Le plaisir de vivre en Scandinavie

Publié le 16 mars 2018 | Temps de lecture : 3 minutes

Selon l’ONU, les Finlandais sont devenus cette année le peuple le plus heureux sur Terre.

Dans le palmarès onusien, les sept premières places sont occupées par :
• la Finlande
• la Norvège
• le Danemark
• l’Islande
• la Suisse
• les Pays-Bas
• le Canada

Si la Russie n’était pas au 59e rang, on aurait pu croire que le froid fait le bonheur.

Pour les curieux, précisions que l’Allemagne est au 15e rang, les États-Unis au 18e, le Royaume-Uni au 19e, la France au 23e, et l’Italie au 47e.

En Finlande, la capitale est située dans la partie la plus au sud et la plus chaude du pays. En dépit de cela, il y fait une température maximale moyenne de 23°C au mois de juillet (avec des nuits fraiches à 14°C).

L’ensoleillement est bien meilleur que le suggère la situation géographique du pays. Dans les deux tiers les plus nordiques, l’ensoleillement s’apparente à celui de la Belgique et du nord de la France. Dans le reste de la Finlande, c’est comme le centre de la France. Exceptionnellement, la capitale jouit d’un microclimat aussi lumineux que celui du midi de la France (la température en moins).

86% de la Finlande est recouvert de forêt l’été et 100% du pays est recouvert de neige l’hiver. Une biodiversité moindre qu’en Europe centrale. Il y a peu de sols arables à cultiver.

Il y a exactement 150 ans, c’est dans ce pays que survint la dernière grande famine ayant des causes naturelles en Europe (plus d’une décennie après celle en Irlande).

D’où la question : qu’est-ce qui rend les Finlandais si joyeux ?

Selon l’ONU et d’autres organismes qui ont analysé la Finlande, les critères qui ont propulsé ce pays au premier rang mondial sont :
• le revenu familial
• l’espérance de vie en santé
• le filet de protection sociale
• des inégalités de revenus plus faibles qu’ailleurs
• la confiance dans le système juridique et dans la police
• la liberté et l’indépendance individuelles
• la générosité des uns envers les autres, et
• l’absence presque totale de criminalité organisée.

Selon l’ONU, la Finlande est le pays le plus stable, le plus sécuritaire et le mieux gouverné sur Terre.

Le taux d’alphabétisation y est très élevé et l’enseignement universitaire y est gratuit.

C’est un des pays les plus taxés au monde mais où les contribuables sont les plus convaincus d’en avoir pour leur argent.

Références :
Famine en Finlande de 1866-1868
Finlande
Finland is the happiest country in the world, says UN report
Safe, happy and free: does Finland have all the answers?
World Happiness Report 2018

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les suites de la tuerie au lycée de Parkland

Publié le 25 février 2018 | Temps de lecture : 7 minutes

On ignore pourquoi le policier dépêché pour arrêter la tuerie au lycée de Parkland ne n’a pas fait. Il est possible qu’il ne soit pas intervenu parce qu’il savait que le meurtrier était considérablement mieux armé que lui et que son intervention n’aurait réussi qu’à ajouter son nom parmi la liste des victimes.

Il est donc permis de douter qu’armer le corps professoral — comme le suggère Donald Trump —soit une solution aux tueries de masse dans les lycées américains.

Non seulement les professeurs devraient disposer d’un armement supérieur à tout ce qu’un meurtrier peut se procurer, mais il faut tenir compte de la possibilité que, confronté au danger, il puisse être paralysé par la peur.

Sachant que les professeurs sont armés, les tueurs préfèreront cibler prioritairement le professeur. Puis, une fois qu’il aura été abattu, ils retourneront leurs armes contre les élèves.

Après l’insuccès prévisible de l’armement des professeurs, Donald Trump en viendra peut-être à suggérer qu’on abaisse l’âge minimal pour détenir une arme, de manière à permettre l’armement des adolescents. Qui sait jusqu’où son bon jugement peut aller ?

Le taux d’homicides aux États-Unis est le triple de celui au Canada. Et le taux en Floride est environ le triple de celui de la moyenne américaine.

Pourtant la Floride est un des États américains où le nombre d’armes en circulation est le plus élevé. Or ces armes visent non seulement à protéger les citoyens, mais également à dissuader les malfaiteurs. Ce qui, de toute évidence, ne fonctionne pas.

À mon avis, les États-Unis ont besoin d’une révolte destinée à changer radicalement l’ordre établi.

Cette révolte pourrait venir des jeunes Américains, las d’être les cibles de tireurs fous. Or cela tombe bien; les lycéens de Parkland ont des porte-paroles bien décidés à faire changer les choses.

Leur inexpérience ne fait pas obstacle à leur aisance à s’exprimer devant les caméras et à interpeler les politiciens corrompus auxquels ils s’adressent.

Avant l’apparition des médias sociaux, il était possible de manipuler l’opinion publique américaine en lui faisant croire, par exemple, qu’un tyran possédait des armes de destruction massive. Il suffisait de le répéter ad nauseam pour que cela finisse par devenir évident.

Mais depuis l’apparition de l’internet et des médias sociaux, beaucoup de citoyens américains ne croient plus les quotidiens qui leur disent le contraire de ce qu’ils pensent; ils croient l’opinion de ceux qui leur ressemblent et qui pensent comme eux.

Ce qui, évidemment, contribue à ancrer les préjugés.

En contrepartie, cela contribue à la puissance du tribunal de l’opinion publique; il est imperméable aux plaidoiries que le peuple ne veut pas entendre.

Cet aveuglement fait en sorte qu’une indignation se répand comme une trainée de poudre et peut donner naissance à un climat insurrectionnel. D’où la fragilité des institutions garantes du maintien de l’ordre établi.

À la suite de la tuerie de Parkland, la vaste majorité des jeunes Américains ont été scandalisés par le peu d’empathie de la National Rifle Association (NRA).

Instantanément, ce puissant lobby des propriétaires d’armes est devenu la bête noire des protestataires.

Au pieux mouvement #NeverAgain se sont greffés deux mouvements beaucoup plus agressifs; #BoycottNRA et #ThrowThemOut.

Le premier cible le financement de la NRA tandis que le second (soutenu par l’organisme Everytown.org) vise à prévenir la réélection des congressistes américains corrompus par ce lobby.

Dénonciation des contributions politiques de la NRA

En seulement deux semaines, Everytown.org a reçu l’appui de millions de personnes. Grâce à leurs dons, il a fait paraitre dans le New York Times une réclame de deux pages qui dresse (ci-dessus, à droite) la liste des congressistes qui ont accepté de l’agent de la NRA, le montant reçu et le numéro de téléphone du politicien.

Quant à #BoycottNRA, elle fait pression pour que les grandes entreprises américaines cessent d’accorder des rabais et des offres préférentielles aux membres de la NRA.

Déjà les chaines hôtelières Best Western et Wyndham ont coupé les ponts avec la NRA. Cela est également vrai de la firme de location de voitures Rent-A-Car, propriétaire des marques Alamo et National.

Il y a deux jours, sur Twitter, Hertz a publié un message annonçant avoir avisé la NRA qu’il cessait son programme de location de voitures à rabais en faveur des membres de ce lobby.

De plus, l’assureur Chubb a cessé d’offrir la police NRA Carry Guard insurance dont le but était de couvrir les frais juridiques des membres de la NRA accusés d’homicides qui invoquaient la légitime défense.

Note : Cela ne veut pas dire qu’une telle protection ne sera pas offerte, mais qu’elle le sera autrement que par le biais de la NRA.

Quant à elle, la Bank of Omaha cessera d’offrir une carte VISA à tous les nouveaux membres de la NRA.

Menacés par les jeunes, Delta et United Airlines ont cessé d’offrir des vols à rabais aux membres de la NRA.

Même chose pour les éditeurs de logiciels Norton et Symantec.

Par ailleurs, le groupe Moms Demand Action for Gun Sense in America fait pression sur Apple, Amazon and Google pour que ces diffuseurs suppriment la chaîne NRA-TV de leurs plateformes de diffusion en continu.

Selon les écoles, la semaine de relâche printanière est répartie tout au cours du mois prochain. Normalement, la Floride est alors une destination de choix.

Pour quelques jours, des millions de collégiens ont l’habitude de faire la fête sur les plages de la Floride au grand déplaisir des habitants de cet État qui se plaignent de leur manque de civisme.

Mais pour l’industrie hôtelière, ils représentent une mine d’or.

Puisque le gouverneur républicain de la Floride est un partisan de la NRA, des voix commencent à s’élever pour que les collégiens prennent ailleurs la semaine de relâche.

Dans un pays où l’argent est dieu, la prise de conscience des jeunes que leur pouvoir de dépenser peut faire changer les choses, est de nature à provoquer de profonds bouleversements dans les années qui viennent.

C’est à suivre…

Références :
Armer les enseignants: l’idée stupide de Trump
Combien d’enfants doivent tomber sous les balles ?
Gun inequality: US study charts rise of hardcore super owners
La carte des homicides dans le monde
NRA calls companies’ Florida shooting boycott ‘political and civic cowardice’
NRA under mounting pressure as companies cut ties with gun lobby
Pourquoi la tuerie de Parkland pourrait être celle qui fait enfin bouger les États-Unis sur le contrôle des armes
The N.R.A. Can Be Beat
Thoughts and Prayers and N.R.A. Funding

Parus depuis :
John Paul Stevens: Repeal the Second Amendment (2018-03-27)
Etats-Unis : un ex-juge de la Cour suprême plaide pour l’abrogation du deuxième amendement (2018-03-28)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le fiasco de l’utilisation des armes à projectiles à mortalité réduite

Publié le 22 février 2018 | Temps de lecture : 3 minutes

 

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La vidéo ci-dessus est le réquisitoire de l’émission Enquête de Radio-Canada contre l’utilisation des armes à projectiles à mortalité réduite.

Lors de la crise étudiante de 2012, l’utilisation de ces armes s’est soldée par des commotions cérébrales, des yeux crevés, des dents cassées, des mâchoires fracturées et conséquemment, des handicaps permanents infligés à des adolescentes et jeunes adultes québécois.

À l’époque, j’avais écrit le texte ‘Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?’. Ce texte concluait que ces outils de répression n’avaient aucune place dans l’arsenal policier d’un pays démocratique.

Implicitement, c’est également à cette conclusion que sont arrivés les journalistes d’Enquête.

Ces incidents ont fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires. Dans tous les cas où un jugement a été rendu, les tribunaux ont unanimement donné raison aux plaignants et blâmé les forces policières pour leur manque de prudence.

Or cette imprudence a été facilitée par les lacunes dans la formation reçue par les policiers.

Mais voilà que pour se justifier, l’École nationale de police du Québec vient de publier un rapport intitulé ‘Actualisation de l’étude sur les armes intermédiaires d’impact à projectiles’.

Ce rapport conclut que les données sur la gravité des blessures causées par les armes à létalité réduite sont insuffisantes et que davantage de recherche serait nécessaire.

À mon avis, la recherche relative à l’innocuité d’une substance ou d’un dispositif doit se faire avant sa commercialisation et non après.

Si les données sont insuffisantes pour juger de son innocuité, la prudence élémentaire exige qu’on évite son emploi.

Dans le cas des autorités policières, celles-ci ont négligemment minimisé les mises en garde des fabricants, les comparant aux avertissements qu’on peut lire sur les boites de céréales.

Quant à l’expérience irremplaçable acquise sur le terrain (tant à Montréal qu’à Victoriaville), les analystes de l’École nationale de police du Québec ne semblent pas en tirer de leçon.

On peut donc en conclure qu’il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Ceci étant dit, si des policiers veulent qu’on effectue plus de recherche, je n’y vois pas d’objection à la condition qu’ils servent eux-mêmes de sujets d’expérience.

Sur une base volontaire, les policiers pourraient s’inscrire à des expériences où seraient analysées chez eux les conséquences de l’impact des projectiles à mortalité réduite selon la distance.

On pourrait ainsi calculer les lésions et les handicaps permanents infligés chez ces braves volontaires (les dents cassés, les yeux crevés, etc.), dresser des tableaux, décorer le rapport de magnifiques graphiques en couleur, et ainsi de suite.

Si cela était convenu, je serais prêt à parier qu’on n’entendrait plus jamais l’École nationale de police du Québec réclamer plus d’études à ce sujet…

Références :
Actualisation de l’étude sur les armes intermédiaires d’impact à projectiles
En Grande-Bretagne, les « bobbies » n’ont pas d’armes à feu
L’usage des armes intermédiaires comporte des risques méconnus

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’absence d’empathie du ministre Gaétan Barrette

Publié le 7 février 2018 | Temps de lecture : 4 minutes

Ces jours-ci, le public québécois découvre l’ampleur du système de type esclavagiste que le ministre de la Santé du Québec a mis en place dans nos établissements de santé pour contraindre nos infirmières à travailler dans n’importe quelles conditions.

Puisque ce sujet est abondamment commenté, le texte qui suit porte sur sujet qui a moins attiré l’attention mais qui, à mon avis, est hautement significatif de l’incapacité du ministre de se mette à la place des autres.

Dans le Grand-Nord québécois, lorsqu’un enfant autochtone tombe à ce point malade qu’il doive d’urgence être transporté par avion à un hôpital situé dans le Sud, le ministre Barrette refuse que l’enfant soit accompagné de sa mère.

Imaginez le contexte. Un enfant blessé ou susceptible de mourir doit quitter le milieu naturel auquel il est habitué et prendre l’avion pour la première fois de sa vie sans la présence rassurante de sa maman.

À l’hôpital, si on s’aperçoit que la condition de l’enfant exige le recours à une procédure qui comporte un certain risque d’échec ou de conséquences graves, qui donnera le consentement éclairé ? Les parents dont l’iglou, le tipi ou la maison n’est peut-être pas raccordé à un système de téléphonie ? Ou qui, parallèlement, ont pris un avion commercial et qui sont donc dans l’impossibilité d’être rejoints en vol ?

À moins qu’on le demande directement à l’enfant.

Mais comment fait-on comprendre à un enfant de cinq ans qu’on doit absolument lui ouvrir le corps pour le sauver, mais qu’il a un risque de mourir de cette procédure chirurgicale ?

Et à la mère qui arrive à l’hôpital trop tard, alors que son enfant a succombé, lui dit-on qu’on est désolé, qu’on a tout fait, mais que ce n’est pas bien grave puisqu’il serait mort de toute façon si on l’avait pas amené… Est-ce de nature à la consoler de ne pas avoir partagé les derniers instants de la vie de son enfant ?

Depuis plus d’un siècle, les peuples autochtones du Canada sont soumis aux politiques génocidaires du gouvernement canadien.

Après les pensionnats autochtones où de nombreux jeunes ont été abusés sexuellement, d’où tous (abusés ou non) revenaient ignorants des tâches nécessaires à leur survie dans la nature sauvage canadienne, comment la séparation d’un enfant peut ne pas susciter les plus vives inquiétudes chez ses parents ?

Pressé par les sociétés canadienne et québécoise de pédiatrie, le ministre Barrette a fait savoir qu’il est en réflexion.

Pour tout observateur doté de la moindre dose d’empathie, il est évident que l’enfant doit être accompagné de sa mère et, si celle-ci ne parle ni français ni anglais, d’une personne capable de lui servir d’interprète.

Mais pour le ministre, cela n’est pas évident et nécessite sa réflexion. Cette réflexion dure depuis trois ans.

Signalons que le Québec est la seule province canadienne où il est strictement interdit aux parents d’accompagner leur enfant lors d’évacuations médicales aériennes d’urgence.

Références :
Aboriginal nutritional experiments had Ottawa’s approval
Les pédiatres pressent Québec de permettre la présence des parents dans les ambulances aériennes
Québec est interpellé au sujet des parents à bord des ambulances aériennes

Parus depuis :
Barrette accusé de nourrir les préjugés anti-autochtones (2018-06-21)
Nunavik: plates excuses (2018-06-26)
Sur la trace des enfants autochtones disparus (2021-05-25)
Évacuations aéromédicales : un avion du gouvernement prend la poussière (2025-11-20)

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| 2014-2018 (années Couillard), Politique québécoise, Racisme | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel


Saoudiennes, que vous êtes chanceuses…

Publié le 14 janvier 2018 | Temps de lecture : 2 minutes

Voile_islamique
 
Un vent de liberté souffle sur le sable chaud d’Arabie saoudite.

Cette semaine, nos quotidiens nous apprenaient la bonne nouvelle : les Saoudiennes seront enfin libre d’assister à des joutes sportives.

Évidemment, si leur père ou leur mari est d’accord, si elles sont accompagnées d’une vraie personne, et si elles vêtues correctement.

Cette remarquable avancée pour le droit des femmes nous fait presque oublier celles qui sont tuées quotidiennement au Yémen sous les bombardements saoudiens.

Parce qu’il faut bien se le dire; quand des dizaines, des centaines ou des milliers de ‘civils’ sont tués, il y a toujours la moitié d’entre eux qui sont des femmes.

Mais ne boudons pas notre plaisir pour si peu.

Protégées des rayons cuisants du soleil par leur chador ou, pour celles qui craignent encore plus de bronzer, leur niqab si décoratif, les Saoudiennes pourront enfin admirer la sueur virile d’athlètes en tenue légère.

Cette nouvelle s’ajoute à celle, incroyable, selon laquelle les Saoudiennes auront bientôt le droit de conduire.

Puisque la burka réduit sensiblement le champ de vision, on imagine mal une femme ainsi vêtue filer à 90 km sur une autoroute saoudienne.

Puisque cette mesure n’entre en vigueur qu’en juin prochain, il nous faudra attendre jusque là pour découvrir que, dans un premier temps, on leur permettra peut-être de conduire… un chameau.

Dans cinq ou dix ans, si l’expérience s’avère sécuritaire, on leur permettra sans doute de conduire le tricycle.

Une chose à la fois.

À ce rythme, le pays sera évolué dans quelques siècles.


Sur le même sujet:
Pour les Saoudiennes, «des réformes encourageantes, mais cosmétiques»

Paru depuis :
Saudi Arabia is not driving change – it is trying to hoodwink the west (2018-06-26)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


#MeToo ou l’explosion de l’autocuiseur

Publié le 10 janvier 2018 | Temps de lecture : 8 minutes

Le XXe siècle a connu deux grandes révolutions : la Révolution communiste et la Révolution féministe. La plus importante fut la seconde.

Sans remonter jusqu’aux Suffragettes, cette révolution s’est articulée autour de trois revendications principales :
• le droit pour une femme d’exercer le métier qu’elle veut
• le droit de faire ce qu’elle veut de son corps
• le droit d’obtenir, pour un travail égal, un salaire égal à celui d’un homme.

Limitée concrètement à l’Occident, cette révolution a fait progresser considérablement la condition féminine. Au point que beaucoup de jeunes femmes refusent aujourd’hui de se dire féministes, considérant, à tort, le féminisme comme un combat révolu, livré par leurs aïeules à une époque où il était justifié.

Devenu en français #MoiAussi (au Québec) et #BalanceTonPorc (en France), voilà que surgit le mouvement #MeToo qui redonne un second souffle à la Révolution féministe.

Ce mouvement consiste à dénoncer publiquement les responsables de violence sexuelle, généralement exercée contre des femmes. Et en dénonçant leurs agresseurs, ces femmes libèrent la parole d’autres victimes de celui-ci. Et tout cela fait boule de neige au point que l’accusé ne peut plus opposer sa crédibilité à celles de ses victimes, devenues trop nombreuses.

Dans les pays asiatiques, une femme qui porte plainte à la police pour viol risque d’être violée de nouveau, cette fois par les policiers auxquels elle se confie.

Au mieux, elle sera coupable d’avoir réveillé le désir irrépressible de son agresseur.

Au pire, on la condamnera à épouser son violeur (si elle est célibataire) ou à être lapidée pour adultère (si elle est mariée).

Dans les pays occidentaux, la femme victime de violence sexuelle ou de harcèlement fait face à d’autres contraintes lorsqu’elle veut porter plainte auprès des autorités.

Même lorsque les policiers la croient, tout procès opposera sa parole à celle de son agresseur. Conséquemment, on ne compte plus le nombre d’abuseurs innocentés pour insuffisance de preuve.

De plus, on ne doit jamais oublier que dans nos pays, l’accessibilité économique au système judiciaire laisse à désirer; depuis des décennies, la profession juridique a piraté l’appareil judiciaire pour le transformer en machine à sous au bénéfice de leur caste sociale.

Les médias sociaux permettent de libérer les victimes de ces contraintes.

Ces médias sont à la fois un mode de publication gratuit et un amplificateur de la rumeur publique. Comme le vent, celle-ci est irrépressible. Son bras vengeur est le Tribunal de l’opinion publique.

Ce dernier existe depuis des siècles. Toutefois, les médias sociaux ont considérablement accru le caractère expéditif de ses pouvoirs exécutoires.

Il suffit d’une calomnie ou d’une médisance pour qu’un tollé soit provoqué instantanément à l’encontre d’une entreprise ou d’une personnalité publique.

Et une réputation flatteuse —  soigneusement entretenue par des campagnes de relations publiques ou par un mécénat ostentatoire — peut être anéantie en un éclair par le déchainement de milliers de messages haineux sur l’internet.

Mais si le Tribunal de l’opinion publique peut être impitoyable pour ceux qui vivent de l’estime du public (notamment les artistes), il est inefficace contre les chefs d’État et ceux dont le pouvoir peut difficilement être révoqué.

Le milieu artistique est donc la pointe d’iceberg d’un phénomène social dont l’importance a été révélée par le mouvement #MeToo.

En 1996, j’ai réalisé une étude qui portait, entre autres, sur le harcèlement sexuel au travail auquel étaient soumis les pharmaciens salariés de pratique privée au Québec.


Avez-vous été victime de harcèlement sexuel au cours des douze derniers mois ?

Femmes Hommes
Oui, de la part du patron 0,3 % 0,0 %
Oui, de la part d’un collègue 0,0 % 0,0 %
Oui, de la part d’un commis 0,5 % 1,2 %
Oui, de la part d’un patient 2,4 % 1,7 %
Non 96,8 % 97,1 %


 
Jusque là, les études à ce sujet avaient été réalisées dans des lieux de travail auxquels le grand public n’avait pas accès.

Contrairement à ce qu’on croyait à l’époque, notre étude démontrait que le harceleur n’était pas nécessairement une personne en position d’autorité : chez les femmes, il ne l’était que dans le dixième des cas.

De plus, on apprenait que le harcèlement sexuel affectait également les salariés masculins, une chose qui nous semble évidente aujourd’hui mais qui l’était beaucoup moins à l’époque.

Les résultats tranchent avec des études récentes réalisées en milieu universitaire où la définition de la ‘violence sexuelle’ englobe tous les aspects de la quête amoureuse. Conséquemment, à la lecture du questionnaire de ces études, on s’étonne que le taux de ‘violence sexuelle’, ainsi définie, ne soit pas de 100%.

C’est contre cette confusion qu’une centaine de femmes — dont Catherine Deneuve — publiaient hier dans le quotidien Le Monde un texte qui accusait le mouvement #BalanceTonPorc de donner lieu à des dérives qui «…loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment (…) que les femmes sont (…) des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées

À mon avis, ce plaidoyer est maladroit autant dans sa forme que dans son essence. Aux oreilles québécoises, la défense de la liberté d’importuner les femmes étonne.

Pour paraphraser François Masseau, abonné du Devoir, on pourrait répondre qu’il est probablement moins risqué pour l’élite artistique parisienne de se faire taponner les fesses qu’une femme de ménage portugaise.

Aussi sincère qu’elle soit, cette dénonciation des dérives du mouvement #MeToo est inappropriée.

Aux FrancoFolies de 2013

Jusqu’à maintenant, les victimes de harcèlement sexuel ont été sans voix. Maintenant leur colère s’exprime.

Ce que les signataires n’ont pas compris, c’est que la Révolution féministe entraine des abus qui sont inhérents à toute révolution. À titre d’exemple, la Révolution française a accouché de la Terreur. Sans Robespierre, un autre tyran aurait émergé du lot, porté par la ferveur révolutionnaire.

Sans excès, une révolution n’est qu’une réforme.

Or une réforme ne peut provoquer des changements de mentalité que si on persiste à l’appliquer pendant longtemps. Une révolution instaure une cassure; il y a un avant la révolution et il y a un après.

Comme un autocuiseur qui explose, le mouvement #MeToo aura une fin. Il ne suffit pas d’une seule dénonciation pour que l’accusé démissionne de son poste : il faut que cette dénonciation soit suive d’une multitude d’autres concernant cette même personne.

Une fois que ces dizaines, voire des centaines, de prédateurs sexuels auront remis leur démission, on manquera d’accusations pour maintenir la pression.

Cela ne sera pas grave; le but est de changer des mentalités. Or les mentalités changeront.

Mais ce qui ne changera pas, c’est la sollicitation sexuelle. Une femme qui déteste le regard insistant de ceux qui ont le béguin pour elle, qui déteste qu’on lui ouvre la porte parce qu’elle peut très bien le faire elle-même, qui ne veut pas qu’on l’invite à prendre un café, aurait intérêt à choisir la vie monastique plutôt que la vie civile.

Parce que tant que des êtres humains seront à la recherche d’une âme-sœur, il sentiront le besoin de le faire savoir autrement que par des petites annonces dans des quotidiens que plus personne ne lit.

Références :
Doit-on fermer l’université Laval ?
La campagne #MoiAussi divise les femmes en France
« Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle »
Suffragette
Une centaine de femmes françaises dénoncent les dérives de l’après-#MoiAussi

Paru depuis :
Les Courageuses: au tribunal comme partout (2018-06-01)

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 40-150mm R — 1/50 sec. — F/9,0 — ISO 6400 — 40 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Doit-on fermer l’université Laval ?

Publié le 29 novembre 2017 | Temps de lecture : 9 minutes

Introduction

Situé dans la ville de Québec, le campus de l’université Laval accueille quarante-huit-mille étudiants.

Près de deux-mille d’entre eux ont participé à un sondage effectué sur l’internet dont les résultats ont été dévoilés hier.

L’étude révèle que 41,7% des étudiants de l’université Laval ont été victimes de violence sexuelle depuis leur admission, dont 26,7% au cours des douze mois qui ont précédé l’enquête.

Aucun parent digne de ce nom ne peut confier ses enfants à une institution où sévit une violence tellement généralisée qu’on peut la qualifier de systémique.

Ce qualificatif est d’autant plus approprié que le tiers du personnel de cette institution déclare avoir reçu les confidences des victimes sans qu’on ait tenté de châtier les coupables ou de modifier leurs comportements violents.

Par exemple, près du quart des personnes qui se sont adressées au Centre de prévention et d’intervention en matière de harcèlement se disent très insatisfaites du soutien obtenu.

Près d’une victime sur dix rapporte vivre du stress post-traumatique.

17% des victimes de sexe féminin et 13% des victimes de sexe masculin ont éprouvé des difficultés à poursuivre leurs activités à l’université.

De plus, 19% des femmes et 16% des hommes ont éprouvé des difficultés dans leur vie affective, intime et sexuelle en raison de ce qu’ils ont subi à l’université.

Quand plus de vingt-mille victimes de violence sexuelle se concentrent dans un territoire aussi restreint que celui du campus de Laval, ce lieu doit être immédiatement investi par les forces policières et interdit au public

D’où la question : doit-on fermer l’université Laval ?

Recommandations du rapport

Face à la situation inquiétante qu’elles ont observée, on aurait pu s’attendre à ce que les auteures du rapport suggèrent une série de mesures urgentes destinées à faire cesser la violence faite aux étudiants.

Les auteures recommandent plutôt qu’on forme un comité et qu’on poursuive la réflexion à ce sujet.

Ou bien cette étude est une plaisanterie et conséquemment, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Ou bien l’étude décrit une situation alarmante à laquelle on doit s’attaquer sans délai.

Qu’en est-il exactement ?

Qu’est-ce que la violence sexuelle ?

L’étude révèle trois types de violence sévissant dans le contexte universitaire depuis l’admission :
• un taux de 37,3% de harcèlement sexuel,
• un taux de 22,3% de comportements sexuels non désirés et
• un taux de 3,0% de coercition sexuelle.

Puisque certains répondants ont été victimes de plusieurs types de violence, le taux total de violence sexuelle est de 41,7%. Presque un étudiant sur deux.

35,8% des victimes déclarent ne pas avoir dévoilé l’incident, le jugeant pas assez grave ou voulant l’oublier. Plusieurs victimes mentionnent également ne pas avoir voulu dénoncer de peur de ne pas être crues, par crainte de représailles ou par peur d’un manque de confidentialité dans le traitement de la plainte.

Pour comprendre le manque de motivation des répondants à combattre la violence exercée contre eux, il faut analyser le questionnaire afin de comprendre la gravité de ce qui est considéré comme violent par les auteures.

Les cas concrets donnés dans le rapport nous donnent une idée de la variabilité de ce qui est considéré comme tel.

Ils vont du viol (ce qui est un acte criminel), au cas de l’étudiant masculin qui déclare à sa professeure qu’il était « disponible à faire n’importe quoi en échange pour sa note préférée ».

Il s’agit-là de deux exemples de ‘violence’; la première évidente, l’autre beaucoup plus typique d’une simple sollicitation sexuelle de mauvais gout. De plus, dans ce dernier cas, on ne doit pas oublier que c’est l’enseignante qui est en situation de pouvoir. On peut également se demander s’il y a une limite à toujours présenter les femmes comme des victimes.

Les questions relatives au harcèlement sexuel

Des huit questions à ce sujet, celle qui a recueilli le plus grand nombre de réponses positives est celle qui demandait au répondant si on l’avait dévisagé ou déshabillé du regard d’une manière qui l’avait rendu mal à l’aise.

25% des étudiantes et 7% des étudiants de sexe masculin ont vécu cette situation à au moins une occasion depuis leur admission à l’université.

Qui n’a jamais été regardé au moins une fois dans sa vie de manière insistante par quelqu’un qui ne nous intéressait absolument pas ?

Il est normal qu’une jeune personne puisse éprouver un certain inconfort à être un sujet de convoitise. Apprendre à ignorer ces gens et détourner le regard fait partie de l’apprentissage de la vie.

Lorsque ce comportement est répétitif, il suffit de confronter la personne et de lui dire : « Tu me lâches. Tu ne m’intéresses pas.». Après, si ce comportement se poursuit, cela devient du harcèlement. Et les autorités de l’université doivent alors réprimer ce comportement.

Les sept autres questions concernent 
• les plaisanteries sexuelles (18% et 13%),
• les interpellations sexuelles, par exemple être sifflée (17% et 4%),
• les discussions à caractère sexuel (16% et 10%),
• les remarques désobligeantes au sujet de l’apparence physique ou des activités sexuelles du répondant (14% et 12%)
• les gestes vulgaires ou offensants (14% et 5%)
• les commentaires insultants à caractère sexuel (12% et 8%)
• l’imposition de sa nudité ou d’une tenue vestimentaire suggestive (6% et 4%)

À toutes ces questions, le répondant donnait une réponse positive si cela s’était produit à au moins une occasion depuis son admission à l’université.

Ce qu’on peut reprocher à cette étude, c’est son manque de nuance. Ne peut-on pas distinguer entre être offensée par une plaisanterie ou remarque désobligeante de la part d’un jeune boutonneux et être constamment le sujet de ses blagues ?

Des jeunes se suicident à force d’être les boucs émissaires de leurs harceleurs. Mais le fait d’entendre une seule plaisanterie sexiste, est-ce que cela fait de vous une victime de ‘violence sexuelle’.

Il y a plusieurs décennies, les hommes québécois ont cessé de siffler les femmes (comme on siffle un chien). Je comprends très bien qu’une femme en soit insultée. Mais l’étudiant qui, de nos jours, commet cette indélicatesse, fait-il preuve de violence à l’égard de celle qu’il trouve de son gout ?

Les questions relatives aux comportements sexuels inappropriés

Dans cette section, on trouvait le viol (3% et 1%), les tentatives de viol (5% et 2%) et d’autres situations plus fréquentes qui — à une exception — sont autant répréhensibles.

Dans tous les cas, leur fréquence importe peu; une tentative de viol est de trop même si elle ne survient qu’une seule fois au cours d’études universitaires.

Lorsque j’étais étudiant, si quelqu’un m’avait envoyé la photo de ses organes génitaux par courriel, je l’aurais imprimée, j’y aurais ajouté son nom et je l’aurais collée à la porte d’entrée de notre classe pour que les autres gars se moquent de lui.

L’exception dont je parlais plus tôt concerne le cas de celui qui réitère une invitation à prendre un verre ou à sortir pour manger, malgré un premier refus. C’est le plus fréquent de tous les comportements ‘sexuels’ non désirés (16% et 3%).

Comment peut-on parler de violence faite aux femmes lorsqu’un gars invite pour la deuxième fois durant sa formation universitaire la fille pour laquelle il a le béguin alors qu’elle lui a déjà dit non une première fois quelques années plus tôt ?

Les questions relatives à la coercition sexuelle

Étonnamment, ce n’est pas dans cette section qu’on abordait le viol et les tentatives de viol.

Ici, il était principalement question des menaces afin d’obtenir des faveurs sexuelles. Cela concernait environ 3% des filles et 1% des gars.

Conclusion

Un étudiant qui a le béguin pour une fille et qui s’entête à ne pas voir qu’elle n’est pas intéressée, cela est certainement du harcèlement. Mais il est facile de faire cesser un tel comportement.

La violence faite aux femmes, la vraie, doit être punie.

Mais doit-on sanctionner le fait d’inviter une deuxième fois une femme au restaurant après avoir essuyé un refus quelques semaines plus tôt parce qu’occupée ce jour-là ?

Pourtant cela fait partie de la ‘violence sexuelle’ en milieu universitaire selon les auteurs féministes, au même titre qu’un viol.

Si une quête amoureuse maladroite correspond à de la violence sexuelle, on comprend pourquoi tant de femmes ont de la difficulté à se trouver un partenaire. Parce que dès qu’un regard trop insistant se pose sur elles, cela peut être jugé comme de la violence sexuelle. Tout dépendant de la réaction inconfortable (ou non) de la personne regardée.

Nous sommes ici dans l’arbitraire et le subjectif. Et tout cela est qualifié dramatiquement de ‘violence faite aux femmes’.

Cette étude est le fruit de la marchandisation du féminisme; de nos jours, à partir des fonds publics, on peut faire de l’argent en exploitant démagogiquement la crainte légitime des abus sexuels.

À crier au loup pour tout et pour rien, on se discrédite. Je regrette de le dire, mais à mon avis, cette étude ne vaut rien.

Conséquemment, on peut laisser ouverte l’université Laval encore pour quelque temps…

Référence :
Violences sexuelles en milieu universitaire, résultats de l’Enquête Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu Universitaire (ESSIMU) : Portrait de la situation à l’Université Laval

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Embourgeoisement des villes : l’échec des utopies

Publié le 20 novembre 2017 | Temps de lecture : 6 minutes

Rares sont les villes qui se développent uniformément. Les périodes de gloire et de déclin laissent successivement leurs marques. Les unes par le foisonnement de leurs témoignages : les autres, par leur rareté.

Et ces couches historiques inégales, amputées par quelques catastrophes que sont les guerres et les incendies, forgent habituellement la personnalité architecturale des villes.

Montréal n’échappe pas à cette règle.

Contrairement à Paris — où le remodelage urbain sous la férule de l’État a joué un rôle important — c’est l’étalage urbain qui fut la principale caractéristique du développement de la métropole.

Secondairement, plus que les incendies, ce sont des intérêts privés qui refaçonnent le bâti montréalais et sont donc responsables de la rénovation urbaine.

Lorsque les ‘riches’ s’achètent un condo, ils abandonnent leurs logements antérieurs qui devient alors disponibles à d’autres. Ces derniers libèrent les leurs. Et dans ce jeu de chaises musicales, en fin de compte, des logements deviennent disponibles pour des gens à faible revenu. Voilà comment Montréal se développe et vit depuis des décennies.

De nos jours, Hochelaga-Maisonneuve est précisément le résultat de ce jeu de chaises musicales; par exemple, les logements cossus construits autrefois pour héberger les ingénieurs anglais de la Vickers et les employés syndiqués du constructeur naval sont aujourd’hui habités par des gens moins fortunés qu’eux.

Toutefois l’excellent documentaire Quartiers sous tension de Carole Laganière permet de comprendre ce qui a provoqué la naissance d’un mouvement d’hostilité à l’égard de l’embourgeoisement de ce quartier.

Personne n’a d’objection à ce qu’une famille de jeunes professionnels aménage dans un logement laissé vacant par une personne décédée ou par un locataire qui a trouvé un logement qui lui convient mieux ailleurs.

Malheureusement, la législation adoptée par les gouvernements du Parti québécois afin de donner plus de pouvoir aux locataires a été érodée par de nouvelles tactiques qui permettent de contourner leurs droits.

De nos jours, pour 135$, un propriétaire n’a qu’à se procurer un permis municipal pour agrandissement ou subdivision. Ce document lui donne automatiquement le droit de mettre à la rue ses locataires, sans avoir même à donner suite à ce permis.

En d’autres mots, jamais la Régie du logement ne demandera à voir des contrats signés auprès d’entrepreneurs pour juger du sérieux de l’intention à rénover ou agrandir. Comme preuve, le permis suffit.

Des locataires qui ont vécu des décennies au même endroit sont donc sommés d’abandonner leur logement en quelques semaines.

Ceux qui ont le droit d’y rester — les locataires âgés de 70 ans ou plus — sont harcelés par des coupures intempestives d’eau, d’électricité ou de chauffage jusqu’à ce que, de guerre lasse, ils quittent les lieux.

Or l’accessibilité économique à la Justice fait défaut depuis que le système judiciaire tout entier a été pris en otage par une caste juridique qui l’a transformé en machine à sous pour servir ses propres intérêts.

Le résultat est que le peuple est à la merci de la rapacité de certains entrepreneurs. Voilà le problème.

Ce qui m’a stupéfait à l’écoute du documentaire dont j’ai parlé plus tôt, c’est la naïveté des anarchistes qui luttent contre l’embourgeoisement du quartier.

Comme moyen de s’y opposer, ces derniers ont choisi de s’attaquer à des petits marchands, perçus comme des « collaborateurs de la gentrification ».

Aucune banque au monde ne finance l’ouverture d’un commerce si la demande de prêt ne s’appuie pas sur une étude de marché. En d’autres mots, il faut d’abord l’établissement de bourgeois pour qu’on vienne ensuite offrir des biens et des services qui leur sont destinés.

Il y a deux solutions à ce problème; des changements législatifs afin d’éviter les abus et une politique de construction de logements sociaux.

Or ni l’une ni l’autre de ces mesures ne sont envisageables tant que nous serons gouvernés par des partis de droite. Or c’est le cas au fédéral, au provincial et au municipal (jusqu’à récemment) depuis presque deux décennies.

Le dernier grand projet municipal de construction de logements sociaux date du Plan Dozois (1957-1961).

Ceux qui luttent contre l’embourgeoisement de mon quartier se refusent à considérer l’action politique. Ils font partie d’une génération qui s’imagine que tous les politiciens sont interchangeables parce que c’est tout ce qu’ils ont connu depuis vingt ans.

Pour eux, seul compte l’action directe. Or leurs méfaits ne sont que des faits divers qu’on oublie le lendemain. La leçon est déjà évidente; le terrorisme utopique est voué à l’échec.

Il ne leur vient pas à l’esprit que les partis politiques sont des coquilles vides que chacun d’entre nous peut envahir et façonner à sa manière.

Lutter contre l’embourgeoisement d’un quartier est l’équivalent de lutter contre le vent. Veut-on réellement qu’Hochelaga-Maisonneuve devienne un ghetto de pauvres ? Ou veut-on qu’il redevienne un repère de drogués et de prostituées ?

Ce qui est important, c’est de lutter contre les abus de l’embourgeoisement. Cela est faisable. Il suffit de prendre les bons moyens. Ce qui veut dire, cesser d’élire des gouvernements de droite et façonner à notre manière les partis centristes ou de gauche.

C’est un peu plus long que de casser les vitrines d’un commerce, mais quand on ne veut pas simplement se défouler contre la propriété d’autrui, on prend les vrais moyens.

Sur le même sujet :
La noyade d’Archimède
Le logement social à Vienne
Montréal fait la guerre aux taudis (taille du fichier : 14,2 Mo)
Non au terrorisme utopiste

Parus depuis :
Logement social: le gouvernement fédéral en fera davantage (2017-11-22)
Haro sur l’« éco-embourgeoisement » (2019-08-05)
Hausses de loyers abusives: plus de 100 000 logements abordables disparus au Québec en cinq ans (2023-02-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Quand on s’oppose à la légalisation du cannabis

Publié le 18 novembre 2017 | Temps de lecture : 3 minutes

— « Chérie, veux-tu aller reconduire les enfants à la garderie; je n’ai pas fini mon joint.»
— « Trouve-toi pas des prétextes. Finis ton joint et va reconduire les enfants.»

Voilà le scénario du très mauvais téléroman qui pourrait être écrit par nos politiciens québécois ces jours-ci.

Comme une bonne partie de la population québécoise, le gouvernement Couillard est contre la légalisation du cannabis et cherche des motifs pour retarder son entrée en vigueur.

Toutes les provinces seront prêtes mais il se pourrait que le Québec ne le soit pas.

On comprend donc l’image des Québécois dans le reste du pays; des gens inefficaces, toujours en retard, des plaignards, qui préfèrent boire leur bière payée par la péréquation canadienne.

La ministre Lucie Charlebois, responsable du dossier du cannabis, est une des meilleures ministres du gouvernement Couillard. Je l’aime bien.

« Donnons-nous le temps de bien faire les choses », répète-t-elle ad nauseam. Ceci, pour justifier sa demande de nouveaux délais à Ottawa.

Une ministre ne peut pas tout savoir. Ce qu’elle ignore, c’est que le cannabis est déjà commercialisé; n’importe quel adolescent majeur peut s’en procurer très facilement.

Le fantasme apocalyptique selon lequel toute légalisation condamnerait notre belle jeunesse à la fainéantise, que les conducteurs prendraient soudainement l’habitude de fumer un joint avant de prendre le volant, est parfaitement ridicule.

Ils ne le font pas déjà; pourquoi se mettraient-ils à le faire ?

Si tous les alcooliques sur Terre abandonnaient l’alcool pour le cannabis, on assisterait à une réduction dramatique des cirrhoses à travers le monde en contrepartie d’une petite augmentation des cancers du poumon. Quant au reste, être stone ou être ivre, c’est pareil.

On peut mourir d’une intoxication aigüe à l’alcool. Mais on s’endort avant d’avoir fumé une dose mortelle de cannabis.

Quant au danger du cannabis par voie orale, la Commission LeDain écrivait à la page 114 de son rapport : « Le cannabis compte donc parmi les drogues qui comportent le moins de risque d’intoxication mortelle, qu’il serve à des fins thérapeutiques ou autres

Pour ce qui est du danger d’accidents automobile, la consommation de toute substance qui affecte la vigilance est dangereuse, que ce soit le cannabis, l’alcool ou les psychotropes.

On s’inquiète du fait que les policiers ne seraient pas équipés d’instruments permettant de mesurer l’intoxication au cannabis. Cela est également vrai des psychotropes.

Pourtant, ils font passer des tests simples — toucher le bout de son nez, marcher en ligne droite — qui leur permettent d’appréhender le conducteur intoxiqué par des médicaments. Ce sera pareil avec le cannabis.

Bref, la véritable protection de nos jeunes, ce n’est pas de prolonger sous divers prétextes une prohibition qu’ils contournent facilement, c’est au contraire de hâter la légalisation afin qu’ils cessent de consommer la cochonnerie que la pègre ajoute au cannabis de contrebande.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Violence policière, port du masque et démocratie

Publié le 9 novembre 2017 | Temps de lecture : 5 minutes

Introduction

Plus tôt cette semaine, le Service de police de la ville de Montréal a été condamné à verser la somme de 175 000$ (plus les intérêts), pour un incident survenu lors d’une des premières manifestations du Printemps érable.

À cette occasion, une grenade assourdissante a explosé beaucoup trop bas et a causé une perte d’acuité visuelle presque totale de l’œil droit de Francis Grenier, alors âgé de 22 ans.

Dans son jugement de 86 pages, les reproches du juge Steve J. Reimnitz, adressés aux forces policières, sont les suivantes :
• le refus aveugle de tenir compte des mises en garde du fabricant au sujet de la létalité possible des grenades assourdissantes (paragraphes 405 à 428),
• la méconnaissance de leur puissance (par. 444-50),
• l’absence de mode d’emploi (par. 461-3) et conséquemment le fait que chaque policier avait sa propre méthode de les utiliser (par. 466-70),
• l’imprécision de la trajectoire suivie par ces grenades, de même que de la vitesse de leur descente sur une foule (par. 566-78, 619)
• l’utilisation superflue d’autres grenades assourdissantes après que les précédentes aient atteint leur objectif (par. 526-44).

L’interdiction du port du masque

À plusieurs reprises sur ce blogue, je me suis exprimé en faveur de l’interdiction du port du masque sur la voie publique… à moins que cela soit justifié par des raisons climatiques (le froid), médicales (des pansements chirurgicaux) ou sécuritaires (un casque de moto).

Il est rare que je change d’avis après avoir longuement réfléchi sur un sujet. C’est le cas cette fois-ci.

Au cours du Printemps érable, le gouvernement libéral de Jean Charest a autorisé les forces policières à recourir à des outils de répression d’une violence considérable.

Ces armes ont rendu borgnes Francis Grenier à Montréal et Maxence Valade à Victoriaville, en plus de fracturer la mâchoire, casser des dents et causer une commotion cérébrale chez d’autres manifestants.

Confronté au désastre de leur utilisation, le gouvernement Charest a refusé d’en interdire l’usage, se contentant de suggérer aux blessés de s’adresser aux organismes de déontologie policière.

Ce sont donc les tribunaux qui se voient aujourd’hui obligés de se dresser contre les dérives autoritaires de l’État. La cause de Francis Grenier est la première à connaitre son aboutissement. D’autres suivront.

À différence de la manifestation à Victoriaville (qui a tourné à l’émeute), celle au cours de laquelle Francis Grenier a été mutilé fut une manifestation essentiellement pacifique.

Comme le rappelle le juge Reimnitz, le droit de manifester est un droit constitutionnel. Ce n’est pas parce qu’une minorité de manifestants bloquaient illégalement l’accès d’un immeuble que les policiers étaient justifiés d’interdire l’ensemble de la protestation et surtout, de s’attaquer aux manifestants alors qu’ils étaient justement en train d’obéir à l’ordre de dispersion.

Par des agissements dignes d’un pays totalitaire, les forces répressives de l’État ont démontré qu’il est parfois indispensable de porter un casque de protection afin d’exercer un droit démocratique, soit celui de manifester.

Conséquemment, ils ont rendu impossible l’adoption d’une législation interdisant le port du masque sur la voie publique.

L’autoritarisme de l’État

La grande majorité des mutilations subies au cours du Printemps érable sont survenues au cours de la manifestation à Victoriaville. Celle-ci a tourné à l’émeute, justifiant l’usage de la force.

La question fondamentale à se poser est la suivante : dans quelle démocratie voulons-nous vivre ?

Oublions le cas particulier du Printemps érable.

Voulons-nous vivre dans un État où le gouvernement peut librement adopter des mesures très impopulaires et les imposer par la force, au prix d’une violence extrême ?

Regardons les moyens dont se dotent les municipalités américaines, qui vont jusqu’à l’achat de chars d’assaut. Cela est rendu nécessaire par la généralisation du port des armes par les citoyens, un système judiciaire dominé par des suprémacistes blancs et une société presque complètement dépourvue de justice sociale.

Après qu’il eut consenti à des réductions d’impôts ou offert des échappatoires fiscales aux gens fortunés, voulons-nous laisser l’État démanteler notre filet de protection sociale au nom de la nécessité d’équilibrer le budget tout en nous privant de tout moyen de nous y opposer ?

Ou, au contraire, voulons-nous, comme les Islandais, vivre dans un pays où la faiblesse des moyens répressifs de l’État est telle qu’elle oblige le gouvernement tenir compte de l’acceptabilité sociale de ses politiques et à servir humblement le peuple ?

Il ne s’agit pas ici de rendre l’État impotent mais de l’obliger, dans l’allocation de ses ressources, à privilégier la justice sociale et le développement économique plutôt que le respect de la loi et de l’ordre établi.

Références :
Décision du juge Steve J. Reimnitz
Manifestations étudiantes : un jeune blessé à l’œil obtient gain de cause

Paru depuis : Montréal paie 6 millions $ et s’excuse pour des arrestations de masse de manifestants (2023-02-28)

Sur le même sujet : Tirs de balles de plastique : attend-on de tuer quelqu’un ?

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Écrit par Jean-Pierre Martel