La révocation du passeport des djihadistes canadiens

Publié le 5 février 2015 | Temps de lecture : 3 minutes

Le 30 janvier dernier, le gouvernement canadien annonçait le projet de loi C-51, destiné à instaurer un certain nombre de mesures antiterroristes. Celles-ci rejoignent parfaitement celles que je proposais douze jours plus tôt.

Aujourd’hui, j’aimerais proposer une mesure supplémentaire. Il s’agit de donner aux services de renseignement le pouvoir de révoquer le passeport des citoyens canadiens lorsqu’ils ont des raisons de croire que ces citoyens sont partis à l’étranger combattre en faveur d’organisations terroristes.

Précisons qu’il n’est pas question ici de révoquer la citoyenneté canadienne des présumés djihadistes — ce qui en ferait des apatrides — mais simplement leur passeport. Ce dernier n’est qu’un document administratif qui atteste de leur citoyenneté. Ce n’est pas la citoyenneté elle-même.

En se présentant au comptoir de sa compagnie aérienne ou à un poste frontalier, la personne concernée apprend que le passeport qu’elle détient n’est plus valide : elle doit donc en obtenir un nouveau auprès du consulat ou de l’ambassade la plus proche.

Si cette personne a réussi à se rendre jusqu’au contrôle frontalier d’un aéroport canadien, elle est déportée dans le pays d’où elle vient jusqu’à ce qu’elle normalise sa situation.

Si cette personne possède une double citoyenneté, elle peut rentrer au pays sous cette autre citoyenneté mais son séjour au pays devient limité à quelques mois et, possiblement, conditionnel à l’obtention d’un visa.

De manière générale, dans le but d’obtenir un passeport, il y a deux procédures; la procédure standard (qui prend de dix à vingt jours) et le service urgent (qui prend 24h si on accepte de payer des frais supplémentaires de 100$, ou de deux à neuf jours si on paie 50$).

On n’a pas besoin de justifier pourquoi on recourt au service expresss : il suffit de payer.

En demandant un nouveau passeport, la personne soupçonnée d’être djihadiste devra se soumettre à un interrogatoire des services des renseignements. Aucun passeport ne lui sera délivré sans cet interrogatoire, d’une durée maximale d’une journée.

Si le requérant répond aux questions de manière satisfaisante, le passeport lui sera délivré comme il le serait à n’importe quel autre demandeur.

Par opposition, si le requérant ne répond pas d’une manière jugée satisfaisante, la délivrance du passeport sera conditionnelle à l’acceptation de porter un bracelet électronique. Ce bracelet devra être porté tant et aussi longtemps que les services de renseignement canadien le jugeront approprié.

Évidemment, une fois au pays, la personne concernée pourra s’adresser aux tribunaux civils afin de faire lever toute entrave à sa liberté.

Références
Dépôt d’un projet de loi antiterroriste qui ratisse large
La tuerie de Charlie Hebdo : les lacunes du renseignement (4e partie)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La tuerie de Charlie Hebdo : les lacunes du renseignement (3e partie)

Publié le 17 janvier 2015 | Temps de lecture : 8 minutes

De la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à l’effondrement du mur de Berlin, le monde se divisait en deux clans hostiles; les Communistes et le monde libre.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, nous sommes entrés dans un autre monde bipolaire; les terroristes et nous.

Tous les services de renseignement s’emploient à les différencier. Mais se peut-il qu’on ne naisse pas terroriste ? Et si on le devient, comment empêcher cette radicalisation ?

La plus grande menace terroriste qui plane actuellement sur les pays occidentaux est celle des milieux intégristes musulmans, mieux organisée et mieux financée que toute autre.

Si l’exclusion sociale prédispose à la criminalité, elle ne semble pas avoir grand importance dans la genèse du terrorisme, en dépit de ce que terrorisme en Europe semble suggérer.

Comme nous l’avons vu dans le second volet de cette trilogie, cette genèse nécessite seulement la rencontre de deux pré requis : un élément déclencheur et l’exposition à des idées radicales.

Si on devait enquêter auprès de chaque terroriste afin de savoir quel a été, dans son cas, cet élément déclencheur qui l’a bouleversé et rendu réceptif à une idéologie extrémiste violente, on obtiendrait sans doute autant de réponses qu’il aura de répondants.

Dans tous les cas où ce déclencheur est connu, il fait partie du contentieux déjà connu entre Musulmans et pays occidentaux. Ce contentieux s’articule autour de deux pôles : le conflit israélo-palestinien et la multiplication des guerres suscitées par les pays occidentaux dans des pays musulmans.

La guerre coloniale qu’Israël livre en Palestine

Tous les prétextes sont bons pour déposséder les Palestiniens de leurs terres, pour détruire leurs sources de revenus, pour massacrer ceux d’entre eux qui se révoltent, et pour implanter des colonies juives.

Fondamentalement, les dirigeants israéliens font aujourd’hui ce que les autorités britanniques ont fait pour affamer, puis décimer les peuples autochtones de l’Amérique du Nord afin de peupler leur territoire de braves pionniers européens.

Les 16 et 17 septembre 1982, alors que les camps palestiniens de Sabra et Chatila au Liban sont encerclés par l’armée israélienne et que la population y avait été désarmée, l’armée israélienne laisse entrer les milices chrétiennes qui y tueront hommes, femmes et enfants pendant deux jours. Le massacre fit entre 800 et 3 500 victimes. Ce carnage suscita une indignation généralisée, même en Israël.

À travers le monde, la population palestinienne est estimée à environ 11 millions de personnes, dont 3,7 millions en Palestine. On comprend donc l’importance de ce massacre pour ce peuple.

Au cours de la Seconde intifada, les soldats israéliens tiraient des balles réelles sur des adolescents arabes qui leur lançaient des pierres. De plus, l’armée israélienne postait des tanks devant les hôpitaux bombardés, tanks qui avaient pour mission de tirer sur les ambulances qui y apportaient des blessés.

Depuis quelques années, le gouvernement canadien est devenu l’allié inconditionnel d’Israël, contrairement au gouvernement américain qui exprime régulièrement des réserves précisément au sujet de cette politique coloniale.

Le Canada endosse totalement les politiques israéliennes en territoires occupés. Notre pays considère que les Palestiniens doivent éviter toute violence et accepter passivement la dépossession dont ils sont l’objet, comme les autochtones canadiens, idéalement, auraient dû le faire quand le colonisateur britannique les a confinés à des réserves indiennes.

Évidemment le zèle canadien expose notre pays (ses représentants et la population qui les porte au pouvoir), au ressentiment de ceux qui sont opposés violemment à cette politique coloniale.

La politique extérieure du gouvernement Harper augmente donc les risques que des attentats terroristes soient commis au pays.

La prévention du terrorisme au pays passe donc vers une révision de notre politique extérieure afin de la purger de ses éléments extrémistes et inutilement provocants.

Ceci étant dit, on aurait bien tort de croire qu’il suffirait d’adopter une politique extérieure rose-bonbon pour nous soustraire à la menace terroriste. Afin d’attirer du financement, les groupes terroristes ont besoin de réussir leurs attentats quelque part, n’importe où.

Les guerres suscitées en pays musulmans

La guerre du Golfe (1990-1991)

D’aout 1990 à février 1991, les États-Unis ont mené une coalition de 34 pays afin de délivrer un pays arabe, le Koweït, envahi par un pays voisin, l’Irak. Cette guerre justifiée par le Droit international a fait 1 100 morts et à peu près autant de blessés.

La guerre d’Afghanistan (2001-2014)

Les attentats du 11 septembre 2001 à New York étaient implicitement une déclaration de guerre contre les États-Unis. Leur réaction — la guerre d’Afghanistan — se justifiait donc par la légitime défense.

Dans un premier temps, les États-Unis se sont contentés de fournir une aide logistique aux rebelles Afghans (l’Armée du Nord) afin qu’ils chassent les Talibans du pouvoir.

Puis, à la demande des nouveaux dirigeants du pays, les pays occidentaux ont occupé l’Afghanistan.

Selon Wikipedia, cette guerre et cette occupation étrangère se sont soldées par la mort de plus de 20 000 personnes parmi la population civile.

La guerre d’Irak (depuis 2003)

La Guerre d’Irak et l’occupation militaire qui a suivi avaient pour but de libérer le pétrole irakien de l’embargo international dont il était l’objet et lui permettre d’être écoulé librement sur les marchés mondiaux afin d’en abaisser le prix.

Le décompte des pertes civiles en Irak varie selon les études. Il serait compris entre 100 000 et 1 450 000 morts.

La guerre civile libyenne (depuis 2011)

À l’occasion du Printemps arabe, divers soulèvements ont éclaté en Libye. Les pays membres de l’OTAN ont armé les rebelles et ont procédé au bombardement des défenses gouvernementales libyennes.

Après la chute du dictateur libyen, les mercenaires étrangers qui ont participé à ce renversement sont repartis avec leurs armes. Certaines de ces milices se sont mises depuis au service d’Al-Qaida au Sahel.

La guerre civile syrienne (depuis 2011)

Après avoir soutenu et armé les rebelles jugés modérés au régime de Bachar el-Assad, les États-Unis ont assisté, impuissants, à la montée en force des milices radicales de l’État islamique.

Celles-ci ont profité du vide créé par l’effondrement de l’état syrien pour créer une vaste zone de chaos et de violence en Syrie et en Irak.

Selon Wikipédia, le nombre de morts reliés à la guerre civile syrienne serait de l’ordre de 100 000 à 130 000.

La mondialisation du chaos

Le développement des moyens de transport a favorisé les échanges transfrontaliers. De nos jours, les appareils photo et les caméras captent des images prêtes immédiatement à être diffusées à travers le monde. Grâce à l’internet, textes et photos voyagent à la vitesse de la lumière.

Mais la mondialisation du commerce et de la finance s’est accompagnée de la confrontation d’idées et de cultures très différentes, voire opposées, qui s’ignoraient jusqu’ici en raison de l’éloignement.

Dans un premier temps, les gouvernements occidentaux ont puisé dans cette somme colossale d’information pour prouver leur supériorité morale et justifier la mission civilisatrice de leurs interventions militaires à l’étranger.

En semant la guerre et la désolation, les pays occidentaux ont favorisé les contrats d’armements au bénéfice de leur industrie militaire. Dans les pays atteints et les pays voisins, ils ont favorisé la fuite des capitaux et celle des cerveaux à leur avantage.

En contrepartie, ils ont favorisé l’émergence de dizaines de milliers de guerriers dont la seule expertise est dans l’art de piller, de violer et de détruire.

Ces barbares vivent à quelques heures de route d’Europe et à une dizaine d’heures de vol d’Amérique. Leurs idées sont à quelques millisecondes des ordinateurs de nos adolescents.

Selon un adage, celui qui sème le vent récolte la tempête. Il peut donc sembler naïf de penser qu’on peut semer la mort et la désolation sans susciter la haine et le désir de revanche.

C’est pourtant ce phénomène auquel nous assistons. Mais puisque nos gouvernements ne sont pas prêts à modifier leur politique étrangère prédatrice à l’égard des pays musulmans producteurs de pétrole, ils en sont réduits à essayer de contenir le mal qu’ils ont créé.

Dans le dernier texte de cette série, nos passerons en revue les moyens de lutte défensive contre le terrorisme.

Références :
Armée syrienne libre
Deuxième guerre civile libyenne
Guerre civile syrienne
Guerre d’Afghanistan (2001-2014)
Guerre d’Irak
Guerre du Golfe
La guerre en Irak ou l’aveuglement collectif américain
La mission canadienne en Afghanistan ou la perpétuation de coutumes arriérées
Le décès d’Ariel Sharon, criminel de guerre
Loi sur les Indiens
Mouammar Kadhafi
Première guerre civile libyenne
Syrie : la Turquie et les Etats-Unis à la rescousse de Kobané

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Écrit par Jean-Pierre Martel


L’Arabie saoudite et le financement d’Al-Qaida

Publié le 10 décembre 2010 | Temps de lecture : 5 minutes
© 2010 — Google Maps

Avant le régime taliban en Afghanistan

Oussama ben Laden est l’un des 54 enfants — nés des 22 épouses —de Mohammed Ben Laden, un entrepreneur saoudien. Ce dernier est propriétaire de la Bin Laden Construction group, une des plus riches entreprises de construction au monde et détentrice de nombreux contrats d’exclusivité avec le gouvernement saoudien. Les actifs globaux du Groupe Ben Laden sont évalués à cinq milliards de dollars.

En 1979, le prince Turki Al Fayçal — chef des services secrets de l’Arabie saoudite de 1977 à 2001 — offre 200 millions de dollars à Oussama ben Laden afin qu’il organise le départ des volontaires saoudiens désirant s’impliquer en Afghanistan contre l’invasion russe de ce pays.

Oussama ben Laden se rapproche alors de Gulbuddin Hekmatyar, un chef fondamentaliste local et principal bénéficiaire des 3,3 milliards de dollars d’aide officielle des États-Unis aux rebelles afghans contre les Russes (un montant à peu près équivalent étant, dit-on, fourni par l’Arabie saoudite).

Quelques années plus tard, en 1994, la montée des Talibans coïncidera avec leur saisie de l’importante réserve d’armes de Gulbuddin Hekmatyar (dont nous venons de parler) à Kandahar. Cette prise leur permettra de prendre le contrôle de la moitié du pays.

En février 1989 les Soviétiques annoncent leur retrait d’Afghanistan. Les États-Unis et l’Arabie saoudite ayant atteint leur objectif, arrêtent le financement et le soutien logistique massif aux rebelles en 1990.

À son retour en Arabie saoudite, Oussama ben Laden est accueilli en héros. Dans les mosquées, les écoles, et à l’université, il organise des conférences au sujet de son combat contre l’armée soviétique. Il recueille alors des fonds de sympathisants servant à financer sa milice.

Lors de la Première guerre du Golfe (1990-1991), Oussama ben Laden propose au roi d’Arabie d’utiliser cette milice pour défendre le pays contre une possible invasion des troupes irakiennes. Le roi refuse et préfère ouvrir son territoire à l’armée américaine.

Furieux, Ben Laden s’indigne que des soldats non-musulmans viennent souiller le sol sacré de l’Islam (l’Arabie saoudite étant la Terre sainte selon les Musulmans). Il va jusqu’à accuser de corruption la dynastie régnante dans ce pays.

En représailles, l’Arabie saoudite le prive de sa nationalité en 1994. Il reste discrètement en relation avec certains membres du régime saoudienc: en effet, avec ses 7,000 princes, la famille royale est peu unie.

Durant le régime des Talibans (1997-2001)

Le régime des Talibans ne sera reconnu officiellement que par trois pays : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Pakistan.

En 1999, le prince saoudien Turki Al Fayçal (à titre de chef des services secrets de l’Arabie saoudite), verse 267 millions$ à un chef taliban en Afghanistan.

Tout au cours de ce régime, l’Arabie saoudite, principale puissance sunnite, inspire intellectuellement et finance les madrasas, ces écoles coraniques à la base du mouvement taliban. Par le radicalisme de leur enseignement, ces écoles s’avéreront des pépinières de terroristes.

Le 11 septembre 2001, les attentats-suicides d’Al-Qaida sont perpétrés aux États-Unis par 19 terroristes dont 15 étaient de nationalité saoudienne. Ces attaques provoquent la Guerre en Afghanistan (où sont basés les camps d’entrainement d’Al-Qaida). Entretemps, les États-Unis tentent par tous les moyens de tarir les sources de financement d’Al-Qaida (comme ils le font présentement avec WikiLeaks).

Après le renversement du régime taliban

Peu après la fin officielle de cette guerre, des milliers de Talibans non-afghans (dont beaucoup de Saoudiens) décèdent au cours du massacre à la prison de Mazar-i-Sharif. Ceux qui ne s’y trouvaient pas retournent dans leur pays d’origine. Certains d’entre eux constituent depuis des cellules dormantes d’Al-Qaida en Arabie et des sympathisants donateurs.

En 2003, les experts s’accordaient pour dire qu’une grande partie des revenus d’Al-Qaida provenaient de donateurs saoudiens. Leurs dons sont versés soit directement, soit par le biais d’organismes de charité ou d’écoles coraniques servant de paravent au financement de cette organisation terroriste.

En décembre 2006, plus d’une trentaine d’ecclésiastiques saoudiens se prononcent contre l’invasion de l’Irak et invitent tous les Sunnites à s’y opposer. En 2007, près de la moitié des insurgés étrangers en Irak sont des Saoudiens qui combattent pour Al-Qaida.

« Les donateurs privés en Arabie saoudite demeurent la principale source mondiale de financement de groupes terroristes sunnites », tels qu’Al-Qaida et les talibans afghans et pakistanais, déplorait l’ambassade américaine en Arabie dans cette note datée de 2009 et révélée par WikiLeaks cette semaine.

L’ambassade estime également qu’une partie de cette somme est collectée auprès de sympathisants à l’occasion du pèlerinage annuel à La Mecque et du Ramadan.

De plus, les hauts responsables talibans, lorsqu’ils se rendent en Arabie saoudite pour participer à des discussions sur le thème de la réconciliation, se livrent également à la collecte d’argent.

Références :
Documents Back Saudi Link to Extremists
Dasht-i-Leili massacre
Oussama ben Laden
Saudi Arabia: In al-Qaeda’s Sights
Saudi Arabia’s Dubious Denials of Involvement in International Terrorism
Saudi Arabia’s Links to Terrorism
Saudis faulted for funding terror
Taliban
US embassy cables: Hillary Clinton says Saudi Arabia ‘a critical source of terrorist funding’
WikiLeaks cables portray Saudi Arabia as a cash machine for terrorists

Parus depuis :
Des princes saoudiens auraient financé al-Qaïda (2015-02-05)
« Swissleaks » : HSBC abritait aussi des « parrains du terrorisme » (2015-02-11)

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Écrit par Jean-Pierre Martel