Vision 2030 : la Grande séduction saoudienne

Publié le 27 octobre 2017 | Temps de lecture : 9 minutes

Introduction

Du 24 au 26 octobre 2017 se tenait dans la capitale saoudienne la conférence Future Investment Initiative, réunissant au-delà de 3 500 participants provenant de 88 pays.

Le but de cette réunion était de faire la promotion de Vision 2030, un projet d’investissement colossal de 500 milliards$US en Arabie saoudite.

Vidéo promotionnelle de Neom (en anglais)

Ce projet vise la création d’une ville futuriste (appelée Neom) au sein d’une zone industrielle de 26 000 km², soit l’équivalent de 500 fois la surface de l’ile de Montréal. Cette zone serait située dans l’ouest de l’Arabie, à la jonction avec la Jordanie et l’Égypte.

Elle serait créée sur le modèle des zones économiques spéciales chinoises.

La ville proprement dite serait alimentée en énergie solaire et robotisée à l’extrême. Les bâtiments et des infrastructures resteraient immaculés grâce à l’absence de pollution atmosphérique.

L’approvisionnement alimentaire serait assuré grâce à l’agriculture verticale, au développement de cultures en zones arides et en eau de mer ainsi que l’utilisation de serres photovoltaïques.

En marge de cette conférence, une vaste offensive de relations publiques s’est déroulée.

Le prince héritier a accordé une entrevue à l’influent quotidien britannique The Guardian. Il ne l’a pas fait pour Le Monde puisque ce quotidien a l’habitude (comme Le Devoir) de reproduire intégralement les dépêches de l’Agence France-Presse (qu’il suffit de mettre dans sa poche).

Le site de Radio-Canada s’est contenté d’une entrevue avec la journaliste Clarence Rodriguez, chantre du régime et seule journaliste française accréditée en Arabie saoudite (selon sa page Twitter).

Officiellement, cette conférence vise à attirer des investissements. Mais ce n’est pas son véritable but.

Les problèmes structurels de l’économie saoudienne

En raison de l’insécurité permanente qui règne au Moyen-Orient, des firmes occidentales d’investissement (principalement américaines) y orchestrent une fuite des capitaux depuis des décennies.

Si bien que la famille royale saoudienne est lentement devenue propriétaire d’environ 8% de l’économie américaine, soit dix fois plus que les fortunes combinées de Bill Gates et Warren Buffett.

De plus, s’il est vrai que la capitalisation boursière d’Apple est, de temps en temps, la plus importante au monde, c’est seulement parce que la compagnie Aramco (la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures) n’est pas inscrite en bourse.

On estime que la capitalisation d’Aramco est 3 000 milliards$, soit environ quatre fois celle d’Apple.

En dépit de la diminution de ses revenus pétroliers, l’Arabie ne manque pas d’argent. Au contraire, elle est immensément riche. Alors quel est son problème ?

Son problème est un abyssal déficit technologique.

L’école publique saoudienne est aux mains du clergé wahhabite.

Très bon à former des hommes de lettres (avocats en droit musulman, écrivains, poètes, fonctionnaires peu qualifiés), le système scolaire du pays ne forme que très peu de chercheurs, de scientifiques et de travailleurs qualifiés puisque souvent la science moderne entre en conflit avec l’interprétation rigoureuse des textes sacrés de l’Islam, vieux de 1 500 ans.

Le régime vante son taux élevé de scolarisation. Dans les faits, le système scolaire ne forme que des bons à rien que même les entreprises saoudiennes hésitent à embaucher comme travailleurs qualifiés. D’où le taux de chômage d’environ 40% chez les jeunes hommes du pays.

Environ 70% des emplois offerts aux Saoudiens le sont dans la fonction publique.

Quant aux femmes, l’accès aux études supérieures leur est théoriquement permis depuis des décennies. Mais encore là, leur tutelle masculine permanente et les interdits tatillons des forces de l’ordre font en sorte que très peu d’entre elles font des études supérieures (alors que les femmes forment la majorité des diplômés universitaires au Qatar, aux Émirats arabes unis et en Iran).

Si bien qu’en Arabie saoudite, les familles aisées envoient leurs adolescents masculins étudier dans les meilleurs lycées occidentaux.

Le chômage élevé chez les jeunes Saoudiens peu fortunés explique l’importance des mercenaires saoudiens au sein des groupes terroristes sunnites.

Jusqu’ici, l’Arabie saoudite avait tout misé son avenir postpétrolier sur le développement du tourisme religieux.

D’immenses complexes hôteliers ont été érigés sur les sites sacrés, occupés à saturation lors les quelques jours du pèlerinage annuel (Hajj), et sous-utilisés le restant du temps. Cet afflux soudain n’est pas sans causer des problèmes sécuritaires qui émergent régulièrement et que l’État saoudien n’arrive pas à juguler.

L’homme fort de la dictature saoudienne, le prince héritier Mohammed bin Salman, a résolu de diversifier l’économie de son pays. Cela implique d’y attirer des entreprises qui voudront faire profiter le pays des technologies avancées qui font cruellement défaut à cette dictature moyenâgeuse.

Mais voilà, comment attirer des investisseurs étrangers dans un pays où tous les petits écoliers apprennent qu’il faut tuer les Chiites, les Juifs et les Occidentaux ?

La grande séduction

À cette conférence, le prince héritier a estimé que son pays avait abandonné la modération en 1979 — c’est l’année de la Révolution iranienne — avec la montée en puissance de courants religieux extrémistes.

En somme, c’est la faute de l’Iran si l’Arabie saoudite s’est radicalisée.

En décembre 2015, dix-sept femmes ont été élues lors d’élections municipales en Arabie saoudite. La dictature saoudienne en a fait grand cas.

Toutefois, on doit savoir que dans l’éventualité où elles auraient eu à s’adresser à une foule, les candidates auraient dû le faire derrière un rideau. Bref, leur élection démontre que tout est possible en Arabie saoudite quand les tyrans du pays l’ordonnent.

Selon un décret promulgué le mois dernier, les femmes saoudiennes pourront conduire une automobile à partir de juin 2018.

À la fin d’une dépêche publiée récemment, l’Agence France-Presse écrivait que les Saoudiens attendent maintenant l’ouverture de salles de cinéma et plus divertissements, longtemps interdits par les milieux conservateurs.

Dans la mesure où en Iran, les femmes ont déjà le droit de conduire et qu’il existe déjà des salles de cinéma, on voit mal comment c’est la faute de l’Iran si tout cela n’existe pas encore en Arabie saoudite.

Mais par-dessus tout, si le prince héritier est tellement d’accord avec les idées réformatrices qu’exprimait Raïf Badawi sur son blogue, on ne comprend pas pourquoi il n’ordonne pas sa libération immédiate de prison.

En tant que ministre de la Défense, le prince héritier est responsable des bombardements saoudiens au Yémen.

Parmi les trois groupes d’insurgés opposés au président yéménite en exil, le prince hériter saoudien n’a choisi de bombarder que les insurgés chiites, en évitant soigneusement de nuire aux deux autres : les milices d’Al Qaida et celles affiliées à l’État islamique.

Ces dernières lui ont manifesté leur reconnaissance en faisant sauter quelques mosquées chiites en Arabie saoudite.

Il est donc difficile de savoir dans quelle mesure l’œcuménisme de façade du prince héritier s’inscrira à l’avenir dans la réalité saoudienne.

Les risques d’un investissement étranger en Arabie

Les États-Unis ont été incapables d’obtenir la collaboration de l’Arabie saoudite à l’enquête au sujet des attentats du 11 septembre 2001. Si bien qu’il n’existe aucune preuve formelle de l’implication de ce pays dans ces attentats.

L’Arabie saoudite n’est pas un État de droit. Il n’a pas de constitution. Les décisions des tribunaux sont soumises à l’arbitraire de la volonté royale. Bref, c’est une dictature absolue.

L’investissement étranger en Arabie saoudite est donc hautement risqué.

Si le prince héritier devait sérieusement menacer les intérêts du clergé wahhabite, il suffirait d’une fatwa pour que sa vie soit menacée (comme celle de Salman Rushdie). Si cela devait être le cas, la valeur boursière des investissements étrangers en Arabie saoudite dégringolerait.

Aussi puissants que puissent être les tyrans du pays, il suffit d’un garde du corps résolu à se faire l’instrument de la volonté divine pour que le prince héritier aille fertiliser à sa manière le lopin de terre où il sera enterré.

Bref, il serait donc étonnant que ses idées réformatrices aillent très loin.

Références :
Arabie Saoudite : le «tufush», mal-être des moins de 30 ans
Irak et Corée : deux poids, deux mesures
I will return Saudi Arabia to moderate Islam, says crown prince
L’Arabie saoudite va construire une ville futuriste à l’encontre de son image conservatrice
La vision de Mohammed ben Salman pour faire entrer l’Arabie saoudite dans la modernité
Le prince héritier promet une nouvelle Arabie saoudite «modérée»
Saudi Arabia’s Grand Plan to Move Beyond Oil: Big Goals, Bigger Hurdles
Saudi Arabia wants to return to ‘moderate Islam.’ Skeptics say it’s a marketing ploy.
Saudi Aramco
Villes du futur : Neom, la mégapole high-tech voulue par l’Arabie saoudite
20 femmes élues pour la première fois en Arabie saoudite

Paru depuis :
Saudi summit in crisis as Khashoggi case prompts mass withdrawals (2018-10-12)

Avez-vous aimé ce texte ?

Prière de choisir un nombre d’étoiles.

Moyenne : 0 / 5. Nombre de votes : 0

Soyez la première personne à voter.

We are sorry that this post was not useful for you!

Let us improve this post!

Tell us how we can improve this post?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

>