L’ABC de la guerre syrienne (2e partie)

14 décembre 2015

Importance géostratégique de la Syrie

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Au Moyen-Orient, qui dit guerre dit hydrocarbures.

Situés de part et d’autre du Golfe persique, le Qatar est rival de l’Iran dans l’exploitation d’un des principaux champs gaziers du monde, situé à cheval entre ces deux pays.

Le projet ‘sunnite’ du Qatar (en rouge sur la carte)

Le Qatar projetait la construction d’un gazoduc partant de ce pays et qui aurait traversé l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie afin d’approvisionner l’Europe en gaz naturel.

Au Proche et au Moyen-Orient, ce trajet n’aurait traversé que des pays dont la population est majoritairement musulmane sunnite.

Désireuse de bénéficier des retombées économiques de la construction d’un gazoduc traversant son territoire et soucieuse d’avoir l’Europe à sa merci, la Turquie soutenait le projet qatari. De plus, cela lui aurait permis de s’affranchir de la Russie, responsable de 60% de ses approvisionnements en gaz naturel.

Le projet ‘chiite’ de l’Iran (en vert sur la carte)

De son côté, afin d’acheminer le gaz de ce même gisement à partir de son territoire, l’Iran projetait la construction d’un gazoduc traversant plutôt l’Irak et la Syrie. Le gaz naturel liquéfié aurait finalement atteint l’Europe par bateau, sans passer par la Turquie.

Ce projet ne traversait que des pays dont les dirigeants sont des musulmans chiites.

À l’époque où le président syrien Bachar el-Assad dirigeait son pays avec une main de fer, ces deux projets concurrents de gazoducs attendaient son approbation.

Le feu vert en 2010

Bachar el-Assad aurait pu autoriser les deux. Mais à la fin de 2010, son gouvernement décida de ne permettre qu’un seul projet, celui de son allié iranien. Cette décision était également un pied de nez à la Turquie, avec laquelle la Syrie entretient des relations conflictuelles depuis plus d’un demi-siècle.

Ce fut une grave erreur.

Cumulativement, au cours de la durée totale de son fonctionnement, le gazoduc qatari devait rapporter des revenus de l’ordre de centaines de milliards de dollars au Qatar. Furieux du refus syrien, les dirigeants de cette pétromonarchie décidèrent de renverser le régime de Bachar el-Assad.

À la merci de la Russie pour son approvisionnement en gaz naturel, l’Europe occidentale ne gagnait rien à se libérer de la Russie si c’était pour devenir dépendante du gaz iranien. Voilà pourquoi, les pays occidentaux, avec la complicité de la Turquie, décidèrent de soutenir discrètement les visées subversives des pétromonarchies.

Le printemps arabe en 2010-2011

Quelques semaines après le feu vert donné au projet de gazoduc iranien, éclate un événement totalement imprévu dont l’importance historique est considérable : le Printemps arabe.

Déclenchée en Tunisie le 17 décembre 2010, cette révolte se solde par la démission du chef d’État tunisien moins d’un mois plus tard, le 13 janvier 2011.

En janvier et février 2011, une série de manifestations d’une ampleur inégalée se déroulent en Égypte. Les manifestations les plus importantes de déroulent le vendredi — le jour de la prière chez les Musulmans — au sortir des mosquées.

En effet, l’Arabie saoudite utilise son influence sur le clergé égyptien pour transformer les prêches du vendredi en discours incendiaires où les imams incitent les fidèles à la révolte. Le 11 février 2011, le chef de l’État égyptien démissionne.

Comme une trainée de poudre, le Printemps arabe atteint la Syrie en mars 2011. Les premières manifestations antigouvernementales y sont organisées. Celle de Deraa, le 23 mars, est la première réprimée dans le sang; 50 à 100 opposants sont tués.

Le vendredi suivant, le 25 mars, le clergé sunnite de Syrie appelle les fidèles à la révolte; c’est le Jour de la colère. Quatre jours plus tard, le gouvernement syrien présente sa démission au président Bachar el-Assad (qui lui, demeure en poste).

Dans les mois qui suivent, les manifestations se succèdent, toujours réprimées brutalement par l’armée. Parallèlement, dès le mois d’avril, on assiste à l’apparition de groupes rebelles armés.

La guerre en Syrie

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Alors que le Printemps arabe piétine en Syrie, les pétromonarchies se voient obligées d’adopter une autre stratégie; celle d’y transformer ce début de guerre civile, en guerre par procuration où des milices financées par elles — provenant de n’importe où — combattront le régime de Bachar el-Assad.

En 2011, s’il était possible de parler de rebelles ‘modérés’, cela n’est plus possible aujourd’hui. Comme dans toute guerre qui s’éternise, les scrupules et principes de départ ont fait place depuis longtemps à une haine impitoyable; tous les moyens sont bons pour tuer l’ennemi.

À l’époque de la répression du Printemps arabe, la grande majorité des pertes civiles ont été causées par le régime de Bachar el-Assad. Cet argument a souvent été utilisé pour prouver la barbarie de ce dernier. En réalité, cela ne faisait que refléter la supériorité militaire du régime en ce début de guerre.

Si les avions, les bombes et les gaz toxiques de l’armée syrienne avaient été aux mains des rebelles — notamment ceux qui se sont ultérieurement joints à Al-Qaida ou à l’État islamique — ce serait eux qui auraient causé la majorité des morts parmi la population civile dès le début de la guerre.

Territoires contrôlés par les forces en présence

De nos jours, chaque fois qu’une ville ou qu’un village syrien tombe entre les mains des rebelles islamistes dits ‘modérés’, les Alaouites (le groupe confessionnel auquel appartient Bachar el-Assad) y sont systématiquement massacrés.

Contrairement à ce que soutient la propagande officielle de nos pays, la guerre en Syrie n’oppose pas le méchant régime de Bachar el-Assad à de bons rebelles luttant pour la démocratie parlementaire; elle oppose un régime brutal à des mercenaires étrangers pires que lui.

En excluant Al-Qaida et l’État islamique (dont on connait bien l’idéologie barbare), les autres milices rebelles, si elles prenaient le pouvoir, se proposent toutes d’implanter la charia (autrement, elles ne seraient pas financées par l’Arabie saoudite) et d’exterminer les Alaouites, soit 12% de la population syrienne (c’est-à-dire deux millions de personnes).

Évidemment, dans une telle éventualité, beaucoup d’Alaouites fuiraient à l’étranger. Mais ceux restés sur place seraient l’objet d’un génocide.

Dans un pays divisé — non pas par des rivalités interconfessionnelles — mais plutôt par des haines interconfessionnelles (attisées par des pays étrangers), la seule manière de pacifier ce pays est de le soumettre au joug d’un régime brutal. Or ce régime existe déjà, c’est celui de Bachar el-Assad.

En claquant des doigts, si on pouvait faire cesser cette guerre et tenir des élections demain, Bachar el-Assad serait réélu facilement parce que les dirigeants des milices rebelles sont soit des étrangers ou de parfaits inconnus.

Les pays occidentaux le savent très bien. Impuissants le renverser militairement, ils insistent pour que Bachar el-Assad quitte volontairement ses fonctions. Un vœu que le dirigeant syrien a ignoré jusqu’ici.

On peut remplacer l’homme. Mais remplacer son régime autoritaire signifie livrer le pays au chaos, à l’anarchie et au carnage.

Références :
Declassified Department of Defense Report (2012-07-30)
La Syrie, pays de tous les enjeux
Qatar-Turkey pipeline
Révolution tunisienne de 2010-2011
Syria’s Pipelineistan war

Parus depuis :
If the Castle Falls: Ideology and Objectives of the Syrian Rebellion (2015-12-21)
“Échanges entre militaires” : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (2015-12-28)
Report on Syria conflict finds 11.5% of population killed or injured (2016-02-11)
Russia is the big winner in Syria’s flawed ‘truce’ (2016-02-12)
Des rebelles islamistes accusés de crimes de guerre (2016-07-05)
Revealed: the £1bn of weapons flowing from Europe to Middle East (2016-07-27)
Les forces françaises ont tué au moins 2 500 djihadistes de l’EI en Irak et Syrie (2016-12-13)
Syrie : la guerre des intérêts (2017-04-10)
DGSE, Espions, Secrets des Affaires, Crises mondiales (vidéo) (2018-04-07)

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Écrit par Jean-Pierre Martel