L’écriture inclusive

12 novembre 2017


 
Introduction

L’écriture inclusive se définit comme l’ensemble des procédés graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes.

L’écriture inclusive vise trois objectifs d’importances inégales :
• la féminisation des titres,
• l’élimination du masculin générique,
• l’élimination de la majuscule de prestige à ‘Homme’.

Encore controversée en France, la féminisation des titres est une chose acquise au Québec. Voilà pourquoi il n’en sera pas question ici.

Le troisième objectif, mineur, vise à éviter, par exemple, que ‘droits de l’Homme’ désigne les droits communs aux hommes et aux femmes.

Le texte qui suit concernera donc exclusivement le deuxième objectif, beaucoup plus ambitieux.

Le masculin générique

Offensés par la règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin, ses promoteurs accusent celle-ci d’invisibiliser (sic) les femmes.

À titre d’exemple, dans le paragraphe qui précède, ‘promoteurs’ comprend à la fois les promoteurs de sexe masculin et les promotrices. Conséquemment, le mot masculin pluriel ‘promoteurs’ englobe donc implicitement les promotrices, ce qui a pour résultat de les occulter.

En somme, le masculin générique aurait pu très bien s’appeler ‘masculin inclusif’ parce que c’est précisément ce qu’il fait; inclure implicitement le féminin.

Aussi offensante soit-elle, cette règle concerne le genre grammatical et non le sexe des êtres (vivants ou inanimés).

Une table n’est pas de sexe féminin, mais plutôt du genre féminin. De la même manière, un divan n’est pas de sexe masculin, mais plutôt du genre masculin.

Les promoteurs de l’écriture inclusive en sont conscients mais soutiennent que le langage construit les mentalités et entraine un impact important sur les représentations sociales.

Il s’agit donc pour eux de combattre les stéréotypes sexistes en remaniant l’écriture.

Langue et société

Dans le combat en faveur de l’égalité des sexes, le désir d’éliminer le masculin générique repose sur le mythe selon lequel la langue façonne les mentalités.

Est-il possible que ce soit l’inverse ? En d’autres mots, ne pourrait-on pas croire que toute langue soit le reflet de l’histoire et de l’évolution de la société qui l’utilise ?

Dans tous les cas, peut-on effacer les ‘stigmates’ des mentalités qui prévalaient autrefois ?

La mitraille de points

En France, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), un organisme étatique, recommande de structurer les phrases selon le schéma suivant : racine du mot + suffixe masculin + point + suffixe féminin.

Dans tous les cas, le HCE prescrit que le suffixe masculin ait préséance sur le suffixe féminin. Pour une solution à l’écriture sexiste, cette préséance est antinomique.

À titre d’exemple, au lieu de « Pour entrer en fonction, le sénateur doit prêter serment au roi d’Angleterre », on écrira : « Pour entrer en fonction, le.la sénateur.rice doit prêter serment au.à la roi.reine d’Angleterre » (p. 29 du guide du HCE).

Pour le pluriel, au lieu des « agents territoriaux », on écrira : « agent.e.s territoriaux.ales» (p. 29 du guide du HCE).

Imaginons un instant que l’abolition du masculin générique devienne une réalité. Tout comme les textes écrits sous l’Ancien régime sont aujourd’hui publiés avec une graphie moderne (ex.: estudier est devenu étudier), toute la littérature française devra être réécrite.

On aura le choix.

On pourra alors modifier le texte. Dans l’exemple donné précédemment, « Pour entrer en fonction, le sénateur doit prêter serment au roi d’Angleterre », on écrira tout simplement « Pour entrer en fonction, chaque membre du Sénat doit prêter serment à la monarchie britannique ».

C’est pareil. Malheureusement, si ce texte avait été écrit par Lamartine, la nouvelle version ne serait pas vraiment ce qu’il a écrit. Et sur l’ensemble de son œuvre, le génie de cet auteur serait amoindri aux yeux des lecteurs d’aujourd’hui.

Par contre, si on opte pour la mitraille de points, imaginez la difficulté du jeune écolier à qui le professeur demande de lire à voix haute un texte rédigé ainsi.

Dans le même ordre d’idée, à chaque fois qu’il sera question d’un être sexué, l’acteur de théâtre, de cinéma ou de télévision se butera sur le texte écrit ou traduit en écriture inclusive.

À l’époque de l’Empire romain, tous les textes étaient en majuscules et aucun signe de ponctuation ne l’interrompait.

Au Moyen-âge, on a inventé à la fois les minuscules et les plus importants signes de ponctuation; la virgule pour insérer une pause dans la phrase et le point pour la terminer.

De nos jours, l’auteur doit user de finesse lorsque vient le temps d’utiliser une abréviation comme etc. En effet, le point de l’abréviation peut être confondu avec un point final. On pourra donc placer l’abréviation à la fin de la phrase pour que son point fasse une pierre deux coups. Autrement, la minuscule ou la majuscule au début du mot suivant permet d’indiquer au lecteur la nature du point qui le précédait.

Mitraillé par l’écriture inclusive, le lecteur doit constamment analyser la phrase pour en deviner le sens.

Le point médian

Afin d’évider cette confusion, certains suggèrent le point médian, appelé également point d’altérité. Au lieu d’être à la ligne, ce point est situé à mi-fauteur des caractères. Par exemple, les citoyen∙ne∙s.

À l’heure actuelle, le point médian n’est pas offert sur le clavier de nos ordinateurs mais pourrait l’être à l’avenir si la demande s’en fait sentir.

Le point médian nuit moins à la lisibilité du texte lorsqu’il est utilisé de manière parcimonieuse. Mais dès qu’il devient abondant — ce qui est inévitable avec l’écriture inclusive — il partage la même lacune majeure que le point conventionnel; une diminution de la lisibilité.

L’énumération du féminin et du masculin

Parmi les solutions alternatives, approuvées par le HCE, il y a l’utilisation conjointe du féminin et du masculin. C’est ce qu’on appelle la double flexion.

Prenons une communauté religieuse formée exclusivement de femmes. On les désignera collectivement comme étant des religieuses. Si cette communauté décide de devenir mixte, dès l’ajout d’un premier homme, ce sont des religieux en vertu de la règle selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin.

Face à ce genre de situation, l’Ordre des infirmières du Québec est devenu l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec.

L’accord de proximité

Dans certaines langues, les adjectifs se conjuguent en fonction du dernier nom qu’ils qualifient. Ainsi, dans une énumération, on y écrit « Les femmes et les hommes sont nés égaux » ou « Les hommes et les femmes sont nées égales ». Dans ces langues, l’un et l’autre sont parfaitement acceptables.

La première fois qu’on lit « Thomas et Jacynthe sont belles », on est un peu surpris. Mais si cela devait devenir la norme, on finira bien par s’y habituer.

Acceptabilité sociale

Selon un récent sondage, trois Français sur quatre seraient favorables à l’écriture inclusive sans trop savoir de quoi il s’agit.

Dans l’esprit du HCE, l’écriture inclusive se confond avec le combat pour l’égalité des sexes.

Français et Québécois sont d’accord avec l’égalité entre les hommes et les femmes, un des buts visés par l’écriture inclusive.

Mais dès qu’on parle spécifiquement de l’élimination du masculin générique, les choses se compliquent.

Lorsqu’un premier manuel scolaire basé sur l’élimination du masculin générique a fait surface en France, cela a déclenché un tollé.

Accusant l’écriture inclusive d’être un peu la version féministe de la ‘novlangue’ de George Orwell, des députés français s’y sont opposés vigoureusement.

Le ministre français de l’Éducation a déclaré que l’écriture inclusive ajoute à l’écriture une complexité qui n’est pas nécessaire. Son opposition est partagée par sa collègue de la Culture.

Dans un communiqué émis le 26 octobre dernier, l’Académie française a qualifié l’écriture inclusive de péril mortel.

Sans le dire explicitement, cette opposition concerne l’élimination du masculin générique. Ce qui contribue à la confusion puisque l’écriture inclusive, en principe, est une réforme plus vaste que cela.

Conséquemment, dans l’esprit du public québécois, l’écriture inclusive est devenue synonyme de l’élimination du masculin générique.

Pour le blogueur Raphaël Fiévez du Huffington Post, bannir le masculin générique dans le but de combattre le sexisme est aussi futile que de bannir le mot race pour combattre le racisme.

Conclusion

Que la ‘méchante’ Académie française ait décidé au XVIIe siècle d’imposer le féminin générique plutôt que le masculin générique, le résultat serait fondamentalement le même; une simplification de la langue aux dépends d’un genre grammatical.

Après des siècles d’usage, certaines décisions deviennent irréversibles.

À l’heure actuelle, aucune étude scientifique n’a prouvé qu’un programme éducatif basé sur l’écrit mitraillé de points n’entrainait pas de retard dans l’apprentissage du français auprès de jeunes écoliers.

N’importe qui est libre d’écrire le français comme il le souhaite.

Contrairement aux bouleversements actuels provoqués — à juste titre — par la dénonciation du harcèlement sexuel, le combat pour l’élimination du masculin générique fait partie de ces luttes bourgeoises et superficielles qui ne changent rien à la vie de tous les jours.

Ni plus ni moins, il s’agit ici d’une version moderne des Précieuses ridicules de Molière. Conséquemment, les organismes qui y ont recours pour faire ‘cool’ se discréditent.

Dans le cas du HCE, cela est dommage puisque dans l’ensemble des mesures qu’il préconise sous l’appellation générale d’écriture inclusive, il y a beaucoup de suggestions intéressantes que cet organisme aura du mal à promouvoir après le discrédit qu’essuiera probablement sa proposition extravagante d’abolir le masculin générique.

Références :
Écriture inclusive
Jean de La Fontaine en inclusif
L’écriture inclusive, fausse solution à l’iniquité des sexes
Pour l’Académie française, l’écriture inclusive est un “péril mortel”
Pour une communication publique sans stéréotype de sexe
Qu’est-ce que l’écriture inclusive et pourquoi pose-t-elle problème ?
3 Français sur 4 se disent favorables à l’écriture inclusive

Parus depuis :
L’écriture inclusive, un débat déjà vieux de 40 ans au Québec (2017-11-23)
Ecriture inclusive : malaise à l’Académie française (2017-12-13)
Le bannissement partiel de l’écriture inclusive sur ce blogue (2020-05-19)
L’«écriture inclusive» interdite à l’école française (2021-05-12)

Détails techniques : Appareil Olympus OM-D e-m5, objectif M.Zuiko 12-40mm — F/2,8 — 1/60 sec. — F/2,8 — ISO 640 — 22 mm


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Un commentaire

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Écrit par Jean-Pierre Martel