Les scrupules à géométrie variable du fédéral au sujet du Québec

Publié le 8 février 2018 | Temps de lecture : 8 minutes


 
Introduction

Le 5 février dernier, au Salon aéronautique de Singapour, la compagnie texane Bell Helicopter Textron annonçait la vente de seize hélicoptères Bell 412EPI aux Philippines. Il s’agit d’un contrat de 233 millions$US.

Ces appareils seront produits à l’usine québécoise de la compagnie où travaillent 900 personnes.

Le Bell 412EPI, illustré ci-dessus, est capable de transporter un maximum de quatorze passagers. Il est utilisé principalement pour des missions de sauvetage, de reconnaissance et du transport de passagers. Mais il peut également transporter des militaires.

Dans les faits, ces appareils seront utilisés pour des opérations de sécurité interne de l’armée.

Inquiétude quant aux droits de la personne

Cette entente suscite l’inquiétude en raison des violations des droits de la personne par l’armée philippine depuis que le pays est dirigé par Rodrigo Duterte, l’autoritaire président du pays.

Ce dernier s’est déjà vanté d’avoir lui-même jeté un criminel d’un hélicoptère en haute altitude.

Hélène Laverdière, porte-parole néodémocrate en matière d’affaires étrangères, s’en est publiquement inquiétée, de même qu’Andrew Scheer, le chef du Parti conservateur.

Si bien que deux jours après l’annonce de cette vente, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il mènera une enquête avant de l’autoriser.

Le Canada veut-il cesser de vendre de l’armement militaire ?

À de multiples reprises sur ce blogue, j’ai écrit que le complexe militaro-industriel est un cancer puisqu’il exige continuellement de nouvelles guerres afin de maintenir les emplois.

Si le Canada désire cesser complètement l’exportation de matériel militaire, je serai le premier à applaudir à cette décision.

Mais si les scrupules du fédéral ne sont qu’un prétexte pour nuire à l’économie du Québec alors qu’on ferme les yeux lorsque de l’armement est produit dans les provinces anglophones du pays, c’est une autre histoire.

Récemment, la vente des blindés canadiens a été suspendue, mais n’a pas été annulée. Il est clair que si le Canada l’annulait, il lui serait difficile de justifier auprès de l’opinion publique canadienne-anglaise qu’il annule la vente à l’Arabie saoudite sans faire de même pour la vente aux Philippines.

Les blindés saoudiens vs les hélicoptères philippins

L’Arabie saoudite et les Philippines sont deux pays qui violent les droits de la personne à des degrés divers puisque l’un est en guerre et l’autre ne l’est pas.


 
À ma connaissance, il était prévu que les blindés vendus par le Canada à l’Arabie saoudite (photo ci-dessus) devaient transiter par la Belgique où une tourelle dotée d’une mitraillette devait être ajoutée avant de parvenir à l’Arabie saoudite.

Même en supposant que cette information soit inexacte, il demeure que le blindé canadien était équipé par défaut d’un canon.

Théoriquement, les hélicoptères Bell 412EPI pourraient servir à transporter des militaires au combat comme le ferait n’importe quel moyen de transport. Avec la différence qu’un hélicoptère peut amener des soldats là où des routes ne se rendent pas.

Dans les faits, ces appareils ne sont pas équipés de mitraillettes. Dans une embuscade, les passagers de l’appareil ne peuvent tirer que par les portes latérales. Ces hélicoptères sont donc extrêmement vulnérables sur un champ de bataille.

Tout au plus peuvent-ils transporter des militaires près des zones de combat sans s’en approcher.

En somme, ils serviront à l’armée sans être, strictement parlant, des appareils de combat.

Conséquemment, il n’y a aucune comparaison entre la vente de blindés — conçus pour tuer — et la vente d’hélicoptères en eux-mêmes totalement dépourvus d’aptitudes meurtrières.

S’empêcherait-on de vendre des autos à l’armée philippine en sachant qu’il serviront à transporter du personnel militaire ? Il me semble qu’il y a une limite à l’angélisme…

Bref, le Canada ne peut interdire la vente d’hélicoptères québécois et permettre la vente de blindés ontariens sans faire preuve de principes à géométrie variable qui font soupçonner des motifs plus profonds à cette discrimination.

Une comparaison avec Bombardier

Tout cela me rappelle le cas de la division aéronautique de Bombardier.

Le développement de la CSeries a été le plus important projet de recherche et développement au Canada depuis les vingt dernières années. Le fédéral n’y a pas investi un sou.

Quand la compagnie s’est retrouvée à court de liquidités, le fédéral n’a accordé qu’un prêt remboursable sous le prétexte que toute subvention serait contraire à l’ALÉNA.

Mais un mois plus tard, le fédéral accordait une subvention (c’est-à-dire un don) de 100 millions$ à Ford Canada. Du fait que ce don n’était pas fait directement au fabricant automobile mais plutôt à son centre de recherche, cela était conforme à l’ALÉNA.

On se demande pourquoi cela n’était pas possible pour Bombardier…

Le silence du gouvernement Couillard

Pour revenir à Bell Helicopter, on s’étonne du silence de Dominique Anglade, la volubile ministre de l’Économie du Québec.

En 2011, le gouvernement libéral n’a rien trouvé à redire quand, par le biais d’un contrat de construction navale de 36 milliards$, le gouvernement fédéral a délocalisé la construction navale canadienne du Québec vers deux provinces anglophones.

Le gouvernement Couillard n’a pas non plus été ému par la vente de différents fleurons de l’économie québécoise, rappelant que l’inverse était vrai lorsque le dollar canadien valait plus que la devise américaine.

Et le gouvernement Couillard n’a pas protesté de la manière avec laquelle le fédéral traitait Bombardier Aéronautique, estimant que la compagnie n’avait pas vraiment besoin d’argent.

Alors que le contrat des blindés canadiens a été défendu bec et ongles par la première ministre ontarienne, voilà qu’un contrat assurant les emplois de 900 travailleurs québécois est remis en question dans la plus grande indifférence du gouvernement Couillard.

À quoi ce gouvernement joue-t-il ?

Références :
Bell Helicopter fournira 16 appareils aux Philippines
La clarté et l’opacité du ministre Dion
La Davie et le petit pain fédéraliste
La vente d’hélicoptères canadiens aux Philippines suscite des inquiétudes
Le Canada a vendu pour 850 millions $ d’armes à des régimes répressifs
Ottawa accorde 100 millions en subventions au secteur automobile ontarien
Ottawa enquêtera sur le contrat de vente d’hélicoptères aux Philippines
Ottawa interrompt la vente d’hélicoptères aux Philippines


Postscriptum du 16 février 2018 : Prévenu de la publication de cet article, le bureau d’Alexandre Boulerice (lieutenant du NPD au Québec) nous a fait parvenir aujourd’hui la réplique suivante.

 
Bonjour M. Martel,

Nous tenons à vous remercier de partager avec nous votre position sur le contrat de vente des hélicoptères canadiens aux Philippines.

Regardant le travail de Mme Laverdière, elle soutient la nécessité d’une analyse rigoureuse des droits de la personne sous le régime de Duterte, et ce, afin d’éviter que des appareils canadiens puissent être utilisés contre des civils.

Il est également important de noter que la vente n’a pas été annulée, mais bien suspendue durant la réévaluation du contrat de vente par le gouvernement.

Comme le contrat de vente initial concernait l’utilisation des hélicoptères pour des fins de recherche et de sauvetages, les dernières précisions indiquant que les hélicoptères seraient plutôt utilisés à des fins militaires engendrent nécessairement une révision de la décision du gouvernement. C’est donc pourquoi Ottawa enquêtera sur ce contrat de vente avant d’aller de l’avant, si le gouvernement en décide ainsi.

Je vous invite à lire cet article du Devoir qui résume clairement la situation : Ottawa enquêtera sur le contrat de vente d’hélicoptères aux Philippines

N’hésitez pas à nous contacter à nouveau pour toute autre question.

Maxime Louis-Seize
Bureau d’Alexandre Boulerice
 

 

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