Les héros vieillissent mal

3 juillet 2020
L’ex-roi Juan Carlos Ier

En abdiquant en 2014, Juan Carlos Ier cédait la couronne d’Espagne à son fils, connu maintenant sous le nom de Felipe VI.

Il se privait ainsi des huit-millions d’euros que l’État espagnol verse annuellement au monarque afin de lui permettre d’accomplir les devoirs de sa charge.

Depuis, l’ex-roi recevait une pension de 195 000 euros par an, en plus des revenus sur sa fortune personnelle (estimée à deux-milliards d’euros).

Cette ‘petite’ pension lui a été retirée en mars dernier, lorsqu’on a appris que l’ancien monarque évitait de payer sa juste part d’impôt en cachant son argent dans des paradis fiscaux.

En 2008, le ministère des Finances d’Arabie Saoudite versait secrètement cent-millions de dollars sur le compte suisse de la fondation panaméenne Lucum, dont l’ancien monarque est le principal bénéficiaire.

On soupçonne que cette somme lui aurait été versée afin qu’il exerce son influence en faveur d’un projet hispano-saoudien de construction d’un train à grande vitesse reliant deux villes saintes saoudiennes. Un investissement d’une valeur de 6,7 milliards d’euros, autorisé finalement en 2011.

De son côté, le consortium hispano-saoudien a versé en pots-de-vin plus de 200 millions d’euros à un partenaire saoudien et à l’épouse d’Adnan Khashoggi (marchand d’armes décédé depuis, oncle du journaliste américain assassiné dans un consulat saoudien).

Deux ans avant d’abdiquer, Juan Carlos Ier a fait transférer 65 millions$ de sa fondation panaméenne à un compte détenu aux Bahamas par sa maitresse Corinna Larsen, domiciliée à Monaco (autre paradis fiscal).

Le couple semble s’être brouillé depuis si on en juge par les déclarations fracassantes de l’ex-maitresse accusant l’ex-roi d’avoir utilisé des prête-noms, dont elle, pour gérer des comptes cachés et pour mettre une partie de son patrimoine à l’abri du fisc espagnol.

Tant qu’il était à la tête de l’État, Juan Carlos Ier était protégé par une immunité garantie par la constitution. Ce n’est pas le cas des autres personnes impliquées dans cette affaire. De plus, l’impunité royale n’est valable que devant la justice espagnole.

Puisqu’une enquête pour corruption et blanchiment d’argent est ouverte en Suisse contre l’ex-roi et ses associés, ces procédures entachent la réputation de la monarchie espagnole.

D’où les mesures annoncées en mars dernier par Felipe VI contre son père.

Zoom arrière.

À la sixième année de son règne, Juan Carlos Ier avait refusé de reconnaitre un coup d’État qui venait d’être commis dans son pays, ordonnant (à titre de chef des armées) que les militaires défendent la démocratie, sauvant ainsi l’Espagne d’une nouvelle guerre civile.

Il est donc triste de voir cet ex-monarque s’enliser en fin de vie dans des scandales financiers.

Comme quoi l’argent corrompt tout.

Références :
Adnan Khashoggi
Après les révélations sur la fortune cachée de son père, Juan Carlos, en Suisse, le roi Felipe VI le répudie
La fortune secrète de Juan Carlos fait trembler la monarchie espagnole
La justice suisse sur les traces de la fortune de l’ex-roi Juan Carlos à Genève
Le roi d’Espagne Felipe VI refuse l’héritage de son père Juan Carlos
L’ex-roi Juan Carlos soupçonné de fraude fiscale
Spain’s former king Juan Carlos to face investigation over $100m Saudi ‘gift’
Spanish king named on offshore fund linked to €65m Saudi ‘gift’

Post-Scriptum : Un mois après la publication de ce texte, l’ex-monarque a décidé de s’exiler à l’étranger afin d’échapper à la justice de son pays.

Référence :
Soupçonné de corruption, l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos s’exile

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le fédéral, les paradis fiscaux et l’indépendance du Québec

28 janvier 2019

La lutte famélique contre les paradis fiscaux

Par souci d’économie, le gouvernement québécois de François Legault aimerait instaurer une déclaration de revenus unique (fédérale et québécoise) gérée par le Québec.

Citée par Le Devoir, une source fédérale indique que cette idée doit être rejetée parce que cela nuirait à la lutte contre l’évasion fiscale.

On apprend donc l’existence, au niveau fédéral, d’une lutte contre l’évasion fiscale. Que donne-t-elle ?

En janvier 2018, Radio-Canada révélait que depuis la publication des Panama Papers en avril 2016, le fisc d’une douzaine de pays a récupéré une somme totale de plus d’un demi-milliard de dollars. Mais rien par le Canada.

Cela n’est pas surprenant. En octobre 2016, le gouvernement Trudeau faisait battre la motion M-42. Celle-ci visait à mettre un terme à l’évitement fiscal dans les paradis fiscaux.

En juin 2017, sous Justin Trudeau, le gouvernement fédéral a ajouté les iles Cook à la liste canadienne des endroits où les richissimes contribuables peuvent légalement cacher leur argent.

Ce qui n’a pas empêché la ministre du Revenu national d’annoncer fièrement que sa lutte à l’évasion fiscale lui aurait permis de récupérer 25 milliards$ (!!!) d’impôts impayés… sans qu’on sache où cet argent est passé.

Officiellement, les contribuables fautifs ont 25 milliards$ de moins à payer sans que le fédéral ait 25 milliards$ de plus dans ses coffres.

C’est ainsi que se solde la lutte fédérale aux paradis fiscaux; un véritable fiasco.

La double imposition

L’évitement fiscal n’est que de l’évasion fiscale légalisée. Et cette légalisation fédérale s’applique à l’impôt provincial uniquement parce que les provinces y consentent implicitement.

L’injustice qui permet aux riches d’éviter de payer leur juste part d’impôt est basée sur le souci d’éviter la double imposition.

Normalement, une multinationale doit payer au fisc canadien l’impôt sur les profits réalisés au Canada. Tout comme elle paie à l’Étranger l’impôt sur les profits réalisés ailleurs.

Le milieu des Affaires soutient que si une compagnie paie déjà de l’impôt ailleurs sur ses profits canadiens, il est injuste de l’obliger à payer une deuxième fois de l’impôt, cette fois au Canada, sur ces mêmes profits.

Mais pourquoi une compagnie serait-elle assez stupide pour déclarer dans un paradis fiscal les revenus qu’elle a réalisés au Canada ?

Si cette compagnie veut éviter la double imposition, il suffit qu’elle cesse de déclarer ses profits canadiens au fisc d’un autre pays. Et si un pays l’oblige à payer de l’impôt sur les profits réalisés partout à travers le monde, cette compagnie n’a qu’à quitter ce paradis fiscal et le problème est réglé.

L’injustice fiscale ou l’indépendance

Pour taxer les gains faits au Canada, on n’a pas besoin de savoir l’importance des avoirs à l’Étranger; il suffit de connaitre les profits réalisés au Canada et d’interdire les tours de passepasse qui permettent de les soustraire au fisc d’ici.

Essentiellement, ce que dit le fédéral, c’est que si le Québec veut s’attaquer aux paradis fiscaux, il doit faire son indépendance.

C’est seulement lorsqu’il aura rapatrié les pouvoirs souverains du Canada — pouvoirs inutilisés par Ottawa — que le Québec pourra créer une société basée, entre autres, sur l’équité fiscale.

Références :
Est-il juste que les riches paient autant d’impôt ?
L’Accord avec les Îles Cook critiqué
Où sont les 25 milliards dus au fisc?
Panama Papers : 500 millions récupérés dans le monde, rien au Canada
Paradis fiscaux: la permission de Trudeau
Pour la déclaration obligatoire des investissements des élus dans les paradis fiscaux

Parus depuis :
Les entreprises canadiennes plus présentes dans les paradis fiscaux (2020-07-23)
Les efforts de l’ARC n’ont mené à aucune accusation (2021-06-21)
La Banque Royale forcée de révéler qui se cache derrière 97 comptes aux Bahamas (2022-07-27)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés au prix que nous payons pour appartenir au Canada, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le nez de Philippe Couillard s’allonge

25 septembre 2018

À l’époque où Pierre-Karl Péladeau était chef du Parti Québécois, j’avais mis en doute l’assurance qu’il avait donnée de n’avoir jamais créé d’entreprises dans des paradis fiscaux.

Deux ans plus tard, l’attitude suspecte du ministre libéral Carlos Leitão à l’Assemblée nationale m’incitait à réitérer le souhait que soit obligatoire la déclaration des avoirs des élus dans les paradis fiscaux.

Contrairement à ce qu’on pense, les élus ne sont pas tenus de déclarer les liquidités détenues dans un établissement financier situé à l’étranger. Seul le capital détenu sous forme d’actions et d’obligations doit être divulgé, mais pas l’argent liquide.

Aujourd’hui, les chefs des quatre principaux partis politiques québécois dévoilaient l’état de leurs finances personnelles.

Manon Massé a déclaré posséder des épargnes de 41 320$.

Jean-François Lisée vaut un peu moins de deux-millions$.

François Legault possède un petit pactole d’un peu moins de dix-millions$.

La surprise vient de Philippe Couillard; celui-ci ne possèderait que des avoirs nets de 441 919$.

Descendant du premier colon canadien à être anobli par Louis XIV, Philippe Couillard a exercé le lucratif métier de neurochirurgien. Moins lucratif à l’époque que maintenant, évidemment.

Dans les années 1990, il fut conseiller du ministre saoudien de la Santé, le prince Abdullah bin Abdulaziz Al-Rabeeah. Or une rumeur persistante veut que ses honoraires lui permissent de s’alimenter pour bien au-delà de 75$ par semaine.

Effectivement, selon Wikipédia, il lui en a resté suffisamment pour s’ouvrir un compte dans un paradis fiscal.

Depuis quatre ans, son salaire de premier ministre lui rapporte 186 243$ annuellement, après avoir été ministre pendant plusieurs années à plus de 150 000$ par an.

Même si un travailleur moyen mangeait du caviar et buvait du champagne trois fois par jour, il n’arriverait pas à dépenser 150 000$ par année.

Or en l’an 2000, M. Couillard avait déjà un magot de 600 000$ placé à l’ile de Jersey (un paradis fiscal). Presque deux décennies plus tard, après avoir gagné environ 2,7 millions$, il est moins riche qu’il y a 18 ans.

Qui peut avaler une telle couleuvre ?

De toute évidence, son train de vie a échappé à l’austérité.

Combien de maitresses a-t-il eues ? Passe-t-il tout son temps au casino ? Se ruine-t-il en substances illicites ?

Ou est-il simplement menteur ?

Références :
La déclaration obligatoire de l’évitement fiscal
Le salaire de nos élus
Les chefs ouvrent leurs livres
Philippe Couillard
Possible de nourrir une famille pour 75 $ par semaine, croit Couillard

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pour la déclaration obligatoire des investissements des élus dans les paradis fiscaux

12 février 2018
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Introduction

À la période de questions du 8 février 2018, le député péquiste Nicolas Marceau, suivi du chef de l’opposition, abordèrent le dernier sujet de la journée; la commercialisation de la marijuana au Québec.

Des rapports policiers indiquent que le crime organisé s’apprête à s’impliquer dans la production légale de cannabis afin de compenser la perte de ce marché au profit de l’État.

Son but est de prendre le contrôle de l’approvisionnement à la Société québécoise du cannabis, responsable de sa distribution. À cette fin, on créerait des usines de production financées par des sociétés-écrans situées dans des paradis fiscaux.

On devine le reste. Une fois ses usines de productions reconnues, la pègre éliminerait ses concurrents par des menaces, par l’extorsion et par des actes criminels. Jusqu’à reconstituer le monopole qu’elle a déjà.

En interdisant la production personnelle de cannabis, le gouvernement Couillard contribuera également à ce monopole de la pègre.

L’État deviendrait ainsi le distributeur au détail du crime organisé.

Afin d’éviter cela, le Parti Québécois suggérait de doter la Société québécoise du cannabis du pouvoir de rayer toute entreprise financée à partir de paradis fiscaux de la liste de ses fournisseurs.

Dans le fond, cette suggestion ressemble au pouvoir de refuser d’accorder un permis d’alcool à tout établissement qui est la propriété du monde interlope.

Et dans le cas des fournisseurs qui n’appartiennent pas à la pègre, on s’assure ainsi que les profits réalisés par la production de cannabis ne seront pas détournés vers les paradis fiscaux et que ces entreprises paieront leur juste part d’impôts.

Mais voilà que la question de l’opposition soulève la colère du ministre des Finances. Au point de justifier l’intervention du président de l’Assemblée nationale.

Frappant son bureau, bafouillant et gesticulant dans tous les sens, le ministre des Finances s’est perdu dans considérations teintées d’émotivité. Si bien qu’il n’a pas réussi à terminer sa réponse incohérente dans le temps qui lui était alloué.

Conséquemment, la période des questions s’est terminée en queue de poisson.

Le gouvernement Couillard et les paradis fiscaux

Depuis quinze ans, le Parti libéral gouverne à peu près sans interruption le Québec. Jusqu’ici, il n’a presque rien fait contre l’évasion et l’évitement fiscaux.

Officiellement, il est contre le premier et pour le second alors que l’évitement fiscal n’est que de l’évasion fiscale légalisée.

Le gouvernement libéral invoque qu’il ne peut agir seul et qu’il doit attendre l’action concertée de tous les pays de l’OCDE avant d’agir.

Des experts comme Alain Deneault soutiennent le contraire.

Mais supposons que le ministre ait raison. Dans ce cas, il est clair que la suggestion du chef de l’opposition permet de pallier ‘l’impuissance’ présumée du gouvernement Couillard d’agir autrement.

Or cette suggestion met le ministre dans tous ses états. Pourquoi ?

La lutte contre les conflits d’intérêts

Au Québec, l’article 38 du Code d’éthique des membres de l’Assemblée nationale oblige tous les élus (au pouvoir comme dans l’opposition) à divulguer leurs intérêts pécuniaires. En plus, dès qu’ils deviennent ministres, ceux-ci doivent confier les sociétés qu’ils contrôlent à des fiducies sans droit de regard.

Cette divulgation concerne les sommes qui doivent leur être versées au cours de l’année, les biens immobiliers (sauf la résidence personnelle), les emprunts et les prêts d’une certaine valeur (sauf le solde de comptes bancaires), les investissements sous forme d’actions ou d’obligations (dans des entreprises cotées ou non en bourse).

Pourquoi la loi exige-t-elle cela ? Afin d’empêcher les élus d’adopter des mesures qui les favorisent personnellement au détriment de l’intérêt général.

L’échappatoire

Rien dans ce code de déontologie n’oblige la divulgation des sommes déposées dans un établissement financier. Ce qui veut dire que n’importe quel élu peut cacher son argent dans des paradis fiscaux.

De plus, si une partie de l’argent caché dans des paradis fiscaux sert à l’achat d’actions ou d’obligations, le député doit déclarer cet investissement mais pas qu’il a été effectué par le biais d’un paradis fiscal et conséquemment, que les profits et les gains de capital réalisés sur cet investissement sont libres d’impôt.

Les élus faisant partie du 1%

Pour faire partie du 1% au Québec, il faut des revenus annuels supérieurs à 190 000$. Concrètement, les médecins et les avocats — omniprésents ces jours-ci dans le Conseil des ministres — en font partie.

Combien d’entre eux cachent leur argent dans les paradis fiscaux ? Nul ne le sait. Et on l’ignore parce que rien n’oblige les élus à le dire. Donc personne ne le fait.

Est-il possible que le peu d’empressement de nos gouvernements à s’attaquer aux paradis fiscaux tire son explication du fait que beaucoup d’élus en profitent ?

Compte tenu de ce qui est déjà exigé, rien n’empêcherait que le code d’éthique soit amendé afin d’obliger la divulgation explicite des avoirs dans des paradis fiscaux.

Ce faisant, les élus concernés seraient tenus de s’abstenir de tout débat au sujet des paradis fiscaux comme ils doivent le faire lorsqu’il s’agit de débats qui concernent leurs avoirs personnels.

Évidemment, on peut présumer que des petits malins compteront sur le secret entourant les paradis fiscaux pour éviter de se soumettre à la loi. Mais puisque tout finit toujours par se savoir — comme dirait Bill Morneau, ministre canadien des Finances — on peut s’attendre que, d’un scandale à l’autre, on apprenne à se soumettre à la loi.

Et c’est ainsi qu’on comprendra peut-être pourquoi un ministre québécois des Finances réagit si émotivement face à une suggestion d’agir contre les paradis fiscaux…

Références :
Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale
Paradis fiscaux : le Québec peut agir
Qui fait partie du fameux 1% le plus riche au Québec?

Parus depuis :
Lisée accuse le fédéral de nuire à la lutte contre les paradis fiscaux (2018-02-12)
Cannabis médical: 277 millions investis par un fonds mystérieux (2018-02-14)
Plantations de cannabis: épidémie de vols et de méfaits à Laval (2018-02-16)
Gabriel Zucman : « Comprendre les implications de l’évasion fiscale » (2018-05-28)
Des dizaines de dirigeants mondiaux exposés dans les « Pandora Papers » (2021-10-04)
Pour consulter les textes de ce blogue consacrés à la politique québécoise, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Vive les paradis fiscaux !

14 novembre 2017

Introduction

Il est de ces documents qui tombent mal.

Une semaine après l’éclatement du scandale des Paradise Papers, voilà le ministère des Finances du Québec qui publie un document de 246 pages qui, implicitement, se porte à leur défense.

Au contraire de son titre — Paradis fiscaux : plan d’action pour assurer l’équité fiscale — ce document est un plaidoyer qui justifie l’inaction du gouvernement Couillard.

En réplique au rapport de la Commission des finances publiques, remis en mars dernier et salué unanimement, ce document, préparé en secret par les hauts fonctionnaires du ministère, est publié au pire moment, alors que toute la planète se scandalise de l’ampleur du phénomène de l’iniquité fiscale.

Le lendemain de sa publication, le ministre des Finances écartait toute possibilité pour le Québec de se retirer des ententes avec des paradis fiscaux, parce que cela, disait-il, « entrainerait une hausse du fardeau fiscal au Québec ». Ceci est un contresens.

La lutte contre les paradis fiscaux a précisément pour but d’augmenter le fardeau fiscal de ceux qui y recourent.

Cela n’augmente pas le fardeau fiscal des gens comme vous et moi. Au contraire, dans la mesure où les riches se mettent à payer leur juste part des dépenses de l’État, le simple citoyen a moins à le faire.

Faits saillants du document

D’entrée de jeu, le document établit la distinction entre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. En réalité, l’évitement fiscal n’est que de l’évasion fiscale légalisée.

Puis le document souscrit au principe qui justifie les ententes fiscales avec les paradis fiscaux : éviter la double imposition.

En vertu de ce principe, les profits transférés dans un paradis fiscal seront imposés dans cette juridiction plutôt que dans le pays où ces profits ont été réalisés.

Or ce principe est complètement illogique. Tout profit réalisé au Québec doit être imposé au Québec. Est-il juste que ce même profit puisse l’être une deuxième fois s’il est transféré dans un paradis fiscal ? On s’en fout; ce n’est pas notre problème.

Puis le document suggère que les politiques du Québec soient coordonnées avec celle du gouvernement canadien. Il est évident qu’une telle coordination facilite les choses.

Mais qu’arrive-t-il si ce gouvernement est complice de l’évasion fiscale, comme le révèlent les Paradise Papers ? Ah, ce n’est pas prévu.

Le gouvernement Couillard se veut l’intendant régional du régime colonial canadien. Donc si le fédéral ne fait rien, on ne fait rien. Couché le bon chien.

Et l’argument central de ce laissé-faire : s’attaquer à l’évitement fiscal inciterait les compagnies à déplacer leurs activités à l’extérieur du Québec.

À la page 117, le document reconnait qu’il existe peu de données concernant l’ampleur du phénomène des paradis fiscaux et l’impact de ceux-ci en matière de pertes fiscales pour les pays touchés.

Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer catégoriquement à la page 31 — comme le magicien qui sort soudainement un lapin de son chapeau — qu’une taxe sur les profits détournés au Québec pourrait entrainer une perte d’environ 68 000 emplois, une baisse du PIB de 7,5 milliards$ et une diminution des revenus fiscaux de 672 millions$.

Bref, ce serait la catastrophe.

La réalité

Sur les 468 753 sociétés en activité au Québec, des milliers sont des particuliers incorporés.

Pourquoi des avocats, des médecins, des copropriétaires de pharmacies, et divers professionnels fortunés s’incorporent-ils ? Pour sauver de l’impôt. Et pour en épargner encore plus, il leur suffit d’ouvrir un compte dans un paradis fiscal. Pourquoi devraient-ils y renoncer puisque c’est parfaitement légal ?

Il suffit d’avoir des amis ou des connaissances qui exercent une profession libérale ou qui possèdent une entreprise prospère pour savoir que le recours aux paradis fiscaux est monnaie courante.

Bref, il n’y a que le ministre des Finances qui feint de l’ignorer. Il fait semblant parce que ces personnes font partie de la clientèle-cible du Parti libéral.

Je ne peux pas croire que ces milliers de particuliers qui profitent des paradis fiscaux vont fermer leurs cabinets professionnels ou leurs lucratifs commerces de vente au détail afin de recommencer leur vie et de se partir une nouvelle clientèle ailleurs dans le but d’épargner quelques dizaines de milliers de dollars au fisc québécois. Et ce, sans savoir si quelques années plus tard, la province canadienne ou l’État américain dans lequel ils auront déménagé ne suivra pas l’exemple du Québec.

Regardez le compositeur Luc Plamondon. Il s’est établi en Irlande afin d’économiser de l’impôt. Nommez-moi un seul grand succès qu’il a créé depuis ce temps. Depuis qu’il y est, sa source créatrice s’est tarie. Déraciné, il est devenu un has-been.

Quant aux véritables entreprises internationales, elles sont au Québec non pas grâce aux paradis fiscaux, mais grâce aux généreuses subventions qu’elles ont reçues afin de s’installer chez nous et grâce à la présence d’une main-d’œuvre qualifiée et d’infrastructures qui rendent leurs opérations rentables.

Conclusion

L’argument central du document est que les bénéficiaires des tactiques d’évitement fiscal sont des gens importants dans l’économie québécoise et que si on s’attaque à eux, ils risquent de déménager leurs opérations sous d’autres juridictions et ainsi créer du chômage au Québec.

Cet argument est central au néolibéralisme; il ne faut surtout pas s’attaquer aux riches parce que cela pourrait nous retomber sur le nez.

Dans le film République, un abécédaire populaire, Alain Deneault — cité sur ce blogue — taille en pièces cette argumentation fallacieuse.

Alors que les Paradise Papers provoquent une indignation planétaire, on s’étonne que le gouvernement Couillard ait choisi ce moment pour afficher une position aussi réactionnaire.

Par-dessus tout, il est regrettable que nos impôts servent à produire ce genre de propagande néolibérale et à essayer de nous faire croire qu’il est dans notre intérêt d’accepter que la classe moyenne soit la seule à supporter le poids fiscal de l’État.

Références :
La filière canadienne
Le phénomène du recours aux paradis fiscaux
Paradis fiscaux : plan d’action pour assurer l’équité fiscale
Paradis fiscaux: Québec crée une escouade pour traquer les mauvais contribuables

Parus depuis :
Toujours plus d’intimité entre Bay Street et les paradis fiscaux (2017-11-25)
Où sont les 25 milliards dus au fisc? (2017-12-04)
Panama Papers : 500 millions récupérés dans le monde, rien au Canada (2018-01-09)
Gabriel Zucman : « Comprendre les implications de l’évasion fiscale » (2018-05-28)
Panama Papers : 1,2 milliard de dollars ont été récupérés dans le monde (2019-04-02)
L’impôt sur le revenu presque à son plus bas en 26 ans (2019-09-25)
Des dizaines de dirigeants mondiaux exposés dans les « Pandora Papers » (2021-10-04)
Les intouchables : KPMG a caché l’argent de riches clients (2022-06-21)
La Banque Royale forcée de révéler qui se cache derrière 97 comptes aux Bahamas (2022-07-27)
La Caisse de dépôt et placement du Québec légitime de plus en plus les paradis fiscaux (2023-04-29)
Les cadeaux fiscaux aux entreprises ont augmenté de 80% sous la CAQ (2023-10-19)
La grande évasion fiscale des multinationales continue (2023-10-22)

Sur le même sujet :
Les réductions d’impôts consenties aux riches, stimulent-elles l’économie ?

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Écrit par Jean-Pierre Martel