Nettoyer la statue de Macdonald, un gaspillage des fonds publics

Publié le 23 août 2018 | Temps de lecture : 9 minutes
Monument à sir John-A. Macdonald sur la Place du Canada

Introduction

La statue montréalaise de l’ex-premier ministre John-A. Macdonald a récemment été éclaboussée de peinture rouge par des manifestants qui l’accusent d’être un suprémaciste blanc.

À plusieurs reprises, cette statue a été la cible de vandales. Elle a même été décapitée en 1992, à l’occasion du centième anniversaire de la pendaison de Louis Riel (que Macdonald avait ordonnée).

Gloire et déchéance de Macdonald

Avant de devenir premier ministre du Canada (de 1867 à 1873, puis de 1878 à 1891), John-A. Macdonald fut l’un des principaux artisans de l’adoption du British North America Act, cette loi britannique qui servit de constitution à la Confédération canadienne de 1867 à 1982.

Durant ses mandats à la tête du pays, le territoire canadien se prolongea vers l’Ouest pour s’étendre finalement d’un océan à l’autre.

En raison de l’éclat indéniable de ses réalisations, il fut longtemps considéré comme le ‘père de la Confédération canadienne’.

Pourtant, depuis quelques années, ses statues sont vandalisées d’un bout à l’autre du pays. De plus, le gouvernement canadien cessera, en 2018, d’imprimer des billets de banque à son effigie.

Qu’est-ce qui lui vaut aujourd’hui un tel discrédit ?

C’est que Macdonald est devenu infréquentable parce qu’il fut responsable de la plus grande entreprise génocidaire de l’histoire canadienne.

Le travail génocidaire de Macdonald

En 1649, Oliver Cromwell envahit l’Irlande dans le but de déposséder les Irlandais de leurs terres et de les confier à des colons anglais. À cette occasion, les soldats anglais exterminèrent entre le tiers et la moitié des habitants de l’ile.

De manière analogue, le gouvernement colonial de Macdonald entreprit de déposséder les Métis des territoires qu’ils occupaient depuis des siècles. Après avoir exigé d’eux qu’ils présentent des titres de propriété — ce qu’aucun autochtone en Amérique du Nord n’était en mesure de faire — les Métis étaient forcés de quitter leurs terres.

Parallèlement, John-A. Macdonald créait au Canada — à l’image de ce que faisaient les États-Unis depuis 1851 — des réserves à l’intérieur desquels les Indiens dépossédés étaient forcés de vivre en vertu d’un apartheid juridique.

Le gouvernement colonial canadien forçait les Premières Nations à abandonner des terres ayant un bon potentiel agricole ou riches en ressources naturelles, pour se retrouver finalement sur des réserves éloignées et marginales du point de vue économique.

Ce n’est pas le colonialisme anglo-saxon qui a créé les ghettos mais ceux-ci en sont une caractéristique essentielle. Qu’il s’agisse des ghettos sur scène créés pour éviter les reproches d’appropriation culturelle ou les ghettos urbains créés par l’aménagement du territoire sous un régime colonial de type britannique.

En 2013, le professeur James Daschuk de l’Université du Manitoba publiait la thèse universitaire intitulée ‘La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone’.

Cette publication de 366 pages s’est mérité le prix attribué par le Gouverneur général du Canada au meilleur livre savant en histoire canadienne. Ironiquement, ce prix s’appelle ‘Prix Sir-John-A.-Macdonald’.

Ce livre est un accablant réquisitoire qui accuse John-A. Macdonald d’avoir voulu exterminer par la famine les Amérindiens des Prairies. C’est depuis la publication de ce livre que l’opinion publique canadienne s’est retournée contre Macdonald.

Les pensionnats autochtones

Le 9 mai 1883, pour faire adopter sa politique des pensionnats, Macdonald déclarait à la Chambre des communes :

« Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages; il est entouré de Sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser restent celles des Sauvages. En un mot, c’est un Sauvage capable de lire et d’écrire.

On a fortement insisté auprès de moi (…) pour soustraire autant que possible les enfants sauvages à l’influence de leurs parents. Or, le seul moyen d’y réussir serait de placer ces enfants dans des écoles industrielles centrales, où ils adopteraient les habitudes et les façons de penser des Blancs.

En 1883, le gouvernement fédéral établit trois grands pensionnats pour les enfants des Premières Nations dans l’ouest du Canada. Au cours des années qui suivirent, le système connut une croissance considérable.

Selon le rapport annuel du ministère des Affaires indiennes de 1930, il y avait quatre-vingt pensionnats en activité partout au pays.

Ici même au Québec, des communautés religieuses ont manqué grossièrement à leur devoir de compassion et de charité, séduites par l’effet corrupteur de l’argent d’Ottawa.

Les derniers pensionnats financés par le gouvernement colonial canadien sont demeurés en activité jusqu’à la fin des années 1990. Au total, environ 150 000 enfants autochtones y furent admis. On estime qu’environ six-mille d’entre eux y sont morts de maltraitance, de maladie ou par suicide.

Leur but était d’assimiler de force les Autochtones. La police venait littéralement arracher les enfants des bras de leur mère. On interdisait aux pensionnaires de parler autre chose que l’anglais. Et on séparait les membres d’une même famille en différents pensionnats pour qu’ils n’aient plus personne sur lequel s’accrocher.

Puis, à la fin de leurs études, on les renvoyait dans leurs communautés alors que tout ce qu’on leur avait enseigné (religion, lecture, écriture, notamment) n’avait aucun rapport avec la lutte pour leur survivance dans leur réserve. Selon le témoignage des chefs autochtones de l’époque, ils étaient des bons à rien.

Loin de leur famille et de leur communauté, sept générations d’enfants autochtones ont été privés de leur identité à la suite d’efforts systématiques et concertés visant à anéantir leur culture, leur langue et leur esprit.

Et ce, sans compter les dizaines de milliers d’abus sexuels qui laissèrent aux victimes la marque indélébile de la honte et de la culpabilité.

En somme, les pensionnats complétaient les réserves. Les réserves visaient à réduire le nombre d’Autochtones; les pensionnats visaient au génocide culturel de ceux qui y survivraient.

Conclusion

Revenons au cas de cette statue montréalaise éclaboussée de peinture.

Lorsque l’État dresse un monument à la gloire d’un personnage ayant réellement existé, il rend un hommage collectif à un bâtisseur de la nation, à quelqu’un qui a contribué à son rayonnement, où à un héros qui l’a protégé d’un péril.

Cette commémoration est à la fois un acte de reconnaissance rendu au nom du peuple et un appel au dépassement. Comme si on affirmait implicitement : « Voyez comment des gens issus de cette nation peuvent être grands.»

D’autre part, les mentalités changent. À la suite des Révolutions, les statues aux noms des héros de l’ancien régime sont souvent déboulonnées.

De la même manière, il arrive que les citoyens en viennent à trouver inacceptable qu’on leur propose comme édifiants des modèles qui méritent le mépris.

C’est le cas de John-A. Macdonald. Voilà pourquoi, partout à travers le Canada, les voix s’élèvent pour qu’on détruise les monuments indécents élevés à sa gloire.

Éclabousser cette statue de peinture est un vandalisme mineur puisqu’il n’abime pas l’œuvre. Cela se justifie lorsque les pouvoirs publics demeurent sourds au gros bon sens; on ne rend pas hommage à un chef d’État génocidaire. Les Allemands l’ont bien compris. Je ne vois pas pourquoi on devrait agir autrement au Canada.

Au contraire d’un méfait, éclabousser cette statue de peinture est une manière économique de transformer un hommage en acte de réprobation populaire. C’est une manière de dire « Honte à toi, John-A. Macdonald, pour ce que tu as fait.»

Rares sont les fois où le vandalisme se justifie : c’est le cas cette fois-ci.

Au fond, ce que les vandales ont fait, c’est ce que la ville n’a pas eu l’idée de faire elle-même par manque d’imagination; transformer un hommage en acte de désapprobation à l’aide d’un peu de peinture.

Voilà pourquoi la ville devrait s’abstenir de nettoyer cette statue. Procéder à son nettoyage n’est rien d’autre qu’un gaspillage des fonds publics.

Références :
Aboriginal nutritional experiments had Ottawa’s approval
À quand le limogeage de John A. Macdonald?
Cartes : 1667-1999
Déboulonner Macdonald au nom de la réconciliation
Des vandales couvrent de peinture sur la statue de John A. Macdonald à Montréal
John A. Macdonald
La destruction des Indiens des Plaines. Maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone

Parus depuis :
Le Canada accusé de «génocide» envers les femmes autochtones (2019-06-01)
Fort taux de suicide des Autochtones, révèle une étude (2019-06-28)
La moitié des enfants autochtones sont en situation de pauvreté, révèle une étude (2019-07-09)
La statue de John A. Macdonald vandalisée par des «zombies anticoloniaux» (2019-10-31)
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Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 25mm F/1,2 — 1/400 sec. — F/1,2 — ISO 200 — 25 mm

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Un commentaire à Nettoyer la statue de Macdonald, un gaspillage des fonds publics

  1. Loraine King dit :

    Excellente suggestion. Je ne suis pas amateur de ces statues, mais j’adore lire les plaques. Plutôt que de payer pour nettoyer, qu’on installe une plaque plus fidèle de l’héritage de Macdonald, et expliquant la présence de la peinture rouge.

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