« HA ha !… » au TNM

25 novembre 2011

Jusqu’au 10 décembre prochain, le Théâtre du Nouveau-Monde présente la pièce « HA ha !… » de Réjean Ducharme.

J’ai vu cette œuvre pour la première fois mardi dernier, et j’hésitais à vous en parler parce qu’il ne s’agit pas d’une pièce grand public.

Toutefois si vous êtes amateur de théâtre, si vous aimez les performances d’acteurs ou si vous êtes de nature audacieuse et curieuse, cette pièce vous plaira pour plusieurs raisons.

D’abord l’écriture de Réjean Ducharme — que je ne connaissais que de nom — ne ressemble à rien d’autre. On n’a aucune difficulté à imaginer à quel point cette pièce a pu paraitre originale et neuve au moment de sa création en 1978 puisqu’elle fait cette même impression trente ans plus tard.

Clairement, l’auteur ne recherchait pas le réalisme psychologique. Les quatre personnages, typés à la limite de la caricature, sont complètement déjantés. Leur délire nous séduit très tôt, plus précisément dès qu’apparait l’humour cynique et très spécial de l’auteur. Parce qu’il s’agit d’une pièce drôle en dépit de son propos tragique et désespéré.

Tous les comédiens y sont excellents. Ceci étant dit, permettez-moi d’être injuste : j’avoue avoir été complètement ébloui par la performance de Sophie Cadieux. Par son langage corporel qui trahit son refus des contacts physiques et sa manière d’étirer son texte d’une voix braillarde, elle compose un personnage de sainte-nitouche innocente et sexy qui lui va comme un gant et qui contraste avec le personnage exalté d’Anne-Marie Cadieux.

En fin de compte, l’auteur et le metteur en scène signent ici une œuvre parfaitement cohérente qui — par son audace, son climat de révolte réjouissante et son anticonformisme rappelant la fin des années’60 — fait écho dans la sphère privée à la décadence et à faillite morale des institutions d’aujourd’hui.

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’école des femmes, de Molière, au TNM

12 octobre 2011


 
Une des leçons que j’ai apprises de la Droite américaine, c’est qu’on vote avec son argent.

C’est pourquoi je me suis abonné cette année au Théâtre du Nouveau monde (TNM), ayant aimé le courage de ses dirigeants dans l’affaire Cantat.

La première pièce à l’affiche cette année est « L’école des femmes » de Molière, que j’ai vue hier soir.

Beaucoup de personnes s’imaginent que les pièces de Molière ne sont que des prétextes à des bastonnades et de coups de pied au derrière. Au contraire, cet auteur est un observateur fin des comportements humains. Ses textes sont écrits de manière si parfaite qu’ils justifient qu’on dise du français que c’est la langue de…

Le TNM présente donc une production de cette pièce où le texte est mis en vedette par deux moyens. D’abord par des comédiens qui l’articulent parfaitement, ce qui est élémentaire. Puis par un débit plus lent que ne le ferait une troupe française; l’accès à la prose de Molière, lorsque transposée en français moderne, nous est moins naturelle que pour nos cousins du vieux continent.

Tous les comédiens sont excellents. Pas seulement bons : excellents. Et Guy Nadon, dans le rôle principal, est au meilleur de sa forme. Drôle sans bouffonnerie inutile. Donnant vie à chaque ligne de texte de manière variée et imaginative. Une grande leçon de théâtre.

Les costumes rappellent plus le début du XIXe siècle que l’époque de Louis XIV mais toutes les libertés du metteur en scène sont parfaitement compatibles avec l’esprit du texte et par conséquent, sont des choix artistiques indiscutables.

Bref, le TNM débute en beauté les célébrations de son 60e anniversaire.

Détails techniques : Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm — 1/40 sec. — F/3,5 — ISO 100 — 14 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Mouawad et la guerre civile libanaise

26 avril 2011

Le dramaturge Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad est né au Liban le 16 octobre 1968. Il quitte son pays natal en 1976, émigre d’abord en France (où il demeurera sept ans) puis s’installe définitivement au Québec en 1983.

À 23 ans, il reçoit son diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada. Lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général du Canada dans la catégorie théâtre en 2000, il est récipiendaire en 2009 du Grand prix du théâtre de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre dramatique.

La guerre civile libanaise

La guerre civile libanaise déchira ce pays de 1975 à 1990. Elle fit entre 130,000 et 250,000 victimes civiles. Elle débute par une tentative d’assassinat à Beyrouth, la ville natale de Wajdi.

Le matin du 13 avril 1975, Pierre Gemayel (un ministre libanais) se rend à l’inauguration d’une église catholique dans la banlieue ouest de Beyrouth. Des miliciens pro-syriens échouent dans leur tentative de le tuer mais atteignent mortellement son garde du corps.

Quelques heures plus tard, en représailles, les miliciens de Pierre Gemayel arrêtent un autobus transportant 27 travailleurs palestiniens, l’aspergent d’essence, y mettent le feu et mitraillent tous ceux qui tentent de s’en échapper.

Je me rappelle vaguement d’une entrevue télévisée au cours de laquelle — si ma mémoire est bonne — Wajdi aurait déclaré avoir été témoin de ce massacre. Il avait six ans.

Cette journée du 13 avril 1975 marque le début officiel de la guerre civile libanaise. La tuerie survenue ce jour-là provoque une série d’actes de violence entre Musulmans et Chrétiens, chaque groupe enterrant ses martyrs et jurant de venger ses morts.

Au cours d’un samedi de décembre 1975, près de la capitale libanaise, les milices chrétiennes tuent 600 Musulmans pour venger la découverte, plus tôt cette journée-là, de quatre Chrétiens trouvés tués à coups de hache.

Le 18 janvier 1976, les milices chrétiennes tuent environ 1,500 Musulmans dans un quartier de Beyrouth-Est. Deux jours plus tard, les Palestiniens répliquent en attaquant la ville de Damour, située à 20 km au sud de Beyrouth, et y massacrent entre 300 et 1,500 Chrétiens.

Alors que s’accélère la violence inter-religieuse, la famille Mouawad quitte le Liban en 1976. Il est probable qu’à l’étranger, la famille de Wajdi a suivi les événements qui se déroulaient au Liban.

De tous les massacres qui ont jalonné cette guerre civile, le plus connu est celui de Sabra et de Chatila, du nom de deux camps palestiniens situés à la périphérie de Beyrouth.

Le massacre de Sabra et de Chatila

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne envahit le Liban et s’arrête aux portes de la capitale libanaise. Le 20 août suivant, les États-Unis obtiennent un accord de cessez-le-feu en vertu duquel les soldats de l’Organisation de libération de la Palestine quittent Beyrouth tandis que l’armée israélienne accepte de ne pas avancer davantage dans la ville.

Le 23 août 1982, Bachir Gemayel (le fils de Pierre Gemayel, dont il a été question plus haut) est élu président du Liban.

Le 14 septembre 1982, il meurt assassiné par un militant pro-syrien.

Le 15 septembre, l’armée israélienne répond à l’assassinat de leur allié en investissant Beyrouth-Ouest, contrairement à l’accord de cessez-le-feu signé un mois plus tôt. Israël justifie ce redéploiement par la nécessité de maintenir l’ordre et de détruire l’infrastructure laissée par les terroristes.

Les 16 et 17 septembre, alors que les camps de Sabra et Chatila sont encerclés par l’armée israélienne et que la population y est désarmée, l’armée israélienne laisse entrer les milices chrétiennes qui y tueront hommes, femmes et enfants pendant ces deux jours et ce, afin de venger la mort de Bachir Gemayel. Le massacre fit entre 800 et 3,500 victimes.

Dès les premières heures de la tuerie, de sa chambre de l’hôtel Hilton, l’ambassadeur américain en avait été choqué et en avait informé aussitôt Washington : l’administration Reagan était intervenue promptement auprès du gouvernement israélien mais s’était fait répondre sèchement que les opérations cesseraient lorsqu’elles seraient terminées.

L’implication indirecte de l’armée israélienne dans ce massacre avait fait scandale au sein même de la population israélienne ; sur la principale place de Tel-Aviv, des dizaines de milliers de Juifs manifestaient leur indignation contre ces massacres.

Le gouvernement de ce pays avait dû créer une commission d’enquête dont le rapport blâma mollement le ministre de la Défense d’Israël de l’époque, Ariel Sharon.

Toutefois, l’enquête avait révélé que les milices chrétiennes du Liban étaient financées par Israël et que le chef de la milice qui procéda au massacre, Elie Hobeika, recevait ses ordres directement d’Ariel Sharon.

En 2001, Elie Hobeika déclarait que si un tribunal international était institué pour juger Ariel Sharon — devenu Premier ministre d’Israël — pour crime de guerre, il serait prêt à témoigner contre lui. Quelques semaines plus tard, Hobeika décédait dans un attentat à la voiture piégée.

La guerre dans l’œuvre de de Wajdi Mouawad

Je n’ai vu que deux œuvres de Wajdi Mouawad.

D’abord le film « Littoral », qui raconte les complications que connait une famille libanaise désirant enterrer la dépouille d’un des leurs et qui découvre horrifiés que les soldats syriens (occupant le Liban) profanent les cercueils libanais afin d’y voler les bijoux et arracher l’or des obturations dentaires des cadavres.

J’ai assisté également à la pièce de théâtre « Ciels » qui décrit le fonctionnement d’une équipe d’experts chargés d’intercepter et de décrypter des messages afin de prévenir des attentats terroristes.

À partir de cet aperçu de l’œuvre de Wajdi, il m’apparait évident que l’auteur dramatique québécois a été profondément marqué par les événements tragiques de son pays d’origine et par le cycle de représailles et de vengeances qui y ont alimenté la guerre civile.

Dans sa réponse à l’affaire Cantat, Wajdi Mouawad écrivait dans Le Devoir : « je tiens la justice comme l’espace pacificateur auquel je me dois de me rallier coûte que coûte, si je veux faire barrage à la barbarie de la vengeance que j’exècre plus que tout tant elle a déchiré le pays qui m’a vu naître

Références
Aimée, ma petite chérie
Elie Hobeika
Guerre du Liban
Karantina massacre
Massacre de Damour
Massacre de Sabra et Chatila
Wajdi Mouawad

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La Belle et la Bête au TNM : une éblouissante nullité

6 février 2011


 
Le Théâtre du Nouveau-Monde présente jusqu’au 12 février prochain — avec quelques supplémentaires au-delà de cette date — une version contemporaine de « La Belle et la Bête ».

Essentiellement, une bonne partie du merveilleux qu’avait la version originelle de ce conte a été évacuée au profit d’effets spéciaux assez réussis de Michel Lemieux et Victor Pilon.

Mais à part les prouesses technologiques indiscutables de ces deux créateurs, le texte prétentieux et vide de Pierre-Yves Lemieux plombe très vite l’intérêt pour cette œuvre.

En deux mots : aucun des personnages de la pièce n’est attachant. On s’attend à une histoire d’amour et on assiste à une suite de brillantes chorégraphies visuelles espacées par des dialogues creux, dépourvus de tendresse.

La Bête (jouée par François Papineau) n’inspire ni la crainte, ni la fascination que suscitait Jean Marais dans le film de Cocteau, ni même la pitié. L’absence de sex-appeal de la Bête québécoise rend difficilement compréhensible la séduction qu’il exerce sur la Belle, devenue ici artiste rebelle.

On peut donc présumer que le « message » de la pièce, c’est que même la laideur peut constituer une source d’inspiration pour des artistes contemporains aptes à la sublimer par leur art. Cette hypothèse expliquerait alors la fascination de la Belle pour la Bête. C’est mince.

Après quarante minutes, je commençais déjà me demander si je devais rester jusqu’à la fin. À cause de l’absence d’entracte, je suis finalement sorti — exaspéré — dix minutes avant la tombée du rideau.

Détails techniques de la photo : Panasonic GF1, objectif Lumix 20mm F/1,7 — 1/8 sec. — F/1,7 — ISO 800 — 20 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Les merveilleux mensonges du baron Münchhausen

28 janvier 2011
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Le théâtre Denise Pelletier est situé dans mon quartier (Hochelaga-Maisoneuve). Du 12 janvier au 10 février, on y présente la pièce « Münchhausen — Les machineries de l’imaginaire » qui raconte les aventures de Karl-Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen (1720-97).

Après une courte carrière militaire en Russie contre les Turcs, ce noble allemand prend sa retraite à 24 ans afin de se consacrer à l’administration de son domaine. Au cours des réceptions qu’il donne par la suite, le baron prend l’habitude de divertir ses invités en leur racontant ses exploits de jeunesse. Comme des histoires de pêche, d’une fois à l’autre, ceux-ci s’amplifient et deviennent de plus en plus extraordinaires. Au grand plaisir de tous. Car le baron est un merveilleux fabulateur.

Un de ses amis, écrivain, publie à Londres en 1786 un recueil de ces aventures. Cette publication obtient alors un immense succès, ce qui incitera une troupe ambulante à créer en France un spectacle basé sur la traduction de Théophile Gauthier. Pendant près de 200 ans, de 1797 à 1974, le Théâtre Galimard & Fils ne présentera qu’une seule pièce : celle basée sur les aventures du baron.

En 1988, on en a fait un film (qui est passé à la télévision récemment) sur lequel est basée l’adaptation présentée hier soir chez Denise-Pelletier.

Les récits du baron n’ont pas la poésie et l’humanisme de ceux de Fred Pellerin. En contrepartie, ce spectacle est — littéralement — un pur divertissement. N’y cherchez pas une réflexion profonde sur la condition humaine : il n’y en a pas et on s’en fout. Après quelques minutes, toute rationalité disparaît chez le spectateur : ce dernier devient alors, pendant plus de deux heures, un grand bébé émerveillé devant l’invraisemblance outrageuse des aventures du baron.

Je n’ai pas vérifié si, dans la salle, il restait quelqu’un qui n’avait pas le sourire étampé au visage durant le spectacle mais je serais très surpris qu’il y ait eu. J’avais mal dormi la veille et normalement j’aurais du m’assouplir un peu, ça et là, au cours de la représentation. D’autant plus que j’ai vu le film il y a moins de deux semaines. Or je ne suis pas ennuyé une seule minute.

Bref, si vous cherchez un agréable divertissement, le voici. C’est du bonbon.

Détails techniques de la photo : 
Panasonic GF1, objectif Lumix 20mm F/1,7 — 1/40 sec. — F/1,7 — ISO 100 — 20 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Avare au Monument-National

18 juillet 2010

Dans le cadre du festival Juste pour rire, on présente cette année l’Avare de Molière jusqu’au 31 juillet 2010.

Cette production possède la particularité de n’être éclairée que par des bougies. Des centaines de bougies. Pour le spectateur, jamais cela n’est ressenti comme une lacune tant on a pris soin de tirer parti de ce choix artistique : mise en scène frontale, maquillage pâle (donc réfléchissant), etc. Par moments, des comédiens vont jusqu’à jouer étendus sur la scène, le visage près des chandelles, une audace que même Benjamin Lazar — dans sa production éblouissante du Bourgeois gentilhomme, disponible sur DVD zone 2 — n’avait osée.

L’unique décor de la pièce, est simple; un escalier monumental, une table servant aussi de porte, et des lustres. Au lieu des décors métalliques du Bourgeois gentilhomme, l’arrière-fond est noir et mat. En somme, rien qui puisse nous distraire du génie littéraire de Molière.

La mise en scène de Serge Postigo est irréprochable. Par exemple, dans cette pièce (comme dans beaucoup d’autres), souvent les personnages pensent tout haut en s’adressant à l’assistance. Au lieu de gommer cette convention théâtrale, Postigo la souligne par un artifice (que je ne dévoilerai pas) qui la transforme en running gag.

Les défauts? Il y en a deux. L’Avare, incarné par Luc Guérin est toujours drôle mais jamais attachant. Lorsqu’on lui vole sa cassette — qui renferme toute sa fortune — il s’agit d’une occasion unique de faire ressentir le côté pathétique de cet homme dépossédé de tout.

De plus, une scène qui mériterait plus de soin est celle où la marieuse tente de soutirer un peu d’argent à l’avare. À la représentation à laquelle j’ai assisté, cette scène manquait de contraste.

Mais tout cela ne compte que pour moins de 5% de la pièce. Le reste est du bonbon.

Je n’essaierai pas de dresser la liste des comédiens qui méritent mes éloges; ils sont trop nombreux. D’abord, je serais injuste de passer sous silence la performance magistrale de Luc Guérin (malgré mon reproche ci-dessus). De plus, j’avoue avoir grandement apprécié le jeu de Bruno Marcil (le fils de l’avare), probablement le meilleur Cléante que j’ai vu à ce jour.

À moins d’être sourd et aveugle, il est impossible de ne pas rire au cours de cette production inventive où tous les acteurs réussissent à nous faire oublier du début à la fin, nos tracas et nos petits soucis. Chaudement recommandé.

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Écrit par Jean-Pierre Martel