Les suites de la tuerie au lycée de Parkland

Publié le 25 février 2018 | Temps de lecture : 7 minutes

On ignore pourquoi le policier dépêché pour arrêter la tuerie au lycée de Parkland ne n’a pas fait. Il est possible qu’il ne soit pas intervenu parce qu’il savait que le meurtrier était considérablement mieux armé que lui et que son intervention n’aurait réussi qu’à ajouter son nom parmi la liste des victimes.

Il est donc permis de douter qu’armer le corps professoral — comme le suggère Donald Trump —soit une solution aux tueries de masse dans les lycées américains.

Non seulement les professeurs devraient disposer d’un armement supérieur à tout ce qu’un meurtrier peut se procurer, mais il faut tenir compte de la possibilité que, confronté au danger, il puisse être paralysé par la peur.

Sachant que les professeurs sont armés, les tueurs préfèreront cibler prioritairement le professeur. Puis, une fois qu’il aura été abattu, ils retourneront leurs armes contre les élèves.

Après l’insuccès prévisible de l’armement des professeurs, Donald Trump en viendra peut-être à suggérer qu’on abaisse l’âge minimal pour détenir une arme, de manière à permettre l’armement des adolescents. Qui sait jusqu’où son bon jugement peut aller ?

Le taux d’homicides aux États-Unis est le triple de celui au Canada. Et le taux en Floride est environ le triple de celui de la moyenne américaine.

Pourtant la Floride est un des États américains où le nombre d’armes en circulation est le plus élevé. Or ces armes visent non seulement à protéger les citoyens, mais également à dissuader les malfaiteurs. Ce qui, de toute évidence, ne fonctionne pas.

À mon avis, les États-Unis ont besoin d’une révolte destinée à changer radicalement l’ordre établi.

Cette révolte pourrait venir des jeunes Américains, las d’être les cibles de tireurs fous. Or cela tombe bien; les lycéens de Parkland ont des porte-paroles bien décidés à faire changer les choses.

Leur inexpérience ne fait pas obstacle à leur aisance à s’exprimer devant les caméras et à interpeler les politiciens corrompus auxquels ils s’adressent.

Avant l’apparition des médias sociaux, il était possible de manipuler l’opinion publique américaine en lui faisant croire, par exemple, qu’un tyran possédait des armes de destruction massive. Il suffisait de le répéter ad nauseam pour que cela finisse par devenir évident.

Mais depuis l’apparition de l’internet et des médias sociaux, beaucoup de citoyens américains ne croient plus les quotidiens qui leur disent le contraire de ce qu’ils pensent; ils croient l’opinion de ceux qui leur ressemblent et qui pensent comme eux.

Ce qui, évidemment, contribue à ancrer les préjugés.

En contrepartie, cela contribue à la puissance du tribunal de l’opinion publique; il est imperméable aux plaidoiries que le peuple ne veut pas entendre.

Cet aveuglement fait en sorte qu’une indignation se répand comme une trainée de poudre et peut donner naissance à un climat insurrectionnel. D’où la fragilité des institutions garantes du maintien de l’ordre établi.

À la suite de la tuerie de Parkland, la vaste majorité des jeunes Américains ont été scandalisés par le peu d’empathie de la National Rifle Association (NRA).

Instantanément, ce puissant lobby des propriétaires d’armes est devenu la bête noire des protestataires.

Au pieux mouvement #NeverAgain se sont greffés deux mouvements beaucoup plus agressifs; #BoycottNRA et #ThrowThemOut.

Le premier cible le financement de la NRA tandis que le second (soutenu par l’organisme Everytown.org) vise à prévenir la réélection des congressistes américains corrompus par ce lobby.

Dénonciation des contributions politiques de la NRA

En seulement deux semaines, Everytown.org a reçu l’appui de millions de personnes. Grâce à leurs dons, il a fait paraitre dans le New York Times une réclame de deux pages qui dresse (ci-dessus, à droite) la liste des congressistes qui ont accepté de l’agent de la NRA, le montant reçu et le numéro de téléphone du politicien.

Quant à #BoycottNRA, elle fait pression pour que les grandes entreprises américaines cessent d’accorder des rabais et des offres préférentielles aux membres de la NRA.

Déjà les chaines hôtelières Best Western et Wyndham ont coupé les ponts avec la NRA. Cela est également vrai de la firme de location de voitures Rent-A-Car, propriétaire des marques Alamo et National.

Il y a deux jours, sur Twitter, Hertz a publié un message annonçant avoir avisé la NRA qu’il cessait son programme de location de voitures à rabais en faveur des membres de ce lobby.

De plus, l’assureur Chubb a cessé d’offrir la police NRA Carry Guard insurance dont le but était de couvrir les frais juridiques des membres de la NRA accusés d’homicides qui invoquaient la légitime défense.

Note : Cela ne veut pas dire qu’une telle protection ne sera pas offerte, mais qu’elle le sera autrement que par le biais de la NRA.

Quant à elle, la Bank of Omaha cessera d’offrir une carte VISA à tous les nouveaux membres de la NRA.

Menacés par les jeunes, Delta et United Airlines ont cessé d’offrir des vols à rabais aux membres de la NRA.

Même chose pour les éditeurs de logiciels Norton et Symantec.

Par ailleurs, le groupe Moms Demand Action for Gun Sense in America fait pression sur Apple, Amazon and Google pour que ces diffuseurs suppriment la chaîne NRA-TV de leurs plateformes de diffusion en continu.

Selon les écoles, la semaine de relâche printanière est répartie tout au cours du mois prochain. Normalement, la Floride est alors une destination de choix.

Pour quelques jours, des millions de collégiens ont l’habitude de faire la fête sur les plages de la Floride au grand déplaisir des habitants de cet État qui se plaignent de leur manque de civisme.

Mais pour l’industrie hôtelière, ils représentent une mine d’or.

Puisque le gouverneur républicain de la Floride est un partisan de la NRA, des voix commencent à s’élever pour que les collégiens prennent ailleurs la semaine de relâche.

Dans un pays où l’argent est dieu, la prise de conscience des jeunes que leur pouvoir de dépenser peut faire changer les choses, est de nature à provoquer de profonds bouleversements dans les années qui viennent.

C’est à suivre…

Références :
Armer les enseignants: l’idée stupide de Trump
Combien d’enfants doivent tomber sous les balles ?
Gun inequality: US study charts rise of hardcore super owners
La carte des homicides dans le monde
NRA calls companies’ Florida shooting boycott ‘political and civic cowardice’
NRA under mounting pressure as companies cut ties with gun lobby
Pourquoi la tuerie de Parkland pourrait être celle qui fait enfin bouger les États-Unis sur le contrôle des armes
The N.R.A. Can Be Beat
Thoughts and Prayers and N.R.A. Funding

Parus depuis :
John Paul Stevens: Repeal the Second Amendment (2018-03-27)
Etats-Unis : un ex-juge de la Cour suprême plaide pour l’abrogation du deuxième amendement (2018-03-28)

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Écrit par Jean-Pierre Martel