Justin Trudeau et la camisole de force constitutionnelle de 1982

25 janvier 2023

Introduction

La clause dérogatoire est un article qui permet de soustraire une loi provinciale ou fédérale aux exigences de la Canadian Constitution et lui éviter d’être déclarée anticonstitutionnelle par les tribunaux.

Au cours d’une entrevue accordée récemment à La Presse, le premier ministre canadien a reproché aux provinces de recourir abusivement à cette clause et réitéré son intention d’obtenir de la Cour suprême une jurisprudence qui en limiterait l’usage.

Sans attendre qu’une cause concrète soit présentée devant la Cour suprême, le gouvernement fédéral veut l’obliger à se prononcer à ce sujet par le moyen d’une requête spéciale appelée renvoi.

Le moteur du renouvèlement constitutionnel canadien

C’est l’adoption de la Loi 101 par le gouvernement péquiste de René Lévesque en 1977 qui a motivé le gouvernement canadien à entreprendre la rédaction d’une nouvelle constitution. Celle-ci est entrée en vigueur cinq ans plus tard.

Jusque là, le British North America Act, voté par le parlement de Londres en 1867, faisait office de constitution canadienne et régissait le fonctionnement du pays.

Mais la Loi 101 était une loi révolutionnaire qui ajoutait au droit canadien la notion de droits collectifs; elle établissait les bases juridiques du droit du peuple francoQuébécois d’assurer sa survie en protégeant le français au Québec.

Pour contrer la Loi 101, les stratèges d’Ottawa eurent l’idée d’une nouvelle constitution dont l’élément central fut une charte des droits et libertés.

Celle-ci vise à consacrer la suprématie absolue des droits individuels puisque ceux-ci comprennent implicitement le droit de s’assimiler au groupe linguistique de son choix.

Ce principe — le droit de s’assimiler au groupe linguistique de son choix — était à la base de la loi 63 adoptée en 1969 par le gouvernement québécois de l’Union Nationale.

En ouvrant toutes grandes les portes de l’école publique anglaise à n’importe qui, elle forçait le peuple francoQuébécois à financer sa propre extinction.

Le Québec tout entier fut scandalisé par la stupidité du gouvernement de l’Union Nationale. À l’élection suivante, ce parti politique fut rayé de la carte.

Droits fondamentaux vs caprices constitutionnels

Dans leur zèle à consacrer la suprématie des droits individuels sur les droits collectifs, les rédacteurs de la Charte canadienne des droits ont élevé de simples caprices au rang de droits constitutionnels.

À titre d’exemple, il est indéniable que croire en une religion est un droit fondamental. De la même manière, se réunir dans un lieu de culte l’est également.

Mais les manifestations extérieures de la foi — porter des breloques ou des bijoux en forme de symboles religieux — ne sont pas des droits, mais de simples caprices décoratifs.

Dans son entrevue à La Presse, on aurait aimé que le premier ministre canadien nous précise ce qu’il a à l’esprit lorsqu’il déclare : « On est en train de banaliser la suspension des droits fondamentaux.». Quels droits fondamentaux ?

l’abolition du droit de grève en Ontario

S’il parle de la décision du premier ministre ontarien (à laquelle il a aussitôt renoncé) de retirer le droit de grève à certains employés du secteur public, on voit mal la différence entre cette décision et l’adoption d’une loi spéciale qui force le retour au travail des grévistes, ce qui est parfaitement constitutionnel et revient au même.

En réalité, le tabou au sujet de la clause dérogatoire vise à préserver le mythe selon lequel Pierre-Elliot Trudeau (le père du premier ministre actuel) serait descendu de la colline parlementaire avec une constitution sacrée sous le bras comme Moïse est descendu du mont Sinaï avec la Table des dix commandements…

la loi 96 du Québec

S’il parle de la loi 96, destinée à renforcer la Loi 101, quels sont les droits fondamentaux que violerait cette loi ?

Le droit de nos petits Rhodésiens de ne pas apprendre le français à l’école anglaise ?

Le droit des entreprises montréalaises d’imposer le bilinguisme à leurs employés lorsque cette exigence n’est pas nécessaire, exerçant ainsi une discrimination à l’embauche contre quatre-millions de francoQuébécois unilingues ?

Est-ce que c’est ça que monsieur Trudeau veut perpétuer ?

la loi 21 du Québec

Cette loi interdit l’expression publique d’une appartenance confessionnelle aux fonctionnaires en position d’autorité et aux enseignants du secteur public. Et ce, seulement dans l’exercice de leurs fonctions.

Les interdits de cette loi sont ceux qu’on trouve déjà dans des lois analogues adoptées par de nombreuses démocraties européennes. Des interdits déjà validés par leurs plus hautes instances juridiques.

Or de simples croyances, qui ne sont retrouvées dans aucun texte sacré — par exemple, la croyance en l’obligation de porter le niqab ou la burka — ont été promues au Canada au rang de droits constitutionnels, au même titre que le droit à la vie.

Conséquemment, la Canadian Constitution élève des fixations identitaires (le port de chiffon et de breloques) au rang de droits fondamentaux.

Plutôt que de regretter que les auteurs de la Canadian Constitution n’aient pas vu la montée de l’intégrisme religieux financé par l’Arabie saoudite, le premier ministre canadien désavoue implicitement les centaines de milliers d’Iraniennes qui, ces jours-ci, risquent leur vie en protestant contre un voile qu’une théocratie obscurantiste veut leur imposer.

Les incohérences idéologiques d’Ottawa

Dans son entrevue à La Presse, le premier ministre s’objecte à ce que les provinces invoquent la clause dérogatoire de manière préventive.

À son avis, il serait préférable qu’elles attendent qu’une loi soit déclarée anticonstitutionnelle avant de lui ajouter une clause dérogatoire (si elles jugent toujours cette loi nécessaire).

Et du même souffle, il réitère son intention de procéder à un renvoi auprès de la Cour suprême au sujet de l’utilisation de la clause dérogatoire par les provinces.

Or un renvoi est essentiellement préventif; il consiste à demander l’avis de la Cour suprême avant même qu’elle ait à se prononcer dans le cadre d’une cause concrète présentée devant elle.

De plus, pour bien alerter les lecteurs de La Presse au sujet des menaces qui planent sur les droits fondamentaux à travers le monde, il donne l’exemple de l’invalidation récente de l’arrêt Roe c. Wade (au sujet de l’avortement) par la Cour suprême des États-Unis.

Comble de l’incohérence, il professe sa foi dans les tribunaux pour protéger les droits fondamentaux. Malheureusement pour lui, ce que cet exemple démontre, c’est précisément qu’on ne peut pas compter sur eux.

En 1982, le gouvernement canadien et les provinces anglophones du pays adoptaient une nouvelle constitution à l’issue d’une séance ultime de négociation tenue secrète et à laquelle le Québec n’avait pas été invité.

Limiter le recours à la clause dérogatoire par les provinces, c’est limiter la capacité du Québec d’échapper à la camisole de force constitutionnelle que l’ethnie dominante du Canada lui a imposée pour contrer son pouvoir de protéger notre langue et notre culture.

Puisque cette constitution est leur constitution et non la nôtre, on ne voit pas pourquoi nous devrions hésiter à déroger d’un contrat que nous n’avons pas signé.

Références :
Actes de l’Amérique du Nord britannique
Disposition de dérogation – Legault reproche à Trudeau de vouloir « s’attaquer au peuple québécois »
Disposition de dérogation – Trudeau envisage de se tourner vers la Cour suprême
Laïcité : juges contre démocratie
Le compromis oublié
Le défilé des Rhodésiens
Loi 101
Loi constitutionnelle de 1982
Loi 63
Lois d’exception au Québec depuis 1986
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche

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2 commentaires

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Écrit par Jean-Pierre Martel