Grèves étudiantes : l’échéance du Grand Prix de Montréal

Le 16 mai 2012

Du 8 au 10 juin 2012, se tiendra le Grand Prix de Montréal. Partout à travers le monde, des milliers de touristes ont à décider s’ils viendront ou non dans la métropole. C’est l’événement sportif ayant la plus grande incidence touristique au Canada. En effet, on estime que cette course automobile entraine des retombées économiques de l’ordre de 75 à 100 millions de dollars dans la région métropolitaine.

Quelques semaines plus tard, suivra le Festival de Jazz, puis une kyrielle d’événements festifs qui devraient transformer Montréal en capitale mondiale du plaisir.

Mais comme disait l’humoriste Yvon Deschamps, « le bonheur haït le train ». En langage soigné : les querelles ne sont pas propices à la béatitude.

Or nous avons un conflit, celui qui oppose depuis des mois le gouvernement à des milliers d’étudiants. Ce conflit nous a beaucoup appris. Il est temps d’en tirer quelques leçons.

Les leçons

Usé par des années de pouvoir et miné par des accusations (fondées ou non) de corruption, le gouvernement actuel n’a plus l’autorité morale de chambarder quoi que ce soit. De toute évidence, il est impuissant à convaincre les étudiants du bien-fondé de sa décision de hausser les frais de scolarité.

Sa stratégie — qui consistait à demeurer ferme et espérer à l’essoufflement du mouvement de contestation, puis la capitulation des leaders étudiants — est un échec. Il est vrai que le nombre de contestataires a diminué mais les irréductibles sont suffisamment nombreux pour perturber l’économie de la métropole. De plus, même lorsque ces leaders, épuisés par une nuit d’insomnie, finissent par capituler, la victoire gouvernementale est de courte durée puisque l’entente est aussitôt rejetée par les étudiants eux-mêmes. Et tout est à recommencer.

À plusieurs reprises sur ce blogue, j’ai souligné la vulnérabilité de Montréal à des gestes perturbateurs. La paralysie totale du métro, durant l’avant-midi du 10 mai, en est l’illustration évidente. Les trois malfaiteurs ont été arrêtés parce qu’ils ont commis l’imprudence d’opérer à visage découvert. Mais si d’autres personnes veulent répéter ce méfait à volonté, il leur suffit de porter un capuchon, des verres fumés et une fausse barbe : n’importe quel règlement municipal interdisant les masques et les cagoules risque alors d’être impuissant.

Fait divers. Il y a plusieurs mois, à la station Berri-UQUAM, j’ai vu une femme crier à un homme qu’elle ne voulait rien savoir de lui. J’étais en face d’eux, sur le quai opposé. À un moment donné, l’homme a embrassé la femme pour tenter de la faire taire : celle-ci l’a mordu au point que harceleur saignait des lèvres. J’ai eu le temps de monter deux étages pour demander qu’on protège cette femme. Sur mon chemin, aucun policier. À la billetterie, on m’a répondu que les préposés aux caméras de surveillance étaient déjà au courant. La femme, suivie contre son gré par le harceleur, a eu le temps de quitter la station (je les ai suivis). Du début des cris jusqu’à leur sortie de la station, la scène a duré plus d’une vingtaine de minutes. Jamais la sécurité n’est intervenue et ce, dans une des stations les plus importantes du réseau. Imaginez ce qu’un petit groupe de saboteurs peuvent accomplir quand la sécurité est aussi déficiente. Fin du fait divers.

Cette crise a également démontré les limites du pouvoir judiciaire. Les tribunaux peuvent émettre des injections à la tonne : s’il est impossible de les faire respecter, les juges deviennent comme ces Papes qui émettent des encycliques que personne ne lit.

Les solutions

La loi spéciale

En 1972, le gouvernement libéral de Robert Bourassa, aux prises avec une contestation syndicale, adopte une loi spéciale et fait condamner les chefs syndicaux à un an de prison. Cette mesure a eu pour conséquence de ramener une paix sociale relative durant ce temps.

La même recette, appliquée aux leaders étudiants risque d’avoir moins de succès. Quoiqu’ils en disent, les chefs syndicaux font partie de l’establishment; les syndicats ont leurs sièges sociaux, ils ont des comptes de banques dans lesquels ils déposent des cotisations (que l’État peut saisir), ils ont des lignes d’autorité qui séparent les décideurs des subalternes.

Les groupes d’étudiants sont beaucoup moins structurés. Faites disparaitre un groupe étudiant radical et il renaît sous un autre nom. Emprisonnez ses dirigeants et d’autres prennent la relève.

La répression policière

Qu’a-t-elle donné jusqu’ici ? Sommes-nous satisfaits des résultats ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Voulons-nous que les images d’un carnage éclipsent la publicité des agences de voyages alors que des centaines milliers de touristes peuvent encore décider d’aller passer leurs vacances en paix sous d’autres cieux ?

La capitulation de l’État

Dans nos pays démocratique, la politique est l’art du possible. On peut s’entêter au nom des principes mais ici, il n’y a pas de principe en cause, mais simplement un choix budgétaire. Or n’importe quel budget est une série de vases communicants où idéalement les revenus devraient égaler les dépenses. L’idée que le gouvernement actuel doit s’entêter comme si la Nation était en péril dépasse entendement.

J’ai appuyé mollement la hausse des frais de scolarité. Je n’ai pas changé d’avis. Mais je reconnais qu’une hausse importante par étapes (ce qui souhaite le gouvernement), la simple indexation au coût de la vie, le gel des frais ou leur abolition, sont toutes des options valables qui ont leurs avantages et leurs inconvénients.

De la même manière que je ne comprends pas la furie étudiante contre cette hausse qui ne fait qu’amener les frais de scolarité au niveau de ce que payaient leurs parents, je ne comprends pas ce « Power Trip » que le Premier ministre justifie au nom de principes inexistants : la réfection de la centrale nucléaire Gentilly-2 (que songe à financer le gouvernement actuel et qu’il annoncera probablement s’il est réélu) équivaut à la gratuité scolaire totale pendant des années.

Avec la démission-surprise de la ministre de l’éducation, le gouvernement est en train de rater une belle occasion de faire volteface et de s’en tirer à bon compte, puisqu’inévitablement une partie de l’opinion publique croira faussement que le blocage était de la faute de la démissionnaire.

Le jusqu’au-boutisme

La dernière option gouvernementale est de ne pas broncher et d’aller jusqu’au bout, quoiqu’il advienne. Cela peut comporter des dividendes électoraux puisque cette politique d’affrontement a permis la réélection de Robert Bourassa, auquel la population s’est ralliée dans la crainte de l’anarchie.

Si l’augmentation des frais de scolarité avait fait l’objet d’une promesse électorale et que le gouvernement avait été élu sur cette promesse, il s’agirait d’un choix de société. Le gouvernement aurait raison d’imposer ce choix.

Mais on est en présence ici non pas d’un choix de société mais d’un simple choix budgétaire, arbitraire comme le sont tous les choix budgétaires, et à peu près aussi valable que les alternatives.

Même en supposant que les étudiants aient tort d’en faire un drame, l’entêtement orgueilleux du chef de l’État québécois et la crise sociale qui en découle risquent de compromettre le succès de la saison touristique qui débute bientôt.

Si le gouvernement devait maintenir son l’intransigeance, je crains que l’Histoire ne juge très sévèrement le manque total de jugement du gouvernement Charest, une administration qui aura laissé beaucoup de ruines mais très peu de réalisations concrètes jusqu’ici.

Références :
D’importantes retombées
Faut-il réparer Gentilly-2 ?

Sur le même sujet :
Crise étudiante : le gouvernement doit donner l’exemple
Grèves étudiantes : l’ABC de l’émeute
L’augmentation des frais de scolarité
Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?

Note : Photo de M. Charest par le journal Le Devoir.

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