Le super héros et les salons de massage

Publié le 28 janvier 2014 | Temps de lecture : 7 minutes


 
Introduction

En octobre dernier, la Gendarmerie royale du Canada procédait à l’arrestation de plusieurs ressortissants roumains accusés d’avoir forcé quatre jeunes femmes adultes à la prostitution. D’autre part, ils sont accusés également d’avoir fait entrer illégalement des familles roumaines (dont des enfants) au Canada.

Il n’en fallait pas plus pour que le nouveau maire de Montréal confonde les deux accusations et parle, quelques semaines plus tard, d’enfants et de juvéniles (sic) forcés de donner des massages érotiques à Montréal.

Les relations sexuelles impliquant un mineur sont illégales depuis toujours au Canada. Au cours des quarante dernières années, si les policiers avaient effectué une seule descente dans un salon de massage où des enfants sont réduits à l’esclavage sexuel, cette nouvelle aurait fait la manchette des quotidiens sensationnalistes du Québec. Or cela n’est pas arrivé.

Les policiers, évitent-ils d’effectuer des inspections ou des descentes dans les salons de massages depuis des décennies ? Attendaient-ils le feu vert du maire pour faire appliquer la loi ? Non. Les policiers n’ont pas réussi à faire la preuve de l’existence du travail d’enfants dans les salons de massage de Montréal parce que cet esclavage sexuel n’existe probablement pas.

Montréal, capitale du sexe en Amérique du Nord

Montréal est une ville de haute technologie où l’aéronautique, le multimédia et l’industrie biopharmaceutique occupent une place importante. Tout comme l’industrie touristique.

Depuis un siècle, Montréal est une ville de plaisir. Ce n’est pas la seule raison d’y venir, mais il est indéniable que c’est une facette importante de son attrait pour certains visiteurs.

En raison du puritanisme nord-américain, les retombées économiques de l’industrie du sexe constituent un tabou. On ne les évalue pas et on n’en parle pas parce que d’une part, cela manque totalement de rectitude politique et d’autre part, parce qu’il est difficile d’obtenir des données fiables à ce sujet.

À l’époque de la prohibition, l’alcool coulait à flots dans la métropole. Après la Deuxième Guerre mondiale, elle était devenue une ville de bordels. Puis, celle des danses à 5$. Aujourd’hui, on y vient pour nos festivals et parce que le sexe n’y est pas dispendieux.

Il serait préférable que les touristes visitent notre ville pour y voir des tulipes, comme à Ottawa, mais ce n’est pas le cas.

De nos jours, Montréal est notamment la capitale du sexe en Amérique du Nord. Comme Paris fut la capitale européenne du sexe à la Belle Époque. A posteriori, on peut idéaliser le French Cancan, le Moulin rouge et Toulouse-Lautrec. Mais autrefois, on considérait cette danse comme vulgaire. Ce cabaret était reconnu comme un repère de courtisanes. Et le peintre frayait avec des femmes peu recommandables.

Idéalisera-t-on un jour les salons de massage d’ici ? C’est déjà fait; rappelez-vous de cette jeune universitaire qui, dans le film Le Déclin de l’empire américain, paie ses études en massant (et dont un client est le personnage incarné par le comédien Pierre Curzi).

Le prix caché de l’intolérance

La priorité donnée à la chasse aux salons de massage pose ici la question de l’allocation des ressources policières.

Depuis des années, lorsqu’éclate une querelle de ménage dans mon bloc appartement, les policiers arrivent sur les lieux en moins de dix minutes. Parce qu’on sait qu’un conflit domestique dégénère rapidement. Et lorsqu’il y a une victime, c’est habituellement une femme.

Suis-je enchanté à l’idée que dorénavant, les policiers pourraient prendre plusieurs heures parce qu’ils sont occupés ailleurs, à faire la chasse aux salons érotiques ?

Le cliché de la victimisation

Il y a plus de 260 salons de massage érotiques à Montréal. Ils pullulent (ou polluent, selon le point de vue) parce qu’il y a présentement une explosion de la demande. C’est une mode, comme l’ont été les danses à 5$.

Le maire charrie lorsqu’il affirme (c’est textuel) « Jour après jour, des milliers de femmes sont exploitées derrière des portes closes à Montréal. Et on ne fait rien. Il est urgent d’agir.»

Ce qui se passe entre adultes consentants dans 99,9% des salons de massage, ne regarde pas le maire de Montréal.

Et dans le 0,1% restant, les femmes qui sont forcées à exercer ce métier devraient plutôt cogner à la porte d’un poste de police ou d’un centre d’aide pour femmes plutôt que d’attendre le secours du super héros qui viendra les délivrer.

L’immense majorité des femmes qui travaillent dans des salons de massage érotique aimeraient faire autre chose. Tout comme beaucoup de travailleurs préféreraient gagner leur vie autrement. Il est donc excessif de prétendre que toute personne qui choisit à contrecœur d’exercer un métier est une victime.

Ce n’est pas vrai que les travailleuses de salons érotiques sauteront de joie lorsque le maire enverra ses policiers les délivrer de l’enfer du péché…

À constamment suggérer que les femmes sont des êtres sans volonté, incapables de se prendre en main, exploités par nous — les méchants mâles — qui les forçons à se voiler ou à se prostituer, on a peine à croire qu’une femme dirige maintenant l’État québécois. À mon avis, les femmes méritent mieux que de toujours être représentées par certains comme des perdantes.

Prouver ses dires par des descentes policières

Le maire de Montréal aurait pu très bien déclarer que des milliers de Montréalais se droguent et invoquer un devoir moral de les délivrer de l’enfer de la dépendance. En effectuant des descentes chez tout le monde, les policiers auraient bien fini par trouver quelque chose.

Mais cela n’est pas comme cela qu’on fonctionne en démocratie. Les forces policières ont le devoir d’intervenir contre un citoyen ou une entreprise précise lorsqu’on leur présente des preuves d’infractions commises par ce citoyen ou cette entreprise.

Effectuer des descentes chez tout le monde à partir d’accusations qui ne concernent qu’une minorité d’une population, cela est abusif. La ville s’expose ainsi à être des recours judiciaires dont les contribuables auront à payer les frais.

Conclusion

Depuis la sortie fracassante du maire contre les salons de massage, les policiers cherchent depuis deux mois à faire la preuve qu’il avait raison. En vain. De toute évidence, les déclarations du maire Coderre relativement à l’exclavage sexuel d’enfants dans les salons de massage de Montréal sont dépourvues de fondement.

Quant à ses déclarations relatives au travail forcé de milliers de Montréalaises dans l’industrie du sexe, cela n’est vrai que dans une minorité des cas. Cela ne justifie pas les descentes policières au cas où.

Le nouveau maire de Montréal aime les médias; présentez-lui un micro sous le nez et il frétille de bonheur. Mais puisqu’on se lasse de tout, la surexposition médiatique dont il est l’objet depuis son élection risque de lui nuire à long terme, alors que les citoyens réclameront plus de contenu, et moins de contenant.

Dans ce cas-ci, la vacuité de ses propos au sujet des salons de massage est évidente. Il est à espérer que cela lui serve de leçon et qu’il choisisse dorénavant de manière plus judicieuse les combats pour lesquels il désire s’illustrer.

Références :
Coderre doit s’attaquer à la prostitution
Le maire Coderre veut éradiquer les salons de massage érotique
Un réseau de traite de personnes démantelé par la GRC

Parus depuis :
Montréal songe à tolérer les salons de massage érotique (2014-02-20)
Salons de massage: rien n’a changé à Montréal (2015-03-01)
Comment Paris est passée de « capitale de la prostitution » à « ville de l’amour » (2019-02-14)

Détails techniques : Appareil Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 12-40mm F/2,8 — 1/1000 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel