Introduction
On l’attendait depuis des mois.
Le ministre responsable de la Langue française dévoilait la semaine dernière son projet de loi destiné à renforcer l’usage du français du Québec.
Voyons-en les principaux aspects.
La langue de travail
En vertu de son article 29, les offres d’emploi doivent être publiées en français sans qu’il soit obligatoire qu’ils le soient exclusivement en français.
À l’heure actuelle, l’obligation d’obtenir un certificat de francisation s’applique aux entreprises québécoises de cinquante employés ou plus.
La section II de la loi 96 étendra cette obligation aux entreprises de 25 personnes ou plus. C’est là l’unique mesure ambitieuse de la loi 96.
Aussi souhaitable que soit cette mesure, on ne doit pas perdre de vue qu’essentiellement, la loi 96 repose sur une défense technocratique du français au Québec.
Tout cela dépendra de la volonté politique du parti au pouvoir; s’il distribue les certificats de francisation comme des bonbons, on n’est pas plus avancé.
À titre d’exemple, au moment de l’adoption de la Loi 101, beaucoup d’espoirs reposaient sur les épaules de l’Office québécois de la langue française, un organisme créé en 1961, mais dont les responsabilités ont été accrues considérablement par la Loi 101.
Mais pendant quinze ans, plus précisément sous les gouvernements libéraux de Jean Charest et de Philippe Couillard, l’Office n’a pas donné suite à 98 % des plaintes qu’elle recevait et ce, malgré la confirmation de leur bien-fondé par ses enquêteurs.
Pourquoi est-il pertinent de s’en rappeler ?
C’est qu’il existe deux Partis libéraux. Le premier (que j’aime beaucoup) est le Parti libéral dans l’opposition.
Mais comme Dr Jerkyll & Mr Hyde, il y a aussi le Parti libéral au pouvoir, celui totalement voué à la colonisation anglaise du Québec.
Or ce dernier, un jour, reviendra au pouvoir.
Dans la mesure où la loi 96 donne à l’État le monopole de la défense du français, elle soumet la pérennité du français aux caprices de la politique partisane.
L’urgence d’agir exige au contraire que la défense du français, notamment au moyen de pouvoirs répressifs, soit partagée entre l’État et le peuple. De manière à ce que ce dernier puisse compenser quand le gouvernement au pouvoir manque à ses devoirs.
La langue de l’immigration
L’article 15 modifie la Loi 101 afin de permettre à l’État québécois de communiquer dans une autre langue que le français avec les personnes immigrantes durant les six premiers mois de leur arrivée au Québec. C’est ce qui se fait déjà depuis toujours. Et cela n’est pas normal.
Depuis des années, je soutiens qu’il devrait être obligatoire pour chacun candidats à l’immigration à titre de travailleur qualifié de parler français avant d’arriver au Québec.
En d’autres mots, avant de recevoir un certificat de sélection, le candidat à l’immigration et son conjoint doivent démontrer une connaissance intermédiaire ou avancée du français. Sinon, leur demande sera rejetée.
Ce faisant, le Québec s’inspirerait de la Grande-Bretagne. Dans ce pays, l’immigrant ne peut pas mettre le pied sur le sol britannique s’il n’a pas déjà la connaissance de l’anglais. De manière conséquente, un citoyen britannique ne peut pas faire venir son conjoint de l’Étranger si cette personne ne parle pas l’anglais.
Au lieu de cela, la CAQ veut perpétuer la politique migratoire du Parti libéral, une politique qui échoue depuis des années à assurer la pérennité du français. Pourquoi ?
La raison est simple.
Le Québec n’accepte que les candidats à l’immigration qui s’engagent par écrit à apprendre le français.
Les cours de français qu’on leur offre gratuitement connaissent beaucoup de succès. D’autant plus que les immigrants sont payés pour y assister. En arrivant au Québec, c’est souvent leur seule source de revenus.
Mais il y a un hic; depuis toujours, ces cours n’ont pas d’obligation de réussite.
Dans une faible majorité des cas, ceux qui y assistent réussissent à apprendre notre langue. C’est bien. Mais les autres aimeraient aussi apprendre le français s’il suffisait de claquer les doigts pour ce faire; ils n’ont pas la motivation suffisante de l’apprendre parce qu’ils savent qu’ils se débrouilleront très bien au Québec en anglais.
Conséquemment, la loi 96 ne change rien d’important dans la politique migratoire du Québec.
La langue d’enseignement
Dans tous les pays du monde, la seule langue enseignée à l’école publique est la langue nationale. Ce qui ne veut pas dire qu’une langue seconde ne puisse pas y être accessoirement enseignée.
Au Québec, si un parent exige que l’enseignement offert à ses enfants se fasse dans n’importe quelle autre langue, c’est son droit, mais à ses frais. En d’autres mots, ses enfants doivent aller à l’école privée.
Sauf évidemment pour les angloQuébécois. Ceux-ci ont le droit constitutionnel à l’enseignement de leur progéniture en anglais au primaire et au secondaire. Ce que personne ne conteste.
L’article 56 de la loi 96 autorise l’enseignement en anglais aux enfants d’un ressortissant étranger qui séjourne au Québec de façon temporaire, c’est-à-dire pendant moins de trois ans.
On peut comprendre le cas de parents américains qui viennent étudier à l’université McGill. Mais je ne vois pas pourquoi le contribuable québécois devrait payer l’école publique anglaise à un riche PDG qui a les moyens d’envoyer ses enfants à l’école privée anglaise.
Quant aux travailleurs temporaires et aux réfugiés, que font-ils en Allemagne ? Ils vont à l’école publique allemande. Et en Italie ? À l’école publique italienne. Et ainsi de suite.
Si l’école française est obligatoire pour tous les néoQuébécois, pourquoi faire exception alors qu’ils sont à l’étape de leur installation au pays à titre de réfugiés ?
Pour ce qui est de l’enseignement collégial, l’article 58 (qui s’applique à lui) est, de loin, la plus opaque de la loi 96.
C’est un spaghetti de références croisées à d’autres lois. En quelques mots, ce qu’il dit, c’est que les lycées anglais peuvent accueillir un maximum de 17,5 % d’étudiants francophones. Ce qui est déjà le cas.
La loi 96 enfonce donc des portes ouvertes et contribue à perpétuer une anglicisation qu’elle est censée combattre.
L’article 58 précise qu’aucun diplôme collégial ne peut être émis par le ministère de l’Enseignement à quelqu’un qui échoue à l’examen de français auquel sont astreints tous les collégiens du Québec, peu importe leur langue maternelle.
En somme, les lycées anglais peuvent continuer à angliciser le Québec, mais pas au point de faire oublier le français aux étudiants francophones qu’ils admettent. C’est rassurant…
La langue de la consommation
• L’étiquetage et le mode d’emploi
L’article 41 exige que l’entreprise qui offre au consommateur des biens ou des services respecte son droit d’être informé et servi en français. Ceci très bien.
Dans les années 1960, la loi permettait aux citoyens qui avaient acheté un produit dont l’étiquette était unilingue anglaise de s’adresser à la Cour des petites créances pour y poursuivre le marchand. Précisons qu’à ce tribunal, on n’a pas besoin d’être représenté par un avocat.
En preuve, il suffisait de soumettre la facture du marchand et l’étiquette du produit. Le montant de la condamnation était versé intégralement au plaignant.
En moins de deux ans, il était devenu impossible de trouver un seul produit étiqueté uniquement en anglais au Québec.
Voilà ce à quoi je faisais allusion plus tôt au sujet de la nécessité de confier une partie des pouvoirs répressifs de l’État aux citoyens quant à la défense du français.
• Les transactions immobilières
L’article 45 permet que les contrats de vente des bâtisses soient rédigés exclusivement dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties.
Normalement, un droit fondamental est inaliénable. Dans un contexte de déséquilibre profond entre les vendeurs et les acheteurs de biens immobiliers, n’importe quel acheteur francophone renoncera à un contrat de vente en français si le vendeur l’exige.
Il serait préférable que toute vente survenue exclusivement en anglais devienne un don de propriété, même lorsque cette vente intervient entre deux angloQuébécois.
En d’autres mots, la maison serait alors gratuite. Vous verriez qu’en peu de temps, plus aucun contrat de vente ne serait rédigé exclusivement en anglais.
• La langue d’affichage
La loi 96 prescrit la prédominance du français dans la langue d’affichage.
Il y eut une époque où la loi exigeait la francisation des marques de commerce. Il en est resté des entreprises comme Bureau en gros et Pharmaprix.
Ces entreprises sont si bien connues de nos jours que l’immense majorité des Québécois seraient incapables de dire quel était leur nom d’origine.
Pour ce qui est de la prédominance du français, c’est déjà mieux que ce que font d’autres pays francophones. Mais le ministre aurait pu faire preuve de plus d’audace.
La langue de la justice
• La langue des tribunaux
Le troisième paragraphe de l’article 4 prescrit que toute personne ait droit à une justice et à une législation en français.
Ce droit à la justice en français est flou. Comme c’est le cas actuellement, est-ce qu’un juge peut rendre un jugement en anglais dans une cause où l’accusé est unilingue français et où toutes les preuves ont été soumises en français ?
Oui si l’État québécois a la corvée de traduire en français les décisions prises par certains des juges nommés par Ottawa. L’article 10 oblige donc l’État québécois à compenser la carence linguistique de ces juges. On se demande pourquoi.
La loi 96 était une occasion en or pour obliger les juges incapables de rendre justice en français de se récuser dans les causes où l’accusé est unilingue français (ce qui est le cas de la moitié des Québécois).
D’autre part, la loi 96 donne le droit aux angloQuébécois d’être jugés dans leur langue. Il est dommage que cette loi n’étende pas ce droit aux peuples autochtones du Québec.
D’ici à ce qu’il y ait au moins un juge pour chacun des onze peuples autochtones du Québec — onze juges pour tout le Québec, ce n’est pas la mer à boire — l’État québécois devrait se doter de la capacité de traduire les jugements rendus dans des causes où l’accusé est autochtone et ne parle aucune des deux langues officielles du Canada.
Puisque le racisme systémique n’existe pas au Québec, dit-on, agissons en conséquence…
• La langue du législateur
Qu’ils soient francoQuébécois ou angloQuébécois, tous les citoyens doivent être capables de lire les lois qui les concernent.
Voilà pourquoi la Canadian Constitution rend obligatoire la publication bilingue des lois québécoises et des règlements qui en découlent.
Mais il est écrit nulle part que les projets de loi doivent être bilingues lorsqu’ils sont soumis à l’Assemblée nationale ou à n’importe à quelle étape de leur adoption.
On le fait en raison d’un jugement de la Cour suprême du Canada à l’époque où celle-ci était dirigée par le juge Michel Bastarache.
Comme un prestidigitateur, celui-ci avait sorti de sa manche, la notion d’obligation constitutionnelle ‘implicite’. Depuis son départ, la Cour suprême est revenue à une doctrine d’interprétation constitutionnelle beaucoup plus rigoureuse.
Tout comme la Cour suprême des États-Unis pourrait bientôt changer d’attitude au sujet de l’avortement, il est étonnant que le gouvernement du Québec veuille enchâsser la jurisprudence ‘molle’ du juge Bastarache dans une loi supralégislative comme la loi 96 alors que cette jurisprudence pourrait un jour être renversée par le plus haut tribunal du pays.
Les lois de l’Assemblée nationale doivent être publiées dans les deux langues. C’est ce que dit le texte de la constitution. Ça suffit.
Rappelons-nous qu’il y a plus de trente ans, la Cour suprême a ordonné au gouvernement fédéral de traduire en français toutes les dispositions du British North America Act qui ont encore force de loi. Ce que le fédéral tarde à faire depuis.
Le ministère de la langue française
L’autre mesure phare de la loi 96, c’est la création d’un ministère de la Langue française.
Peu importe son importance théorique, un ministère n’a que l’influence qu’on veut bien lui accorder.
Rappelons-nous les doléances de la ministre responsable des Ainés et des Proches aidants, Mme Marguerite Blais, quant à son peu d’influence au sein du Conseil des ministres.
Le fait qu’elle soit toujours en poste en dépit de son aveu d’impuissance prouve bien le peu de cas que ses collègues font de ce qu’elle dit.
En conséquence, il n’est pas exclu de penser que le ministre de la Langue française, tout comme ses collègues à l’Environnement et à l’Agriculture, fasse un jour partie des grands oubliés de l’Histoire…
La loi 96 crée également le poste de commissaire à la langue française et un poste de commissaire adjoint.
Donc en plus du poste de président de l’Office de la langue française (un poste qui existe déjà), le gouvernement crée le poste de ministre de la Langue française, de même que ceux de commissaire et de commissaire adjoint à la langue française.
Ce qui prouve bien que le premier ministre était sérieux lorsqu’il a promis de créer des emplois payants…
Hydro-Québec
La partie 2 de la loi fédérale C-69 exige que tout projet de développement hydroélectrique soit soumis à l’approbation du Canadian Energy Regulator, un tribunal administratif basé à Calgary.
Ottawa justifie son intervention par la nécessité de protéger la population canadienne. Comme si la production et le transport de l’électricité étaient aussi dangereux que le transport d’hydrocarbures.
Pour hâter la décision des juges albertains, si Hydro-Québec soumet ses devis techniques en anglais, cela a pour effet d’angliciser le fonctionnement interne de cette société d’État.
La loi 96 doit interdire cela. Si les juges albertains sont unilingues anglais (ce qui est probable), le Québec doit résister à la solution de facilité qui consiste à parler la langue de l’État colonial canadien.
Et si le tribunal albertain se traine les pieds pour forcer Hydro-Québec à fonctionner en anglais, la solution est de fixer un délai maximal pour l’autorisation fédérale à défaut de quoi le Québec procèdera sans la bénédiction symbolique d’Ottawa.
Si le fédéral est incapable d’empêcher des gens contaminés d’entrer au pays en temps de pandémie, comment pourrait-il compter les électrons qui sortent du Canada par des câbles électriques ?
Conclusion
La loi 96 consiste essentiellement à soumettre toutes les moyennes entreprises aux dispositions de la Loi 101.
Aussi souhaitable que soit cette mesure, ce n’est qu’un volet dans une véritable politique linguistique.
Celle-ci doit comprendre une politique migratoire sérieuse, une politique de la langue d’enseignement et de la langue du travail et, accessoirement, une politique de l’affichage commercial.
Or ces autres volets sont très insuffisants.
En somme, cette loi est un pas dans la bonne direction. Mais compte tenu des attentes élevées qu’avait suscitées le ministre Jolin-Barrette, on s’attendait à un soufflé et on a eu droit à une omelette.
Références :
Être condamné dans une langue qu’on ne comprend pas
La francisation des immigrants suffit-elle pour assurer la pérennité du français au Québec ?
La vision dépassée de François Legault
Le critère du français pourrait être abaissé pour certains immigrants au Québec
Le doux sommeil de l’Office de la langue française
Le PQ et la francisation des immigrants
Ottawa veut mettre Hydro-Québec sous tutelle
Projet de loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français
Quatre-millions de Québécois victimes de discrimination à l’embauche
Parus depuis :
Le français, langue de la discorde à la CAQ (2021-12-14)
« Nous courons vers l’assimilation », disent des profs en faveur de la loi 101 au cégep (2022-04-09)
Nombre record de plaintes pour la langue française (2022-04-26)
Des employés des Francos se plaignent de devoir utiliser l’anglais au travail (2022-06-17)
Ottawa a versé des milliards pour l’anglais au Québec (2023-11-27)
Complément de lecture :
La maîtrise du français, nouvel enjeu de management (2021-10-25)
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