Jusqu’au carnage récent à Paris, l’État islamique (ÉI) et Al-Qaida se distinguaient par deux choses.
Al-Qaida n’a jamais cherché à conquérir un territoire. Disposer de quelques bases d’entrainement ici et là en Asie et en Afrique lui suffisait. Au contraire, la possession d’un territoire afin d’y assoir un califat est à la base des ambitions de l’État islamique.
De plus, Al-Qaida entrainait des combattants à commettre des attentats à l’étranger, ce qui n’était pas le cas de l’ÉI. Du moins jusqu’ici.
Sur ce dernier point, ce n’est plus vrai.
Ce qui est beaucoup plus grave, c’est que l’ÉI a ‘démocratisé’ le terrorisme.
Al-Qaida a mené un grand nombre d’attentats à travers le monde. Mais ce qui l’a fait naître aux yeux du grand public, ce qui a fait sa gloire auprès de ses financiers, ce sont les attentats du 11 septembre 2001. Ceux-ci se caractérisent par l’importance des ressources mises en œuvre.
Ce que l’ÉI a prouvé à Paris, c’est qu’on pouvait organiser un attentat terroriste qui frappe autant l’esprit, avec presque rien; il suffit de quelques kalachnikovs et d’une automobile pour commettre un carnage dont toute la planète parlera.
En fait, ce type d’attentats n’est pas nouveau. Il suffit de consulter l’histoire des guerres d’indépendance au Maghreb ou des guerres civiles au Proche-Orient pour trouver des antécédents de foules mitraillées soudainement sur la voie publique sans autre raison que celle d’être des cibles faciles.
Mais depuis longtemps, la trace de ces drames n’a été conservée que dans des livres d’histoire ensevelis sous la poussière de nos bibliothèques.
L’ÉI a donc remis au goût du jour ce terrorisme facile et l’a exporté en Occident. Comme le Beaujolais, on découvre donc ce terrorisme nouveau, léger et frais.
Il est donc certain que de pareils attentats se répéteront bientôt ailleurs parce qu’ils sont presque impossibles à prévenir et parce qu’ils sont indécelables sur le radar des services de renseignements (comme on l’a vu à Paris).
Et puisque nous en parlons, j’aimerais aborder deux questions que tout le monde se pose.
Pourquoi Paris ?
On peut trouver des indices de réponse dans le communiqué publié par l’État islamique, celui dans lequel le califat revendiquait la responsabilité du carnage du 13 novembre 2015.
« Dans une attaque bénie, (…) un groupe de croyants des soldats du Califat (…) a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion (…), Paris.
Huit frères (…) ont pris pour cible des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française; le stade de France lors du match de deux pays (en croisade contre nous,) la France et l’Allemagne (…), le Bataclan où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité ainsi que d’autres cibles dans le dixième, le onzième et le dix-huitième arrondissement et ce, simultanément. »
À leurs yeux, Paris est la capitale des abominations et de la perversion. Paris est comme cette femme fière et libre dont la joie resplendissante est une offense aux yeux de la bigote qui s’enferme dans le malheur en se privant de tous les plaisirs du monde.
En somme, Paris est une ville symbolique. C’est d’ailleurs pourquoi un attentat dans cette ville a plus d’impact médiatique qu’un attentat survenu à Beyrouth ou ailleurs.
Mais je crois qu’il y a aussi une autre raison, plus pratique.
J’ai visité Paris en 2003, en 2004, en 2014 et le mois dernier. Ce qui m’a frappé, c’est à quel point Paris est peuplé. Non pas que la densité urbaine y atteigne des records, mais il y a foule souvent, partout.
En comparaison avec mes visites antérieures, il y a une décennie, j’ai l’impression qu’il y a deux fois plus de voitures dans ses rues. Le métro, bondé à Montparnasse il y a une décennie, est bondé sur plusieurs lignes principales de nos jours en dépit du fait que ses trains s’y succèdent aux deux minutes.
Le moindre obstacle à la sortie du métro (ici la mendiante, là une personne arrêtée à répondre à son téléphone portable sans se soucier des autres, plus loin ce vélo stationné au mauvais endroit) crée des goulots d’étranglement et fait en sorte que la journée à Paris ressemble souvent à une course à obstacles.
Et surtout, les terrasses de ses cafés et restaurants y sont noires de monde dès qu’il fait beau.
Conséquemment, n’importe quel terroriste y trouvera partout des cibles nombreuses contres lesquelles assouvir sa haine.
Et c’est une ville touristique qui accueille des millions de personnes par année. Aucun étranger — et à plus forte, raison aucun terroriste français — n’y attire l’attention.
À quoi devrait-on s’attendre ?
Tous ceux qui connaissent bien l’histoire de la France depuis la guerre d’Algérie savent que la réponse de l’État français aux milieux terroristes sera foudroyante, tant au Moyen-Orient, que sur le territoire national. En deux mots, la récréation est terminée. Du moins, pour quelques mois.
Mais tous ces moyens n’arrêteront pas le terrorisme. Pas plus qu’un mur n’arrête le vent.
Les gens sont fascinés par le succès. Quand un film est immensément populaire, on cherche à lui donner une suite.
C’est la même chose pour le terrorisme. L’ÉI a montré comment c’était facile de tuer une centaine de personnes. Attendons-nous à ce que les attentats de Paris fassent tache d’huile.
Ce qui m’amène à répéter : on ne peut prévenir le terrorisme par des moyens militaires ou par des services de renseignements. Il faut aller à la cause du terrorisme. Or le terrorisme n’est rien d’autre que la concrétisation de la haine.
Cette haine se nourrit du ressentiment des Musulmans à l’égard des pays occidentaux. Ce contentieux est la sève du djihadisme. Il s’articule autour de deux pôles : la guerre coloniale d’Israël en Palestine et la multiplication des guerres suscitées par les pays occidentaux dans des pays musulmans.
Tout près de l’Europe, on ne peut pas propager la guerre et le malheur sans que cela se répercute en Occident sous forme de vagues migratoires et d’attentats terroristes.
Au-delà des bombes françaises qui tomberont sur le califat parce que le carnage de Paris ne peut rester impuni, il faudra bien réaliser que ce sont d’autres bombes occidentales qui ont créé le fiasco duquel est né l’ÉI.
Puissions-nous un jour apprendre à agir autrement.
Références :
Communiqué de l’État islamique
L’État islamique : un trou noir
Nous payons les inconséquences de la politique française au Moyen-Orient
J’ai l’impression, M. Martel, que votre excellent article explicite la pensée que l’on pourrait résumer, en partie du moins, ce verset de la Bible :
«Osée 8.7 Parce qu’ils sèment le vent ils recueilleront le tourbillon ; et il n'[y aura] point de blé debout ; le grain ne fera point de farine, et s’il en fait, les étrangers la dévoreront.».
Cette pensée dite de façon païenne «qui sème le vent récolte la tempête» me vient à l’esprit chaque fois que j’entends parler de terrorisme.
Cela ne signifie pas cependant que nous ne devons pas nous protéger contre cette tempête, évidemment.
Encore moi M. Martel. Il s’adonne que la citation secrète sur sympatico.ca de ce jour est d’un dénommé Claude Tellier (1801-1844).
http://www.lecoindespoetes.biz/?s=claude+tillier
La citation va dans le même sens que le verset Osée 8:7 mentionné dans mon commentaire précédent :
«Quiconque a semé des privilèges doit recueillir des révolutions.»