Vendredi dernier, la Cour Suprême du Canada a infirmé deux jugements antérieurs qui avaient condamné un humoriste pour avoir choisi un jeune handicapé comme souffre-douleur.
De septembre 2010 à mars 2013, au cours de 230 représentations vues au total par cent-trente-cinq-mille personnes, Mike Ward a présenté un numéro dans lequel il se moquait de certaines caractéristiques physiques de Jérémy Gabriel à l’époque où ce dernier avait entre 10 et 13 ans.
Les blagues de l’humoriste étaient des descriptions péjoratives basées sur le handicap du garçon, atteint du syndrome de Treacher Collins.
À l’école, les autres enfants répétaient les insultes et exacerbaient la moquerie.
Du strict point de vue juridique, toute cette affaire se résume à la conception qu’on se fait de la discrimination (au sens d’ostracisme).
Les articles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (sur lesquels s’appuie cette cause) se lisent comme suit :
Article 4 : Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
Article 10 : Toute personne a droit […] à l’exercice […] des droits et libertés de la personne, sans distinction […] fondée sur […] le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction […] a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit
Dans un premier temps, les instances québécoises — le Tribunal des droits de la personne et la Cour d’appel du Québec — avaient estimé qu’en exposant Jérémy Gabriel à la moquerie en raison de son handicap, Mike Ward a porté atteinte à la dignité humaine du garçon.
Toutefois, en appel à la Cour Suprême, celle-ci estime que pour prouver qu’il y a ostracisme, on doit démontrer que les propos incitent à mépriser la victime ou à détester son humanité pour un motif de distinction illicite (dans ce cas-ci, son handicap physique).
On doit ensuite établir que ces propos, placés dans leur contexte, peuvent vraisemblablement avoir pour conséquence de frapper cette victime d’exclusion sociale.
Pour la plus haute instance du pays, le sort infligé à Jérémy Gabriel ne répond pas à ces critères, en dépit des apparences.
Qu’est-ce qui explique cet aveuglement ?
À deux reprises dans le jugement majoritaire de la Cour suprême, celle-ci déclare que la Charte québécoise des droits et libertés possède un champ d’application plus vaste que celui de la Charte canadienne (synonyme de la Canadian Constitution).
Selon la Cour, au chapitre des droits individuels, la Charte québécoise lie non seulement l’État, mais aussi toutes les personnes physiques et morales situées sur le territoire du Québec.
En atténuant la protection offerte par celle-ci, la Cour Suprême l’érode pour la mettre davantage en phase avec les dispositions moins contraignantes de la Canadian Constitution.
Tout comme pour la Loi 101, la Cour Suprême poursuit ainsi son travail de sape de la spécificité québécoise.
Ceux parmi nous qui voulons vivre dans une société où le mot civisme a un sens devons remettre en question notre appartenance à ce pays où l’expression publique du mépris et de l’intolérance se justifie au nom de la liberté d’expression.
Références :
Décision de la Cour suprême : Mike Ward vs Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
Mike Ward ou le harceleur public
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