Drones : quand la russophobie tourne à la névrose

Publié le 20 octobre 2025 | Temps de lecture : 5 minutes

La semaine dernière, un quotidien montréalais publiait un texte visant à souligner la vulnérabilité du Canada aux drones.

On comprend que le survol d’un aéroport danois par un drone d’origine inconnue puisse paralyser temporairement ses opérations. Ou que le survol d’une base militaire ou d’un site ultrasecret européen puisse compromettre la sécurité nationale d’un pays.

Toutefois, on peut se demander quel serait l’intérêt d’un pays ennemi (dirons la Russie) à survoler l’Arctique canadien. Nuire à la chasse aux phoques ? Perturber la migration des troupeaux de caribous ?

Il est indéniable que dans le cadre d’une Troisième Guerre mondiale, la Russie chercherait à détruire, par des missiles, nos barrages hydroélectriques puisque cela perturberait non seulement l’alimentation électrique du Québec, mais également celle des États américains qui dépendent partiellement de notre électricité.

Mais le survol de notre territoire par des drones est d’une importance militaire très limitée.

Drones domestiques vs drones militaires

Il faut distinguer les petits drones domestiques (qui fonctionnent à pile) des drones militaires (qui fonctionnent au carburant).

Lorsqu’on allume une voiture électrique dans des conditions hivernales, la première chose qu’elle fait est de réchauffer les cellules de sa batterie puisque ses performances chutent à basse température. Ce que ne font pas les drones domestiques.

De plus, la distance minimale séparant les côtes russes des côtes québécoises dépasse 3 600 km, soit la distance entre Montréal et Vancouver.

Aucun drone domestique n’est capable d’une telle autonomie. En clair, dans l’Arctique, leur dangerosité pour le Canada est nulle.

C’est ce que Norad a tenté de faire comprendre à la journaliste.

Après s’est fait dire que pour que Norad intervienne contre un drone, l’incident doit être d’une ampleur telle qu’il nécessite une réponse de défense nationale, l’expert Éric Sauvé va plus loin et lui précise subtilement : « En bas d’un certain seuil [de dangerosité], ce n’est pas une préoccupation pour le Norad

Un autre expert consulté ajoute que le fait que faire voler des drones dans le froid polaire représente un défi, en raison de la faible autonomie des batteries et de la glace qui peut se former sur les ailes.

Interrogé quant à savoir si le Canada était capable de détecter la présence de drones sur l’ensemble du territoire canadien, particulièrement en Arctique, le ministère de la Défense ne s’est même pas donné la peine de répondre.

Quant aux drones militaires, un des experts déclare : « un drone de 1,5 mètre, quels dommages ça peut faire ? Pratiquement rien. […] En termes de capacité de collecte [d’informations], c’est très limité aussi

Ce qui est amusant à la lecture de cet article, c’est à quel point la journaliste est sourde à ceux qui tentent de lui faire comprendre la futilité de sa quête.

Elle se laisse donc convaincre par une entrepreneur qui travaille à développer une technologie capable de détecter les drones dans l’Arctique.

Quand celui-ci lui déclare que si un brise-glace hostile naviguant dans les eaux internationales envoyait un drone dans l’espace aérien canadien, il est plus que probable qu’on n’en saurait rien, il ne vient pas à l’esprit de la journaliste que les eaux internationales dans l’Arctique, cela n’existe pas.

En effet, depuis 1986, le Canada estime que les eaux de l’archipel arctique constituent des eaux intérieures, sous souveraineté du Canada. Ce que la Russie ne conteste pas, mais que refusent de reconnaitre les États-Unis.

D’autre part, tous les brise-glaces russes et tous les navires chinois qui naviguent au-delà du cercle polaire le font dans l’Arctique russe, navigable une bonne partie de l’année, et non dans l’Arctique canadien, bloqué onze mois par année.

Conclusion

Depuis 2014, l’Otan, les chefs d’État atlantistes, et les agences de presse occidentales (financées secrètement par Washington) font valoir la nécessité d’augmenter substantiellement nos dépenses militaires.

Déjà, cette fabrication du consentement a rallié une bonne partie des journalistes canadiens.

Le texte du Devoir en est un exemple.

Il est coiffé d’un titre qui ressemble beaucoup plus à une hypothèse de départ qu’à la conclusion d’une démonstration irréfutable. Son plus grand défaut est d’escamoter les couts nécessaires à pallier la menace, mineure selon le Norad, des drones russes.

Parce fondamentalement, nous sommes en présence d’un choix politique; voulons-nous consacrer des sommes colossales à nous protéger d’une invasion militaire russe qui, du moins au Québec, n’arrivera pas ou voulons-nous consacrer cet argent à des fins plus utiles ?

Références :
En Arctique, le Canada vulnérable aux drones
Hausse des dépenses militaires : la fabrication du consentement
La géopolitique de l’Arctique

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La géopolitique de l’Arctique

Publié le 13 janvier 2025 | Temps de lecture : 9 minutes


 
Une région essentiellement vierge

L’Arctique est la région entourant le pôle Nord comprise à l’intérieur du cercle polaire.

Les territoires de huit pays franchissent le cercle polaire et s’étendent donc jusqu’en Arctique : d’ouest en est, ce sont les États-Unis (par le biais de l’Alaska), le Canada, le Danemark (par le biais du Groenland), l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.

Les zones économiques exclusives (ZÉE) de la Russie et du Canada couvrent la majeure partie de l’Arctique. Des deux, c’est la Russie qui a le plus prospecté le potentiel économique de sa ZÉE.

À partir de ce qu’on en sait, l’Agence internationale de l’énergie estime que le sous-sol de l’Arctique contient 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves mondiales de gaz fossile encore inexploitées.

À 95,6 % dans le cas du pétrole et à 98,4 % dans le cas du gaz fossile, ces réserves se trouvent dans les ZÉE des pays riverains de l’océan Arctique.

De la même manière que la Chine décrite par Marco Polo faisait rêver les Européens de son temps, les richesses minérales de l’Arctique d’aujourd’hui sont l’objet de spéculations.

Même si plusieurs mines sont déjà en activité à l’intérieur du cercle polaire, on aurait tort de croire que le potentiel minier de l’Arctique est bien connu.

Lorsqu’on affirme que l’Arctique est riche de tel minerai, c’est que ce minerai est exploité quelque part dans la région. Est-ce que ce minerai se trouve ailleurs en Arctique ? Le trouve-t-on un peu partout à l’intérieur du cercle polaire ? Généralement, personne ne le sait.

Toutefois, ce qu’on sait, c’est que cette région renferme des terres rares. Comment le sait-on ? Parce que, contrairement à ce que suggère leur nom, les terres rares ne sont pas rares du tout; on les trouve en très petite concentration partout sur terre

En Arctique comme ailleurs, ce potentiel est sous-exploité pour deux raisons. Premièrement, à cause de leurs procédés de raffinement encore très polluants. Et deuxièmement, parce que la Chine vend ses terres rares à des prix tellement compétitifs que cela dissuade l’ouverture de mines concurrentes ailleurs dans le monde.

Un passage

Au-delà du fantasme des puissances à la recherche de métaux stratégiques, l’Arctique occupe une position importante en tant que voie de navigation maritime durant la saison chaude.

Sur une représentation aplatie du globe terrestre, relier la Chine à l’Europe par l’Arctique est légèrement plus court qu’effectuer le détour par le canal de Suez.

Sur un globe terrestre, cette distance est nettement inférieure. Même si, pour ce faire, il faut passer par le détroit de Béring.

Par exemple, la distance maritime entre Shanghai et le port néerlandais de Rotterdam est de 20 700 km lorsqu’on passe par le canal de Suez, et de 15 000 km lorsqu’on passe par la Route polaire de la soie. Le passage par cette dernière prend même deux jours de moins que par la plus rapide Route terrestre de la soie (celle qui traverse la Sibérie).

De plus, en longeant les côtes de la Fédération de Russie, cette route est la seule voie maritime importante qui n’est pas contrôlée par les États-Unis.

La Russie y voit un moyen d’exporter ses hydrocarbures aux marchés asiatiques par le biais de ses ports sibériens.

La Russie possède déjà la plus importante flotte de brise-glaces, composée de 55 navires actifs. Certains d’entre eux sont les plus puissants au monde, capables de naviguer dans une banquise de 2,8 mètres d’épaisseur.

D’ici 2030, ils seront suivis par une nouvelle classe de brise-glaces à propulsion nucléaire, capables de fendre lentement une banquise épaisse de quatre mètres et de naviguer à 19 km/h au travers d’une banquise de deux mètres d’épaisseur.


 
L’avantage de la Russie est que la banquise d’été de l’Arctique permet davantage la navigation maritime du côté russe que du côté canadien. En d’autres mots, sans l’aide de brise-glaces, la Route polaire de la soie est navigable plus longtemps que le Passage du Nord-Ouest canadien.

Lorsqu’on s’inquiète de l’augmentation de la présence chinoise en Arctique, on doit savoir que tout cela est limité à l’Arctique russe; la Chine cherche à améliorer les installations portuaires qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Autrefois, cette présence accrue concernait également quelques projets miniers et aéroportuaires au Groenland que les pressions américaines sur le Danemark ont fait avorter.

La Chine ne s’est jamais considérée comme une puissance arctique (ce qui serait ridicule) et n’a jamais eu la prétention de l’être.

Pour prouver les ambitions nordiques de la Chine, on répète souvent que la Chine a demandé (et obtenu) le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, un forum international voué à la promotion du développement durable de l’Arctique en matières sociales, économiques et environnementales.

Toutefois, on oublie de préciser que treize autres pays ont obtenu ce statut d’observateur dont la Suisse, l’Italie et l’Inde, trois pays aussi peu nordiques que la Chine.

D’autre part, le vieillissement des installations de NORAD — ce système de détection canado-américain essentiel à la protection de l’Amérique du Nord — peut certainement justifier de nouveaux investissements.

Mais les justifier au nom de la menace chinoise grandissante en Arctique relève du néo-maccarthysme; la Chine investit en Arctique russe pour assurer la liberté de son commerce avec l’Europe et non pour menacer notre sécurité nationale.

L’Arctique canadien

Le Canada a toujours considéré que le passage au travers des iles canadiennes de l’Arctique faisait partie de ses eaux territoriales. En conséquence, le Canada exige que les bateaux étrangers qui l’empruntent lui en demandent la permission.

Les États-Unis ont toujours refusé de reconnaitre la souveraineté du Canada à ce sujet. Pour ne pas perdre la face, le Canada délivre les autorisations nécessaires aux navires américains sans qu’ils en fassent la demande.

Avec le réchauffement climatique, on assiste à une augmentation du transport maritime en Arctique. De 2011 à 2024, le nombre de navires qui ont navigué dans l’Arctique canadien a augmenté de près de moitié.

Aussi impressionnant que cela puisse paraitre, il s’agit en fait de 466 navires l’an dernier, comparativement 319 il y a plus d’une décennie. En somme, c’est un ou deux bateaux par jour durant la belle saison. On est loin des dizaines de milliers de navires qui empruntent annuellement le canal de Suez.

Libres de prospecter le Grand Nord canadien sans études d’impact rigoureuses, les minières ont découvert un petit nombre de gisements intéressants qui ont mené à l’ouverture de mines.

Si bien que de 2013 à 2023, ce sont des vraquiers — transportant du minerai brut — qui représentent essentiellement l’augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien, notamment dans sa partie orientale (le Nunavut).

Conclusion

De toutes les cibles militaires situées en sol québécois, le complexe hydroélectrique de La Grande est la cible potentielle la plus nordique. Or celle-ci se trouve à 5,2 mille kilomètres des côtes arctiques de la Russie, soit environ une fois et demie la distance entre Montréal et Vancouver.

Ce complexe n’est pas hors de portée d’un missile intercontinental ennemi. Toutefois, en raison des conditions climatiques qui règnent dans cette partie du monde, cette région est le plus improbable théâtre d’une guerre.

En effet, les chars d’assaut, les fantassins et même l’aviation de belligérants perdraient un temps précieux à traverser une région inhospitalière dépourvue d’importance stratégique. De plus, cette longue traversée à découvert priverait cette attaque de tout effet de surprise et favoriserait l’anéantissement des troupes qui y participeraient.

Contrairement à un pays comme la Norvège — dont le littoral arctique est beaucoup plus développé que le Grand Nord canadien puisqu’environ dix pour cent de la population de ce pays y habite — la militarisation de l’Arctique devrait être la moindre des priorités militaires du Canada, à l’exclusion de la protection contre des missiles intercontinentaux.

D’autre part, les compagnies minières s’emploient ces jours-ci à alimenter les journalistes et les chroniqueurs de rapports complaisants qui présentent l’Arctique comme un eldorado moderne, riche en minerais essentiels à notre développement économique.

Ce qu’on néglige de dire, c’est que toute exploitation des ressources minières de l’Arctique n’est compétitif — en comparaison avec des mines concurrentes situées ailleurs dans le monde — qu’au prix de subventions étatiques colossales.

Références :
Augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien en 2024
China’s new technology achieves ‘unprecedented’ rare earth production speed
Conseil de l’Arctique
De plus en plus de navires circulent dans le passage du Nord-Ouest
Géopolitique de l’Arctique : une région sous haute tension
How the Pentagon Countered China’s Designs on Greenland
Implications of a melting Arctic
La géopolitique de l’Arctique, entre fantasmes et réalité
La Russie lance son second brise-glace de combat
L’obsession pas si folle de Trump pour le Groenland
The US is picking a fight with Canada over a thawing Arctic shipping route

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Écrit par Jean-Pierre Martel