Introduction
Depuis 1991, l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay font partie du Marché commun du Sud, surnommé Mercosur.
Ces jours-ci, l’Union européenne (UE) s’apprête à signer un traité de libre-échange avec ces pays.
Le texte de l’accord prévoit que, sur un échéancier de quinze ans, les pays du Mercosur supprimeront leurs droits de douane sur 91 % de leurs importations européennes (notamment sur les voitures européennes, actuellement taxées à 35 %).
En contrepartie, sur une décennie, l’UE abolira ses droits de douane sur 92 % de ses importations mercosuriennes. Ce qui privera l’UE de quatre-milliards d’euros de revenus tarifaires.
D’abord la délocalisation industrielle…
En octobre 2022, au sujet des sanctions européennes contre la Russie, nous écrivions :
Ne pouvant plus compter sur les hydrocarbures bon marché en provenance de Russie, le prix de l’énergie dans l’Union européenne sera plus élevé que dans la plupart des pays concurrents de l’Europe. Et ce, pour quelques années.
On peut donc anticiper que cette remondialisation s’accompagne d’une délocalisation industrielle.
C’est effectivement ce qui s’est produit. Mais ce n’est pas tout.
Le 27 juillet 2025, l’accord de Turnberry, conclu entre Donald Trump et Ursula von der Leyen prévoit que l’UE garantira 600 milliards d’euros d’investissements européens supplémentaires aux États-Unis.
Essentiellement, cette fortune servira à transférer des capacités européennes de production vers les États-Unis. En d’autres mots, l’UE s’engage à accroitre, voire à financer, son propre déclin industriel.
…puis la perte de souveraineté alimentaire
Après ce sabotage industriel, l’UE s’attaque maintenant à son agriculture.
Le modèle néolibéral qui prévaut en Europe, c’est que les grands groupes agro-alimentaires maximisent leurs profits en mettant en concurrence les producteurs d’aliments de base.
Et puisqu’il est beaucoup plus facile de rendre unique un produit transformé et donc, de faire accepter au consommateur de payer plus cher pour l’obtenir, la marge de profit des produits transformés est beaucoup plus grande que celle des aliments de base. D’où la précarité des paysans européens.
Cette précarité s’est accrue avec l’abandon de la gestion de l’offre en 1992 et l’augmentation considérable des exigences règlementaires de Bruxelles.
• Le poulet ukrainien
Dans le cas du poulet, l’UE a soumis ses propres producteurs à une concurrence déloyale en permettant au demi-milliard de poulets produits annuellement en Ukraine d’entrer librement sur le marché européen sans respecter les normes qui y sont en vigueur.
Les règles concernant la traçabilité ne permettent pas aux consommateurs de s’opposer à ce tsunami puisque les poulets ukrainiens se retrouvent dans des croquettes et cordons-bleus avec l’estampille de l’UE.
• Les légumineuses et le blé canadiens
D’autre part, en raison de la morphologie du territoire européen, les agriculteurs y sont menacés par tout traité de libre-échange avec des pays où il est possible de réaliser des économies d’échelle grâce aux immenses terres agricoles qu’on y trouve. C’est le cas du Canada.
En dépit du fait que certains pays européens refusent de ratifier l’Accord économique et commercial global conclu entre le Canada et l’UE, la Commission européenne l’applique illégalement depuis 2017.
Cela permet aux légumineuses canadiennes empoisonnées au glyphosate d’être vendues en Europe moins cher que les légumineuses soumises à la règlementation de Bruxelles (qui interdit cette pratique).
De la même manière, de 2019 à 2023, les exportations de blé canadien vers l’UE ont explosé. Ce qui fait que ce blé produit massivement (également empoisonné au glyphosate) fait une concurrence déloyale aux producteurs européens, avec la bénédiction de Bruxelles.
• La viande du Mercosur
Le traité de libre-échange avec le Mercosur que s’apprête à signer Bruxelles permettra aux vastes exploitations agricoles d’Amérique du Sud d’inonder l’Europe de leurs aliments. Des aliments produits selon des normes moins exigeantes et donc moins couteuses que celles auxquelles sont astreints les producteurs agricoles de l’UE.
En contrepartie, les constructeurs automobiles allemands espèrent se lancer à la conquête du marché sud-américain sans soupçonner que la population du Mercosur pourrait préférer acheter des voitures chinoises (électriques ou non) qui offrent un bien meilleur rapport prix-qualité.
• La souveraineté alimentaire de la France
Dans le secteur agricole, jusqu’en 2004, la France avait un excédent commercial non seulement à l’égard des pays membres de l’Union européenne, mais également face au reste du monde.
À partir de 2004 — ce qui correspond à l’entrée dans l’UE de pays agricoles de l’ancienne Union soviétique — l’excédent avec le reste de l’Europe a diminué alors qu’il s’accroissait avec les pays hors de l’Europe.
Au total, de nos jours, la balance commerciale de l’agriculture française est excédentaire de 7 à 9 milliards d’euros par année.
Cet excédent, elle le doit grâce à sa production de vins et de spiritueux (excédentaire de quinze-milliards d’euros), ce qui est compensé par un déficit commercial de 4 milliards pour la production de fruits et de légumes, à quoi s’ajoute un déficit d’environ 4 autres milliards pour la viande.
En somme, pour nourrir sa population, la France dépend maintenant de l’Étranger.
L’entrée en vigueur en 2026 d’un traité de libre échange avec les pays du Mercosur produira des effets analogues à ceux produits en 2004 par l’élargissement de l’UE vers l’Est.
Cela entrainera la disparition d’un certain nombre de producteurs agricoles incapables de résister à la concurrence déloyale de leurs collègues sud-américains (ces derniers étant exemptés des exigences phyto-sanitaires de Bruxelles).
En cas de guerre
À partir du moment où un pays doit importer une partie de ses aliments de base, cela signifie qu’il doit imposer un rationnement alimentaire à sa population dès qu’il entre en guerre.
Et c’est sans compter les protéines végétales (soya et tourteaux), importées principalement des États-Unis et du Brésil, dont les éleveurs français ont absolument besoin pour nourrir leurs cheptels.
La France n’aura aucune difficulté à s’approvisionner auprès de pays voisins.
Toutefois, au sujet des vivres importés d’Europe de l’Est, il faudra anticiper que des groupes malveillants détournent vers d’autres pays des aliments destinés à la France. Comme ce fut le cas des masques N95 au début de la pandémie au Covid-19.
Quant à l’importation de denrées en provenance des pays du Mercosur ou des provinces canadiennes productrices de céréales et de légumineuses — les uns et les autres situés à six-mille kilomètres des côtes européennes — tout cela devra se faire en traversant un océan infesté de sous-marins hostiles.
D’où la question :
Face à l’ennemi, quelle force peuvent opposer des pays armés jusqu’aux dents, mais dont les soldats ne mangent pas à leur faim ?
Conclusion
Après avoir favorisé la délocalisation de leurs industries manufacturières vers le Sud global et ainsi saboté la puissance industrielle nécessaire à tout effort de guerre, après avoir poussé à la faillite une partie de leur paysannerie, certains pays européens s’imaginent qu’il suffit de se doter d’armes puissantes pour triompher de tout.
En réalité, en cas de guerre, leur population sera condamnée à vivre sur des tickets de rationnement parce que la production de denrées aura été délocalisée en 2026 par la dictature technocratique de Bruxelles.
Références :
Aides d’État à l’agriculture : plus de 18 milliards d’euros depuis 2021
À l’heure du mercosur, quel avenir pour l’agriculture française ? (vidéo)
Guerre russo-ukrainienne et désindustrialisation de l’Europe
Le loup dans le poulailler de l’Europe
Les lentilles canadiennes empoisonnées au défoliant avant la récolte
Les Etats-Unis et l’UE ont « conclu un accord » commercial de droits de douane généraux de 15 %, annoncent Donald Trump et Ursula von der Leyen
Les insatiables ambitions du roi du poulet ukrainien
Marché commun du Sud
Que contient l’accord UE-Mercosur et quels sont les points contestés ?
Écrit par Jean-Pierre Martel