Avant-propos : Pour consulter la première partie de cette série, on cliquera sur ceci.
L’interdit de 1795
Pour des raisons sanitaires, la ville adopta en 1795 un règlement interdisant la présence de cimetières à l’intérieur des fortifications.
Jusque là, les cimetières intramuros de Montréal avaient servi de lieux de sépulture à plus de 21 000 personnes.
La création du cimetière Saint-Antoine
Afin de se soumettre à la règlementation municipale, la paroisse Notre-Dame acquiert en 1799 un terrain de 13 672 m² situé à l’ouest des fortifications.
Agrandi en 1807, 1823 et 1842, le site finit par comprendre (de nos jours) la totalité de la Place du Canada et une bonne partie du square Dorchester qui lui fait face, au nord.
Un petit terrain adjacent était même réservé pour les excommuniés. Officiellement, il ne faisait pas partie du cimetière proprement dit. C’est là qu’en 1839, on enterra onze des douze patriotes pendus à la prison du Pied-du-Courant.
Le nouveau cimetière catholique fut appelé cimetière Saint-Antoine (du nom du faubourg dans lequel il était situé). Une chapelle y fut érigée en 1806.
La translation des corps
En anglais, translation signifie ‘traduction’. En français, ce mot désigne l’action de transporter les restes humains d’un lieu à un autre.
Le règlement municipal de 1795 ne faisait pas qu’interdire toute nouvelle inhumation dans la ville fortifiée; il signifiait l’expulsion des corps qui s’y trouvaient déjà.
À cette époque, une dépouille était sacrée. Conséquemment, le transfert des dépouilles fut une opération délicate qui prit des années.
En 1821, on fit 54 voyages pour translater les corps des cimetières de Pointe-à-Callière et de l’ancienne église Notre-Dame. Au cours des années qui suivirent, on fit de même pour tous les autres cimetières situés à l’intérieur des fortifications.
De nos jours, il arrive que des excavations mettent à jour des squelettes ‘oubliés’ dans les anciens cimetières de la ville. L’absence d’inscription funéraire indiquant la présence d’un corps pourrait expliquer ces oublis.
Le cimetière Saint-Antoine accueillit donc, théoriquement, toutes les dépouilles catholiques de Montréal depuis la fondation de la ville.
De plus, entre 1799 et 1854, 55 000 nouvelles dépouilles s’ajoutèrent à la ‘collection’ du cimetière.
Un grand projet immobilier
Au début des années 1850, l’urbanisation de la ville avait fini par atteindre le cimetière Saint-Antoine. De plus, ce cimetière était presque plein.
En 1853, la paroisse acheta un immense terrain sur le mont Royal afin de donner naissance au cimetière Notre-Dame-des-Neiges (surnommé cimetière Côte-des-Neiges).
Mais plutôt que d’avoir à gérer deux cimetières catholiques, les administrateurs de la paroisse décidèrent de translater toutes les dépouilles dans le nouveau cimetière et transformer l’ancien cimetière Saint-Antoine en complexe résidentiel.
Cette fois, la translation n’était pas gratuite; seules les familles qui achetèrent un lot dans le nouveau cimetière bénéficièrent d’une translation en bonne et due forme.
Dans les autres cas, les corps furent déterrés au pic et à la pelle. Des charrettes furent remplies de tas d’os et de débris de cercueils. Le tout était enfoui pêlemêle dans une fosse commune au nouveau cimetière.
En avril 1869, cent-trente charrettes transporteront dix-mille dépouilles. Au total, entre 1855 et 1871, on procéda à la translation d’un nombre inconnu de corps.
Une fois ce travail brouillon accompli, les grands projets immobiliers de la paroisse pouvaient enfin se réaliser.
En novembre 1867, l’arpenteur Henri-Maurice Perrault soumettait à la paroisse le plan de la subdivision en lots de l’ancien cimetière.
Mais avant même qu’on ait eu le temps d’en vendre, un scandale éclate : la Sanitary Association of Montreal révèle que le cimetière contient les dépouilles des personnes décédées de l’épidémie de choléra de 1832.
Son message était clair : les enfants qui grandiront sur ces terrains pourraient accidentellement avaler de la terre contaminée et mourir de choléra.
Les autorités religieuses venaient à peine de terminer la lecture de l’article du journal que la rumeur publique s’était déjà répandue dans toute la ville.
La vente des lots fut donc immédiatement interrompue.
De cimetière en places publiques
La Sanitary Association réclamait que le cimetière soit transformé en parc urbain, une suggestion retenue par la ville.
En 1871, le terrain en friche de l’ancien cimetière n’avait plus de valeur marchande. La ville s’en porte acquéreur pour une somme modeste.
Au cours de l’aménagement du parc, on enleva les pierres tombales restantes et la multitude de croix de bois qui s’y trouvaient. Puis on nivela le terrain.
Selon certains témoignages de l’époque, il resterait encore les ossements de 40 000 à 45 000 personnes sous le square Dorchester et la Place du Canada.
Croix gravée au sol du square Dorchester
Rien n’indique leur présence, sinon quelques croix dépourvues de texte explicatif gravées au sol du square Dorchester.
Ainsi se clôt l’histoire des anciens cimetières de Montréal.
Références :
Ancien cimetière des Pauvres (Montréal)
Basilique Notre-Dame de Montréal
De la première église Notre-Dame à la basilique actuelle
Historique du square Dorchester et de la place du Canada
Le cimetière catholique Saint-Antoine
Les cimetières de la ville
Les cimetières de Montréal
Un déménagement inhabituel ! La translation des restes du cimetière Saint-Antoine vers le cimetière Notre-Dame-des-Neiges (1854-1871)
Vivre ses morts
« Rien n’indique leur présence, sinon quelques croix dépourvues de texte explicatif, etc… »
Je trouve ça scandaleux, irrespectueux et une occasion ratée, encore une fois, d’informer les citoyens sur notre passé, comme tu viens de le faire avec deux textes fort intéressants. A l’opposé, on impose l’immense statue d’un homme au passé, disons discutable…
Décourageant.