La tuerie de Charlie Hebdo : les lacunes du renseignement (2e partie)

Publié le 13 janvier 2015 | Temps de lecture : 7 minutes

Les attentats canadiens

Le deuxième texte de cette série passe en revue les divers attentats dont les Canadiens ont été victimes.

En raison de l’éloignement géographique du pays des zones de conflits armés à travers le monde, les attentats en Amérique du Nord se distinguent de ceux commis ailleurs.

Cette spécificité, loin de nuire à la compréhension du terrorisme, permet de le voir dans une perspective plus large.

La plus grave attaque terroriste de l’histoire du Canada a été l’explosion en 1985 d’un avion d’Air India en partance de Montréal.

Cet attentat a tué 320 passagers, dont 268 Canadiens (parmi lesquels se trouvait le pharmacien Gaston Beauchesne de la ville de Hull).

Les auteurs étaient des Canadiens de religion sikhe qui voulaient venger l’attaque menée par le gouvernement indien contre le Temple d’Or d’Amritsar, en juin 1984.

Les services de renseignement canadiens avaient été prévenus (notamment par le FBI) que la compagnie aérienne Air India devrait faire l’objet d’attentats à la bombe pour marquer le premier anniversaire de l’attaque du Temple d’Or. Pour cette raison, les services de renseignement canadiens avaient placé les comploteurs (qu’ils connaissaient) sous écoute électronique.

Mais on s’est contenté d’accumuler passivement des renseignements, laissant ainsi les comploteurs mener à terme leur projet.

Après l’attentat, en juin 1985, les dirigeants du service de renseignement ont donné l’ordre de détruire la majorité des données qu’ils possédaient afin de supprimer par le fait même l’évidence de leur incompétence. Pour cette raison, les principaux comploteurs accusés ont été innocentés par les tribunaux, pour insuffisance de preuve.

Les autres attentats canadiens et leurs motifs sont les suivants :
• ceux du Front de libération du Québec, dans les années 1960, prônant l’indépendance du Québec, (deux otages, dont un mort)
• la tuerie à l’Assemblée nationale du Québec, en mai 1984, visant à tuer les députés du Parti québécois (trois morts et treize blessés)
• la tuerie à Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, par haine du féminisme (14 mortes et 14 blessés)
• les divers attentats contre des médecins pratiquant l’avortement dans des provinces canadiennes-anglaises, dans les années 1990, dont plusieurs commis par un terroriste catholique américain (trois blessés)
• la tuerie de l’Université Concordia, en 1992, causée par la paranoïa d’un professeur (quatre morts et une blessée)
• la fusillade au Collège Dawson, en 2006, motivée croit-on par un comportement antisocial extrême (deux morts et 19 blessés)
• l’attentat du Métropolis, en 2012, destiné à tuer la nouvelle Première ministre et ses sympathisants, perpétré au nom du réveil des Anglo-Québécois (un mort et un blessé)
• l’attaque en voiture, le 20 octobre 2014, contre deux militaires à St-Jean-sur-Richelieu, conduite par pratiquant musulman radical déjà sous surveillance par les services de renseignement (deux morts, dont le terroriste, et un blessé)
• la fusillade du 22 octobre 2014 à Ottawa, causée par un pratiquant musulman radical auquel le passeport avait été confisqué par les autorités (trois morts, dont le terroriste).

En dépit de l’écoute électronique des comploteurs sikhs, de l’infiltration des milieux indépendantistes dans les années 1960, et de la surveillance ciblée des auteurs des attentats récents à St-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa, aucun des attentats ci-dessus n’a été prévenu.

Même lorsque les services de renseignements savent qu’une personne veut commettre un attentat terroriste, la difficulté principale vient du fait que l’intention coupable présumée n’est pas un crime.

En absence de délit, on peut empêcher un terroriste étranger d’entrer au pays mais on ne peut pas arrêter et emprisonner à perpétuité un citoyen canadien sur la présomption de ses intentions.

Le seul moyen d’empêcher un attentat perpétré par un citoyen du pays est de l’arrêter au moment précis où il est sur le point de passer à l’acte.

Cela est apparemment très simple dans les séries télévisées et les films hollywoodiens. Dans les faits, c’est autre chose, autant au Canada qu’en France (où les auteurs des attentats récents étaient également connus pour leur dangerosité).

Analyse des causes

Comme on vient de le voir, il est faux de croire que les attentats terroristes sont l’apanage des fondamentalistes musulmans puisque le pire cas canadien est l’oeuvre de Sikhs et que la majorité des autres cas ne concernent pas des Musulmans.

Ce n’est pas non plus le résultat d’un conflit entre classes sociales. Osama Ben Laden appartient à une riche famille d’entrepreneurs saoudiens. Les cas canadiens comprennent des hommes d’affaires (Air India, Métropolis), un universitaire (Concordia), un militaire (Assemblée nationale du Québec) et des personnes occupant différents métiers.

Si la maladie mentale est à la source des attentats de Concordia et de Dawson, elle n’est pas en cause dans la majorité des autres cas.

Ce qui est commun, c’est le discours haineux. Tous ces gens, ont été choqués par un ou plusieurs incidents qui les ont rendus vulnérables à la radicalisation de leurs idées.

Ainsi la communauté sikhe du Canada a été scandalisée par l’assaut indien contre un temple sacré dans lequel des insurgés sikhs s’étaient retranchés.

C’est le cas des terroristes antiavortement, influencés par la propagande violente et l’intolérance de la Droite américaine, qui n’hésite pas à comparer les médecins avorteurs à des tueurs en série qui pratiquent leurs homicides en toute impunité.

Longtemps financé par les États-Unis, Osama Ben Laden leur est devenu hostile lorsque ce pays a établi une base militaire en Arabie saoudite. Selon lui, il était inacceptable que des soldats impies foulent le sol sacré de l’Islam.

Chez les auteurs parisiens de l’attentat à Charlie Hebdo, les humiliations infligées aux détenus musulmans par des militaires américains à la prison d’Abou Ghraib ont servi de déclencheur à leur radicalisation entre 2003 et le début de 2005.

Dans les années 1960, la rhétorique gauchisante qui dramatisait les humiliations dont étaient victimes les Québécois francophones a très certainement été à la cause de la naissance du Front de libération du Québec.

De manière analogue, la propagande haineuse publiée par les médias canadiens-anglais contre les gouvernements indépendantistes du Québec explique probablement les attentats terroristes à l’Assemblée nationale du Québec et au Métropolis.

Ce qu’il faut donc retenir, c’est deux prérequis indispensables dans tous les cas autres que la maladie mentale; un élément déclencheur et l’exposition à des idées radicales. L’un sans l’autre n’est pas suffisant.

Dans le cas de l’auteur de l’attaque à St-Jean-sur-Richelieu, on ne saura jamais ce qui fut son élément déclencheur : on sait seulement qu’il fréquentait la mosquée al-Imane, où l’intégrisme musulman sunnite est prêché à une poignée de fidèles.

Dans le dernier texte de cette série, nous verrons les pistes de solution.

Références :
Anti-abortion violence
Attentat du Métropolis
Front de libération du Québec
Fusillade au collège Dawson
Fusillade du 8 mai 1984 à l’hôtel du Parlement du Québec
Fusillade du 22 octobre 2014 à Ottawa
James Charles Kopp
Tuerie de l’École polytechnique de Montréal
Massacre annoncé
Rouleau était surveillé par la GRC et le renseignement canadien
Scandale d’Abou Ghraib
Tuerie de l’Université Concordia
Un imam controversé à Saint-Jean-sur-Richelieu
Vol 182 Air India

Paru depuis :
Le terrorisme et l’extrémisme violent au Canada (2018-05-20)

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Écrit par Jean-Pierre Martel