dollars à ses créanciers, dont la Russie (à qui elle doit dix-sept-milliards de dollars de gaz naturel impayé).

Depuis quelques mois, Vladimir Poutine offre secrètement au gouvernement ukrainien la levée des barrières tarifaires entre l’Ukraine et la Russie, une baisse du prix de son gaz naturel, de même qu’un prêt de quinze-milliards de dollars. L’offre est irrésistible.

Le premier ministre ukrainien se tourne alors vers Bruxelles pour lui demander un prêt de vingt-milliards d’euros, ce qui lui est refusé. En retour, l’Union européenne lui promet vaguement une aide financière. Bref, rien de concret.

Conséquemment, le 21 novembre 2013, le président pro-russe annonce son refus de signer l’accord d’association avec l’Union européenne.

Ce qui déclenche de violentes manifestations qui aboutissent à sa destitution et la mise en place d’un gouvernement pro-occidental.

Pour plus de détails à ce sujet, voir le texte “ Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan ”.

L’élection présidentielle de 2014

Alors que le pays est toujours sans président, ce gouvernement pro-occidental annonce le 23 février 2014 son intention (qui n’aura pas le temps de se réaliser) de retirer au russe son statut de langue officielle dans plusieurs régions du pays, dont la Crimée (peuplée à 65,3 % de Russophones).

Si le gouvernement canadien avait le pouvoir de retirer au français son statut de langue officielle au Québec, il provoquerait l’indépendance du Québec.

C’est ce qui est arrivé en Crimée; le parlement ‘provincial’ de Crimée a aussitôt proclamé l’indépendance de la région le 11 mars et a annoncé le rattachement de la Crimée à la Russie. Tout cela s’est fait en quelques semaines.

À l’élection présidentielle ukrainienne de cette année-là, le candidat pro-occidental a été élu par 54,7 % des voix. En réalité, il aurait obtenu bien plus de votes si l’électorat n’avait pas été morcelé entre autant de candidats pro-occidentaux.

Peuplée de deux-millions d’habitants (très majoritairement pro-russes), la Crimée indépendante n’a évidemment pas participé à ce scrutin.

Et les Russophones de l’Est du pays n’ont pas voté non plus. Non pas parce qu’ils ont boycotté l’élection, mais parce que le gouvernement de Kiev a estimé que la situation sécuritaire de la région ne permettait pas d’y ouvrir des bureaux de vote.

Même s’ils avaient pu voter, cela n’aurait pas changé grand-chose.

Cinq ans plus tard, à l’élection présidentielle de 2019, Volodymyr Zelenzky est élu avec 73,2 % des votes.

La ligne rouge

En 2008, au sommet de Bucarest, l’Ukraine avait exprimé son désir d’adhérer à l’Otan. Mais le pays y avait renoncé à la suite de l’élection d’un premier ministre pro-russe en 2010.

Toutefois, celui-ci fut renversé en 2014 par une révolte populaire.

En réaction à l’annexion russe de la Crimée, l’Ukraine a réitéré sa demande d’adhésion à l’Otan.

À plusieurs reprises, Vladimir Poutine avait pourtant menacé l’Ukraine de guerre si ce pays y adhérait.

Puisque le processus d’adhésion d’un pays prend des années, qu’est ce qui a fait qu’au printemps de 2021, Moscou ait décidé de masser ses troupes à la frontière russo-ukrainienne ?

C’est que le 24 mars 2021, Zelinsky signe un décret qui ordonne aux forces armées du pays de donner l’assaut en vue de la ‘désoccupation’ de la Crimée et du sud du pays (soit, sans le préciser, les provinces sécessionnistes de Kherson, Zaporijjia et de Donetsk).

Or depuis déjà sept ans, la population russophone de ces provinces était victime d’exactions commises par des milices néo-nazies financées secrètement par Kyiv. Les violences ethniques y avaient fait plus de quatorze-mille morts, très majoritairement des civils russophones victimes de ces milices néo-nazies.

Puisqu’entretemps ces milices avaient été incorporées à l’armée régulière ukrainienne et que certains de ces néo-nazis s’étaient vus confier des postes de commandement, on pouvait s’attendre au pire d’un assaut éventuel de l’armée ukrainienne contre les civils russophones de l’Est du pays.

La guerre russo-ukrainienne a donc une cause profonde (la volonté ukrainienne de devenir un ennemi militaire de la Russie) et un facteur déclenchant (ce décret présidentiel).

Revenons à la cause profonde.

En tant que pays souverain, l’Ukraine est libre d’adhérer à n’importe quelle organisation internationale. Tout comme Cuba était libre d’acheter des missiles russes en 1962.

Ce qui n’a pas empêché le président Kennedy, à l’époque, d’imposer un blocus maritime à Cuba et de menacer la Russie de faire sombrer tout navire qui s’approcherait des côtes cubaines. Ce à quoi la Russie finira par renoncer.

Les États-Unis ne pouvaient pas accepter qu’on installe des missiles ennemis dans leur cour arrière. C’est pareil pour la Russie; d’autant plus que la frontière ukrainienne est à 458 km de Moscou alors que Cuba est à 1 860 km de Washington.

La manipulation américaine

De l’indépendance de l’Ukraine en 1991 à l’élection présidentielle de 2014, les États-Unis et les organisations non gouvernementales financées par Washington ont dépensé cinq-milliards de dollars en Ukraine.

Officiellement, c’était pour y promouvoir la démocratie. Dans les faits, c’était pour amener le pays à devenir un ennemi militaire de la Russie.

Géopolitique ukrainienne

De fil en aiguille, ce qui se passe en Ukraine est le résultat d’un engrenage qui a débuté il y a dix-huit ans.

Depuis la nuit des temps, le sort d’un pays faible qui est voisin d’un pays puissant, c’est d’être son vassal.

Le Canada en est un exemple.

Le territoire de notre pays recèle des richesses qui sont de nature à susciter la convoitise des États-Unis. Mais ces derniers n’ont pas besoin de les obtenir par la force puisque notre pays s’empresse de fournir pacifiquement tout ce dont ils ont besoin, dont le pétrole (dont nous sommes le principal fournisseur).

Si le Canada voulait s’opposer aux États-Unis, il subirait le sort de Cuba (que les États-Unis envahiraient comme l’Irak si ce pays représentait une menace militaire sérieuse).

Depuis 2004, les organisations non-gouvernementales américaines (financées par Washington) ont créé l’illusion en Ukraine qu’en adhérant à l’Otan, des millions de soldats américains seraient prêts à mourir pour eux si jamais la Russie osait toucher à un seul de leurs cheveux.

Après que les Ukrainiens aient mis le doigt dans un engrenage qui les amenait inévitablement à la guerre, voilà qu’on leur annonce que l’adhésion à l’Otan pourrait prendre une vingtaine d’années.

Pendant que l’aviation russe bombarde les villes assiégées, on leur dit qu’on ne peut pas fermer l’espace aérien de l’Ukraine parce que pour faire respecter cette interdiction, il faudrait abattre des avions russes. Ce qui déclencherait une troisième guerre mondiale.

Alors oui, de loin, nos gouvernements aiment bien ces pauvres Ukrainiens, mais moins qu’ils pensent.

De son côté, l’Union européenne leur annonce que malheureusement, elle exclut une adhésion rapide de leur pays au marché commun.

En envoyant des armes neuves et sophistiquées à l’Ukraine, les États-Unis veulent les faire tester dans les conditions réelles d’une guerre et affaiblir par la même occasion l’armée russe. Les États-Unis font donc une pierre deux coups sans risquer la vie de leurs soldats.

Quand la poussière de cette guerre sera retombée, les Ukrainiens réaliseront peut-être qu’on s’est bien moqué d’eux.

Conclusion

Les grands gagnants de la guerre russo-ukrainienne seront les marchands de canons.

Et ce seront aussi les États-Unis.

Non seulement les pays européens (dont l’Allemagne), inquiets pour leur sécurité, achètent des armes américaines, mais en rendant toxique toute relation commerciale avec la Russie, les États-Unis espèrent remplacer ce pays comme principal fournisseur de pétrole et de gaz naturel à l’Europe.

S’ils devaient réussir, cela donnerait aux entreprises américaines un avantage concurrentiel puisque les hydrocarbures américains seront toujours moins chers lorsqu’achetés aux États-Unis plutôt qu’une fois transportés en Europe, à des milliers de kilomètres.

En d’autres mots, la campagne américaine (et canadienne) pour inciter les Européens à s’affranchir des hydrocarbures russes vise à assujettir davantage l’Europe à la puissance hégémonique des États-Unis.

Une autre leçon de l’Histoire ne concerne pas le cas des petits dans l’ombre d’un grand, mais concerne les relations entre les grandes puissances.

Entre deux pays puissants rivaux, cette rivalité les conduit inéluctablement à la guerre.

Pendant des siècles, les empires européens se sont fait la guerre en dépit des mariages dynastiques qui avaient précisément pour but de les empêcher.

C’est seulement à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale que la France et l’Allemagne ont découvert le moyen efficace de prévenir leurs conflits; par l’intégration économique.

À l’opposé, en coupant les relations économiques avec la Russie, on prépare à long terme une guerre avec elle.

Références :
Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne
Annexion de la Crimée par la Russie en 2014
« C’est la ‘plateforme’ de la réconciliation nationale – avec des bousculades et des insultes.» Les réseaux sociaux discutent du conflit entre Sivokho et les nationalistes (en russe)
Euromaïdan
L’Allemagne proche d’officialiser l’achat des avions de combat F-35 américains
La Russie investira 15 milliards $ en Ukraine
Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Europe repartent à la hausse
Les malheurs de l’Ukraine
L’Ukraine montre «chaque jour» être prête à rejoindre l’Otan, estime Zelensky
L’Union européenne exclut une adhésion rapide de l’Ukraine
Petro Porochenko
Référendum de 2014 en Crimée
Relations entre l’Ukraine et l’Union européenne
Résumé de géopolitique mondiale (1re partie)
Révolution orange
Révolution ukrainienne de 2014
Ukraine
Ukraine crisis: Deadly anti-autonomy protest outside parliament
Ukraine crisis is about Great Power oil, gas pipeline rivalry
Ukraine : pourquoi la Russie souhaite la fin de l’expansion de l’Otan en Europe de l’Est
Une caution d’environ 42 millions réclamée pour l’ex-président ukrainien Porochenko
U.S.-Ukraine Charter on Strategic Partnership
Yarosh : Si Zelensky trahit l’Ukraine, il perdra non pas son poste, mais sa vie (en ukrainien)

Parus depuis :
Ottawa ne veut pas dire s’il a gelé des actifs russes au Canada (2022-03-17)
Les pertes militaires ukrainiennes, un secret très bien gardé (2022-03-31)
What The West (Still) Gets Wrong About Putin (2022-06-01)
Ukraine restricts Russian books and music in latest step of ‘derussification’ (2022-06-20)
Ukraine Is the Latest Neocon Disaster (2022-06-28)
German battle tanks for Ukraine ‘won’t be ready until 2024’ (2023-01-15)
The “snipers’ massacre” on the Maidan in Ukraine (2023-10-16)
Ukrainian trial demonstrates 2014 Maidan massacre was false flag (2023-12-11)
Révolution de Maïdan – vidéo, de 28:26 à 44:05 (2024-02-08)
What 10 Years of U.S. Meddling in Ukraine Have Wrought (Spoiler Alert: Not Democracy) (2024-04-30)
Why Zelensky won’t be able to negotiate peace himself (2024-06-04)
Ruling about the Odessa Massacre (2025-03-13)
Ukraine : « Ce que j’ai vu, ils ne vous le disent pas » (vidéo du 2025-05-27)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le conflit russo-ukrainien : la guerre pour de vrai

Publié le 10 mars 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Introduction

À part d’anciens soldats et quelques reporters, personne en Amérique du Nord ne sait réellement ce qu’est une guerre.

En un mot, c’est une boucherie.

Depuis des décennies, nos gouvernements ont idéalisé les guerres qu’ils menaient et infantilisé leur population à ce sujet.

On nous a raconté que nos armées effectuaient des bombardements ‘humanitaires’ et combattaient pour délivrer des peuples de leurs tyrans.

Malheureusement, ce faisant, elles ont causé infiniment plus de morts que ces tyrans en auraient faits s’ils étaient demeurés au pouvoir.

Et à chaque fois, on ne comprend pas pourquoi les peuples qu’on a délivrés ne nous sont pas plus reconnaissants…

Une guerre différente

Cette fois, l’envahisseur est la Russie. Voilà pourquoi on donne enfin la parole aux victimes. Parce que les victimes de nos guerres, on les voyait dans des tableaux statistiques; c’était des dommages collatéraux.

Depuis plusieurs jours, nos journalistes recueillent le témoignage des réfugiés. Puisque toute guerre provoque l’exode des populations bombardées.

À l’écran de nos télévisions (ou de nos appareils mobiles), on voit des femmes qui parlent anglais et qui s’expriment à visage découvert. Ce qui favorise notre empathie et nous donne une idée de ce qu’est réellement une guerre.

Il est à prévoir que bientôt, ce sont les journalistes occidentaux qu’on prendra pour cible. Afin que la guerre se poursuive derrière des portes closes. Comme c’est actuellement le cas au Yémen et au Tigré.

Et ce qu’on ne verra pas sera pire que ce qu’on peut imaginer.

Les réalités de la guerre

Ceux qui croient qu’il est possible de faire la guerre proprement vivent dans le merveilleux monde des licornes.

Dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu un seul conflit armé important où, d’un côté comme de l’autre, on n’ait pas commis des crimes de guerre.

Non pas parce qu’ils en avaient l’intention dès le départ, mais souvent parce que cela s’est imposé à eux dans la logique barbare de la stratégie militaire.

Par exemple, les deux-cent-mille civils tués par les deux bombes nucléaires larguées par les États-Unis au-dessus du Japon en 1945 représentaient moins de 0,3 % de la population de ce pays (à l’époque, de 72,4 millions d’habitants).

C’est beaucoup moins que le pourcentage de la population européenne qui a péri sous les bombardements de 1939 à 1945.

Aussi choquant que cela puisse paraitre, les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki ont sauvé des vies humaines. Mais cela demeure un crime de guerre.

Un des livres les plus importants que j’ai lus dans ma vie est Inferno, de Keith Lowe.

Il ne s’agit pas du scénario du film hollywoodien homonyme, mais du récit minutieux de la destruction de la ville d’Hambourg par l’aviation anglaise en 1943.

En résumé, après avoir réussi à bombarder le centre industriel de la ville — où l’Allemagne nazie fabriquait ses sous-marins — on s’est rendu compte que la production reprenait au même rythme en moins de six mois.

On s’est donc résolu à tuer en quelques nuits, des dizaines de milliers d’Hambourgeois dans les quartiers strictement résidentiels de la ville afin de faire fuir la population et ainsi priver les usines de main-d’œuvre.

Dans son récit ‘chirurgical’ des faits (dont l’enfer vécu par la population), jamais l’auteur ne porte de jugement. Pourtant ce qu’on y lit glace le sang.

Lorsqu’on termine la lecture de ce livre, le plus étrange est de réaliser que la guerre possède sa propre logique monstrueuse…

Références :
Bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki
Guerre en Ukraine : le traitement médiatique du conflit crée l’émoi au Moyen-Orient
Opération Gomorrhe

Parus depuis :
L’armée ukrainienne a mis en danger des civils, conclut une enquête d’Amnistie (2022-08-04)
Des Canadiens disent avoir posé des mines antipersonnel en Ukraine (2022-08-22)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


McDonald’s et la culture du bannissement

Publié le 9 mars 2022 | Temps de lecture : 4 minutes

Dans la foulée de la guerre russo-ukrainienne, des dizaines d’entreprises occidentales ont décidé de cesser leurs opérations en Russie.

Certaines l’ont fait de leur propre chef. D’autres, à la suite des pressions exercées par un grand nombre d’internautes sur les médias sociaux.

C’est ainsi que McDonald’s a décidé de fermer ses restaurants en Russie tant que durera la guerre en Ukraine. Concrètement, cela signifie que des dizaines de milliers d’employés russes se retrouveront au chômage.

Les médias occidentaux laissent entendre que le chômage qui résultera du boycottage de la Russie par l’ensemble des sociétés occidentales sera de nature à susciter le mécontentement contre Vladimir Poutine.

Probablement. Mais l’effet devrait être de courte durée.

En réalité, beaucoup de sociétés occidentales se tirent dans le pied.

Qu’arriverait-il si McDonald’s fermait tous ses restaurants au Québec pour une raison ou une autre ?

Les Québécois qui auraient l’envie d’un hamburger iraient en acheter un à La Belle province, chez Lafleur ou dans n’importe quel restaurant populaire de leur quartier.

Parce que ‘fabriquer’ un hamburger, ce n’est pas de la haute technologie américaine; n’importe quel restaurateur peut mettre une rondelle de viande hachée entre deux tranches de pain, y ajouter quelques condiments et le tour est joué.

Les Russes incapables de manger un Big Mac ne décideront pas, à la place, de manger un plat de bœuf Stroganoff; ils iront simplement acheter leurs hamburgers ailleurs.

Et l’accroissement de leur clientèle incitera les restaurateurs russes à embaucher du personnel afin de répondre à la demande. Et bientôt plus personne ne regretta la décision de la chaine américaine de restauration rapide.

En 1978, la compagnie d’assurance Sun Life décidait de déménager son siège social à Toronto pour protester contre la Loi 101. Tous les journalistes anglophones du pays jouissaient en annonçant la nouvelle, anticipant une baisse de popularité du gouvernement de René Lévesque.

À l’époque, plus de 85 % des employés du siège social de cette compagnie à Montréal étaient des unilingues anglais. Parce que cette compagnie exerçait une discrimination à l’embauche contre les Québécois francophones, mêmes bilingues; nous n’étions bons, croyaient-ils, qu’à nettoyer leurs cabinets d’aisances.

Après le départ de cette compagnie, les Québécois se sont tournés vers des compagnies d’assurances d’ici, devenues du jour au lendemain des géants financiers.

Ceux-ci ont embauché des analystes francophones, des courtiers d’assurance francophones, des secrétaires francophones, etc.

Le même phénomène se passera en Russie. En définitive, l’effet le plus probable de la culture du bannissement occidental dans ce pays, c’est la russification de l’économie russe.

Parce que la nature a horreur du vide…

Références :
Cancel culture
Il y a 40 ans : le déménagement surprise de la Sun Life

Parus depuis :
Netflix shares tank 35% after it posts 1st subscriber loss in a decade (2022-04-20)
McDonald’s va revendre ses activités russes à un exploitant local (2022-05-18)
En Russie, le McDonald’s version « Vkousno i totchka » ne désemplit pas dans un pays « coupé du monde » (2022-06-24)
Sanctions occidentales en Russie : pas le choc auquel on s’attendait (2022-07-01)
Pénurie de frites due aux sanctions pour le «McDo russe» (2022-07-08)
Stars Coffee remplace le Starbucks américain à Moscou (2022-08-19)
Bean counters: how Russia’s wealthy profited from exit of western brands (2023-06-14)

Complément de lecture :
The grey Zara market: how ‘parallel imports’ give comfort to Russian consumers (2022-08-12)

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Écrit par Jean-Pierre Martel