Quand la Cour du Québec viole la Loi 101

7 février 2022

Introduction

L’article 46 de la Charte de la langue française (ou Loi 101) se lit comme suit :

Il est interdit à un employeur d’exiger pour l’accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que [le français], à moins que l’accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.

Selon un jugement rendu le 2 février par le juge Christian Immer, la Cour du Québec aurait le droit de violer cette loi.

Selon ce magistrat (nommé par Ottawa), le ministre de la Justice du Québec — qui est également responsable de l’application de la Loi 101 — n’aurait pas le pouvoir de s’opposer à l’exigence du bilinguisme à grande échelle chez les candidats à la magistrature.

Note : Dans le texte qui suit, les numéros placés entre des crochets (ex.: [NN]) réfèrent aux numéros des alinéas (ou paragraphes) de ce jugement.

Résumé du conflit

Il y a plus d’un an, Me Lucie Rondeau, à titre de juge en chef de la Cour du Québec, s’est adressée au ministre de la Justice pour qu’il publie des appels de candidatures à la magistrature dans plusieurs régions du Québec.

Dans une bonne partie des cas, la juge Rondeau exigeait que les avocats désirant être nommés juges soient bilingues. [10]

Le 1er septembre 2020, elle justifie cette demande à partir de considérations générales relativement à l’administration du système judiciaire. En deux mots, le bilinguisme mur-à-mur rendrait sa tâche plus simple. [239]

Pourtant l’article 46 — qui est rédigé au singulier — exige que le bilinguisme soit justifié pour chaque emploi.

Un des principes qui guident l’interprétation des lois, c’est que Le législateur ne parle pas pour rien. Si un employeur n’a qu’à dire que le bilinguisme simplifie sa gestion du personnel pour se soustraire à l’article 46, le législateur a adopté cet article inutilement.

Afin d’éviter que le ministère de la Justice soit complice d’une violation de la Loi 101, le ministre a préféré rendre ces appels de candidatures conformes à la loi en supprimant l’exigence du bilinguisme. [240]

D’autant plus que les données du ministère démontraient que les régions concernées possédaient déjà suffisamment de juges bilingues pour répondre au droit constitutionnel des angloQuébécois d’y être jugés dans leur langue. [176]

L’exigence injustifiée du bilinguisme constituait donc une discrimination à l’embauche envers les avocats francophones qui possèdent une connaissance limitée de l’anglais. Une discrimination à laquelle le ministre responsable de la Loi 101 ne pouvait pas souscrire. [237]

Signalons que quatre-millions de Québécois — soit la moitié de la population — sont unilingues français selon le Recensement de 2016.

Le jugement de l’honorable Christian Immer

Après que le ministre eut ordonné que les appels de candidatures soient modifiés de manière à respecter la Loi 101, la juge en chef de la Cour du Québec a tenté à postériori de justifier leur exigence du bilinguisme.

Me Lucie Rondeau a effectué un sondage auprès de tous les magistrats sous son autorité pour leur demander s’ils ont besoin ne serait-ce qu’une seule fois par jour de connaitre l’anglais. [242]

Pourtant, au cours d’un procès, un juge qui ne maitrise pas l’anglais peut faire appel à un interprète. [173]

De plus, s’il doit prendre connaissance d’un texte électronique (preuve, lettre ou courriel) en anglais, il suffit d’utiliser Google Translation pour en obtenir une traduction d’assez bonne qualité.

Dans les appels téléphoniques qu’il reçoit dans son cabinet, le juge peut demander à une secrétaire bilingue de lui servir d’interprète.

Bref, il n’arrive jamais qu’un angloQuébécois soit condamné en français.

À l’opposé, contrairement au beau principe que l’honorable Christian Immer présente à [48], certains juges nommés par le fédéral connaissent si peu notre langue qu’ils rendent jugement en anglais dans des causes où l’accusé est un francoQuébécois unilingue. Ce qui est le comble du mépris.

Et lorsque l’avocat de ce dernier proteste au nom de son client, cet avocat est condamné par le Barreau du Québec pour défaut de soutenir l’autorité des tribunaux.

Dans sa tâche de répartir les causes entre les magistrats, la juge en chef pourrait consulter les avocats afin de savoir dans quelle langue ils entendent plaider, celle des témoins qu’ils veulent faire entendre et des preuves qu’ils soumettront.

Ce pourrait être un simple formulaire constitué de cases à cocher.

Mais il est plus simple d’exiger le bilinguisme de tous les juges… au cas où. C’est la solution de facilité retenue par la juge en chef de la Cour du Québec.

Le juge Christian Immer justifie cela en invoquant l’indépendance administrative du système judiciaire. Celle-ci découle d’un principe constitutionnel non écrit. [197]

Comme argument, c’est aussi faible qu’invoquer une clause non écrite d’un contrat. Surtout lorsqu’il s’agit de justifier la violation d’une loi supra-législative comme la Charte de la langue française.

Conclusion

La décision du juge Christian Immer est de nature à perpétuer le marasme dans lequel se trouve le système judiciaire.

Selon lui, le ministre de la Justice n’a aucun pouvoir quant à la rédaction des appels de candidatures.

Selon le juge Immer, le ministre ne pourrait même pas s’opposer à leur publication, dussent-ils être illégaux, nuls et invalides. [205-206]

En somme, son ministère doit se contenter de les publier aveuglément et d’enclencher le lourd processus de sélection des juges. Un processus au cours duquel des juges et des avocats se graissent généreusement la patte.

Et une fois qu’il reçoit la liste des candidats retenus, le ministre n’a plus d’autres choix que de suggérer au Conseil des ministres de refuser leur nomination afin que la juge en chef recommence tout le processus, cette fois en respectant la Loi 101.

Depuis le mois dernier, celle-ci orchestre une grève du zèle de ses magistrats en leur ordonnant de ne siéger qu’un jour sur deux (plutôt que deux jours sur trois). Et ce, afin d’engorger le système judiciaire dans le but de forcer le ministre à nommer au plus tôt ses juges bilingues.

Que de mesquinerie de la part d’une juge en chef. Une mesquinerie dont les contribuables font les frais.

À quand une révolution du système judiciaire afin d’obliger celui-ci à être au service du peuple ?

Références :
Charte de la langue française
Décision du juge Christian Immer
Doit-on interdire l’accès à la magistrature aux avocats québécois unilingues français ?
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
Le ministre de la Justice n’a « aucun mot à dire »
L’esprit de caste de la juge Lucie Rondeau
Ottawa finance la demande d’annulation de toutes les lois du Québec
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche
Repenser les tribunaux

Paru depuis :
Multiplication des postes de juges bilingues depuis 15 ans au Québec (2022-03-02)

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Écrit par Jean-Pierre Martel