Introduction
Dans notre série au sujet de la fabrication du consentement politique, nous avions choisi trois exemples : le cas de la Chine après l’accession au pouvoir du Parti communiste, le cas des États-Unis à la veille de la guerre en Irak et, à l’opposé, le contrexemple du Brexit.
Il existe également des situations où le libre consentement d’un peuple est construit de l’Étranger et sert à lui faire consentir à son assujettissement.
Un exemple récent est celui de l’accord commercial post-Brexit, intervenu ces jours-ci entre Grande Bretagne et l’Union européenne.
Récapitulons.
Un peuple divisé
Après l’éclatement, en 2007, de la bulle spéculative des prêts à haut risque (ou Crise des subprimes), le Royaume-Uni a sévèrement été touché par la Grande Récession qui en a résulté.
Le gouvernement britannique s’est vu contraint d’imposer des mesures d’austérité qui ont provoqué des émeutes durement réprimées en 2011.
Plutôt que de condamner la cupidité des milieux financiers de Londres, certains politiciens conservateurs ont commencé à prétendre que tout cela était la faute de l’Europe; selon eux, l’Union européenne appauvrissait la Grande-Bretagne au profit des pays ‘fainéants’ du sud de l’Europe et des anciennes républiques soviétiques.
En janvier 2013, David Cameron, promet que si son parti déloge les Travaillistes du pouvoir aux élections de 2015, son gouvernement négociera un nouveau traité d’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, traité qu’il soumettra ensuite à l’approbation du peuple britannique.
À la tête d’un gouvernement majoritaire, le premier ministre entame donc les négociations promises.
Après deux ans de négociation, l’accord intervenu est rejeté de justesse lors d’un référendum en 2017.
Après la démission de David Cameron, la première ministre Theresa May demande une renégociation. Mais l’accord intervenu avec l’Union européenne, modifié légèrement à trois reprises, est rejeté trois fois par le parlement britannique.
Arrive Boris Johnson. Celui-ci réalise d’abord la sortie ‘définitive’ du Royaume-Uni de l’Union européenne à la fin de janvier 2020.
Cette sortie s’accompagne toutefois d’une période de transition de onze mois au cours de laquelle les deux parties se donnent l’occasion de conclure un traité de libre-échange.
Pendant des mois, ces négociations trainèrent en longueur. D’une part en raison du Covid-19 qui contamina les deux équipes de négociateurs. Et aussi en raison des voltefaces et des coups d’éclat de Boris Johnson.
Il y a quelques semaines à peine, les ministres britanniques préparaient l’opinion publique anglaise à la possibilité d’un Brexit à la dure, c’est-à-dire sans accord.
Le gouvernement a les choses bien en main, disait-on. La population ne doit craindre aucune pénurie. Le Brexit ‘complet’ devrait se dérouler en douceur.
Le boomerang
Comme la majorité des pays européens, la Grande-Bretagne est durement frappée par la seconde vague de la pandémie.
Pour expliquer l’aggravation de la crise sanitaire, le gouvernement anglais avait trouvé l’excuse parfaite; c’est à cause de la virulence de la souche.
Sous le climat ingrat des iles britanniques, le Covid-19 s’était transformé en un mutant extrêmement virulent. Il ne serait pas plus mortel, mais beaucoup plus contagieux.
L’explication la plus probable, c’est que ce mutant possède un plus grand nombre de cette protéine qui le décore en surface et qui lui sert à s’agripper aux récepteurs situés à la surface de certaines de nos cellules.
Toutefois, il semble que ce mutant circule déjà à travers le monde depuis quelques mois.
Mais l’Europe n’allait pas rater l’occasion.
Si l’Angleterre est dévastée par un microbe extrêmement dangereux, il est logique de tenter de le contenir en fermant nos frontières et ainsi protéger notre peuple bien-aimé.
Et voilà que la belle excuse du mutant se retourne contre Boris Johnson.
Du jour au lendemain, plus de dix-mille camions ne peuvent plus livrer les biens produits en Grande-Bretagne vers les clients européens. Et le journal télévisé montre aux familles inquiètes ces tablettes vides de produits frais dans les supermarchés britanniques.
On a encore à l’esprit les paroles rassurantes des ministres au sujet du Brexit à la dure. Or ce que le public anglais constate maintenant, c’est à quel point la Grande-Bretagne dépend de l’Europe.
D’où le soupçon qu’un Brexit sans accord serait beaucoup plus grave qu’on le dit, voire que ce serait… Mon Dieu ! Une catastrophe ?
L’anxiété se répand alors dans le pays comme une trainée de poudre. À leur bureau de comté, le téléphone des députés britanniques ne cesse de sonner.
Pour faire cesser immédiatement le blocus économique contre son pays, Boris Johnson n’a pas eu d’autre choix que d’accepter tout de suite ce que l’Europe lui offrait.
Échec et mat.
Références :
Brexit
Bust-ups and brinkmanship: inside story of how the Brexit deal was done
Emeutes britanniques : le gouvernement réunit les responsables des réseaux sociaux
La fabrication du consentement politique : un exemple américain
La fabrication du consentement politique : un exemple chinois
Le Brexit ou l’absence de fabrication du consentement politique
Référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne