Place du Dam, à Amsterdam
Introduction
Les Pays-Bas étaient autrefois considérés comme le pays le plus tolérant d’Europe occidentale. Aujourd’hui, c’est l’inverse.
Que s’est-il passé ?
À partir des années 1960, un grand nombre d’immigrants s’établirent aux Pays-Bas afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre qui y sévissait.
Ceux-ci provenaient des anciennes colonies néerlandaises, du sud de l’Europe (Grèce, Italie et péninsule ibérique), et de pays situés à la périphérie du continent (la Turkiye et le Maroc).
Afin d’être plus accueillants, les Pays-Bas ont adopté dans les années 1980 des politiques multiculturelles exemplaires.
En vertu de celles-ci, l’État accordait des subsides à des médias et à des institutions qui encourageaient activement ces minorités à vivre en marge de la culture du pays si elles le désiraient.
C’est ainsi que la ville de Rotterdam annonçait en 2006 la construction d’un hôpital islamique conforme aux préceptes de la charia. Toutefois, sur l’internet, je n’ai pas trouvé de confirmation indiquant que cet établissement avait finalement ouvert ses portes.
Plus concrètement, en 2012, on annonçait à Amsterdam l’ouverture d’un immeuble locatif de 188 logements entièrement conçus pour les besoins de la communauté musulmane.
Le revirement
En janvier 2000, le sociologue Paul Scheffer publie ‘Het multiculturele drame’ qui obtient un retentissement considérable. Dans cet essai, l’auteur s’inquiète de la surreprésentation des personnes nées de parents immigrants dans les statistiques du chômage et de la délinquance.
En 2002, l’assassinat du politicien Pim Fortuyn — hostile à l’immigration non européenne — et, deux ans plus tard, celui du cinéaste Theo van Gogh par un islamiste, ont suscité l’indignation et provoqué la naissance d’un sentiment d’hostilité à l’immigration, particulièrement contre les Musulmans, chez une frange de la population néerlandaise.
À l’heure actuelle, les Musulmans comptent pour seulement six pour cent de la population néerlandaise. Ils sont principalement d’origine (ou de descendance) turque ou marocaine.
Depuis ces assassinats, des formations politiques ont fait campagne contre les politiques migratoires du pays en obtenant d’abord un succès très limité, puis de plus en plus important.
La formation politique la plus radicalement opposée à l’immigration est le Parti populaire pour la liberté, créé en 2006.
D’abord marginal, ce parti a vu ses appuis populaires lentement grimper avec la hausse du nombre d’immigrants aux Pays-Bas.
En 2022, ce pays a accueilli le plus grand nombre d’immigrants de son histoire, soit environ 400 000 personnes, en hausse de soixante pour cent en comparaison avec l’année précédente.
Ce qui a propulsé soudainement la popularité du PVV à un sommet et assuré sa victoire surprise aux élections législatives de novembre 2023.
Résultats des dernières élections
Le parlement néerlandais se compose d’une chambre basse équivalente à notre Chambre des communes et d’une chambre haute équivalente à notre Sénat.
Les dernières élections législatives ont été dominées par les trois thèmes principaux :
• la perte du pouvoir d’achat causée par l’inflation (à 20 % en 2023 à la suite des sanctions contre la Russie, avant de descendre à 10 % à l’approche des élections),
• l’immigration jugée incontrôlable, et
• le maintien du système de santé.
Se présentant comme un parti nationaliste, eurosceptique et anti-Islam, le Parti populaire pour la liberté (le PVV) est celui qui a fait élire le plus de députés. Toutefois, il n’a pas obtenu suffisamment de sièges pour former un gouvernement majoritaire.
Après six mois de négociations, le PVV a finalement formé autour de lui un gouvernement de coalition, entré en fonction le 2 juillet dernier.
Aux 37 députés du PVV se sont joints les 24 députés du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD). L’un et l’autre ont fait campagne sur le durcissement de la politique migratoire. Ils se distinguent par le ton utilisé, radical pour l’un, plus pondéré pour l’autre.
À cela s’ajoutent les 20 députés du Nouveau Contrat social (NSC), les 7 députés du Mouvement agriculteur-citoyen (BBB). Pour un total de 88 députés sur 150.
Normalement, le chef du PVV (le parti en tête) aurait dû être nommé premier ministre. Mais pour rendre le gouvernement de la coalition plus acceptable aux yeux de la communauté internationale, on a préféré nommer Dick Schoof à titre de premier ministre.
Ce dernier a fait carrière dans la sécurité intérieure et les services de renseignement. C’est un dur parmi les durs dont les idées sont très compatibles avec celles du PVV.
L’instrumentalisation de la violence par la Droite
Pour le PVV et pour le premier ministre, les récentes émeutes à Amsterdam constituent une aubaine. Pour maximiser la portée de sa réthorique anti-Islam (et maintenir sa popularité), le PVV a besoin que les Musulmans soient perçus, par l’ensemble de la population néerlandaise, comme des indésirables, voire des personnes dangereuses.
En tant qu’ancien chef du renseignement, le premier ministre Dick Schoof savait très bien la réputation des partisans du club Maccabi de Tel-Aviv; ceux-ci sèment le grabuge partout où ils passent.
Non seulement s’en prennent-ils aux partisans des autres équipes en Israël, mais ils ont même agressé (avec des tessons de bouteille) des Israéliens qui protestaient contre les politiques du gouvernement de Benyamin Netanyahou. En somme, les ultras du Maccabi sont les ‘chemises brunes’ du premier ministre israélien.
En acceptant leur venue à Amsterdam, le gouvernement savait ce qui arriverait. Mais pas la mairesse.
Plutôt de gauche, celle-ci s’est naïvement informée auprès des autorités israéliennes quant aux mesures à prendre pour assurer la sécurité autour de l’évènement.
Elle s’est fait dire que les partisans du club Maccabi étaient généralement pacifiques. Ce qui est vrai.
Le partisan qui écoute les matchs à la télé dans son salon est pacifique. Ceux qui assistent aux matchs en Israël sont bruyants, mais généralement pacifiques.
Mais ceux qui sont prêts à dépenser des milliers de dollars pour encourager le club à l’Étranger — en supposant que leur voyage n’était pas subventionné par papa Netanyahou — sont des fanatiques.
Ce sont des hommes. Des vrais. Des brutes gonflées de testostérone. Racistes et violents.
Convaincue que le danger ne viendrait pas d’eux, elle a ordonné à la police de la ville de se concentrer sur les manifestants pro-palestiniens.
Dans un clip vidéo anodin (mais révélateur), on voit un citoyen de la ville qui fait son égoportrait avec, derrière lui, des partisans du club Maccabi sur la place du Dam.
Pendant qu’il leur fait dos, un Israélien l’entarte sournoisement par-derrière. Au lieu d’arrêter l’entarteur, la police a choisi d’arrêter l’entarté qui, évidemment, est devenu agité à la suite de l’agression mineure dont il a été victime.
Plus tôt cette semaine, au parlement néerlandais, le gouvernement a évoqué la possibilité de retirer la citoyenneté néerlandaise aux manifestants pro-palestiniens d’origine marocaine (très spécifiquement) qui possèdent une double citoyenneté.
La loi permet déjà de le faire dans le cas des citoyens (Marocains ou non) qui commettent un attentat terroriste au pays. Le gouvernement veut étendre ce pouvoir à l’encontre de certains des Néerlandais qui protestent en faveur des Gazaouis.
En réaction à cette annonce, Nora Achahbar (née au Maroc) a présenté sa démission à titre de secrétaire d’État aux Finances. Sans l’appui de son parti (le NSC), le gouvernement actuel deviendrait minoritaire au parlement.
Reste à voir si l’ensemble de son parti suivra.
Références :
À Amsterdam, les appartements aussi sont halal
Élections législatives néerlandaises de 2023
Het multiculturele drama (en néerlandais)
Islam aux Pays-Bas
Les Pays-Bas en ébullition: des propos racistes poussent une secrétaire d’État à démissionner
Mayoress’ Report
Religion aux Pays-Bas
Theo van Gogh (réalisateur)
Un hôpital islamique aux Pays-Bas
Complément de lecture : Le mandat d’arrêt contre Nétanyahou, source de discorde au sein de la coalition néerlandaise (2024-11-24)