Le premier sabotage européen
Trois semaines après son retour au pouvoir, plus précisément le 12 février 2025, Donald Trump et Vladimir Poutine se sont entendus pour entamer incessamment des pourparlers en vue de mettre fin à la guerre en Ukraine.
Trois autres semaines plus tard, seize pays et deux organisations supranationales (l’Union européenne et l’Otan) participaient au Sommet de Londres sur l’Ukraine. De plus, ce 2 mars 2025, les pays européens les plus belliqueux se regroupaient en ‘Coalition des volontaires’.
Selon Wikipédia, ce sommet avait pour but la rédaction d’un plan de paix dans le cadre du conflit russo-ukrainien.
Sans qu’on sache très bien à quoi cela ressemble à un plan de paix, ces pays ont résolu de maintenir l’aide militaire à l’Ukraine et même de poursuivre cette fourniture au-delà de tout accord de paix afin de dissuader la Russie d’envahir de nouveau ce pays.
Le 7 mars 2025, Donald Trump cessait la fourniture d’armes et de données satellitaires à l’Ukraine. Et ce, à la stupéfaction de ses alliés occidentaux puisque la précision des frappes ukrainiennes réalisées à l’aide d’armement européen en dépend.
En somme, la décision de Trump équivalait à priver l’armée ukrainienne de nouvelles livraisons d’armes et du pouvoir utiliser les armes les plus puissantes qu’elle avait déjà.
Après un intense ballet diplomatique de part et d’autre de l’Atlantique, la fourniture des données américaines fut reprise quatre jours plus tard.
Pendant que Trump répétait une énième fois son intention de terminer cette guerre, la Coalition de volontaires proposait l’idée d’envoyer sur la ligne de front une force d’interposition destinée à faire respecter un cessez-le-feu imposé unilatéralement à la Russie sous menace de sanctions en cas de refus.
Alors résumons.
La Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine parce qu’elle juge que le déploiement des armées de l’Otan à 500 km de Moscou est un risque sécuritaire inacceptable pour elle.
Malgré cela, elle accepterait que ces mêmes pays de l’Otan (mais pas l’Otan elle-même) déploient leurs armées à 500 km de Moscou.
Concrètement, quelle est la différence ?
L’intervention européenne auprès de Trump équivalait à lui dire : ‘Laissez-nous essayer notre méthode — un mélange de sanctions plus sévères et de livraison d’armes plus puissantes — et vous verrez; l’Ukraine gagnera d’ici peu parce que la Russie est à bout de souffle.’
Évidemment, tout cela n’a rien donné si ce n’est de gagner du temps.
Le deuxième sabotage européen
Le 26 octobre dernier, la télévision russe diffusait en entier un entretien entre Vladimir Poutine et général Valery Guerassimov.
À l’occasion de cet exercice de propagande, le chef militaire déclarait que dans les villes de Koupiansk et de Pokrovsk, environ 10 500 soldats ukrainiens étaient totalement encerclés et étaient en voie d’être anéantis par l’armée russe.
Jusque-là, Washington s’était fié aux comptes-rendus rassurants de Kyiv. Or l’analyse des données satellitaires américaines donnait plus de poids aux affirmations de Moscou qu’à celles de Kyiv.
Selon le géopoliticologue Jaques Baud, la perspective d’un effondrement du front ukrainien (au nord et au centre) aurait suscité une très vive inquiétude au sein de l’administration Trump. Ce qui l’aurait incité à concocter en toute urgence un cadre pour le règlement du conflit.
Le 18 novembre dernier, le média électronique Axios révélait que l’administration Trump préparait un plan secret en 28 points destiné à servir de base à des négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine.
Après un nombre incalculable de sanctions, Washington n’a plus de levier pour forcer la Russie à accepter quoi que ce soit. Voilà pourquoi le document américain fait une place de choix aux exigences russes.
Conformément aux vœux de Washington, Vladimir Poutine s’est dit favorable à ce que la position américaine serve de base à des négociations ultérieures. Un appui qu’il a accordé avec d’autant plus d’empressement qu’il présumait, à juste titre, que le plan américain serait jugé totalement inacceptable par Kyiv.
Pour faire contrepoids aux consultations avec la Russie, la diplomatie américaine a procédé plus tôt cette semaine à des pourparlers avec l’Ukraine, accompagnée de ses plus importants partenaires européens.
Ceux-ci ont préparé le 23 novembre un document en 19 points où tout ce qui ne convenait pas aux dirigeants ukrainiens a été purgé. Si bien que cette contre-offre est l’antithèse du plan que Trump a soumis aux belligérants.
La contre-offre européenne (COE)
• La taille de l’armée ukrainienne après la guerre
La COE propose que l’Ukraine puisse se doter d’une armée de 800 000 hommes en temps de paix, soit davantage que ce que propose l’administration Trump (600 000 hommes).
On doit savoir que les deux membres de l’Union européenne qui possèdent les plus grosses armées sont l’Italie et la France, avec respectivement 338 et 304 mille hommes.
En raison de la présence menaçante de son redoutable voisin, l’Ukraine pourrait donc se doter, au maximum en temps de paix, d’une armée équivalente à celle combinée de ces deux pays.
• Pertes territoriales ukrainiennes
Les différentes versions du plan américain divergent quant à l’étendue exacte des pertes territoriales que subirait l’Ukraine. En gros, elles représentent les zones déjà conquises par l’Armée rouge.
Au contraire, la COE veut que le territoire de l’Ukraine revienne à ce qu’il était au moment de l’indépendance du pays en 1991.
Le principe qui guide les alliés européens de Kyiv, c’est que le crime doit être puni. Puisque la Russie est un envahisseur, la dernière chose à faire est de la récompenser pour son crime, disent-ils.
À entendre l’indignation des pays membres de la Coalition des volontaires face à l’invasion russe, on ne croirait jamais que ce sont d’anciennes puissances coloniales…
• La reconstruction de l’Ukraine
En vertu du Droit international, un pays peut saisir les avoirs d’un pays ennemi, mais pas de les confisquer. En d’autres mots, on peut empêcher la Russie d’accéder à ses biens, mais on ne peut pas en disposer à sa place.
La banque centrale de Russie possède des réserves de change évaluées à environ 270 milliards d’euros, dont 210 milliards logés dans ses comptes à Euroclear, un organisme international de dépôts de fonds établi en Belgique. Les 60 milliards restants se trouvent aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni, en Suisse et en Australie.
Selon le plan de Trump, cent-milliards de dollars seraient prélevés des fonds russes gelés à Bruxelles et seraient utilisés à la reconstruction de l’Ukraine.
La moitié de cette somme serait confiée à des gestionnaires d’actifs (comme BlackRock) qui accorderaient les contrats de reconstruction à des firmes américaines et peut-être quelques miettes à des entreprises européennes.
La Russie n’a pas du tout l’intention de payer pour la reconstruction de l’Ukraine. Mais plutôt que s’opposer frontalement à Trump, Poutine a choisi d’appuyer son plan à titre de base de discussion. Ce qui ne veut pas dire qu’il consent à toutes ses dispositions.
La COE propose plutôt que ces fonds servent à financer l’effort de guerre de Kyiv.
Puisque l’administration Trump a décidé de ne plus donner d’armes à l’Ukraine, mais à les vendre à l’Otan (qui refilerait la note à l’Union européenne), cette dernière aimerait financer cela en pillant les avoirs bruxellois de la Russie.
• Les garanties de sécurité pour l’Ukraine
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie n’a pas eu besoin de ‘garanties de sécurité’. Elle a simplement abandonné sa rhétorique belliqueuse contre ses ennemis d’hier et décidé de reprendre ses liens commerciaux avec eux.
L’administration Trump s’oppose à l’entrée de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique (comme s’y opposait également l’administration Biden) et ne veut pas que l’Otan stationne des troupes dans ce pays.
Au contraire, les alliés européens de Kyiv souhaitent que l’Otan puisse y stationner des troupes (mais ‘pas de manière permanente’), et désirent que l’Otan poursuive son expansion vers l’Est.
Ce qui signifie qu’éventuellement, l’Ukraine pourrait en faire partie.
D’ici là, la COE propose que l’Ukraine soit protégée par l’article 5 du Traité de l’Otan, c’est-à-dire qu’elle dispose de tous les avantages de l’adhésion à l’Otan sans en faire partie.
Puisqu’un des deux prérequis à toute participation de la Russie à des négociations de paix est la renonciation définitive de l’Ukraine à adhérer à l’Otan, la stratégie poursuivie par la Coalition des volontaires consiste donc à s’assurer que ces négociations n’auront pas lieu et donc, à saboter l’effort de paix de Washington.
Préparer la guerre de revanche
À l’issue de la Première Guerre mondiale, la France a récupéré l’Alsace-Lorraine, un territoire qu’elle avait perdu lors de la guerre franco-prussienne de 1870.
Aux yeux des hypernationalistes ukrainiens, la protection offerte par l’article 5 du traité de l’Otan (proposée par la COE) est capitale afin de permettre à l’Ukraine de procéder en toute impunité à son réarmement en vue d’une guerre de revanche contre la Russie.
Déclenchée quelques années plus tard, celle-ci permettrait à l’Ukraine de récupérer les territoires perdus à l’issue de cette guerre-ci.
La camisole de force de Zelensky
On s’imagine généralement qu’il suffit de mettre ensemble les chefs d’État de deux pays belligérants, de les empêcher de s’échapper avant la conclusion d’un accord de paix, pour qu’ils finissent par s’entendre.
Malheureusement, ce n’est pas cela que les choses se passent dans la vraie vie.
Quand une guerre oppose deux pays éloignés — les États-Unis et le Vietnam ou l’Afghanistan — le conflit peut s’arrêter quand l’envahisseur plie bagage et rapatrie ses troupes.
Mais une guerre entre deux pays limitrophes ne s’arrête que lorsque le perdant capitule. Or dans ce cas-ci, le perdant, c’est l’Ukraine.
Le problème, c’est que l’article 2 de la Constitution ukrainienne déclare que le territoire national est indivisible. De plus, la loi ukrainienne interdit toute participation à des rencontres internationales où serait négociée une partition du territoire ukrainien.
C’est donc à dire que Zelensky se trouve dans un carcan juridique qui l’oblige à ne rien céder. En somme, à espérer une défaite russe qui n’arrivera pas et, entretemps, à assister, impuissant, à l’anéantissement progressif de son pays.
Comment un pays capitule-t-il ?
Juridiquement, la meilleure issue à cette guerre est la nomination par le parlement ukrainien d’un délégué plénipotentiaire — il s’agit généralement du chef des armées — dont le mandat est de négocier la paix sans que cela implique l’arrêt des hostilités au cours de cette négociation.
De plus, le parlement lui accorderait l’immunité contre toute poursuite ultérieure.
L’acte de capitulation du Troisième Reich a été signé par le général Alfred Jodl au nom du Haut commandement des forces armées allemandes. L’armistice italien a été signé par le général Giuseppe Castellano au nom du gouvernement italien.
À l’issue des négociations secrètes, ce délégué, investi de tous les pouvoirs (d’où son qualificatif de plénipotentiaire), signe l’acte de capitulation.
L’idéal serait que cette capitulation soit inconditionnelle. Ce qui lui éviterait de négocier les pertes territoriales de l’Ukraine.
Et parce que ce traité est supranational, il a juridiquement préséance sur les dispositions contraires de la constitution ukrainienne et des lois qui en découlent.
Théoriquement, Zelensky pourrait être investi des pouvoirs d’un délégué plénipotentiaire. Mais avec son taux d’impopularité, il n’a pas l’autorité de faire déposer les armes aux irréductibles qui voudront continuer le combat.
Seul un militaire de haut rang, estimé de ses troupes, pourra faire entendre raison aux mutins et écraser impitoyablement ceux qui tenteront de renverser le pouvoir intérimaire placé à la tête du pays d’ici de nouvelles élections.
Conclusion
Depuis son retour au pouvoir le 20 janvier de cette année, Donald Trump a tenté deux fois de régler le conflit russo-ukrainien.
Chaque fois, les dirigeants européens les plus belliqueux ont saboté ses efforts en espérant retarder l’heure de vérité.
L’heure de vérité, c’est lorsque les peuples d’Europe se demanderont à quoi ont servi les milliards d’euros que leurs dirigeants ont englouti dans une guerre perdue d’avance. Dans une boucherie qui aura fait inutilement plus d’un million de morts.
Quel respect portera-t-on à ces chefs d’État qui se seront avérés impuissants à modifier le cours de l’Histoire et qui ont révélé, aux yeux de tous, l’étendue de la vassalisation de leur pays à l’hégémonie américaine ?
C’est dans un contexte comme celui-ci que les régimes tombent…
Références :
Coalition des volontaires
Comment les occidentaux comptaient-ils démembrer la Russie ? (vidéo)
Jacques Baud – Le plan de Paix Américain en 28 points (vidéo)
Gel des avoirs russes : au nom du droit, de la justice et des intérêts
Les États-Unis annulent des livraisons d’armements vers l’Ukraine
Le sommet Poutine-Trump à Anchorage : un ‘anchoragement’ modeste
Maxar rétablit l’accès de l’Ukraine aux données satellitaires
Pourparlers sur l’Ukraine : des avancées, mais encore beaucoup de travail
Putin trying to negotiate an end to Ukraine war as he cannot win it on battlefield, says EU’s Kallas
Renseignement et satellites d’observation : arrêt sur image en Ukraine…
Russia-Ukraine war: What’s a ‘coalition of the willing’, Europe’s new plan?
Scoop: Trump plan asks Ukraine to cede additional territory for security guarantee
Sommet de Londres sur l’Ukraine
Sommet européen sur l’Ukraine : les faits saillants
Ukraine : Pokrovsk, l’effondrement d’un récit et la réalité d’une armée à bout de souffle
Un tournant majeur dans la guerre en Ukraine
« Vous n’êtes pas seuls » : des dirigeants européens appuient Zelensky face à Trump
Washington met de la pression sur l’Ukraine en suspendant son aide militaire
Zelensky est plus impopulaire que jamais après près de trois ans de guerre : les grands médias l’admettent
Zelensky says revised peace plan “doable” after key changes
![]()
Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.
Cher Jean-Pierre,
On dirait un texte écrit par la Russie !
«conflit russo-ukrainien.» Il n’y a pas de conflit russo-ukrainien.
Il y a agression russe sur l’Ukraine.
La Russie doit être vaincue, sinon c’est le système démocratique mondial qui en sortira affaibli et avec des ennemis revigorés et plus audacieux encore.
Tout le reste est enfarinage.
Vous en savez des choses.
Je conserve ce blogue hyper intéressant